La question de l éducation nouvelle

La question de l’éducation nouvelle,
une urgence de civilisation

1er Forum Mondial de l’Éducation, Porto Alegre, Octobre 2001


Texte collectif du GFEN lu par Odette Bassis à l’ouverture du Forum pour représenter l’Europe


Dans un monde où sévissent inégalités et injustices, la question de l’éducation n’est pas seconde, face à des préalables économiques et à des impératifs politiques mais elle se pose comme urgence de civilisation. Une urgence de civilisation que concerne toute responsabilité immédiate et locale. Parce que l’homme ne naît ni soumis ni émancipé, il le devient. Parce qu’il ne naît ni fanatique ni citoyen, il le devient. Et c’est dans ce devenir que s’inscrivent les situations vécues, éducatrices ou aliénantes, fondant pour chacun son rapport au monde et aux autres.

L’accès pour tous à l’instruction est primordial. Mais que serait l’accès au droit d’apprendre sans le pouvoir de comprendre ? Face à une conception marchande des savoirs, à leur instrumentalisation et leur accumulation, il s’agit de développer une intelligence capable de penser autrement le monde. Face à la reproduction de savoirs-transmis comme produits-finis, comme vérités indiscutables, il s’agit de faire émerger une pensée créative et audacieuse. Mais comment éduquer à l’esprit critique en exigeant une soumission appliquée à des règlements, dès l’école, quand ils sont seulement élaborés par d’autres ? Comment éduquer à la solidarité face à l’exclusion et à la compétition individuelle dans les apprentissages ?

Toute pratique, qu’elle soit d’enseignement ou de formation, n’est ni neutre ni innocente. Dans les faits, elle transmet, dans le cours même de l’acte qu’elle pose, des valeurs, des comportements mentaux et des modes de penser qui s’ajoutent aux contenus prescrits des savoirs et les traversent.

Or, c’est par rapport à la pratique de transmission des savoirs, fonction première de l’école, que l’éducation nouvelle pose un renversement décisif, et cela dès les premiers apprentissages du lire-écrire-compter et tout au long du cursus scolaire et de formation.

C’est dans la notion et la pratique de démarche d’auto-socio-construction du savoir que, prenant appui sur des situations incitatrices de départ, sont impulsés des processus constructifs qui sollicitent les forces inventives, créatrices de chacun pour que, dans une interaction entre soi et les autres, se travaillent questionnements, contradictions et conflits. Là, dans un va et vient entre l’acte et la pensée, entre hypothèses et conscientisation, entre schèmes balbutiants et formulations, se construit une pensée opératoire, une pensée réinvestissable ailleurs. Là s’exerce la prise en compte créatrice des divergences, dans la pluralité et la diversité, et se développe l’exercice du débat constructif, démocratique, condition pour des apprentissages solidaires en même temps que conceptualisés.

L’enjeu est de devenir citoyen DANS le savoir et dans les apprentissages.

C’est dans de tels processus que ne doivent pas être évacués les questions, contre-évidences et débats dont les savoirs sont issus, alors qu’ils sont nés d’audaces et qu’ils furent, dans leur genèse, combats contre l’ignorance, les interdits et les fatalités. C’est dans de tels processus que chaque enfant, chaque apprenant, peut mobiliser ses propres capacités à penser, à créer, à agir et les mettre en synergie avec celles de ceux qui, bien avant lui et autour de lui, les ont déjà exercées. Il découvre ainsi dans l’acte de savoir la force d’une fraternité humaine.

Dans une telle approche de la connaissance, comme dans la vie coopérative, dans la conception et la réalisation de projets, dans les situations multiples d’écriture où se construisent des pouvoirs de penser et de créer, la mise en pratique de tels principes ne peut se faire sans le pari philosophique exprimé dans le  » Tous capables « . Il s’agit de mobiliser et développer les potentialités immenses de chaque enfant, chaque adulte, chaque peuple, potentialités trop souvent insoupçonnées ou massacrées, niées ou écartées.

Apprendre à penser dans la complexité, apprendre à affronter l’imprévu, à se nourrir de l’altérité et de la diversité des cultures, à sortir des cadres établis, apprendre à faire avec les contradictions, c’est apprendre à refuser l’esprit de fatalité et à surmonter les conflits, entre hommes libres et responsables.