Prises de position

Prise de position du CAPE

Pour apprendre, tous les temps sont nécessaires !

2 juin 2017

Au terme de trois années de réflexion, de concertation, à l’initiative du ministre de l’Education
nationale Luc Châtel, poursuivies par son successeur Vincent Peillon, le code de l’éducation
rétablissait, en début d’année 2013, une semaine scolaire de neuf demi-journées réparties sur
cinq jours.

Cette nouvelle organisation revenait sur la semaine de quatre jours instituée en 2008, sans
concertation ni fondements éducatifs, la France étant le seul pays de l’OCDE à concentrer les apprentissages scolaires sur un nombre de journées aussi réduit. Rétablir 5 matinées sur 5 jours, c’était prendre en compte les recommandations de l’Académie de médecine du 19 janvier 2010, celles du
rapport de la conférence nationale de janvier 2011, celles de la mission parlementaire présidée par Michèle Tabarot en 2010 également, mais aussi l’expression majoritaire des enseignants sur les mauvaises conditions d’apprentissage provoquées par la disparition d’une matinée de temps scolaire et les propositions de l’appel de Bobigny lancé par plus de 80 associations et organisations nationales et 120 villes et collectivités.

Ainsi, donner la possibilité de revenir à quatre jours d’école reviendrait à ne pas prendre en compte les données scientifiques de la chronobiologie qui sont les mêmes pour un enfant, où qu’il vive.
De plus, en lien à la nouvelle organisation des temps scolaires, les collectivités ont répondu, à plus de 90%, à l’incitation qui leur était faite de mettre en place des temps d’activités périscolaires coordonnés
dans les projets éducatifs de territoires pour plus de cohérence : 4 millions d’enfants en bénéficient chaque semaine.

Modifier une nouvelle fois l’organisation des temps scolaires, périscolaires et extrascolaires, c’est ne pas reconnaître le rôle et la contribution des collectivités territoriales, des associations et des parents eux-mêmes aux politiques éducatives de notre pays, à un moment où l’éducation demande la mobilisation et la coopération de tous les acteurs.

L’Education a besoin de temps longs.
Les enfants ont besoin de tous les temps pour apprendre : à l’école, en famille et dans les temps d’accueils et d’activités qui élargissent leur culture et contribuent à leur socialisation. C’est un investissement essentiel pour que les enfants aient confiance en eux, dans les autres et dans les
cadres collectifs et communs.

Pour cela, scolaires, périscolaires et extrascolaires, tous les temps sont nécessaires. Monsieur le Ministre, les enfants ont besoin de bons temps pour apprendre !

Le GFEN signe cette prise de position des Ceméa

L’abus de Google à l’École peut nuire gravement à notre société…

1 juin 2017

L’éducation est un terrain de jeu mondial fructueux pour les grands groupes du numérique nommés les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et d’autres en quête de nouveaux marchés à conquérir. Cette transformation des systèmes éducatifs touche tous les pays du monde. Face a ce phénomène, la fonction de l’État devrait être de réguler les services éducatifs, de s’assurer que ces
nouveaux supports et usages numériques bénéficient à l’intérêt public, aux services des élèves des professeur.e.s et des acteurs socio-éducatifs. Ce faisant, les usages du numérique devraient
s’inscrire dans une politique publique en tant que bien commun.

L’exemple de ce qui se passe actuellement en France illustre tristement cette dérive mondiale et est
de nature à sonner une nouvelle fois l’alarme ! Le ministère de l’éducation nationale français propose cette semaine de donner accès aux données numériques des élèves et des enseignant.e.s aux GAFAM. Ainsi, il deviendrait le partenaire de ces groupes et ouvre les portes à l’introduction des GAFAM dans l’institution scolaire. Mathieu JEANDRON, Directeur du Numérique pour l’Éducation au ministère autorise à travers une lettre adressée aux Délégués Académiques du Numérique (DAN) la connexion des annuaires de l’institution avec les services Google ! [1]

Comme indiqué dans l’article du Café Pédagogique, « L’enjeu, ce sont les données des élèves. Les entreprises auront accès aux annuaires des établissements et aux informations nominatives sur les
élèves et les enseignants. Elles pourront suivre les déplacements et redoublements des uns et des autres, voir ce que le professeur X utilise comme ressource ou ce que fait l’élève Y. Ces données seront une manne pour le ciblage publicitaire ou pour revendre des informations à des partenaires ». L’objectif sous-jacent est de développer des « pédagogies » inscrites dans une volonté de profit, de produire de
futurs consommateurs de produits. Cette tendance est déjà hélas largement à l’œuvre dans de nombreux pays du monde. Lire à ce sujet l’excellent article de Natasha Singer « How Google took over the classroom » dans le New York Times. [2]

