Pétition « Pour une véritable refondation des programmes scolaires »

Pour une véritable refondation des programmes scolaires

L’instauration du conseil supérieur des programmes est assurément une avancée au regard des problèmes posés par de nombreux programmes scolaires ou référentiels de formation ces dernières années. Elle offre une chance précieuse d’impulser un processus réellement novateur d’élaboration et de conception des contenus à enseigner. C’est l’occasion de rompre avec un certain nombre de faux débats qui ont opacifié les choix à faire pour le système éducatif et de repartir de l’avant dans une optique de démocratisation. C’est pourquoi nous proposons au débat des principes, des règles, des étapes pour parvenir à une véritable refondation des programmes et des modalités de leur élaboration en tenant compte des éléments positifs de l’expérience du conseil national des programmes. Les principes La définition des contenus qui doivent être enseignés est un élément particulièrement important puisqu’il s’agit notamment de sélectionner les savoirs et compétences qui devront être communs à toute une génération au terme de leur formation dans les trois voies du lycée. Les programmes scolaires du premier et du second degré, structurent l’enseignement dans les classes. Nous pensons que plusieurs principes directeurs  doivent présider à l’élaboration des contenus de chaque programme, dans une logique commune aux différentes disciplines scolaires et, en particulier pour le premier degré, aux domaines d’enseignement :

  • Conçus en complémentarité, les programmes doivent construire une véritable culture commune, élément d’un projet de société qui permettra aux futurs citoyens, venant d’horizon différents de se comprendre pour faire des choix collectifs ; chacun doit pouvoir découvrir des points de vue et des centres d’intérêt auxquels il n’a pas nécessairement accès dans son environnement.
  • Les programmes doivent être applicables dans toutes les écoles et tous les établissements, et être pensés pour être accessibles à tous. Pour cela, leur élaboration doit prendre en compte les possibilités effectives de la mise en œuvre avec tous les élèves, notamment en intégrant les processus d’apprentissage et le travail sur les représentations des élèves afin de les dépasser[1]. Si un programme ne doit pas prescrire une ou des pratiques pédagogiques aux enseignants, il ne peut cependant pas ignorer le temps nécessaire aux apprentissages de chaque point des programmes et celui de la mise en œuvre pédagogique notamment les temps de travail de groupe, en autonomie ou de sorties pédagogiques. La prise en compte du temps réellement pris par les apprentissages (découverte et appropriation par les élèves) ne doit pas être renvoyée au temps personnel de l’élève, ni aux devoirs à la maison car ils accroissent les inégalités scolaires.
  • Les programmes doivent aussi être cohérents entre eux, permettre une certaine transversalité, être construits, en particulier à l’intérieur d’un cycle, dans la progressivité propre à chaque discipline ou domaine.
  • Il faut tourner le dos à un enseignement qui se limiterait à faire retenir un ensemble abrégé de contenus universitaires ou de définitions inutilement formelles. Inversement, le manque de formalisation des savoirs, leur seule mobilisation dans des activités sans rapport visible avec les objets d’apprentissage conduit à un apprentissage sous conditions de prérequis culturels ou sociaux. La réflexion que doit conduire chaque élève pour s’approprier les savoirs dans le cadre des activités est parfois opposée à la désignation claire, dans le cadre de disciplines ou domaines d’enseignement qui leur ont donné sens, des savoirs à apprendre, savoirs distincts des pratiques dans lesquelles ils peuvent être mobilisés. Les programmes doivent dépasser cette fausse opposition en articulant ces deux dimensions, et, à ce titre, aucune compétence ne peut se développer en dehors d’un projet d’appropriation d’un savoir. Les programmes, afin d’être avant tout mobilisateurs, doivent être marqués par la volonté de privilégier la capacité de mise en action des savoirs dans des situations variées, pour déplacer les conceptions initiales et développer le pouvoir de comprendre le monde et d’agir. Dans ce cadre, l’ensemble des programmes des filières professionnelles et technologiques, y compris agricoles,  devront être construits en cohérence avec les référentiels d’activité professionnels élaborés dans le cadre des CPC[2]. L’objectif de développer l’esprit critique nécessaire à toute activité intellectuelle autonome doit irriguer le repérage des modes de raisonnement et démarches intellectuelles qui le permettent.
  • un programme scolaire ne peut pas être une énumération de savoirs considérés comme des vérités immuables. Il convient de faire accéder les élèves, même modestement, au processus historique qui a pu présider à leur conception. Un programme doit donc permettre d’interroger les conditions de validité des savoirs et ne pas éluder les controverses et le pluralisme théorique. Cette démarche est indispensable au regard de l’exigence d’une école ouverte aux débats qui traversent la société, porteuse des valeurs et principes de la laïcité.

