Stage Sud Education Guyane 8ème édition

Pour la 8è année consécutive, SUD Éducation Guyane organise la formation syndicale : Éducation populaire et Pédagogies émancipatrices à Saint-Laurent-du-Maroni les 15 et 16 avril 2024 et à Cayenne les 18 et 19 avril 2024.
Dominique Piveteaud et Pascal Diard interviennent pour le GFEN et témoignent…

Lundi 15 avril 2024

La situation en Guyane, et particulièrement à Saint-Laurent du Maroni, est socialement explosive, instable, ne serait-ce que parce que les promesses de l’Etat, par suite du mouvement de 2017, n’ont toujours pas été tenues. Ce lundi, d’ailleurs, a eu lieu une marche en colère et en hommage à une pharmacienne assassinée. La préfecture est sous surveillance !

L’école est, elle aussi, sous tension. Les réalités dont témoignent Éric et Angélique, le couple d’enseignants en collège qui nous héberge à Saint-Laurent, sont sidérantes et disent à quel point l’Etat laisse à l’abandon les élèves comme les personnels.

C’est pourquoi le thème du stage, cette année, avait trait à « la violence à l’école », thème particulièrement casse-gueule quand les émotions sont au comble de l’incandescence.

Et pourtant nous avons décidé de concentrer notre travail autour de deux axes : la violence est aussi et d’abord celle de l’école ; transformer la violence en conflit socio-cognitif est une possibilité de dépassement des situations-impasses qui subjuguent bon nombre de nos collègues.

Le programme pour deux jours s’est alors construit comme à notre habitude : avec les camarades du syndicat, Sabine et Elsa.

Une première journée pour interroger nos pratiques professionnelles ; une seconde journée pour vivre des démarches intellectuelles dans des pratiques de transformation.

Le stage se déroule dans un lieu qui donne à voir l’autre versant de la Guyane, celui d’une nature luxuriante dont la vie cachée fait sentir sa présence. Nous travaillons dans un carbet au milieu de la forêt.

La matinée débute par un débat mouvant à partir de la phrase : « les fautes d’orthographes n’existent pas ». Les participants doivent se placer d’un côté du cercle s’ils sont d’accord, à l’opposé s’ils ne le sont pas. Un échange s’installe à partir des argumentations des uns et des autres. Les questions de la norme, du respect de la règle, de l’assignation sociale en fonction de sa maîtrise de l’orthographe, de l’erreur comme terme possible de remplacement…

La suite se déroule autour d’une proposition de lecture et d’écriture sous l’intitulé : « En quoi l’expérience personnelle de la scolarité imprime-t-elle l’identité professionnelle et le rapport à enseigner ? » Lecture et mise en voix de récits d’école d’auteurs (Sarraute, Pennac, Ernaux, Camus) puis écriture à partir de l’invitation de Pérec : « Je me souviens ». Un débat s’engage ensuite sur ce qui fait violence dans la vie quotidienne de la classe, notamment autour de la langue professionnelle qui véhicule des termes dont la violence symbolique est patente.

Après un déjeuner convivial, deux ateliers en parallèle. La démarche des allumettes animée par Pascal et une situation d’appropriation d’un roman court pour la jeunesse animée par Dominique. Chaque groupe disposait d’un chapitre du livre avec pour invitation de réagir au texte par la formulation des questions que les participants se posaient à partir de leur lecture. La publication orale de l’ensemble des questions a déclenché un débat sur les intentions des différents protagonistes de l’ouvrage et de l’auteur. L’analyse de la démarche a permis de faire le lien avec la thématique du stage en interrogeant le rôle de la question dans les pratiques enseignantes et de poser celle d’un changement de paradigme : Comment passer de la question du professeur à laquelle il faut répondre à la mise en questionnement pour légitimer le besoin de construire des réponses.

La démarche des allumettes s’imposait selon nous. Car s’il y a bien une violence primordiale de l’institution vis-à-vis des personnels, c’est de lancer dans le bain des classes de jeunes femmes et de jeunes hommes sans formation initiale pour réfléchir aux savoirs et aux pratiques pédagogiques qu’elles et ils ont vécus en tant qu’élèves. Un des débats, en fin de démarche, entre formalisme et formalisation, montre à quel point cette démarche interroge, interpelle, intéresse celles et ceux qui viennent d’être bousculé.es. Mais comme le dit si bien Henri Bassis : « Ce n’est pas l’animateur qui forme, c’est le stagiaire qui se transforme ». Chiche !!!

