Rencontre avec Serge BOIMARE : écouter, parler, écrire autour de textes fondateurs 19 juin 2013 Jacqueline Bonnard Journée de réflexion autour de « Ces enfants empêchés de penser[1] » : près de 180 personnes y ont participé. Comment des enfants intelligents peuvent-ils ne pas entrer dans les apprentissages et s’empêcher de penser ? Comment les enseignants peuvent-ils les aider à se construire les compétences nécessaires à tout apprentissage et prévenir ainsi le décrochage scolaire ? La journée était organisée en deux temps : Le matin : échanges de pratiques autour du « nourrissage culturel » et des pistes pédagogiques préconisées par Serge BOIMARE. Préparée pour un groupe restreint (une trentaine de personnes) cette séquence a réuni des personnels de l’éducation exerçant sur différents champs : enseignants du premier et du second degré, enseignants ITEP, IEN, équipe de direction de collège, CPE, documentalistes, animatrices de l’association LIVRE PASSERELLE. Serge BOIMARE a tout d’abord présenté les hypothèses de travail sur lesquelles il fonde sa réflexion. 15% des élèves n’accèdent pas à la maîtrise de savoirs fondamentaux tels que la compréhension d’un texte simple ou le sens des opérations. Il fait l’hypothèse que ces enfants, dont on ne peut pas nier l’intelligence, inventent des moyens pour figer leur processus de pensée afin d’échapper aux inquiétudes et aux frustrations que provoquent chez eux l’apprentissage[2] . Ils tentent ainsi d’éviter de se confronter à l’idée de manque ou d’insuffisance lors d’exercices scolaires : « au lieu de faire des essais et de risquer l’erreur, ils préfèrent sacrifier le tout, y compris ce qui est déjà maîtrisé, pour ne pas faire face à l’inconnu ». On justifie souvent leurs difficultés scolaires par une insuffisance de compétences instrumentales (attention, concentration, mémoire…) puis un manque de bases qui s’aggrave d’année en année. Énumération à laquelle on peut ajouter le manque de motivation ou de goût pour le travail intellectuel. Et toutes les remédiations proposées sur « l’apprendre à apprendre » ou l’aide personnalisée restent sans effet. En effet, ces jeunes ont restructuré leur monde interne, en développant des stratégies anti-apprentissage variées : bouger et faire du bruit, dormir, se fabriquer une carapace de certitudes, refuser la règle, associer vite pour ne pas réfléchir. Cet échec rencontré tout au long de la scolarité laisse des traces : auto-dévalorisation et perte de confiance envers les adultes. Dans un environnement où tout et tous pointent en premier lieu les insuffisances et non les points d’appui, comment faire évoluer cette situation et redonner à ces élèves un minimum de confiance pour s’engager à nouveau dans une démarche intellectuelle ? Pour les réconcilier avec eux-mêmes et avec l’apprentissage, Serge BOIMARE propose trois voies complémentaires qui peuvent facilement être transposées dans la classe : – lecture oralisée de textes fondateurs (contes, mythes, épopées, fables…) pour permettre à chacun de mettre des mots et des images sur les inquiétudes qui l’agite. – un temps de discussion et de débat sur ce qui vient d’être lu pour que chacun puisse confronter son point de vue à celui de l’autre – une mise en mots individuelle par la rédaction d’un écrit pour reprendre une question ayant émergé du débat. 1 – L’expérience de l’association LIVRE PASSERELLE : Un « nourrissage culturel » en amont, hors et aux abords de l’école. On a vu précédemment l’importance « du nourrissage culturel » et ce, dès le plus jeune âge. C’est le but poursuivi de l’Association LIVRE PASSERELLE. Après des années de terrain et de pratique à sonder combien l’illettrisme marginalise et enferme ceux qui le subissent, LIVRE PASSERELLE offre un regard, un geste, une histoire, un conte, une parole, un livre, un rire… dans des lieux variés et avec des publics différents. Par la lecture à voix haute d’albums de littérature dite pour la jeunesse, l’association crée des espaces où circulent la parole, l’écoute, la réflexion et le plaisir. Depuis 1998, chaque animatrice sillonne le département d’Indre-et-Loire avec une valise de livres, et s’installe dans différents lieux où la littérature n’est pas a priori invitée. Ces lieux inhabituels à PMI, centre médico-social, bibliothèques, sortie d’écoles… – permettent des rencontres informelles avec les familles d’un territoire, pendant lesquelles se nouent la confiance et la conscience de chacun envers l’autre. Grâce à un outil (la littérature jeunesse) qui fait quotidiennement les preuves de son intelligence et de son