Les processus d’élaboration des programmes  Pour que ces principes directeurs puissent se traduire dans de nouveaux programmes, nous pensons qu’il faut également redéfinir leur mode d’élaboration. Les changements doivent être conduits de façon démocratique, en associant les acteurs concernés à tous les moments du processus de construction des programmes. A l’inverse, le modèle visant à favoriser la parole d’experts contre celle de la communauté professionnelle qui a été trop souvent à l’œuvre dans la dernière période et s’est avéré peu efficace pour favoriser la réussite des élèves, doit être abandonné. Les enseignants et leurs représentants doivent pouvoir faire valoir leur expertise professionnelle. Le processus de construction  des programmes devrait comprendre différentes phases  qui ne pourront se dérouler que sur un temps minimal de deux ans. Avant toute modification des programmes, il est d’abord nécessaire d’effectuer un bilan des programmes précédents, notamment par des enquêtes indépendantes. Cette phase doit associer des chercheurs en éducation, les corps d’inspection, les formateurs et les enseignants. Aucun nouveau programme ne devrait être engagé sans ce bilan. Il convient ensuite de porter une attention toute particulière à la constitution des groupes chargés de l’élaboration des programmes. La commission doit être composée en toute transparence par une publication officielle de la liste de ses membres. Elle devra être constituée de personnes connaissant la discipline ou ayant une connaissance du système éducatif : personnels d’inspection, universitaires ayant montré dans le cadre de leurs travaux un intérêt pour les questions d’enseignement dont au moins un dans le domaine de recherche en didactique, conseillers pédagogiques, formateurs, et pour moitié d’enseignants « de terrain » qui pourront bénéficier d’une décharge de service pour travailler effectivement de façon constante sur les programmes. Elle pourrait être pilotée par un universitaire et un inspecteur. Le travail de conception des programmes devra permettre une mise en cohérence des contenus d’enseignement, ce qui demandera pour les filières professionnelles et technologiques de penser et d’articuler ce travail avec les FIP [3] et les CPC. Les membres des différents groupes de travail devront ainsi pouvoir assister aux travaux de l’ensemble des groupes afin de construire des cohérences entre programmes des différents cycles (école primaire, collège et lycée) et entre disciplines. Les travaux du groupe doivent ensuite faire l’objet d’échanges réguliers avec la communauté éducative. La commission procède ainsi à des auditions d’associations, syndicats, collectifs, etc. et leur transmet régulièrement un bilan des travaux en cours pour avis. La commission consulte également les enseignants lors de la rédaction sur les finalités des programmes en construction, au moment de leur mise en forme intermédiaire (synopsis), et dans leur forme finale. Les consultations sont ouvertes à tous les enseignants, quelle que soit leur discipline ou leur(s) niveau(x) d’enseignement. Elles sont recueillies sur un serveur ouvert à cet effet  sur une durée permettant une véritable interaction. Un bilan sera rendu public. Les rédacteurs des programmes devront justifier leurs choix par écrit et les mettre en débat dans la profession, anticiper les difficultés à mettre en œuvre certaines nouveautés. Afin de donner aux enseignants les moyens de la mise en œuvre des programmes, des plans de formation seront programmés sur plusieurs années. La formation initiale et continue des enseignants devra permettre une maîtrise didactique et épistémologique des contenus à enseigner et éviter le piège de la simple énonciation ou imposition de prescriptions. Des documents d’accompagnement, à l’image de ce qui a été réalisé en 2002 dans le premier degré, sont nécessaires pour aider à l’appropriation des programmes par les enseignants. Enfin, le CSP devra prévoir les modalités d’un accompagnement régulier de la mise en œuvre intégrant la publication de bilans annuels. Ils pourront prendre la forme d’observatoires académiques, associant les enseignants de terrain à la réflexion. Il s’agit de permettre des ajustements visant à améliorer les programmes au regard de la réalité de leur mise en application dans les classes. Le respect de ces principes devrait assurer simultanément une plus grande légitimité et une meilleure efficacité aux programmes scolaires. Nous pensons cependant que trois garde-fous supplémentaires sont nécessaires :

  • aucun texte ne devra être publié avec un avis négatif du Conseil Supérieur de l’Education, comme cela a trop souvent été le cas dans le passé.
  • aucun nouveau programme ne pourra être mis en place sans un temps d’appropriation par les enseignants (en particulier par le plan de formation préalable) et la publication de documents d’accompagnement. Le délai de 14 mois après le passage au Conseil Supérieur de l’Education ou celui de 12 mois après leur publication semble raisonnable. Cependant, au regard de l’urgence dans le premier degré, la refonte des programmes de 2008 doit s’affranchir de ces délais, en prévoyant une étape de première mise en œuvre dès leur publication.Les modalités d’évaluation formative et certificative devront impérativement être pensées en lien avec les programmes. Ainsi la définition des épreuves d’examen devra suivre un processus d’élaboration comparable à celui de l’élaboration des programmes.

