8ème UE du secteur Langues. Réussir en langues…Savoirs, gestes et situations à construire Réussir en langues… Savoirs, gestes et situations à construire, telle était la thématique de cette université qui s’est déroulée comme à l’habitude dans l?école Jean Moulin de Vénissieux, en présence 80 participants sous une chaleur estivale. L’introduction de Maria-Alice Médioni pose les objectifs de ces journées : travailler à ce que réussir veut dire aussi bien pour l’apprenant que pour l’enseignant et le formateur. « Le plaisir du déplacement associé à la réussite ». Elle remercie les intervenants : Jean-Paul et Marie-Françoise Narcy-Combes, didacticiens des Langues qui souhaitent participer à l’intégralité de cette Université d’été. Journée 1 : Le défi, la prise de risquesPour débuter une même démarche à vivre pour tous, en quatre langues différentes : Atelier chansons. Les participants se répartissent en fonction de leur langue de prédilection. A partir d’une situation insolite, il s’agit de mettre l’imaginaire en jeu pour aboutir à l’écriture d’une chanson présentée lors du concert. Encore faut-il s’entendre sur ce qui caractérise une chanson : texte court, des rimes, des couplets, mémorisable, du rythme, de la musique, un refrain, création et poésie, pas forcément chanté. Individuellement, chacun choisit dans une banque de slogans publicitaires des fragments de phrases qui plaisent ou qu’on a envie de garder : première écriture de ce qui deviendra peut-être un succès! Affichage, collecte de trouvailles, textes retravaillés. Alternant phases individuelle et collective, chaque groupe produit un texte à chanter et scénariser : défi relevé lors du concert annoncé ! Mais sont-ce des chansons ? Un retour sur la première affiche permet de s’en assurer. Si l’on se projette en classe, comment lever les malentendus autour de cette situation d’apprentissage auprès des élèves, des parents ? Le jeu de rôle qui suit permet de réunir les points de vue des différents acteurs : élèves de la classe, parents, enseignant. Des pistes sont listées : rappeler les objets d’apprentissage, revenir sur les différentes étapes du processus de création, installer un retour réflexif à l’issue de la démarche pour lister ce qu’on a appris, socialiser les textes produits (recueil ou exposition). L’analyse de ce premier atelier a permis d’en fixer les étapes, la posture de l’enseignant en fonction des attendus, les apprentissages visés, l’intérêt de mettre en place une situation qui installe un collectif d’apprenants. Jour 2 : Réussir et comprendre : action, conceptualisation et vice et versa Quatre ateliers en parallèle, le matin. Connaissez-vous Ramon Llull ? propose de faire découvrir une des « figures-phare » de la culture catalane, entre mythification et oubli. « Double indemnity » [Assurance sur la mort] s?appuie sur les films noirs d’avant-guerre pour ouvrir la curiosité à ce genre de film policier, contrepoint au cinéma étasunien d’aujourd’hui où action se conjugue avec violence. Un troisième atelier interroge la liberté d’expression en classe de langue : apprendre à argumenter et prendre de la distance sur un sujet complexe. Arrêtons-nous sur l’atelier plurilinguisme en maternelle. Réussir et comprendre pour le groupe, c’est quoi ? Si réussir semble faire consensus (atteindre un objectif fixé), comprendre revêt différentes réalités : donner un sens à une situation, s’approprier les notions associées à la situation par exemple. Mais chacun admet que la compréhension ne suffit pas toujours pour réussir. Dans toutes les cultures, l’endormissement du tout petit s’accompagne d’une berceuse. Qu’est-ce qu’une berceuse ? Laissons-nous aller à voyager dans l’espace et le temps. 