Consultation sur le projet de programme ARGUMENTAIRE UNITAIRE Le 28 février dernier, 19 organisations se réunissent et décident d’écrire un texte commun sur le projet de programme du primaire : AFEF, AGEEM, AIRDF, CEMEA, CRAP, FCPE, FOEVEN, Francas, GFEN, ICEM, JPA, Ligue de l’enseignement et USEP, OCCE, SE-UNSA, SGEN-CFDT, SI.EN-UNSA Education, SNUipp-FSU, SNPI-FSU. Le travail commun d’explicitation a continué et nous vous présentons un argumentaire qui s’adresse à tous ceux qui se réuniront pour donner leur avis sur le projet de programme. Consultation: les dés sont-ils pipés ? Les nouveaux programmes ont été présentés dans le BO du 20 février 2008. Le 28 février, le ministère écrivait aux recteurs et inspecteurs d’Académie afin d’organiser une demi-journée libérée de consultation dans les écoles avant le 29 mars, les synthèses devant aboutir au ministère avant le 5 avril ! Au mois de septembre 2007, le ministre avait produit une note d’orientation annonçant une réforme sans préciser le calendrier. La durée de la concertation à obligatoire selon la loi à est finalement bien courte ! Deux innovations méritent d’être soulignées: – Une consultation parallèle ouverte sur le site du ministère sur la réforme des programmes, dont la gestion est confiée à la société OpinionWay. Chacun peut écrire ce qu’il veut plusieurs fois et ne peut ni vérifier ni valider les choix faits. Quelle utilisation en sera faite ? – Une organisation systématique du questionnement des enseignants des écoles *Des questions ouvertes difficilement synthétisables dans un délai court (« Avez-vous des remarques ou suggestions ? ») * Des questions ciblées sur la « clarté des projets de programmes » ou la « précision des projets de progression ». Mais il n’y a aucune question sur la cohérence des programmes, la pertinence des notions, les modalités d’évaluation. Et ce n’est pas parce qu’une notion est claire ou précise que le sens en est forcément compris par tous, y compris les parents… * La confusion des représentations entre découpage disciplinaire et catégories du socle commun n’aide pas à la réponse. Bref, un texte dont la rédaction est largement aboutie, sans que le ministère dise avec qui il a été écrit, mais dont il faudra bien discuter dans chaque école pour savoir comment le mettre en œuvre… 24 heures chrono ! On alourdit les programmes, on relève le niveau d’exigences et on diminue le temps d’enseignement, telle semble être la philosophie de ce projet de programmes. En français et en maths, les connaissances visées en fin de cycle 3 sont semblables à celle attendues en fin de classe de 5ème. On souhaite renforcer l’horaire d’EPS. Et pour couronner le tout, on ajoute de nouvelles matières, l’éducation au développement durable, l’histoire de l’art, on apprend une LVE dès le CP… Bref, on garde tout, on compartimente, on morcelle en disciplines et sous-disciplines et on diminue le temps pour faire ce travail. Entre les dix heures de français, les cinq heures de mathématiques, les quatre heures de sport et l’heure et demie de langue vivante, que restera-t-il à la « culture humaniste »? Aux sciences ? A l’éducation artistique ? 3h30 en cycle 2 (contre 6 heures auparavant) et 5h30 au cycle3 (contre 9h30 auparavant). Ne cherchez pas ces informations dans une quelconque grille horaire, le ministère n’a pas jugé utile d’en publier une, ou peut-être n’a-t-il pas osé le faire. Nos calculs reposent donc sur le décryptage de différents propos tenus à Périgueux ou ailleurs par le Ministre de l’Education. Drôle de méthode pour un Ministre qui veut réhabiliter le calcul mental et la maîtrise des techniques opératoires dès le plus jeune âge ! Quels savoirs pour quels citoyens ? Le projet de programme repose sur une conception étroite et réductrice des savoirs. La centration sur le français, les maths et l’EPS en élémentaire, le vocabulaire et l’étude des sons en maternelle, réduit les apprentissages à des visées étroitement utilitaires sans permettre l’ouverture culturelle sur d’autres horizons, nécessaires au développement de chacun. L’appauvrissement des programmes