Mardi 16 avril 2024

La tension évoquée hier a fini par se traduire par un blocage de la ville de Saint Laurent du Maroni. Après l’évacuation par les gendarmes d’habitants installés pacifiquement aux abords de la préfecture et la réponse jugée indigente du préfet aux revendications, des barrages ont été érigés durant la nuit bloquant la ville dans sa totalité. Impossible d’entrer ni de sortir.

La deuxième journée de formation qui se déroulait à l’extérieur dans la forêt n’a pu se tenir, Pascal et Dominique se trouvant dans l’impossibilité de sortir de Saint Laurent du Maroni.

Certains participants se sont retrouvés et ont pu échanger sur leurs pratiques et partager expériences et conseils.

L’opération d’exfiltration des deux formateurs a pris des allures de film. Les 3 barrages successifs ont pu être franchis grâce à la mobilisation de plusieurs militants de Sud éducation Guyane (Eric, Pierre, Béatrice et Sabine depuis Cayenne). A l’heure où s’écrit ce papier, Pascal et Dominique sont à Mana, au bord du fleuve. Antoine doit venir depuis Cayenne demain matin pour faire le voyage retour. Des informations circulent sur des heurts à Kourou qui se trouve sur le trajet vers Cayenne.

A suivre donc…

Jeudi 18 avril 2024

Quarante personnes à Cayenne sous la pluie mais à l’université, à l’abri mais sous le regard et les protestations d’un Kikiwi qui avait fait son nid en hauteur au beau milieu de la salle et visiblement peu sensible à nos questions pédagogiques. Bruit de fond donc de pluie diluvienne et de protestations d’oiseau.

La matinée a débuté, après la présentation du GFEN, par le débat mouvant sur la même affirmation qu’à Saint Laurent du Maroni à savoir « les fautes d’orthographe n’existent pas ». Pour pousser le bouchon, nous avons proposé un temps de travail autour de certains termes courants de la langue professionnelle considérés comme problématiques c’est-à-dire à interroger (faute, correction, hors-sujet, production d’écrit, consigne…). Les participants en groupe ont échangé sur l’aspect discutable ou non de ces items et envisagé des alternatives si besoin. Un échange en plénière a permis d’élargir sur le portage insu d’une violence symbolique.

L’atelier de lecture et de mise en voix des récits d’école a contribué à nommer certaines violences des pratiques et des postures et à identifier des points de vigilance.

L’après-midi s’est déroulé sur le même schéma qu’à Saint Laurent du Maroni à savoir la démarche des allumettes et le problème sans question autour d’un texte de littérature de jeunesse.

Cayenne n’est pas Saint-Laurent, comme l’est guyanais semble à l’opposé de l’ouest guyanais. Ici, les bâtiments de l’université en témoignent, les enseignant.es sont formé.es dans de meilleures conditions. Et les questions qu’elles et ils se posent évoquent des réalités différentes, au sens où les contradictions opèrent à des degrés plus ou moins violents (par exemple, la question de la non-scolarisation massive d’élèves se pose moins à Cayenne). Ce qui fait que les dynamiques de stage se présentent sous diverses formes : les retours réflexifs engagent des débats autres (plus conceptuels à Saint-Laurent, plus didactiques à Cayenne) ; les remarques critiques se politisent très vite à Saint-Laurent, se professionnalisent plutôt à Cayenne ; les témoignages à propos des élèves se centrent sur la précarité des conditions d’existence à Saint-Laurent, sur les difficultés d’apprentissage à Cayenne.

Et pourtant, comme le soleil se lève à l’est pour mieux se coucher à l’ouest, il y a bien une complémentarité des conditions du métier enseignant en Guyane qui s’exprime dans la soif inextinguible de penser son métier pour mieux en maîtriser les possibles transformations, dans cette soif qui ne cesse de nous étonner à chaque fois. Qui nous oblige, nous militants et militantes du GFEN, à ne pas nous reposer dans l’évidence de nos certitudes, à remettre sur le tarmac le travail de la pensée pédagogique comme à refonder nos pratiques dans le dialogue avec celles et ceux qui les vivent.

