Manifeste du GFEN

Manifeste du Groupe Français d’Education Nouvelle

L’éducation nouvelle comme émancipation mentale à conquérir : une urgence de civilisation !

Pour le GFEN, Henri BASSIS
Article paru dans Le Monde Diplomatique en mai 1992

L’Education Nouvelle plonge ses racines dans l’histoire de toutes les pensées rebelles à l’assujettissement de l’Homme, dans la tradition sans cesse renouvelée de toutes les pratiques d’émancipation de l’homme par l’homme. Son pari, c’est que les hommes, et donc les enfants des hommes, ont mille fois plus de possibilités qu’on ne le croit communément…

TOUS CAPABLES !

C’est le défi de l’Education Nouvelle, face à toutes les ségrégations, à toutes les exclusions, à la violence barbare comme réponse à une jeunesse désespérée ou à un Tiers-Monde ensangue que pressurent sans vergogne les sociétés usuraires.

Le rêves de tous les hommes, aussi vieux que l’Humanité elle-même, c’est de créer plus de Justice, de Bonheur et de Dignité. Mais ce ne sont pas des institutions qui peuvent changer la vie, ni des décrets, ni des votes. C’est seulement les hommes eux-même – s’ils en décident ainsi – et personne ne peut les y forcer.

Le politique se voue à l’échec, quand il se figure pouvoir apporter programmes et solutions à des citoyens toujours de seconde zone, puisque appelés seulement à huer ou à applaudir. La pratique pseudo-démocratique de la délégation de pouvoir est une castration de la citoyenneté. A l’inverse, la pratique de la classe coopérative authentique, du conseil de classe souverain, et des projets coopérateurs, bref le premier apprentissage d’une autogestion, nous permettent de dire que l’Education Nouvelle est une pierre d’angle nécessaire à toute reconstruction sociale.

Nous rappelons solennellement que le but de l’éducation nouvelle est la formation d’une pensée libre et d’un esprit critique, dans le refus délibéré de ce qu’on appelle trop facilement les fatalités. Le but, précisons-nous, c’est l’émancipation mentale pour chacun, la recherche délibérée de la cohérence entre ce qu’on dit et ce qu’on fait.

Notre bataille n’est pas seulement celle d’un groupe de Français, mais celle de l’Humanité toute entière, pensée et mise en oeuvre par des précurseurs universels : Rousseau, Pestalozzi, Jacotot, Montessori, Decroly, Makarenko, Korczak, Bakulé, Freinet, Langevin, Wallon, Freire… c’est-à-dire ceux pour lesquels la transformation des pratiques éducatives et d’enseignement est un enjeu de civilisation. C’est une bataille planétaire à l’échelle de l’Histoire : elle exprime une aspiration irréversible, venue du fond des âges, un élan de l’Humanité pour se construire, selon l’expression d’Albert Jacquard, comme « humanitude ».

Semer la fraternité n’est rien qu’une utopie, disent les tenants du passé, les sceptiques, ou les timorés. Pour l’Education Nouvelle, la pratique de cette utopie est une URGENCE DE CIVILISATION.

« L’enfant est un feu à allumer, pas un vase à remplir » a dit Rabelais. Encore faut-il rappeler que l’homme et le petit d’homme, dans l’exercice d’une exploration permanente, redécouvrent leur génie d’inventer… C’est pourquoi l’Education Nouvelle appelle à en finir avec une pratique de transmission, passive, qui « explique » au lieu de faire découvrir-inventer, et qui explique faussement puisqu’elle présente comme « évidence » ce qui fut toujours au moment de la découverte une rupture audacieuse avec de vieux concepts devenus inopérants, en même temps qu’une bataille difficile contre les idées reçues.

L’Education Nouvelle, pour celui qui la porte, c’est un combat quotidien avec soi-même, pour faire exister des contraires – ainsi, la nécessité de transmettre un héritage précieux, et cette autre nécessité de ne pas le transmettre comme un capital mort, mais de le reconstruire en faisant surgir les forces créatrices qui sommeillent en chacun. C’est la tentative constante et difficile, pas toujours réussie, mais toujours recommencée, pour ne jamais penser à la place de l’autre. Une urgence pour soi-même. Car c’est soi-même qu’il faut transformer dans son rapport avec les autres. Avec tous les autres.

L’Education Nouvelle, née comme pratique neuve dans l’acte pédagogique, comme philosophie délibérément optimiste quant aux capacités de tous les enfants, ne se construit que dans une relation égalitaire entre celui qui « sait » et ceux qu’il a à charge d’enseigner… C’est son caractère de valeur éthique qui la fait déborder du seul champ de l’école à celui, plus vaste infiniment, de la Société toute entière, bousculant ainsi les cadres mandarinaux des systèmes en place. Elle est une contribution précieuse à tous ceux qui veulent faire naître une Humanité plus mûre : aux antipodes de la jungle ou de la caserne, de l’élitisme ou du troupeau, du profit maximum et de la docilité.

Nous convions tous les citoyens qui le souhaitent, à signer ce manifeste, à le faire connaître avant la tenue d’une Rencontre Internationale de l’Education Nouvelle qu’organise le GFEN à Montpellier en juillet 93.