Programme Mobilité Erasmus+ en Hongrie à Budapest, du 20 au 23 octobre 2025

C’est un séjour d’études porté par le consortium CEMEA/GFEN/ICEM/Secours populaire qui a été travaillé pendant de longs mois en amont, pour une formation des militants des structures à la question de comprendre les politiques d’extrême droite là où elles sont implantées pour mieux lutter contre ces idées en France. Cela fait suite à d’autres stages déjà organisés par le consortium et par le CNAJEP (Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire)[1]. Celui-ci en effet a entamé en 2022 un chantier « Lutte contre les idées des extrêmes droites », qui a fait l’objet d’un livret pour poursuivre discussions et réflexions au sein des mouvements d’éducation populaire et d’éducation nouvelle.

Une délégation de 12 personnes issues des 4 mouvements a donc passé 4 jours à Budapest pour comprendre le système éducatif hongrois, la situation des enseignants, la prise en compte de la petite enfance et des enfants tsiganes dans l’enseignement public.

Nous avons tout d’abord été accueillis par notre partenaire hongrois, l’association Geyrekparadicsom et son responsable Laslo Tobias, qui avec sa fille Lonci, ont été très disponibles pour nous guider et traduire en français les propos de nos interlocutrices. La rencontre a eu lieu au Centre européen universitaire – bel endroit malheureusement détourné de ses objectifs premiers par le gouvernement et ses positions anti-européennes – et qui, maintenant, ne sert plus qu’à accueillir des associations. L’association de Laslo fait partie de la FICEMEA.

Le système éducatif hongrois nous a été présenté. En voici quelques traits, qui mériteraient d’être étayés par une histoire de l’éducation dans ce pays et par l’histoire tout court :

– pas de ministère dédié à l’éducation nationale ( ni pour la santé ni pour la culture d’ailleurs mais des « bureaux » rattachés à un grand ministère de l’Intérieur, avec un ancien policier à sa tête)
– une « école maternelle », jardin d’enfants, obligatoire à 3 ans, école primaire à 6 ans – scolarité obligatoire passée de 18 à 16 ans
– une gestion du système très centralisée depuis 2013 par l’état (avant, ce sont les communes qui géraient les écoles) – une seule unité gère crèche, jardin d’enfants, école primaire et secondaire (notre collège) – puis il y a le lycée et la formation supérieure
– un seul manuel scolaire gratuit – il y en a d’autres, mais qui sont payants
– l’enseignement public accueille tous les élèves mais, selon les classes sociales, il y a des parcours différents avec des classes « musique » ou « bilingue »
– les familles ont le choix de l’école pour leurs enfants
– pour les enseignants, des guides pratiques sur le site de l’office de l’éducation
– des enseignants âgés, de gros problèmes de recrutement, une certification en 2020 avec portfolio, une augmentation de la charge de travail
– les syndicats sont inexistants
– toutes les activités sportives, culturelles pour les enfants sont payantes

Nous avons rencontré au même endroit des représentants du mouvement Freinet en Hongrie, deux précurseurs des pédagogies alternatives qui ont participé à la diffusion des idées de Freinet en tant que traducteurs de ses écrits et organisateurs de séminaires. Les mouvements pédagogiques sont créés depuis 1990 seulement et les enseignants peuvent utiliser des techniques nouvelles dans des écoles alternatives privées. L’académie Waldorf-Steiner forme des enseignants…

La prise en compte de la petite enfance

Visite d’une crèche

L’éducation des jeunes enfants est elle aussi centralisée avec des crèches d’état. Celle que nous avons visitée se situe à Peteri, banlieue « rurale » de Budapest, ville de 2800 habitants, La maire a créé cette crèche, qui était donc municipale au départ et maintenant gérée par la mairie avec des aides de l’état. Un prix de journée est payé par les parents (de classes moyennes car des incitations financières à garder les enfants à la maison sont mises en place par le gouvernement). Elle est ouverte de 6h à 18h toute l’année sauf 2 semaines en été. Il y a 3 groupes de 12 enfants que les éducatrices suivent pendant les 3 années de fréquentation de la crèche. L’équipe rédige un projet éducatif depuis 2011 et est évaluée tous les 2 ans.