s’accompagne d’apprentissages inadaptés à l’âge des élèves, d’autant plus prématurés qu’ils ne font pas l’objet d’une élaboration. Ces logiques à l’oeuvre ne peuvent que renforcer l’échec scolaire des élèves issus des milieux populaires. L’activité intellectuelle des élèves n’est pas convoquée. Comment pourront-ils apprendre ce qu’ils ne comprennent pas ? Où sont les exigences annoncées d’invention, d’imagination, d’esprit d’initiative quand le poids est mis à ce point sur la mémorisation réduite à une mécanique qui ne peut qu’entraîner à ânonner ou à bachoter ? Il ne peut y avoir d’apprentissages sans élaboration des connaissances, sans participation active des élèves : on ne peut s’entraîner que sur ce qui est appris et on ne peut avoir envie d’apprendre que lorsque la curiosité est mise en éveil. Ce qui suppose de restituer aux savoirs leurs raisons d’être, leurs significations. Mais c’est une docilisation des comportements, une soumission des esprits qui est promue. En tournant le dos à sa mission, l’école qui nous est proposée est une école qui renonce à l’ambition pour tous de l’accès à une culture commune. Une conception réductrice de l’enfant/élève Le choix d’une terminologie à l’ancienne : l’instruction avec la rédaction, la mémorisation, les règles, la morale… n’est pas anodin. Il enterre les visées d’une émancipation de l’enfant et d’une compréhension du monde que l’éducation porte. A la lecture des programmes on comprend que l’enfant devra revêtir son costume d’élève obéissant et passif, pour écouter et répondre aux questions, mémoriser et s’exercer sur les « connaissances et compétences (qui) s’acquièrent par l’entraînement » (p32). Pas de temps consacré aux discussions et aux échanges qui rendent vivants les savoirs. On est loin de l’enfant acteur de ses apprentissages, confrontés à des situations-problèmes, à la recherche et au tâtonnement. L’élève ne construit plus ses savoirs, l’enseignant technicise ses apprentissages. L’élève décrit, apprend et récite, non pas pour penser le monde mais pour avoir de bonnes notes pour faire évaluer sa performance. Le travail sera de plus en plus individuel, soumis à la seule transmission de l’enseignant et de moins en moins individualisé dans un collectif. Quid du collectif pourtant nécessaire à la construction des apprentissages, des savoirs et du vivre ensemble ? Une certitude: le fossé se creusera davantage pour tous les enfants qui n’ont que l’école pour accéder à la culture. Ceux qui y resteront deux heures de plus feront le plein d’exercices alors qu’ils devraient profiter autant que les autres de l’offre familiale ou associative d’activités culturelles et sportives. Quant à ceux qui ne pourront pas revêtir ce costume d’élève obéissant et docile, il reviendra à eux et à leur famille d’entreprendre des soins et des rééducations. La modification significative de la posture d’enfant/ élève entraîne au passage le renoncement au concept d’éducation globale, elle attribue aux enseignants les savoirs « académiques », aux animateurs/éducateurs les savoir-faire et aux parents les savoir-être! C’est penser les lieux d’éducation que sont l’école, les loisirs et la famille, étanches les uns aux autres. Polyvalence ou bivalence ? Tout un chacun, experts, parents, s’accorde à dire qu’une des grandes forces de l’Ecole Primaire c’est la polyvalence de ses maîtres. Polyvalence n’est pas omniscience. Néanmoins celle-là a l’immense mérite de permettre à l’enseignant de connaître l’enfant dans différentes situations d’apprentissage et de pouvoir enseigner de manière cohérente et transversale, dans le cadre d’une pédagogie de projets, les différentes matières du programme, évitant ainsi un trop grand saucissonnage disciplinaire. Or ces nouveaux programmes centrent sur le français et les mathématiques l’essentiel du temps scolaire en en faisant une priorité absolue. Cette prééminence aura pour effet mécanique de rejeter sur les marges des vingt-quatre heures de classe – voire à l’extérieur de l’Ecole par l’intermédiaire de l’accompagnement éducatif – les autres matières également importantes pour la