Extraits Dialogue n° 183

Dialogue n° 183 – 100 ans d’Education Nouvelle : la faire vivre aujourd’hui

Éditorial
  • Cette histoire internationale commune que nous vivons avec nos différences  Lire
    Collectif de rédaction du n° issu du GFEN et du LIEN
L’Éducation Nouvelle a une histoire
  • Je ne conçois pas l’éducation sans référence à l’Éducation Nouvelle
    Entretien avec Gaston MIALARET
    conduit par Odette et Michel NEUMAYER (GFEN), Étiennette VELLAS, Jean-Marc RICHARD (GREN)  (suite du n° 182)
    Pensez-vous que pédagogues et scientifiques doivent travailler ensemble ?
    J’ai dit souvent : d’une part il faut que les chercheurs aient une formation pédagogique. Et deuxièmement, il faut que le praticien ait une initiation à la recherche. Pour pouvoir collaborer. Et alors ça pose des problèmes, ce n’est pas aussi simple. Mais il faut absolument que le maître soit intégré, qu’il fasse partie de l’équipe de recherche. Et pour ça il faut qu’il ait une certaine formation
    scientifique pour comprendre et pour qu’il puisse apporter ses informations.
    Remontons un peu dans le temps. Les filiations de l’Éducation Nouvelle vous les voyez où ? Comment vous nous raconteriez ce qui s’est passé en 1921 ?
    Grosse question ça. Parce que justement l’Éducation nouvelle c’est tout un ensemble de petits bouillonnements qui apparaissent. D’abord, je crois que Rousseau a marqué une rupture incontestablement là. Claparède l’a bien montré : avant Rousseau il y avait quand même une certaine attitude, après Rousseau il y en avait une autre.