7 extraits musicaux chantés, parlés, rythmés, balancés où l’on découvre que berceuses et comptines se jouent de notre compréhension et nous obligent à en reconstruire le concept (pas si simple). C’est pourtant une approche intéressante pour une situation multilingue à l’école maternelle dans le cadre de l’éveil à la diversité linguistique préconisé dès la moyenne section par le programme d’enseignement de l’école maternelle. Cette activité permet à l’enfant de prendre conscience que la communication peut passer par d’autres langues que le français. Deux activités filmées en classe montrent que de jeunes enfants sont capables de percevoir des similitudes entre des extraits chantés dans différentes langues. Quatre ateliers en parallèle l’après-midi. Ce qui caractérise les universités du secteur langue est cette invitation au voyage, à la découverte d’univers faits de sons et de rythmes à la fois étrange(r)s mais en même temps si proches lorsqu’on accepte de s’ouvrir à l?autre. « Rapa Nui, un camino de gigantes » [un chemin de géants] nous propose un voyage vers l’île la plus isolée du monde. Un autre atelier propose de comprendre le fonctionnement du chinois en enclenchant un processus créatif et poétique autour d’une comptine Lundi, mardi. Et que dire de l’univers de Pina Bausch, la grande chorégraphe allemande : « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus ». Danse théâtralisée ou théâtre dansé ? Sur les images affichées, le tanztheater se joue des registres et des codes et semble s’appuyer sur les pulsions du corps humain : une occasion pour renouer avec un vocabulaire autour des émotions et des sentiments qui s’affiche progressivement sur les panneaux d’affichage. Qui a vu l?introduction du film d’Almodovar « Parle avec elle » comprend l’importance du mouvement dans le concept de « danse-théâtre » selon Pina Bausch. Chaque groupe tire au sort un sentiment puis s’essaie à un mouvement collectif en six temps pour l’exprimer : prise de risque pour le néophyte mais jubilation à la découverte par les autres groupes du sentiment exprimé. Dans une autre salle, on planche sur questions et questionnements. Suffit-il de poser des questions pour (se) questionner ? En langue étrangère comme ailleurs, s’interroger sur cette pratique en classe oblige à en cerner la pertinence et les conditions à mettre en place pour qu’il y ait une réelle construction de savoir. Jour 3 : Pédagogie explicite ou appropriation de connaissances ? Le matin. Intervention de Jean-Paul Narcy-Combes : Réussir, Vous avez dit réussir ? Réflexions sur ce construit en didactique des langues. Réussir est un construit social qui reste très ambigu en psychologie. S’appuyant sur les représentations des participants (réponses à un questionnaire remis en jour1), Jean-Paul Narcy-Combes relève une certaine homogénéité : la réussite renvoie à l’accomplissement de la personne qui réalise une tâche. Il ne suffit pas d’atteindre l’objectif visé, il faut oser interroger le monde et transformer tout problème en réussite, dépasser les obstacles et aller au-delà de ses capacités. C’est un certain regard sur la vie loin d’être majoritaire dans notre société : les présents à l’UE ne sont pas là par hasard ! Mais réussir en langues ? Majoritairement les réponses montrent qu’on a beaucoup de mal à se projeter autrement qu’enseignant : arriver à communiquer de manière autonome, c’est à la fois compliqué et contradictoire. Au mot autonome, les anglo-saxons préfèrent celui de responsable. J-P Narcy-Combes propose de laisser tomber le terme de locuteur natif : la communication s’appuie sur un jeu de projection extraordinaire, elle suppose un bagage linguistique à retravailler ou remplacer. On n’accède à la pensée que grâce au langage. Tout dans notre corps se passe par liens neurophysiologiques mais il y a rupture entre notre corps et ce qu’est la pensée. Contrairement à l’ordinateur l’humain est à la fois le hard et le soft : apprendre se construit en faisant et on ne peut pas dissocier la langue du contenu. D’où l’importance de la psychologie lorsqu’on aborde la communication car comprendre celui qui réagit prévient les situations violentes : l’intensité d’une réaction n’est justifiée que par ce que nous sommes et ce en quoi nous croyons. Quels fondements théoriques ? Les travaux scientifiques montrent que ce sont nos émotions qui déclenchent la cognition et génèrent nos comportements. La neurophysiologie est universelle mais psychologiquement, il