Institut Pikler

Nous sommes également allés au siège de l’Institut Pikler et nous avons rencontrer Esther Mozes, psychologue clinicienne, présidente de Pikler International – https://piklerinternational.com/fr/e.
C’est un lieu dédié à la formation, à l’accueil des parents et à une crèche.

Emmi Pikler (1902-1984) est une pédiatre hongroise qui considère que « le bébé est une personne »[2] et qui, à partir de ses observations cliniques et de ses recherches sur le jeune enfant, a élaboré une conception originale du jeune enfant et de son mode d’évolution. Sur ces fondements scientifiques, elle a construit une pédagogie de la petite enfance et un accompagnement des enfants en collectivité, particulièrement innovants.

Les deux principes de base de ce qui est devenue « la démarche piklérienne » sont les suivants :

– Apprentissage de la motricité – le petit enfant est capable de se développer seul dans son apprentissage moteur avec la présence de l’adulte et un environnement adéquat, riche en autonomie où l’enfant est sécure. L’adulte ne le met pas assis ou debout, le bébé fait ses apprentissages dans l’esprit « d’une motricité libre ».
– Langage – la relation adulte/enfant est centrée sur les soins. Pendant ces moments (toilette, change, repas), on peut jouer, parler avec eux, oraliser les actions, chanter… l’adulte est initiateur d’interactions.

La méthodologie s’appuie sur 4 axes :

– l’enfant est au centre des préoccupations
– leurs besoins sont pris en compte
– il y a un référent par enfant
– la sieste a lieu dehors.

L’enfant est maître et acteur de son apprentissage, l’adulte dans une attitude observante et le considérant comme le partenaire actif de son propre développement… Que de principes pédagogiques que l’on (re)découvre un siècle plus tard !

Une révolte d’enseignants

Après un changement dans la politique éducative après 2010  et un projet de loi adopté en 2011, il y a eu des îlots de protestation. Les mesures n’étaient pas radicales mais instillées peu à peu, pas de bouleversement mais des changements insidieux. De municipales, les écoles deviennent étatiques en 2013-2014. L’augmentation des salaires promise n’est pas venue. Les 20 heures d’enseignement sont passés à 22 ou 26 avec le même salaire. Les charges administratives ont augmenté. Un lycée a publié une lettre ouverte pour démontrer les nuisances de cette loi pour les élèves et cela a entraîné un formidable mouvement  où des centaines d’établissements et plusieurs dizaines de milliers de personnes ont fait « grève » une journée chacun leur tour. Devant un dialogue impossible avec les autorités, les « désobéisseurs » se sont tournés vers l’opinion publique et ont dû apprendre à communiquer avec un langage accessible à tous. D’abord une heure de grève en 2016, puis à la suite de l’imposition de nouveaux programmes en 2020, une pénurie de profs, l’état d’urgence (suite au Covid) toujours déclaré en 2022, il y a eu un lycée en grève par jour et ça tournait. Les syndicats ont ainsi été obligés de réagir. Une nouvelle loi en 2023 ôte le statut de fonctionnaire aux enseignants et fixe un service minimum en cas de grève. A la réélection d’Orban en 2022, la répression se met en place et 15 enseignants issus de cette dynamique de résistance sont licenciés ; dont Katalin Törley, qui a été la figure médiatique de ce mouvement national et qui maintenant gère l’association Tanitanek. Il n’y a pas de tradition syndicale et solidaire pour des réponses collectives mais des petites corruptions se développent partout pour une résolution individuelle des problèmes – chacun.e « se débrouillant » comme il ou elle peut…

La scolarisation des enfants roms

Les enfants de cette communauté étaient avant 1989 dans des classes de remédiation ou d’élèves « à besoins spécifiques ». Des années de transition entre 1990 et 2010 avec un manque de stabilité et beaucoup de réformes ont mis en place une ségrégation spontanée. C’est le « white flight », la fuite des blancs, des familles de la moyenne retirent leurs enfants des écoles où sont scolarisés beaucoup d’enfants roms. Orban privilégie la classe moyenne et installe une dépendance des familles roms : on leur fournit des emplois dans les collectivités avec obligation de voter pour le parti Fidesz. Des associations interviennent dans et hors l ‘école mais la lutte contre la pauvreté, la prise en compte les besoins spécifiques et de l’aspect ethnique du problème ne se règlent pas indépendamment des autres luttes (sociales, économiques, politiques, etc.) mais sont au cœur de l’intersectionnalité.

