Séjour Erasmus sur « la lutte contre les idées des extrêmes droites », Bruxelles, 7-11 avril

« Interdiction du mariage des étrangers le lundi, débat sur l’immigration algérienne le mardi, haro sur les prestations sociales le mercredi… L’ordre du jour du Sénat ressemble désormais à une émission de CNews. « Les Républicains », presque majoritaires avec 131 des 348 parlementaires, y font la pluie et jamais le beau temps. Propositions de loi anti-écologistes, liberticides, identitaires, anti-immigrés se succèdent.

« On assiste à une forte droitisation des textes proposés, déplore Cécile Cukierman, présidente du groupe Communiste, républicain, citoyen, écologiste – Kanaky (CRCE-K). La droite lâche la bride sur tous les sujets. Elle est à l’offensive sur les questions migratoires et sécuritaires. »

 Voici ce qu’on peut trouver au début d’un article du journal L’Humanité le mardi 15 avril 2025.

Et ce sont justement ces questions qu’un groupe de travail franco-belge d’une douzaine de personnes a traitées à Bruxelles du 7 au 11 avril 2025 lors d’un séjour Erasmus sur « la lutte contre les idées des extrêmes droites ».

Ce groupe a réuni des militants de diverses organisations d’éducation populaire et d’éducation nouvelle (les CEMEA, l’ICEM Freinet avec notamment un membre de l’organisation espagnole, le CNAJEP, l’AFS, Léo Lagrange, la Fédération des centres sociaux et le GFEN).

La semaine fut riche en surprises, à commencer par une rencontre avec la RTBF (radio télévision belge francophone) qui fait partie du ‘’cordon sanitaire médiatique’’ contre les idées d’extrême droite, simplement en respectant l’article 17 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme mise en application dès 1953.

Dès 1956, la RTBF se désolidarise de la TV française, puis à partir de 1977 ne donne pas la parole à l’extrême droite, ni en direct, ni lors de débats, après avoir démontré que les programmes de certains partis sont discriminatoires, liberticides, concernant le genre, l’origine, la religion.

L’après-midi du même jour, nous avons rencontré Benjamin Biard, membre du Centre de Recherche et d’Information Socio-Politique (CRISP) qui nous a éclairé sur l’état de la situation politique en Belgique. Il a notamment évoqué les différences notables de rapport entre les partis de Droite et d’Extrême-Droite en Wallonie et en Flandre. Quant au 1er ministre de la fédération, il affiche de plus en plus une connivence avec les idées d’extrême-droite.

Le lendemain, à Liège, nous avons rencontré deux associations de Wallonie, Peuple et Culture ainsi que Barricade, la première, née de la Résistance en France, la seconde plus récente. Toutes deux sont signataires avec plus d’une vingtaine d’autres d’un accord commun rédigé par le FAL (Front Antifasciste de Liège), luttant pour une Education Permanente (l’équivalent de notre Education Populaire) à la citoyenneté comme contre-pouvoir à la droite extrême qui gouverne en Belgique. L’échange fut très riche et nous avons eu le plaisir de sentir un vif enthousiasme militant dans un espace chaleureux doté d’une librairie militante proposant un grand choix d’ouvrages.

L’après-midi, nous avons visité un espace muséal et commémoratif à propos de la déportation dans les camps de concentration nazis. Territoire de mémoire, l’organisation initiatrice de l’exposition, a fait un choix audacieux mettant les visiteurs au plus près de la réalité des camps. Nous en sommes ressortis quelque peu ébranlés.

Jeudi, Christian Laval, sociologue spécialiste du libéralisme, a resitué dans le contexte politique mondial le ‘’néo-fascisme’’ actuel et l’action possible pour transformer l’école et penser l’ensemble du système éducatif.

