Les “révolutions” pédagogiques à l’école maternelle

Intervention au Bureau National du GFEN le 3/12/2016
Christine Passerieux
Le cadre idéologique et politique
L’école française, y compris l’école maternelle, est une des plus ségrégatives, elle ne cesse de creuser les écarts. Jean-Paul Delahaye (ancien directeur de la DGESCO) dénonce dans son rapport, Grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la solidarité pour la réussite de tous, le tri social opéré par l’école, imputant pour partie l’échec scolaire des enfants des milieux populaires à l’organisation de notre système scolaire et affirme que la résistance à la démocratisation de la réussite est très forte. Le rapport Bouysse/Claus de 2011 est resté longtemps dans les placards car ses conclusions sont sans appel : ne seraient-ce pas les enfants les plus défavorisés, les plus vulnérables, qui ont le plus à pâtir d’exigences prématurées ?
Tous les courants dits “innovants” partent de ce constat, non en termes d’analyse socioculturelle mais l’imputant massivement à une malveillance à l’égard des individus, de leur identité.
Les spécificités historiques de l’école maternelle, qui a toujours oscillé entre deux modèles qui produisent les mêmes effets ségrégatifs :
– une école qui revendique de préparer à la suite de la scolarité, mais de manière étroite, dans ce que l’on appelle communément la primarisation, très largement à l’oeuvre dans les programmes de 2008 et qui a accentué les difficultés par des prescriptions normalisantes, technicistes, où les logiques de résultat ont participé à l’évacuation des processus pour y parvenir, sans que soit donnée aux enfants la possibilité de construire le sens et la fonction des activités scolaires et sans les doter des outils cognitifs et langagiers requis ;
– une école inscrite dans une approche spontanéiste des apprentissages, où les enfants entreraient « naturellement » dans les attendus scolaires, lorsqu’ils y seraient prêts. Les tentatives de remplacement de l’école maternelle par des jardins d’enfants ne sont pas nouvelles.
Dans ce cadre :
– la formation institutionnelle en maternelle a toujours été réduite, historiquement relayée par des associations comme l’AGEEM, très centrée sur les pratiques. Ce qui a pour effet un faible impact de la recherche universitaire, et en particulier une faible prise en compte de la question sociale au profit fréquent d’explications médicalisantes et psychologisantes de la difficulté à devenir élève, ce au nom de la prévention ;
– une offensive, relayée par l’institution, de promotion du jeu et de la bienveillance (cf. programmes 2015), après 2008 portée par différents courants, y compris universitaires (alors que le jeu est facteur de non identification de l’activité cognitive en maternelle et participe à créer des malentendus) jusqu’à interroger la nécessité d’une école maternelle.
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