Ecole maternelle : Apprendre, processus de socialisation

7èmes rencontres nationales 

“Pour que la maternelle fasse école”

 Apprendre, processus de socialisation

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Dans un contexte marqué par les évènements dramatiques de ce début d’année, les rencontres ont été ouvertes par l’affirmation des valeurs et parti-pris du GFEN pour contrecarrer les discours réactionnaires sur la pédagogie et les pédagogues. Claire Benveniste reprend les termes du texte élaboré par le GFEN en réaction à cette tragédie : « nous sommes convaincus que l’homme ne naît pas ni fanatique ni terroriste, de même qu’il ne naît pas ni démocrate ni solidaire, il le devient ».  Elle souligne l’importance de l’expérience scolaire dans la construction de l’individu selon qu’elle est source d’émancipation ou à l’inverse synonyme de perte de l’estime de soi, d’inhibition et de perte d’appartenance à un collectif structurant. Il ne s’agit pas d’excuser mais de comprendre les processus qui mènent à cette violence contre soi ou les autres afin d’installer les conditions dès l’école maternelle d’une socialisation par de réels apprentissages, de faire de l’école une priorité nationale en s’appuyant sur le texte de la loi de refondation qui stipule que « tous les élèves sont capables d’apprendre». Encore faut-il que les pratiques soient à la hauteur de l’ambition et porteuses de valeurs s’appuyant sur des principes émancipateurs s’opposant au conformisme, la soumission, l’imposition dogmatiste des règles, la compétition, l’individualisme. C’est dire la responsabilité des éducateurs. S’appuyant sur les propos de Viviane Bouysse, elle relève les éléments qui peuvent  impacter les comportements dès la maternelle si l’on n’y prend pas garde : les évaluations précoces ou la primarisation de l’école maternelle. L’école maternelle est un lieu où on accède à une culture commune quelle que soit son origine pour faire société collectivement, c’est le sens de cette journée de rencontre : apprendre, processus de socialisation.

 Émancipation et socialisation, quels contenus ?

Claire Pontais

est formatrice à l’ESPé Basse Normandie, secrétaire nationale du SNEP-FSU. Après avoir présenté la façon dont elle est passé de l’animation d’un atelier à  une intervention en plénière, elle marque d’emblée son opposition à une idée très répandue : « socialiser avant d’apprendre». Comment pourrait-on débattre sur rien ? La citoyenneté s’exerce à partir de savoirs communs construits collectivement qui ne peuvent être imposés de façon arbitraire.