n’y a pas deux individus identiques. Si nous fonctionnons par analogie, la pensée humaine est avant tout métaphorique et la métaphore est ennemie de la science. On produit une langue lorsqu’on codifie ; la norme permet l’écrit, ce qui n’est jamais neutre et nécessite de s’interroger sur l’intentionnalité et la façon dont la connaissance est distribuée. Quelle place de l’enseignant de langues ? C’est un métier de passeur de culture. L’après-midi. Quatre ateliers en parallèle Au GFEN, on dit qu’expliquer empêche de comprendre. Mais quelles situations mettre en place pour que l’apprenant s’approprie les savoirs visés tout en développant sa capacité à se penser apprenant ? L’atelier Faites vos jeux ! La consigne : donne, passe et gagne ! s’attaque aux gestes professionnels pour construire et transmettre des consignes de façon pertinente à travers des dispositifs de communication variés. Dans une salle voisine, on s’interroge sur l’auto-socio-construction dans tous ses états et comment la penser au quotidien dans la classe et dans la formation, dans une perspective de mise en activité intellectuelle du sujet en interaction avec les objets de savoirs et ses pairs. Apprendre est une invitation au festival des erreurs : l’erreur ennemie ou alliée ? Impasse ou tremplin ? Humaine seulement ? S’agit-il de mettre en place une pédagogie explicite ou de rendre explicite les apprentissages vécus ? L’atelier Les journaux de bord et portfolios propose une réflexion sur la mise en place d’outils dont les noms nous sont familiers mais dont les usages sont assez peu répandus dans les classes. Dans un premier temps, à partir d’un Q-sort s’appuyant sur dix propositions, chaque groupe élabore une définition de « journal de bord » et « portfolio ». Après confrontation de points de vue, des affiches sont élaborées mettant en avant les éléments importants retenus. Pour le journal de bord : ce que j’ai appris et comment ? outil personnel de suivi, mes réussites et les obstacles rencontrés, base d’un dialogue élève/professeur. Pour le portfolio : ce dont je suis capable, recueil de productions ou réalisations, outil personnel d’autoévaluation en termes de savoirs et savoir-faire. La limite est parfois ténue entre journal de bord et portfolio comme en témoigne l’étude d’outils élaborés et mis en ?uvre par des collègues. L’important semble moins d’établir une grille d’items à cocher au fur et à mesure des activités que d’installer une attitude réflexive chez l’apprenant pour rendre explicite ce qui est en travail en termes de savoirs et de processus d’appropriation des connaissances. Ce sont deux outils qui, utilisés avec souplesse, permettent de sortir du contrôle externe des acquis par l’expert pour installer une évaluation formative par une interaction entre l’enseignant, l’élève et ses pairs, gage d’une régulation des apprentissages par l’apprenant lui-même. L’échange qui a suivi a ouvert quelques pistes de mise en ?uvre dans différents degrés d’enseignement ainsi que la nécessité d’une analyse collective et régulière de ces pratiques. Jour 4 : Le travail personnel : développement de l’apprenant et accompagnement par l’enseigant, le formateur. On parle beaucoup du travail personnel de l’élève mais pour autant tout le monde y met-il le même signifiant ? Quand et comment accompagner l’élève dans le travail requis dans et hors la classe ? Quatre ateliers. Deux ateliers sur le travail personnel dont un animé par Marie-Françoise Narcy-Combes où il s’est agi de définir sa place dans le développement personnel des élèves. L’accent a été mis sur la complexité des apprentissages : exposition aux différents types de discours, nécessité d’interactions et actions, entraînement, métaréflexions. Tout apprentissage permet un développement cognitif et langagier qui s’opère dans un environnement socio-culturel. L’usage des TIC peut-il favoriser le travail personnel de l’élève ? L’apport des outils connectés instaure une nouvelle posture tant du côté du formateur que de l’apprenant : l’accessibilité à l’information est exponentielle. Pour autant l’acquisition