Samedi 20 avril 2024

La deuxième et dernière journée de formation à Cayenne s’est déroulée sur fond d’annonce du premier ministre d’un retour à l’école du Maréchal (de la Maréchal ?). Le traitement de la violence par la violence. Celle-ci dirigée contre une jeunesse ciblée, celle qui « glisse vers le repli, les marges ou la violence ». La réponse ne sera pas éducative mais punitive, preuve que l’idée selon laquelle les classes laborieuses sont dangereuses devient une ligne de conduite revendiquée.

La démarche sur la laïcité[1] animée par Pascal le matin a fait émerger combien la formulation d’idées, aussi généreuses soient-elles, produit ses propres limites si l’on considère qu’elles se suffisent à elles-mêmes. Les débats ont parfois été vifs entre les promoteurs d’une vision égalitaire où l’horizontalité gouverne l’organisation et les porteurs d’une société qui clive l’intime et le collectif au nom du respect des croyances de chacun. Mais quelle organisation du travail, de l’éducation, de la prise en charge de la santé ?…

L’idée que « les valeurs n’existent que par les pratiques qui les font vivre » a constitué un des fils rouges de cette formation. Idée qui a fait mouche chez beaucoup. La taille de l’insecte a pu varier en fonction des cheminements singuliers.

La question de l’ambition éducative a été évoquée à l’occasion de l’atelier d’écriture de l’après-midi[2]. Les participants étaient invités à écrire un texte à partir d’un propos de Maria-Alice Médioni « Introduire systématiquement l’insolite et la perturbation dans toute situation d’apprentissage pour apprendre l’indocilité intellectuelle » et d’une citation d’Albert Einstein : « L’intelligence ne se nourrit pas de réponses mais de questions »[3].

Ecrire en se mettant en situation de laborantins a contribué, par l’utilisation de contraintes, à poser la question du rôle du collectif dans l’écriture singulière. La teneur des textes entendus a rendu public les déplacements, les prises de conscience et l’enthousiasme à se mettre en questionnement sur la pratique professionnelle.

Dans un contexte géographique, politique et social comme celui de la Guyane, la question des rapports de domination sur fond d’histoire coloniale et pénitentiaire, de la transportation puis de la relégation exsude fortement. Comment, dans nos pratiques, être suffisamment vigilants pour ne pas, à notre insu, condamner à perpétuité ces enfants et ces adolescents à une assignation à résidence ?

Nota bene de Pascal : Cela fait maintenant près de 10 ans que je sillonne ce territoire « ultra-marin » (ultra contrôlé autour du pas de tir des fusées, ultra délaissé le long du fleuve Maroni). Et je continue à m’étonner du courage, de l’inventivité des camarades, de leur accueil enthousiaste pour nos formations, et ce dans des contextes où le découragement guette, où la violence institutionnelle est crue, cruelle, sans panache, presque mécanique (les promoteurs s’en donnent à cœur joie et à forêt dévasté le long du Maroni mais 8500 élèves attendent un toit scolaire pour grandir).

Où les élèves « sont gentils » (combien de fois ai-je entendu cette phrase cette semaine !!).

La révolte est toujours à deux doigts … du réel ! Les contrastes et les contradictions sont ses moteurs. Que faudrait-il pour que ces révoltes deviennent révolution ? A notre modeste niveau, je crois que nous essayons d’y contribuer. Celles et ceux qui l’habitent et que nous avons rencontrés ont demain dans leurs mains et dans leur tête. Je les salue encore une fois !

Dominique et Pascal

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[1] Celle inventée par le secteur philo, agrémentée des prolongements inventés par Romain Geffrouais pour ces classes de lycée à Vitry.

[2] La démarche « Laboratoire » clôt le livre de Jeanne et Marie, le célèbre « grand livre bleu ».

[3] Ces deux citations se trouvent dans le numéro de Dialogue « Dépasser la violence … apprendre » (n°174), p 40.