Socialisation, émancipation, savoirs… de quoi parle-ton ?
« S’agit-il de former des citoyens de la République ou des sujets de sa majesté ? » Dans les systèmes autoritaires, les enfants entrent dans un type de socialisation basée sur la soumission à l’autorité et régie par la docilité. La question à se poser est celle de la place du sujet-élève : « Quelle socialisation   voulons-nous ? Quelle socialisation l’école produit-elle ? » Si l’on se réfère à la pensée d’Henri Wallon, l’émancipation c’est « acquérir le pouvoir de penser soi-même, s’éloigner des préjugés, s’autoriser libre cours à son imaginaire, développer sa pensée critique ». On est bien loin du « dressage » des jeunes enfants mais cela ne peut se faire qu’en appui sur des situations où l’on exerce son pouvoir d’agir. L’EPS est un domaine où la motricité permet l’accès à des savoirs et des techniques pour exercer sa pensée en se confrontant à celle des autres pour s’enrichir des différences.
Cette conception de la citoyenneté est constructive car elle permet une intériorisation des règles de vie collective et peut contribuer à une réduction des inégalités. Claire Pontais précise que la socialisation est un processus très long obligeant l’enfant à mettre de l’ordre dans ce qui n’est au départ qu’affectivité, subjectivité. II ne s’agit pas d’opposer « l’enfant au centre » à « la société au centre » : dans un même mouvement acculturation et individuation s’articulent et  se concilient. Il y a forcément un rapport vivant entre l’enfant et la culture « systèmes de normes, de techniques, de valeurs » propres à la société dans laquelle il vit. L’école est un lieu de socialisation spécifique car elle est un « passage obligatoire, un lieu aux contraintes fortes, un lieu très particulier où on socialise par l’étude ». Dans ce lieu, l’élément médiateur de la socialisation est le savoir lorsqu’un enfant montre et explique aux autres qu’il a fait. A l’inverse lorsqu’il ne sait pas ce qu’on attend de lui, il est déstabilisé et risque de perturber la classe.
Pas de socialisation émancipatrice sans passer par l’acquisition de savoirs et de la culture
Le GFEN a porté au CSP une conception vivante de la culture qui n’est pas « seulement ce qui se passe au Ministère de la Culture » mais constituée de l’ensemble des réponses apportées par les humains pour répondre à leurs besoins, faites de pratiques, de savoirs, de valeurs communes. Si l’on prend l’exemple de la culture sportive, c’est « une quantité phénoménale de sports… Chaque activité sportive va proposer une socialisation particulière». Il en est de même pour chaque champ disciplinaire. A l’école, l’important est de proposer « une socialisation de coopération »  plutôt que de chercher l’exploit individuel, il existe d’autres lieux pour cela (spectacles ou concours). Il convient de transmettre aux jeunes enfants le sens de l’activité sportive  proposée pour ne pas « se perdre dans le formel ou l’inutile ».
S’appuyant sur l’exemple d’une séquence d’apprentissage, Claire Pontais montre comment trois façons différentes de la traiter influent sur le transfert ou non des apprentissages, selon le sens que l’élève va donner à l’activité, les savoirs à construire, les gestes professionnels à mettre en oeuvre pour l’enseignant. Il s’agit d’un parcours à effectuer. Dans le premier cas, les enfants sont le plus souvent en attente et ne perçoivent pas le sens de l’activité ; cela génère de l’agitation et l’enseignant est centré sur l’organisationnel. Dans le second, l’enseignant propose un système d’ « ateliers » avec répétition d’une action commandée ; l’activité cognitive est peu sollicitée et l’enseignant est également centré sur l’organisationnel. Une troisième proposition prend le contre-pied des deux précédentes : une variété d’ateliers dans lesquels les élèves évoluent librement, s’exercent dans le but de préparer un spectacle. La perspective du spectacle  crée une motivation à réaliser des exploits. C’est dans cette direction qu’il convient d’aller car chacun identifie les enjeux du projet, code les activités, situe leur niveau par rapport à un attendu : « ce que je sais faire »/« ce que je ne sais pas faire ». La socialisation se construit par la confrontation à une activité adaptée au niveau des enfants d’une part, la compréhension des règles d’autre part au travers de l’activité effectuée.
En conclusion, Claire Pontais affirme que cela n’a rien de miraculeux : sachant à l’avance ce qu’ils vont faire, les enfants entrent dans des apprentissages porteurs d’une socialisation émancipatrice puisqu’ils sont à même de pouvoir communiquer entre eux et se partager l’espace.

Cinq ateliers le matin

Collage et décollage Le secteur Arts plastiques propose ici un travail sur la couleur et la forme, à travers l’oeuvre de Matisse. Avec les papiers collés, l’artiste a couru  des risques qu’il n’avait jamais pris. Ici, les participants osent en prendre en détournant pour certains  la consigne, en cherchant différentes techniques de collage. Pas seuls  dans cette création où l’imaginaire est un élément détonateur mais en prenant inspiration dans le travail des autres. Le groupe est à la fois porteur d’idées mais aussi soutien pour ceux qui veulent prendre des risques. Un espace qui permit de réaliser des petits tableaux enthousiasmants, très différents les uns des autres !…et d’envisager d’autres consignes.

Dans l’atelier Première scolarisation, L’AGEEM et le GFEN interrogent en quoi l’alliance des parents et des professionnalités est nécessaire. L’enfant qui arrive à l’école maternelle connait déjà un mode de socialisation : celui qu’il vit au sein de son milieu familial, celui de la crèche pour certains ou chez l’assistante maternelle pour d’autres. Mais pour tous, l’entrée à l’école maternelle est la découverte d’un milieu institutionnel dont les modes de socialisation peuvent être proches ou éloignés de ce vécu. En s’appuyant sur des exemples de situations concrètes de classe il s’est agi de comprendre en quoi l’apprendre à l’école est objet de travail dans la classe, en quoi la confrontation à ces situations permet à l’enfant d’entrer dans l’activité de penser et d’agir. lire

Raconter des histoires…

C’est une situation fréquente auprès de jeunes enfants, dans l’histoire des enfants tant  à la maison qu’à l’école. Est-ce pour autant la même chose ? Qu’est-ce que cela veut dire à l’école ?