M. JEANDRON explique que tout ceci s’inscrit dans le cadre d’une charte de confiance décrite comme un « pacte de confiance portant sur l’engagement de la protection de la vie privée des élèves et des
enseignants ». Cette charte est certes au travail mais n’existe pas pour le moment. La CNIL interpellait d’ailleurs il y a peu sur l’urgence : « Il est temps de mettre un cadre à toutes ces offres économiques »
insistant sur le fait que « ce document devait être un outil contraignant (circulaire ou autre), robuste. Sur ce point-là, nous n’avons aucun élément de réponse à ce stade. » [3]

Si ce courriel de M. JEANDRON devait devenir une circulaire, ce serait, après l’accord Microsoft [4], une ouverture grave de l’éducation aux marchés et un abandon coupable de la protection que l’État doit à ses citoyens. [5]

Nous assistons actuellement, à l’échelle mondiale, à la substitution des financements publics (nationaux et internationaux) par des financements issus de “partenariats” confiés à des sociétés privées
qui ont plus des objectifs de profit que des visées d’éducation de la population. La tentative globale d’inclure l’éducation dans la sphère des rapports marchands n’est pas nouvelle. Mais l’irruption du
« numérique » a fait entrer ce processus dans une nouvelle ère. Elle ne vise plus seulement l’enseignement en tant qu’activité de service mais massivement les ressources et contenus éducatifs en tant que « produits pédagogiques ». Ceci inclut des « modèles d’éducation » dont nous savons
qu’ils ne sont pas neutres et, plus dramatiquement encore, la collecte et la privatisation de données précieuses à exploiter !

Selon les principes de l’appel des réseaux internationaux contre la marchandisation de l’éducation « L’État doit garantir que l’éducation ne soit pas instrumentalisée par les acteurs économiques et que soient appliqués les principes soutenant la démocratie tels que les principes de transparence, participation et responsabilité. »

En analysant cette nouvelle orientation politique du ministère l’Éducation nationale français sous le prisme de ces trois principes, nous constatons que le processus marchand à l’œuvre est en
contradiction avec l’idéal démocratique que nous défendons.

Transparence.
L’ouverture au GAFAM contredit l’idéal de transparence de par le flou concernant l’utilisation des données des élèves et des enseignant.e.s par les groupes numériques. La récolte des données est une arme économique majeure. Cette récolte est stockée hors des frontières de collecte, posant la question majeure de la souveraineté sur les données. Les informations récoltées peuvent ensuite être vendues ou échangées dans une totale opacité pour les citoyen.ne.s. En laissant les GAFAM s’immiscer dans les pratiques des élèves dès le plus jeune âge, ces grands groupes ne les considérant pas comme des apprenant.e.s mais de futur.e.s consommateurs.trices, l’État les rend vulnérables en ne jouant
pas son rôle de régulateur.

Participation.
Le numérique est et doit demeurer un support, un outil au service d’un projet pédagogique. Il ne faut pas confondre l’outil et la finalité de cet outil. Ce qui prime, c’est la relation pédagogique, la construction
du savoir par les élèves, la formation des enseignant.e.s, des acteurs.trices socio-éducatif.ve.s mais aussi la relation que les élèves créent avec les outils numériques en dehors de l’asservissement.
Les usages numériques transforment profondément les pratiques pédagogiques. Or, nous devons nous réapproprier ces outils, ces données pour en faire un bien commun accessible à tous et toutes.

Responsabilité.
L’introduction du numérique par les GAFAM dans l’institution scolairemet en péril la question de l’appropriation par les citoyens.ne.s. Le numérique est envisagé comme un espace réservé aux expert.e.s et le grand public ne se considère pas armé pour comprendre, analyser les enjeux actuels. La responsabilité de l’État est d’offrir un cadre de régulation, de protéger les citoyen.nes, d’introduire une réflexion critique.

Dans ce contexte international, nous militons pour la prise en compte dans le débat public (national, européen et mondial) des sujets liés au numérique comme objets intégralement politiques, sociétaux et philosophiques. Nous soutenons que le rôle des États est d’encourager et garantir les services, les logiciels et les écosystèmes qui donnent aux individus une capacité de critique, de conserver et
d’accroître leur souveraineté numérique individuelle. Il est urgent d’informer les citoyen.ne.s sur les dérives en cours, de réintroduire une critique de la question numérique par la formation et de
sensibiliser à l’usage des logiciels libres, des services en ligne loyaux, décentralisés, éthiques et solidaires.

Voir les signataires sur le site des Ceméa