  • D’hier à aujourd’hui, les apports de l’Éducation Nouvelle au débat éducatif
    Jacques BERNARDIN (suite du n° 182)
    Contre l’essentialisation, l’Éducation Nouvelle parle de potentialité ininterrompue de développement : désormais, les recherches sur la plasticité cérébrale le confirment. Plusieurs facteurs y contribuent, notamment les sollicitations du milieu et l’activité de l’apprenant.
    L’importance du milieu, de ses stimulations (contre l’idée d’« auto-développement»)
    Le milieu où l’individu évolue n’est pas un milieu naturel, mais culturel et technique, milieu social façonné et transformé par l’histoire humaine. Sous dépendance vitale de son entourage, le jeune enfant ne cesse d’apprendre des expériences et interactions, d’abord avec ses proches puis en fréquentant d’autres univers, dont l’école. Chacun est ainsi à la croisée de plusieurs milieux, d’autant d’influences, de sollicitations, de références. Loin de n’être que le réceptacle de ces influences, face aux situations vécues, il va puiser dans l’ensemble de ce répertoire, faire des comparaisons et des choix qui lui sont propres et s’émanciper progressivement des influences initiales. Des activités au Centre de loisirs aux jeux dans la cour en passant par les situations d’apprentissages en classe, chaque groupe d’appartenance le contraint à la conformité (se plier aux règles communes) et à la singularité (trouver ou y faire sa place). Processus conjoint de socialisation et de personnalisation: si on ne peut réinventer les règles du langage, s’y plier permet de pouvoir dire « je »… Le GFEN développera la notion de « milieu stimulant»…
Tous capables
  • L’école de la bienveillance… du bien être dans la nature…mais… la construction des savoirs ?
    Pascale BILLEREY, Sophie REBOUL, Jean-Jacques VIDAL (GFEN 25)
    Beaucoup d’écoles et de crèches sont sollicitées pour laisser les enfants jouer dehors et cela fait de plus en plus d’adeptes. Être confinés pendant des mois a renforcé ce besoin d’extérieur et renouvelé cette approche de l’espace dans lequel évoluent plus librement les enfants.
    Ceci se justifierait pour promouvoir une école de la bienveillance, de l’écoute, du développement personnel. De belles intentions, mais on peut se demander où sont passés les savoirs, le langage, la culture ?
  • Tous capables ! Du pari éthique à la loi d’orientation
    Jacques BERNARDIN (président du GFEN)
    Audace défendue au Sénat avant d’être ratifiée par l’Assemblée nationale, l’idée que « tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser » est désormais inscrite dans la loi de juillet 2013 en tant que principe de l’éducation.
    « Tous capables ! » La formule portée avec audace par le GFEN (mouvement pédagogique héritier de Langevin et de Wallon, présidents successifs de 1936 à 1962) fut d’abord un parti-pris éthique (relevant d’une philosophie de l’éducation) et simultanément un défi pédagogique (pour en attester) avant de trouver un étayage scientifique, puis de devenir un principe institutionnalisé.
  • La naissance de « Tous capables ! » et ses malentendus
    Jean-Louis CORDONNIER (GFEN 66, secteur Sciences)
    Le slogan « Tous capables ! » n’a pas toujours été présent dans les orientations du GFEN. Il apparaît au début des années 80 et se précise ensuite. Depuis, il s’est parfois affadi, parfois utilisé à contre-sens. Explorons !
    L’éducation nouvelle des débuts ne se préoccupe pas du Tous capables ! Au congrès de Calais (1921), elle affirme que l’éducation doit respecter l’individualité de l’enfant et que les études doivent donner libre cours à ses intérêts innés (Pour l’ère nouvelle, N°1, Calais 1921). Le congrès de Nice (1932) ajoute que l’éducation doit mettre l’enfant en mesure de saisir les complexités de la vie sociale et économique de son temps et d’accueillir la contribution originale de toute autre nation à la culture humaine universelle.
  • L’Éducation Nouvelle, une exigence intellectuelle !
    Catherine LEDRAPIER (GFEN secteur Sciences, LIEN)
    Je veux tordre le cou à une idée trop répandue mais fausse : l’Éducation Nouvelle c’est le “laisser-aller”. Sous prétexte de respect de la personnalité de l’enfant et de sa liberté, il n’y aurait aucune contrainte, en particulier aucune exigence intellectuelle ! L’abandon des méthodes coercitives signifierait laxisme ! L’objet de cet article est de présenter et d’analyser pour comparaison deux exemples très différents de conceptualisation pris dans des pédagogies nouvelles des plus opposées. Ce qui permettra entre autres de juger des exigences intellectuelles… Dans un premier temps, j’expliciterai un cas de conceptualisation dans la pédagogie Montessori1. Dans un deuxième temps, sur le même sujet, j’expliciterai comment se fait la conceptualisation dans une démarche relevant du GFEN ou du LIEN.
Pratiques du changement
  • Ateliers d’écriture : comment la langue se travaille et nous travaille
    Joëlle CORDESSE et Patricia CROS
    A Melun, une famille Rom s’est installée provisoirement. Nous demandons à la militante du MRAP qui est en contact avec eux et que nous connaissons, si un atelier d’écriture pourrait les intéresser. «Bien sûr» nous répond-elle. Quelques jours plus tard, nous déroulons notre grand rouleau de papier (la fresque) dans la cour de leur maison et nous y déposons des feutres de couleur. Les enfants se précipitent pour dessiner, certains écrivent leurs prénoms. Nous écrivons les nôtres puis nous commençons à légender les dessins, à écrire les mots qui émergent de la situation (bribes de conversation, noms d’objets se trouvant dans la cour…). Les enfants copient spontanément les mots et les énoncent plusieurs fois à voix haute. Petit à petit, les adultes forment un cercle autour de la fresque et discutent. Nous essayons de capter des mots en roumain et de les écrire (phonétiquement car le roumain ne nous est pas familier). La fresque s’étoffe dans les deux langues.
  • D’une révolte à une révolution, même à l’école. Du neuf en Éducation Nouvelle
    Charles PEPINSTER (Groupe Belge d’Education Nouvelle)
    Depuis des décennies, les huit inspecteurs de cette région de Belgique qui se croient souvent progressistes, organisent pourtant chaque année des « Examens cantonaux » sous la houlette d’un inspecteur principal. Il s’agit d’un examen externe fait de questions scolaires destinées à des centaines d’enfants de douze ans. Après trois jours d’épreuves (externes à leurs écoles), les examinateurs ‘évaluent’. Ils disposent de barèmes de correction pour attribuer un certificat officiel d’études de base aux récipiendaires ayant obtenu au moins 50 % des points. Ce système me trouble puis me révolte parce qu’il conforte l’enseignement traditionnel sélectif, entraîne le bachotage, le stress et mange le temps des vrais apprentissages. De plus, le chiffrage arbitraire des réponses enfantines me révulse. Je me décide, en 1978 à ne plus participer à cette combine. Je développe l’objection de conscience aux examens notés que l’un ou l’autre collègue inspecteur semble approuver mais n’ose pas le dire.
  • Dans le silence et le calme, dans le bruit et l’agitation, l’Éducation Nouvelle est une histoire à vivre
    Joël SAINTIPHAT (LIEN, IEPEHN, Haïti) et Sandrine BREITHAUPT (LIEN, GREN, Suisse)
    L’Éducation Nouvelle traverse les temps, les espaces et les cultures. C’est ainsi que nous pouvons nous retrouver entre militantes et militants dans la campagne haïtienne de la vallée de l’Artibonite et au bord du lac Léman en Suisse romande. A priori tout nous sépare, mais à y regarder de plus près, beaucoup nous rassemble. Nous portons ainsi des revendications, des valeurs communes et aussi la volonté d’un monde meilleur, plus solidaire. Nous pensons que ce monde-là peut se réaliser au travers de l’émancipation, par les savoirs d’une solidarité pédagogique, d’une lutte constante pour une école constructive, utilitaire et active et non assise (comme nous l’a transmis Ferrière il y a 100 ans déjà), plus respectueuse de l’enfant.
    Bien sûr, nous ne sommes pas dupes et savons que tout ceci est extrêmement fragile, car nous faisons indubitablement face aux inégalités sociales.
  • Le « Réseau des apprenants » Un questionnement au coeur d’une aventure humaine
    Cécile BUELENS (Lire et écrire)  et Pascale LASSABLIÈRE (GBEN)
    De mai 2010 à juin 2012, avec des apprenants en alphabétisation de l’asbl Lire et Écrire de Wallonie et de Bruxelles, nous avons construit un projet participatif de formation. En racontant ici cette expérience, parfois accompagnée d’un vif sentiment de solitude, nous aimerions la partager et en tirer des leçons.
    Ces leçons sont de plusieurs ordres : comment “gérer” des décalages à plusieurs niveaux / Comment travailler avec des institutions lourdes / Comment faire de l’échec un ferment pour le changement.
Porter l’Éducation Nouvelle aujourd’hui
  • Oser la parole, l’écoute. L’Éducation Nouvelle est-elle nouvelle en Tunisie ?
    Mounira KHOUADJA (Initiative Tunisienne pour l’Éducation Nouvelle)
    Les années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale ont été riches d’expériences où l’élève des écoles tunisiennes que je connaissais, malgré toutes les insuffisances, se plaisait à l’école, terrain d’expérimentation d’approches actives leur permettant, ainsi qu’à l’enseignant, d’en faire un espace de recherche, de collaboration, de coopération, de construction de savoir et surtout de bonheur ! Je pense à l’École primaire de Metline située dans la région de Bizerte, aux écoles primaires de Hiboun et de Réjiche dans la région de Mahdia et bien d’autres ici et là que je ne saurais citer par manque d’archives précises.
    Des réseaux francophones de l’Éducation Nouvelle ont semé à tout vent des graines fécondes permettant aux valeurs et aux principes d’être diffusés et réappropriés pour être mis en pratique à travers des transferts pédagogiques singuliers malgré les conjonctures sociales et politiques complexes : pauvreté, haine du colon, déni de l’école… Expérimentations pédagogiques menées par Marie-Anne Carroi, figure oubliée mais fondamentale des réseaux francophones de l’éducation pendant l’entre-deux-guerres.