de savoir ne s’en trouve pas toujours facilité et c’est en classe qu’il s’agit de structurer ce qui est en travail. L’exercice de l’esprit critique et la mise à distance d’une information si rapidement offerte sont nécessaires à une conception cohérente du monde. Le deuxième atelier portait sur les gestes de l’étude à construire : quels attendus des différents acteurs concernés ? qu’est-ce qui permet ou pas la construction des gestes de l’étude ? Après avoir répertorié les différents lieux et types d’activités associés aux gestes de l’étude, les participants ont été amenés à lister ce qui peut faire empêchement à la construction des gestes de l’étude ou au contraire donner du sens aux devoirs. Quelques exemples pour installer ces gestes : point-méthode en classe (temps de réflexion personnelle puis échanges sur les stratégies de mémorisation), travail en projet, cahier d’exercisation (travail individuel à la maison avec corrigé pour vérifier un point de grammaire ou de conjugaison). Des pistes à creuser pour accompagner et faire en sorte que tous s’approprient ces gestes : casser le mythe de l’enseignant tout-puissant, permettre le choix des travaux à réaliser, susciter des temps d’entre-aide entre élèves, créer le besoin chez l’élève pour qu’il se questionne. Un troisième atelier proposait de découvrir différentes approches, stratégies et outils à l’école primaire pour apprendre à mémoriser efficacement en classe de langues à partir de cinq activités langagières du CERCRL à un niveau A1. Dans une période où la formation à distance devient prégnante, une réflexion sur les dispositifs hybrides se devait d’être là. A partir d’un dispositif mis en place à l’université Lyon2, l’articulation entre présentiel et non-présentiel a été abordé de même que l’accompagnement du travail personnel de l’apprenant dans ce type de formation. En clôture de cette université, Maria-Alice Médioni pose à nouveau la question de la réussite au regard des travaux de ces quatre jours. « Il n’y a que dans le dictionnaire que réussite vient avant travail » écrit le journaliste Pierre Fornerod. L’intention ne suffit pas pour apprendre, ni pour réussir. Il faut également du travail personnel et collectif de type intellectuel, des modalités de travail, un travail réflexif et de compréhension, de la régularité et de la constance. Oui, apprendre demande un effort intellectuel intense mais tous les efforts ne paient pas et il y a nécessité d’un accompagnement, de régulation. Pour accepter de changer, il faut y trouver un bénéfice et apprendre de ses erreurs suppose qu’on soit entraîné à le faire : le moteur de la réussite, c’est tout de même la réussite ! Mais il y a des formes de réussites qui sont des renoncements, voire des reniements, pour se plier à un système. Pour nous, la réussite ne consiste pas à se conformer mais à se former au travail intellectuel. Faut-il la considérer comme l’atteinte d’un objectif fixé ou comme recherche du dépassement ? Est-elle légitime quand elle consiste à écraser l’autre ? Il est primordial de se poser la question des valeurs à travers la réussite à l’école. Au mot réussite il faut associer le mot courage : courage du commencement, courage de se tromper, courage de faire et de refaire, courage de la prise de risques ; ce qui nécessite l’installation d’un cadre sécurisant. Si réussir, c’est résoudre des problèmes difficiles, c’est surtout ouvrir des possibles. Si l’ambition est « l’épopée de soi » (Vincent Cespedes), avoir de l’ambition pour tous est une exigence de justice sociale. Mais ce reportage serait incomplet sans l’annonce de la sortie du dernier ouvrage collectif du secteur Langues : Débuter en Langues chez Chronique Sociale. en savoir plus Il le serait également sans les remerciements à David et son équipe pour l’organisation sans faille de l’accueil et de la restauration : convivialité qui installe ce cadre sécurisant propice à toute réussite ! Jacqueline Bonnard photos : Jacqueline Bonnard et Eddy Sebahi Lire les documents de l’UE sur le site du secteur Langues 4 septembre 2016 Jacqueline Bonnard