réussite de tous les élèves. Les nouveaux programmes qui nous sont présentés vont de fait transformer le métier d’enseignant du premier degré. De professeurs polyvalents, les enseignants vont devenir des sortes de professeurs bivalents français-mathématiques. Même si chacun peut reconnaître l’importance de ces deux matières, la découverte du Monde par l’enfant ainsi que l’univers professionnel des Maîtres ne peuvent se limiter à cela. Il y a derrière ce projet une idéologie par trop utilitariste et mécaniste du rôle de l’Ecole dans la formation de l’élève. Du côté de l’école maternelle Le regard porté sur l’enfant a changé ; son accueil et sa maturation psychologique et affective sont occultés. Nous regrettons une centration totale et quasi exclusive sur l’élève. Le domaine d’activités « vivre ensemble » est remplacé par « devenir élève » comme si la prise en charge de ces écoliers en tant que jeunes enfants n’était plus un objectif prioritaire. Les finalités posées à l’école maternelle dans ce texte : «permettre à l’enfant de devenir autonome pour s’approprier les connaissances afin de réussir les apprentissages fondamentaux » marquent un changement complet de perspective si on les compare aux termes des programmes de 2002 : « l’objectif de l’école maternelle est de permettre une première expérience scolaire réussie ». Elles rendent l’école maternelle très sélective et réductrice. Quel enfant sera reconnu dans cette école ? L’évaluation devient exclusivement sommative. Elle est présentée comme « outil de comparaison des effets des pratiques pédagogiques, outil de mesure des résultats des écoles » et donc de leur classement. Cela ne correspond pas aux pratiques de l’école maternelle : quels effets sur les apprentissages ? La scolarisation des enfants de 2 à 3 ans disparaît comme le mot « accueil ». La scolarisation des tout petits jusqu’ici prioritaire dans les quartiers difficiles est-elle abandonnée ? Quelle ambition est retenue pour l’école maternelle française et pour les enfants qui lui sont confiés ? Tous les enfants auront-ils encore leur place tels qu’ils sont dans notre école maternelle ? De la récitation à la rédaction, le retour au morcellement et à l’isolement du français Des horaires moins amples dans les nouveaux programmes Le discours sur les horaires veut faire croire à une augmentation du temps accordé au français dans les nouveaux programmes, alors qu’en fait ce temps est réduit, car la part du français travaillée dans le cadre de la transversalité disparaît. Et en perdant son lien avec les autres domaines travaillés à l’école, le français perd de son importance et de son sens pour les élèves. Des activités plus cloisonnées et plus mécaniques Dans les nouveaux programmes, le français cesse d’être le domaine du lire à écrire à parler, et devient une collection d’activités disjointes, avec une compartimentation entre elles, de la maternelle au cycle 3. Les exercices privilégiés sont ceux qui sont les plus mécaniques – il s’agit d’appliquer des règles, de répéter, de reproduire – tandis que les activités qui demandent des efforts, de la réflexion et de l’intelligence sont à peine évoquées par les programmes. L’importance accordée au vocabulaire, à la grammaire et à l’orthographe répond à un besoin, mais les contenus envisagés ne permettent pas de développer des compétences en écriture et en lecture car ils ne s’intéressent qu’à la maîtrise de savoirs ponctuels. Les problèmes de cohérence que posent les écrits produits par les élèves ne risquent pas d’être résolus ainsi. Et ce n’est pas, comme le proposent les nouveaux programmes, en renonçant à essayer de comprendre d’où viennent les erreurs des élèves en orthographe ou en production d’écrit que l’enseignement deviendra plus efficace, bien au contraire. Et encore une fois, la simplification de l’orthographe – officielle depuis 1990 ! – passe à la trappe. Des compétences visées plus limitées De la maternelle au CM2, les programmes mettent l’accent sur la réception passive de la parole, sur la reproduction de routines et non sur les capacités de compréhension et