Sexe, race et culture, Patrick Tort Sexe, race et culture Patrick TORT Ed. Textuel, coll. conversations pour demain, 2014 Patrick Tort est connu, en particulier dans les milieux de l’éducation nouvelle, pour sa lecture, tout à la fois scientifique, anthropologique, historique et philosophique, de Darwin, et ce dans une visée émancipatrice vis-à-vis de toute idéologie contribuant à naturaliser tout rapport social. Ce que l’on sait peut-être moins c’est qu’il se bat aussi pour que la pensée du social, sous prétexte de refuser tout déterminisme biologique à caractère immuable, ne refuse pas de penser ce qui, dans les déterminations naturelles et biologiques, se présente comme conditions de possibles transformations culturelles. Autrement dit, Patrick Tort travaille à tisser une dialectique fine entre évolution naturelle et histoire humaine. Dans ce petit livre d’une centaine de pages, sous la forme d’un entretien avec Régis Meyran (auteur en 2009 de « Le Mythe de l’identité nationale », Berg International, Paris), il prend position sur des débats particulièrement brûlants comme la résurgence massive du racisme ou la question du genre. Les 2 chapitres qui structurent le livre l’annonce clairement : « Réinstruire l’antiracisme contemporain », « Sexe, biologie et société ». Cet exercice discursif s’avère tellement périlleux et glissant qu’il s’est obligé de fournir des éléments biographiques loin de tout soupçon, même si les actes militants qu’il a jusque-là menés parlaient pour lui ! Sans compter son apport majeur pour comprendre l’anthropologie darwinienne avec la construction du concept scientifique d’effet réversif de l’évolution. Car les contradictions s’emmêlent particulièrement dans ces deux domaines majeurs des sciences du vivant et des sciences humaines. Ainsi il ne suffit pas de supprimer un mot, fût-il celui de « race », pour voir s’évanouir comme par enchantement des représentations idéologiques historiquement construites comme le racisme. De même nier l’existence du sexe biologique au nom de la lutte contre le sexisme mène dans une impasse. En outre opposer au « tout biologique » un « tout culturel », dans une logique binaire propre à tout ethnocentrisme, a montré son peu d’effet pratique jusqu’à récemment. Fidèle à son analyse sur les complexes discursifs, Patrick Tort nous invite à ne pas mélanger les différents niveaux de réalité (le niveau de la cellule ou du gène n’est pas le même que celui de l’individu biologique humain, encore moins celui d’un groupe humain socialement et culturellement constitué) ; fidèle à sa lecture rigoureuse de l’œuvre darwinienne, il nous invite à reprendre le travail de définition de ce qu’est une race (notion floue certes mais synonyme de « variété » dans l’histoire de la classification des espèces par exemple) mais aussi du racisme qu’il élargit jusqu’à « la négation du semblable dans le semblable à travers la fabrication d’un « autre » fantasmé comme vil et menaçant » (p 23) , à enfin (re)penser l’humaine civilisation dans sa généalogie naturelle comme dans ses développements historiques diversifiés, dans la filiation d’une anthropologie darwinienne. En un mot il nous invite à repenser, en la dépassant, l’opposition convenue entre « nature » et « culture ». Alors quoi faire pour construire l’égalité réelle entre hommes et femmes, comme entre les peuples, comment faire avec les différences sans les penser et les construire en pratique comme des inégalités ? Ce livre peut nous donner des pistes théoriques pour alimenter nos nécessaires luttes radicales, au sens où il s’agit de comprendre les situations à la racine pour mieux les transformer. Pascal DIARD 7 janvier 2015 Valérie Pinton