En plaçant cette situation dans le cadre d’une « ambition culturelle » ( voir nouveaux programmes), en retenant l’idée que la confrontation à des livres en tant qu’éléments de culture est essentielle dans le développement de l’enfant et  que l’accès à la littérature de jeunesse, de plus en plus complexe dans son évolution,   peut être difficile pour certains enfants, cela amène à la nécessité d’un travail d’analyse préalable des oeuvres racontées pour cerner au plus près les enjeux  de cette situation en classe :   quels éléments  relèvent d’un  apprentissage et font , en concomitance, socialisation ? lire

En route pour une séance de géométrie en Grande Section avec le GFEN56 intitulée  Têtes de lignes où l’on voit cherche, penser, parler, contester, échanger… pour classer des lignes. Dans cette activité, il s’agit de classer un ensemble de lignes, de repérer le critère commun à un, à deux ensembles constitués de lignes, de repérer un attribut, deux attributs d’une figure… Il s’agit de connaître et respecter des spécificités mathématique, construire des concepts en géométrie, savoir classer.

L’atelier structures et engrenages s’appuie sur un travail collaboratif entre un enseignant de moyenne section de maternelle et un formateur « technologie ». Mis en situation de réaliser une structure à l’aide de kaplas ou d’éléments d’engrenages, les participants se trouvent dans la même situation que les enfants de maternelle mis au défi de réaliser un montage en respectant un cahier des charges donné. Du faire à l’analyse en passant par le dessin, un processus de construction du savoir où la rencontre avec l’autre est incontournable d’une part, génératrice d’un processus de construction de savoir d’autre part.
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Passer dessus…passer dessous… histoires de pont…

Cinq ateliers l’après-midi

Jeux et sports collectifs : à quelles conditions sont-ils socialisants ?

Animé par Claire Pontais, cet atelier vise à montrer que les règles du jeu ne sont pas immuables et que, quel que soit le jeu ou le sport collectif, les règles instituées suivent une même logique : une équipe qui attaque et une équipe qui défend, une égalité des chances entre les deux équipes, un jeu plaisant à regarder. S’appuyant sur des jeux collectifs, chacun est invité à repérer ce qui peut poser problème dans sa pratique : la part de l’émotion intrinsèque à la notion de jeu, l’élimination des joueurs par exemple. Mais le jeu collectif apprend la stratégie : regarder l’adversaire, être imprévisible, regarder partir l’autre… acquérir  l’intelligence de la situation, apprendre à se situer dans le collectif. Et pour aller dans le sens du collaboratif, mieux vaut choisir un autre support : la danse folklorique par exemple.  Lire sur le Café pédagogique

“Jeux de miroirs, découvertes et recherche avec des miroirs. Démarche exploratoire autour de tout ce qu’il est possible de faire avec des miroirs, de la lumière, des objets en trompe l’oeil où l’on ne sait plus si ce que l’on perçoit est l’objet ou son image dans le miroir… oui, mais lequel ? Des découvertes, des défis que l’on se pose ou que l’on pose à l’autre. La verbalisation peut éclore en faisant réellement sens quand un vécu empirique conséquent a été partagé entre pairs.

Parents et enseignants, des rôles complémentaires pour cultiver le goût d’apprendre. Animé par le GFEN75, cet atelier s’est organisé autour d’une problématique complexe mais cruciale : comment renouer un dialogue de confiance, dans la construction pour sortir de l’impasse du désaveu mutuel et reconnaître la complémentarité des rôles entre parents et enseignants ? Quatre propositions de pratiques déjà éprouvées en classe pour rencontrer les parents dévoilées progressivement aux participants dont les participants s’emparent individuellement puis en petit groupe avant un débat en collectif à partir du questionnement : «Quelles intentions, quels objectifs de l’enseignant qui met en place ces dispositifs lors des rencontres avec les parents ?». lire 

Métaphores en maternelle

. Pourquoi écrire de la poésie en maternelle ? Pour que chacun se projète en tant que producteurs d’écrits, pour s’impliquer dans un projet..  C’est surtout pour que chacun puisse mettre en mots son imaginaire. Les enfants de Grande Section sont prêts à jouer le jeu de la métaphore qui surprend, qui dérange, qui déroute la plupart des adultes. lire

L’atelier Faire classe ou comment se préparer ensemble à apprendre, pour installer les conditions de la connaissance.