d’expression orales et écrites qu’il faudrait pourtant développer. Mathématiques : trop et trop tôt Les projets de programmes en mathématiques tournent le dos aux évolutions nécessaires mais aussi aux pratiques des enseignants, tout en niant les apports de la recherche en didactique des mathématiques des dernières décennies. – Ils ne répondent pas aux enseignements des évaluations internationales. Pour ces dernières, les élèves français sont moins habiles que les autres élèves pour résoudre les problèmes de la vie courante, et pour transférer les connaissances qu’ils ont acquises vers des situations inconnues. En reléguant la résolution de problèmes au rang d’application de techniques préalablement acquises, ils font le contraire de ce qui serait nécessaire. – Ils avancent, bien trop précocement, les standards d’acquisition de notions, en particulier les opérations posées. L’insistance sur la technique des 4 opérations posées (soustraction en fin de CP, division par 2 et 5 en fin de CE1, opérations sur les décimaux en fin de cycle 3), impose pour les élèves les plus fragiles des heures d’entraînement fastidieux, et pour tous, une diminution du temps passé à l’acquisition des différents sens des opérations, et à la familiarisation avec les situations auxquelles ces opérations répondent. De plus, cette précocité s’avère nuisible à l’acquisition des compétences en calcul mental. – La surcharge du programme, qui prévaut aussi en mesures et géométrie au cycle 3, s’accompagne d’une légère diminution d’horaire (de 5h30 à 5 h). Cet alourdissement est contradictoire avec la volonté affichée d’augmenter les temps nécessaires de systématisation et de stabilisation. Évaluations : changement de cap Les évaluations, jusque là outil d’aide au repérage et à la remédiation dans l’acquisition des apprentissages, opèrent un net changement de logique. Placées en CE1 et CM2, classes charnières en référence au socle commun, elles devront, en milieu d’année, valider l’acquisition de compétences en français et en maths. Les annonces de rendre publiques les résultats des évaluations, école par école, et dans un contexte où il est question de supprimer la carte scolaire, inquiètent, par le risque d’une mise en concurrence des écoles dont personne ne voit en quoi elle favoriserait une meilleure réussite des élèves. Au plan des contenus, les programmes, couplés aux évaluations qui accentuent l’importance des maths et du français, complètent un dispositif qui minore, voire annule les autres disciplines, comme le champ de la transversalité. Les progressions qui accompagnent les programmes, même présentées comme « indicatives », prennent valeur d’indicateurs incontournables pour préparer les élèves aux évaluations. Ce contexte risque d’induire des pratiques de répétition mécanique, peu aptes à faire réussir tous les élèves, et déjà largement encouragées par les programmes. Les organisations signataires : AFEF (Association Française des Enseignants de Français) – AGEEM (Association Générale des Enseignants des Ecoles Maternelles publiques) – AIRDF (Association Internationale pour la Recherche en Didactique du Français) – CEMEA (Centres d’Entrainement aux Méthodes d’Education Active) -CRAP (Cercles de Réflexion et d’Action Pédagogiques – Cahiers Pédagogiques) – FCPE (Fédération des Conseils de Parents d’Elèves) – FOEVEN (Fédération des Oeuvres Educatives et de Vacances de l’Education Nationale) – FRANCAS (Francs et Franches Camarades) – GFEN (Groupe Français d’Edu-cation Nouvelle) – ICEM (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne Pédagogie Freinet) – JPA (Jeunesse au Plein Air) – Ligue de l’enseignement et USEP (Union Sportive de l’Enseignement du Premier degré) – OCCE (Office Central de la Coopération à l’Ecole) – SE-UNSA (Syndicat des Enseignants) – SGEN-CFDT (Syndicat Général de l’Education Nationale) – SI-EN-UNSA (Syndicat des Inspecteurs de l’Education Nationale) – SNPI-FSU (Syndicat des personnels d’inspection de l’Education Nationale) – SNUipp-FSU (Syndicat National Unitaire des Instituteurs et Professeurs des Ecoles) 1 février 2008 Valérie Pinton