Conclusion hâtive

Quatre jours passés dans un pays ne permettent pas d’avoir une vision suffisamment éclairée du système éducatif formel et non-formel et de la lutte contre les idées d’extrême droite pour rédiger une conclusion.

Ce que je peux dire néanmoins

A Budapest en 2025, les hongrois croisés dans les rues paraissent calmes, « résignés » peut-être mais « résistants » sûrement. Ils travaillent beaucoup pour un niveau de vie inférieur d’un tiers à celui de la France. Il faut 1000 forints pour faire 2,50 euros. La Hongrie a du mal à se situer. Est-elle le pays des Magyars ou celui des Huns ? Est-elle située à l’est ou à l’ouest sur un continent européen écartelé ? Le mot citoyen désigne l’habitant d’une cité mais la notion de citoyenneté, comme principe à défendre des droits n’existe pas.

Le dernier jour de notre séjour, 23 octobre, avait lieu la « Fête de la Révolution », une des 3 fêtes nationales de Hongrie et jour férié. Elle célèbre la mémoire de la révolution et de la lutte pour l’indépendance de l’année 1956, soulèvement contre l’occupation soviétique alors écrasé dans le sang par les troupes du Kremlin. Et ce jour-là, une grande manifestation était organisée sur « les Champs Élysées » de Budapest, vaste avenue bordée d’ambassades et de banques, par  l’opposant à Viktor Horban, dans un long défilé derrière une banderole appelant à un « changement de système ».

Nous avons pu voir une foule immense, des dizaines de milliers de Hongrois, jeunes, moins jeunes, toutes catégories sociales mélangées, déterminée à montrer qu’elle ne se laissait pas convaincre par les idées de droite extrême du gouvernement. Des chants, des étapes souvenirs évoquant les morts de cette révolution, un cortège discipliné, une police très peu présente (juste 2 ou 3 agents postés aux rues adjacentes pour réguler la circulation des voitures !)… sont autant d’éléments qui m’ont marquée.

Bilan

Le séjour a été fructueux, les personnes rencontrées très impliquées dans leur combat pour continuer de penser malgré tout : faire perdurer les pensées de l’éducation nouvelle, celle de Pikler en particulier, organiser la défense du métier enseignant, lutter pour l’intégration des personnes vulnérables (les familles roms, les habitants des quartiers défavorisés). Le groupe « d’apprenants » que nous formions s’est aussi beaucoup investi, en particulier dans le temps de travail en petits groupes sur des sous-thèmes des documents du CNAJEP cités plus haut, à partir d’un cadre proposé par les CEMEA. Un grand merci à Audrey, Zoé et Flavien pour la coordination exemplaire de ce séjour.
Nous avons pu également nous immerger dans la culture locale dans les moments intersticiels, au restaurant, lors des balades en ville pour rejoindre les différents lieux. Goûter la bière ou les plats typiques de la cuisine hongroise, admirer l’architecture, échanger avec nos interlocuteurs sur des sujets d’actualité, tout cela fait aussi partie des séjours d’observations Erasmus !


[1]Précédente mobilité à Bruxelles en avril 2025 – Lire https://gfen.asso.fr/sejour-erasmus-sur-la-lutte-contre-les-idees-des-extremes-droites-bruxelles-7-11-avril/

[2]Référence au docteur Brazelton, professeur de pédiatrie à Harvard, pionnier en matière de recherche néonatale, qui a eu l’intuition novatrice que le bébé avait un caractère et un tempérament individualisés, et qu’il disposait de compétences précoces dans la communication avec son entourage. Cette idée, qu’il a défendue dès les années 1950, allait complètement à contre-courant d’une époque où le nourrisson était schématiquement considéré comme un tube digestif soumis à un cadre strict. En ce temps-là, les parents se voyaient conseiller d’utiliser des biberons et de s’abstenir de câlins et de baisers sur leur enfant.

Pour approfondir :