Quelles dynamiques collectives, d’un espace scolaire à l’autre ? On identifie ainsi différentes séquences dans différents espaces scolaires, à partir d’extraits de textes sur un déplacement dans l’école entre la classe et la salle de jeux, la récréation, un déplacement au jardin de quartier, l’ordinaire de la classe, la structuration du temps et de l’espace au cours d’activités motrices en petite section, les mouvements violents qui peuvent être l’expression d’enfants qui entrent dans une interaction communautaire encore difficile à accepter. Les enrichissements pour “faire classe”, c’est à dire installer une communauté d’apprentissages, entre les différents lieux et situations sont analysés, à partir de rituels spécifiques dont le transfert à d’autres moments scolaires crée du lien, permet de mieux “faire sens”. Formulations inscrites à l’affichage à l’issue de l’atelier : “Une meilleure prise en compte de chacun”, “Espaces, rituels, communication”, “Expression des émotions et rappel des règles”, “Langage d’évocation, schématisation”, “Regard compassionnel, moral”.

 Apprendre à écrire, comment articuler apprentissage moteur et entrée dans la culture écrite ?

Marie-Thérèse Zerbato-Poudou, praticien-chercheur, s’interroge sur la pertinence d’un apprentissage systématique  du graphisme en parallèle avec celui de l’écriture. Elle affirme qu’il existe « des régions du monde où on ne fait jamais de graphisme et où on apprend à écrire quand même ».

Quel sens cela a-t-il de tracer des lettres quand les enfants n’identifient pas la relation entre la trace écrite et le sens du texte. Pour aller à la rencontre de l’écrit et apprendre, il faut moins viser l’expertise motrice que les processus cognitifs à mettre en place pour que les élèves apprennent réellement. Très jeunes, les enfants peuvent percevoir la visée anthropologique des savoirs et il est intéressant de les sensibiliser à l’histoire de l’écriture afin de construire chez eux un rapport au savoir où la prédominance du sens prime sur la conformité aux formes. Il faut évidemment s’exercer à tracer des lettres  mais la langue écrite se réduit-elle à la maîtrise de la trace ? Dans son usage social, le langage écrit ne se réduit pas à une traduction stricto-sensu de l’oral, c’est un transformateur cognitif qu’il est urgent d’aborder à l’école.
Lors de la première rencontre, plutôt que de présenter à l’enfant l’étiquette de son nom imprimé, il conviendrait de prendre le temps de l’écrire devant lui en commentant l’action et en particulier l’accompagner de remarques sur les occurrences des lettres.
Zerbato-Poudou préconise d’organiser l’espace de travail en ayant en tête les dimensions suivantes :
Le contexte matériel : choix des outils, des supports, des affichages… en sachant que travailler la variété des outils et des préhensions est importante. Pourquoi ne pas proposer aux enfants des calligraphies d’artistes ?
Le contexte didactique et pédagogique : choix des tâches, du dispositif pédagogique, des consignes…
Le contexte culturel : l’écriture s’inscrit dans un processus évolutif et vivant. Il suffit de monter différents alphabets aux enfants pour qu’ils y repèrent ce qu’ils reconnaissent plutôt que de les inscrire dans des exercices de recopiages sur pointillés.
A la question posée : « Peut-on rencontrer la culture écrite en traçant des lettres ? » elle répond oui, mais à certaines conditions. Cet apprentissage doit s’insérer dans un contexte signifiant et ne pas se leurrer en misant sur le transfert spontané des acquis réalisés en graphisme. Mieux vaut appréhender la puissance de l’écriture plutôt que de se crisper encore  aujourd’hui sur le sens de rotation du « o ».
 
Le discours de clôture remerciant les différents participants et la richesse des travaux et débats a permis d’annoncer les prochains rendez-vous :
– Les 8èmes Rencontres de Saint Denis : « L’écriture, éducation prioritaire », le 11 avril 2015 à l’IUT de la Halle Montjoie.
– Les initiatives de l’été dont l’Université d’été de Besançon, début juillet 2015.

Jacqueline  Bonnard
photos Isabelle Lardon, Sylviane Maillet