Les contenus des programmes, les contenus des concours de recrutement, la formation initiale et continue au sein des ESPE doivent donc être pensés ensemble pour favoriser une école qui contribue à la réduction des inégalités. C’est pourquoi les enseignants sont recrutés et formés à un haut niveau scientifique et pédagogique. Pour refonder l’école il faut s’appuyer sur des enseignants concepteurs qui puissent connaître et enseigner des éléments d’une culture commune. Il faut s’appuyer sur les résultats des travaux de la recherche notamment en éducation, mieux lier les notions visées et les activités intellectuelles attendues. L’objectif est de conduire tous les élèves à s’approprier les savoirs, compétences  et formes de raisonnement qui sont nécessaires pour vivre en société, s’insérer dans le monde professionnel, pouvoir à tout moment poursuivre ou reprendre des études et tirer profit de la formation tout au long de la vie, s’épanouir dans leur vie personnelle. C’est à ce prix que nous pourrons réellement donner un nouvel élan à la démocratisation scolaire.


Signez sur :  corpus1@laposte.net

Voir la liste des signataires à jour sur : http://refonderprogrammesscolaires.com/


Premiers signataires : ACIREPH (Association pour la Création d’Instituts de Recherche sur l’Enseignement de la PHilosophie), APSES ( Association des professeurs de Sciences Economiques et Sociales), APLV (Association des Professeurs de Langues Vivantes) Collectif pour un Aggiornamento Histoire géographie , GFEN  (Groupe Français pour une Education Nouvelle) , FSU (Fédération syndicale unitaire)  Syndicats de la FSU : SNEP , SNES,  SNESup, SNUEP, SNETAP, SNUIpp, SNPI, CORPUS (Collectif pour une refondation des programmes universitaires et scolaires), AECSP (Association des enseignants et chercheurs en sciences politiques), CNARELA ( Coordination Nationale des Associations régionales des Enseignants de langues anciennes), AFEF (Association Française des Enseignants de Français) , AFPSVT ( Association pour la Formation des Professeurs de Sciences et Vie de la Terre) , APEG (Association des Professeurs d’Economie et Gestion),  EPI (Association Enseignement Public et Informatique) , FADBEN (Fédération des Associations de Documentalistes et Bibliothécaires de l’Education Nationale), APEMU (Association des professeurs d’éducation musicale), Polychrome-Edu (Association nationale des professeurs d’arts plastiques), CVUH (Comité de Vigilance face aux usagers de l’Histoire), UDPPC (Union des Professeurs de Physique Chimie), ARDM  (Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques)

Universitaires :  Stéphane Bonnéry, Bertrand Geay, Julien Fretel, Pierre Boutan, Nicole Tutiaux, Samy Johsua, Patrick Rayou, Choukri Ben Ayed, Bernard Daunay, Jean-Pierre Terrail, Elisabeth Bautier, Michel Henry, Lalina Coulange, Christian Orange, Benjamin Moignard, Gaele Henri, Jean-Yves Rochex, Jean-Marie Boilevin, Stéphane Beaud, Gérard Mauger, Daniel Rome, Isabelle Bruno, Cédric Hugrée, Mathias millet, Frédéric Lebaron, Charles Soulié, Catherine Agulhon, Marie-Pierre Pouly, Françoise Lantheaume, Chantal Amade-Escot , Muriel Coret, Bruno Fondeville, Sylvie Nony, Etienne Douat, Véronique Boiron, Fanny Renard , Laurent Willemez, Anne Jollet, Christine Felix, Calude Carpentier , Catherine Dorisson , Fréderic Saujat, Hélène Stevens, Aline Robert, Alain Legardez, Jean-Luc Fauguet , Christophe Joigneaux, Anne Leclaire-Halté, Lorenzo Barrault, Fabienne Maillard


[1]  On n’enseigne jamais à des élèves vierges de toute connaissance préalable du monde qui les entoure. Avant même tout travail sur le système solaire, chaque enfant ne croit-il pas « voir » par lui-même que le soleil tourne autour de la terre ? Ne pas se donner le temps de comprendre ces préconceptions, c’est à coup sûr échouer à les rectifier lorsqu’elles sont erronées, ou à les enrichir lorsqu’elles sont insuffisamment fondées. retour au texte

[2] Commissions paritaires consultatives. retour au texte

[3] Formations interprofessionnelles. retour au texte