L’éducation aux temps du coronavirus, Stéphane Bonnery et Etienne Douat sous la direction de Stéphane Bonnery et Etienne Douat La Dispute, 2020 « Il faut essayer de rester solide car sinon on devient fou »[1] Rester solide ? Vaste programme en ces temps troublés ! Et pourtant cette période interroge, des chantiers de recherche se dessinent : ce leitmotiv revient à plusieurs reprises et fait tout l’intérêt de cet ouvrage écrit à plusieurs voix. Des chercheurs en sociologie et en sciences de l’éducation ont réussi en effet à dépasser l’instant de sidération des débuts du confinement. Comment ? En interrogeant différents acteurs de l’éducation, déconstruisant ainsi les discours gouvernementaux et médiatiques sur cette suspecte « continuité pédagogique », proposant enfin des pistes pour de futures recherches. Les paroles et témoignages recueillis sont d’autant plus frappants qu’elles disent et qu’ils tracent des chemins de compréhension dans des lieux, autour de métiers qui ont rarement les honneurs des commentaires « autorisés » des médias. Voici donc les CPE qui, ne pouvant exercer leur métier de proximité avec les jeunes élèves, se retrouvent bombardés « urgentistes invisibles » de la continuité pédagogique, sans consignes bien précises parce qu’oublié.es des injonctions officielles, obligé.es de se débrouiller pour épauler des enseignant.es. Car quoi faire d’autre quand son cœur de métier est tout bonnement nié par la mise à distance des élèves ? Voici les collègues de l’enseignement professionnel, dont les spécificités d’exercice du métier sont loin d’être reconnues, alors que les métiers auxquels elles forment et ils préparent ont été essentiels à la vie quotidienne sous confinement. Combien ont alors pu constater à quel point « l’expérience scolaire ordinaire des élèves s’est, de fait, trouvée profondément déstabilisée par la virtualisation des apprentissages »[2] ? Voici les étudiant.es des quartiers populaires qui, ne pouvant plus occuper les espaces universitaires nécessaires à la poursuite de leurs études (bibliothèque, amphis, salles de TD), ne pouvant plus compter sur « les moments de l’expérience pédagogique (les échanges, les débats, les explications, etc., qui permettent de comprendre et s’exercer à la pensée) »[3], se découragent devant un savoir devenu abstrait à force de distance, s’interrogent sur le sens de leurs études et ne sont pas loin de l’abandon pour certain.es, les difficultés financières en ajoutant une couche. Voici enfin les parents qui ont du subir la « scolarisation de l’espace familial au quotidien »[4], avec son lot d’inégales conditions matérielles, ses effets de « surinvestissement scolaire », d’aggravations des difficultés en matière de suivi de la scolarité des enfants, et qui se retrouvent « sous le regard des enseignants », non sans gêne. Même si, au fil des conversations téléphoniques, des malentendus ont pu être levés, augurant de possibles relations plus compréhensives entre école et famille. Au final, pourquoi ouvrir de tels chantiers de recherche ? Comme Stéphane Bonnery et Etienne Douat le disent en conclusion[5] : pour « comprendre le bouleversement des scolarités à venir » et à propos, par exemple, de l’externalisation du sport et des arts du temps scolaire, « élucider s’il s’agit d’un changement mineur, d’une disparition tendancielle ou d’une redéfinition profonde de la scolarité unique». Autrement dit, il est question de la manière de penser ce temps du confinement : « moment exceptionnel qui s’est refermé après lui » ou « accélérateur des logiques déjà engagées qui vont tramer les réformes à venir » ? Les réponses sont loin d’être évidentes, même si nous sommes d’accord sur le constat de départ, à savoir que cette « crise sanitaire est aussi une crise du capitalisme », qui n’est pas qu’un « problème médical [mais] aussi un problème économique, écologique et politique »[6] Pascal DIARD [1] Elie, directeur expérimenté d’une école de vingt classes en REP+ [2] p. 94 [3] p. 124 [4] Titre de la contribution de Daniel Thin (p. 39 à 53) [5] « Chantiers … », p.147 à 159 [6] p. 16 10 novembre 2020 Valérie Pinton