  • Les nouveaux militants et l’histoire du GFEN. Interview croisée de 3 « jeunes » militants du groupe Paris
    par Damien SAGE (GFEN 75)
    Cet article présente une interview croisée de Camille, Maxime et Sarah, tous les trois engagés dans l’animation du GFEN-75 depuis 2 ans. Cette interview prend place dans le cadre du centenaire de l’Éducation Nouvelle. J’ai voulu voir si l’histoire du GFEN était connue par les nouveaux militants, comment la rencontre avec cette histoire s’était faite et si celle-ci jouait sur leur engagement.
    Ce projet me permettait de me décentrer de mon propre vécu sur cette question et d’explorer si l’histoire du mouvement pouvait être un élément d’accroche pertinent pour de nouveaux militants. En ce qui me concerne, j’ai découvert le GFEN rapidement quand je suis entré dans le métier grâce à la rencontre avec une conseillère pédagogique, militante du GFEN, avec qui les échanges étaient constructifs par rapport aux difficultés que je rencontrais. Ce n’est qu’au fil du temps que j’ai pris connaissance de l’histoire et de l’historicité du GFEN.

  • Le village, les enfants, l’atelier. Autour d’un atelier «canoë» en Roumanie
    Diana DRAGHICI (Groupe roumain d’Éducation Nouvelle et LIEN)
    Tout ceci est né à Eselnita, dans ce village sur le bord du Danube où vivent 4 ethnies (roumains, roms, serbes et tchèques). Un superbe village dans le défilé du Danube, rempli de riches touristes l’été et où presque chaque famille a un membre qui doit travailler à l’étranger pour entretenir la famille.
    Ce que nous avons cherché à mettre en place, c’est une pédagogie émancipatrice appuyée sur l’apprentissage en solidarité et pour une société solidaire, l’auto-socio-construction de savoirs, la mise en recherche permanente, l’autonomie de l’enfant, le travail en équipe pour tous réussir et comprendre, la mise en lumière du rapport entre liberté de mouvement physique et liberté
    intellectuelle, l’importance de la confiance en soi et dans les autres, la créativité, l’esprit critique,
    l’esprit citoyen et écologiste. Est-ce cela l’Éducation Nouvelle ?
  • Penser, vivre l’Éducation Nouvelle. Un patchwork de solitude ?
    Claire DESCLOUX (GREN, Suisse & ProPhilo)
    L’enseignement m’apparaît comme très mystérieux…
    Chaque pan de ma vie peut se révéler lumineux ou truffé de zones d’ombre : pourtant, parfois le monde de l’enseignement m’apparaît comme très très mystérieux. Face aux élèves, j’ai vraiment désiré lier “nos solitudes d’enfants et d’adultes”, peut-être même tenté de les superposer. Était-ce faire preuve d’ignorance, ou d’une once d’utopie ? Pourtant il me semble parfois y être parvenue. Par ailleurs, le joug de l’institution entravée par des directives et des obligations de conformité, le minimalisme et aussi l’indifférence de certains enseignants face aux difficultés des apprenants ont suscité en moi d’immenses colères, mal réprimées parfois et m’ont plongée dans une vraie solitude faite de tristesse et d’incompréhension.