Il explique que depuis une cinquantaine d’année, la politique néo-libérale impose dans le monde entier sa stratégie qui organise l’école sur le mode de l’entreprise avec toutes ses techniques d’évaluation. C’est ce même néo-libéralisme qui est responsable de la poussée néo-fasciste valorisant toutes les dominations et instillant dans les mentalités la peur d’un ennemi extérieur autant qu’intérieur rendant le réarmement nécessaire.

Aujourd’hui, les classes populaires continuent à perdre du pouvoir d’achat et des droits et à alimenter l’extrême droite nationaliste.

L’école a été transformée par le libéralisme et est devenue un espace marchand où l’on raisonne en termes d’offres scolaires, ce qui influence les éducateurs.

La connaissance n’est plus qu’un avantage compétitif au service de l’employabilité et de l’innovation, nécessitant des compétences, elles-mêmes produit majeur de la formation actuellement. S’insinue aussi une problématique de ‘’culture patriotique’’ soutenue par les idées néo-fascistes. Un réarmement moral et civique pourrait commencer à l’école.

Education démocratique : La révolution scolaire à venir (2021) de Christian Laval et Francis Vergne  est  une contre-proposition à l’école néo-libérale qui défend la liberté de pensée et de concevoir les pratiques des enseignants, car il est temps de se demander quels nouveaux savoirs introduire à l’école et quelle « pédagogie instituante » y développer.

Nous avons fait d’autres rencontres, tout aussi passionnantes, pour sentir que nous pouvions agir ensemble contre cette idéologie qui s’infiltre dans toutes les dimensions de nos vies que nous ne voulons pas soumettre à la « servitude volontaire ».

1001 TERRITOIRES est un projet en construction actuellement en France, soutenu par 17 organisations associatives et des syndicats, qui proposera dès la rentrée 2025 des actions collectives participant à ce grand débat d’idées auquel nous participerons pour lutter contre l’extrême droite et ses idées.

Le texte suivant a été produit à partir des sujets abordés pendant notre séjour et de mots ou d’expressions prononcés par chacun d’entre nous.

                                    Nous, Iroquois.

Il est des lieux, il est des peuples,
Il est des temps particuliers, il est des bruits bottés.
Weimar ou Vienne à une époque
Molenbeek ou Les Minguettes à une autre…
Il est temps.
Il est des lois
Il est des droits
Ils sont humains.
Est-ce qu’on en parle sur la grand place de Bruxelles ?
Au cœur de l’ancienne richesse marchande,
Entourés de sourires voilés, de fontaines de chocolat, de gaufres de misères,
De touristes mondialisés, arrosés du pipi du Manneken.
Dans les rues il y a foule, il y a toutes les langues.
Où est donc le danger ? Devinez. A Weimar, Molenbeek, aux Minguettes ?
Dans les têtes ? Verrouillées.
De la peur d’un virus à la peur d’un voile. Il faut se le dire :
Qu’est-ce qui nous menace,
Sinon la chute de la société du grand marchandage et du grand retournement.
Le cœur à gauche, le porte feuille à droite.
Pensons global, agissons local mais luttons contre
Toutes les forces noires, brunes ou grises sont encore et toujours là.
Et luttons pour, pour quoi…
A la manière des Iroquois.
Sur nos chevaux de toutes les couleurs, avec nos arc-en-ciel d’égalité, avec nos flèches de cœur et de corps, nos tresses de cheveux libérés, nos cris d’espoir fraternel, nos peaux de bêtes sauvages.

Sylvie Lange (GFEN Ile de France)

Parce que nous sommes l’espèce fabulatrice, nous sommes capables de formuler un autre récit. Un récit où la norme ne serait pas imposée par des dominants anthropophages mais élaborée ensemble dans une vision communiste de l’habitation du monde. Un monde où l’on ne se rangerait pas par deux dans les couloirs de l’école, mais un monde où l’autre serait une composante de soi.
Former à la rébellion par une revendication de la radicalité parce que sans racines, pas de sève, pas de feuilles, pas de canopée, pas de toit du monde pas de toi au monde.

Dominique Piveteaud (GFEN Toulouse)