Les enjeux du métier à l’école maternelle Les enjeux du métier à l’école maternelle Christine Passerieux Rencontres Nationales du GFEN : Pour que la maternelle fasse école. 27 janvier 2018 Il y a 10 ans les rencontres sont nées après que le ministre de l’époque, Xavier Darcos ait déclaré au Sénat : Est-ce qu’il est vraiment logique, alors que nous sommes si soucieux de la bonne utilisation des crédits de l’Etat, que nous fassions passer des concours à bac+5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches ? Je me pose la question, ces personnes ayant la même compétence que si elles étaient par exemple institutrice en CM2. 10 ans plus tard, Boris Cyrulnik, qui n?est pas un spécialiste de l?éducation mais neuropsychiatre affirme lors d?une interview à Ouest-France le 6 janvier : L’expérience montre que les enfants ne s’attachent pas forcément à celui qui a le plus de diplômes, mais à celui qui établit les meilleures interactions avec lui. Et aussi : quand les enseignants maîtrisent bien la relation, la transmission du savoir se fait très facilement. En dehors du fait que cette affirmation n’a aucune validité scientifique, on retrouve la rhétorique chère à Céline Alvarez (largement soutenue en son temps par l?’nstitut Montaigne et le ministre actuel) un peu dans l’ombre depuis que son expérience s’est révélée être une imposture puisqu’elle n’a jamais été évaluée. 10 ans après les premières rencontres, l’école maternelle est à nouveau sur la sellette, dans ce qui ressemble de plus en plus à une offensive contre l’école publique. Cela passe par une remise en cause du métier d’enseignant par les autorités de tutelles, par nombre de médias, sur le mode du mépris, de la culpabilisation, alors que ne cesse de grandir le ressenti partagé d’un véritable empêchement à faire son métier, c’est-à-dire à faire réussir les enfants lors de leur entrée dans les apprentissages scolaires. Et l’activité ainsi empêchée intoxique la vie professionnelle et personnelle, comme le remarque Y. Clot, ce qui crée chez les enseignants un sentiment d’impuissance, l’intégration d’une espèce de fatalité : alors que les propos de Darcos avaient fait scandale, ceux de Cyrulnik ne provoquent guère de remous ! Les annonces quasi quotidiennes concernant l’école provoquent un effet de sidération, qui paralyse et favorise le repli sur soi. 10 ans après En dehors du contexte socio-économique général, de l’absence de formation initiale et de quasi disparition de la formation continue, les enseignants se trouvent depuis quelques mois confrontés à des prescriptions, voire des injonctions en contradiction avec les textes qui structurent leurs pratiques, à savoir les programmes. Ceux de 2015, malgré des limites et des ambiguités, ont été plutôt bien accueillis par la profession et ont favorisé, y compris dans un temps trop court et dans des conditions loin d’être idéales, des discussions sur le métier, un travail collectif de confrontation de pratiques, d’analyses, de questionnements. Quelques mois plus tard et alors que les enseignants n’ont pu ni complètement les intégrer faute de formation, et de temps, ni en mesurer encore les effets, les annonces ministérielles, via les médias se succèdent à une cadence infernale, et les remettent en cause. – les fondamentaux tels que définis par le ministre ne rendent pas compte de la complexité du développement enfantin ni des connaisances désormais établies sur ce qui différencie les jeunes enfants à leur entrée dans les apprentissages scolaires. Mais plutôt que de prendre en compte des années de recherche en sciences de l’éducation, il est fait appel pour la mise en place d’assises, à une personnalité qui n’a aucune expertise en matière d’enseignement, mais qui défend l’idée que les fondements de la théorie de l’attachement peuvent s’apprendre simplement et rapidement. Comment oser dire à des enseignants que quelques fondamentaux, simples et rapidement acquis, vont leur permettre d’exercer leur métier et de réduire l’échec ? Mais tout s’organise fort bien puisque Boris Cyrulnik dirige un organisme (Institut Petite Enfance) qui met en oeuvre des formations sur l’attachement et ne se préoccupe nullement de savoirs à transmettre, car là n’est pas son objet. On retrouve là un vieux serpent de mer qui revient régulièrement sur le devant de la scène et qui vise à faire d’une manière ou d’une autre disparaitre l’EM en tant qu’école. Le métier se trouve réduit au charisme individuel, à l’empathie certes nécessaire, mais rend les enseignants individuellement responsables de l’échec scolaire. Un échec en même temps relativisé par un ministre qui, sans aucune validation scientifique, affirme la différence de talents, remettant en cause la loi d’orientation. Une manière pas très nouvelle de justifier l’inégalité de l’accès aux savoirs. – Retour aux fondamentaux qui évacue la dimension culturelle des apprentissages. Le langage appréhendé dans sa seule dimension lexicale ne permet pas de comprendre ce qui pose problème et encore moins d’apporter des solutions. En effet l’acquisition de vocabulaire, s’il est nécessaire ne répond en rien à la nécessité de passer d’un langage de communication à un langage d’élaboration, alors que là sont les plus grandes différences entre enfants. Parler de bain de langage, c’est laisser à penser qu’il suffirait de fréquenter des objets de savoirs pour se les approprier. Pas plus les bains de langage que les bains de lecture n’ont jamais réduit les écarts. Passer d’un langage du quotidien à un langage du questionnement, de la réflexion, de la formalisation nécessite de changer totalement de posture, de regard sur les objets et nécessite l’appropriation d?outils langagiers et cognitifs que tous ne maîtrisent pas quand ils arrivent à l’école. Véronique Boiron, Sylvie Cèbe, Stéphane Bonnéry, Elisabeth Bautier ont montré qu’entrer dans un texte littéraire exige un travail qui ne peut se mener dans la seule écoute d’un texte. – Le pilotage du système scolaire par des indicateurs de performance est très en phase avec le discours des neuroscientifiques, qui met en avant l’évaluation dite «objective» des résultats de leurs expériences, y compris lorsque leur validité pose problème. Par exemple à propos du dispositif PARLER : au-delà de ses fondements pédagogiques, ce n’est pas la formation des enseignants qui est visée mais la promotion de modules clefs en mains, c’est-à-dire la diffusion d’un produit qui peut ouvrir un marché. C’est ce qui a permis qu’explose le marché Montessori, après la mise en avant de « l’expérience » d’Alvarez. Or, dès 2011 la DEPP concluait que ce dispositif ne produisait pas de différence significative entre le groupe test et le groupe témoin et Édouard Gentaz, professeur à l’Université de Genève, interrogeait en 2013 les liens entre le travail en laboratoire et celui de la classe . Le dispositif PARLER est promu par l’Association Agir pour l’école, émanation de l’Institut Montaigne, au nom de résultats convaincants, alors qu’ils ne sont pas avérés. […] accès au texte intégral 16 février 2018 Jacqueline Bonnard