adaptation, LIVRE PASSERELLE souhaite : – Encourager une approche globale des individus (enfants, adolescents, adultes) au sein de leur environnement (familial, scolaire, professionnel, géographique). – Renforcer les pratiques partenariales en dépassant les cloisonnements professionnels. – Utiliser les ressources d’une production éditoriale jeunesse, précisément sélectionnée, au service de la création culturelle, du lien social et de l’animation. – Encourager le développement de pratiques culturelles autour du livre au sein des familles et lutter ainsi contre l’illettrisme. Certaine que « La fréquentation précoce des livres offre à l’enfant des modèles et des références […] qui l’aident à comprendre le monde et à en surmonter les difficultés… »[3] 2 – L’expérience de l’équipe du collège Verlaine de Lille : Un nourrissage culturel pour renforcer les apprentissages. Quelques équipes d’établissement ont testé les pistes pédagogiques proposées par Serge BOIMARE ; c’est le cas de ce collège ECLAIR de Lille. Cette expérimentation s’inscrit dans l’objectif 1 du projet d’établissement : « renforcer les apprentissages ». En 2009, l’équipe enseignante fait le constat que les différentes aides aux élèves en difficulté (entraîner, donner des méthodes, mettre en confiance, travail en petits groupes, reprendre les bases…) ont peu d’effet sur une frange non négligeable d’entre eux. Assistant à une conférence de Serge BOIMARE, ils repèrent les mécanismes menant à l’évitement de pensée déjà observé chez leurs élèves confortant ainsi leur analyse de départ. Ils décident donc de travailler avec ces « intouchables » (ceux sur lesquelles les « aides » traditionnelles sont sans effet) en s’appuyant sur le protocole proposé. Il s’agit de partir de thèmes forts dont les textes fondateurs sont porteurs pour aider à mettre de l’universel et du général dans ce qui est individuel et catégoriel. De quelle façon ? 1 – Intéresser les élèves en revenant aux sources de la curiosité primaire en s’appuyant sur du « culturel » (contes, mythes…) avec utilisation de métaphores plutôt que sur la vie du quartier ou de l’actualité relatée par les élèves. 2 – Nourrir et alimenter l’imaginaire, en apportant un vrai contenu à partir de textes fondateurs. 3 – Encourager, favoriser l’expression personnelle par la parole en passant d’un langage d’évocation à un langage d’argumentation. 4 – Créer de l’énigme, de l’interrogation en faisant advenir « la question », celle qui permet de sortir des angoisses archaïques ou des centres d’intérêt primaires. 5 – Créer un dynamique collective dans l’appropriation d’un patrimoine culturel où chacun trouve sa place et se construit un monde interne sécurisé. Le dispositif : Le niveau de classe ciblé est une classe de sixième. Une fois par semaine, en classe entière, un adulte lit un texte fondateur (durée 5 à 10 minutes). A l’issue de cette lecture, les élèves reformulent ce qu’ils ont compris du texte. Puis, une question ouverte est posée aux élèves et mise en débat. Débat géré par l’adulte dont l’objectif est d’aider chacun à approfondir sa pensée et de développer sa maîtrise de l’argumentation. Un adulte observateur est présent afin de permettre une analyse ultérieure de l’animation de la séance. Au départ, la mise en œuvre a été difficile même si l’effectif du groupe était de 11 élèves car cette nouvelle forme de travail a généré des angoisses et une grande instabilité chez les plus faibles : violence verbales, rapports conflictuels avec les adultes encadrant l’action. Malgré tout, l’équipe a tenu bon et progressivement les choses se sont mises en place. Les textes lus : La première année, la lecture de textes s’est appuyée sur le livre « Feuilleton d’Hermès», puis des extraits de « l’Odyssée » sur proposition des élèves. La seconde année, l’« Épopée de Gigamesh » a semblé intéresser davantage les élèves ; mais peut-être la disposition en cercle a-t-elle favorisé les échanges en améliorant la concentration et l’écoute ? Travail et réflexion collective des enseignants autour de ces séances : Les textes, la ou les questions-débat ont été choisis collectivement avant chaque lecture, les emplois du temps des intervenants en laissant la possibilité (heure libre commune). Parfois, les réactions des élèves suite à la lecture d’un extrait orientaient vers une autre direction pour le débat. En favorisant les pôles d’intérêt émergeant, l’équipe a souhaité, tout en anticipant les débats, que soit privilégiée l’accession par les élèves à la démarche permettant la sublimation de la pensée pour passer du « personnel » à l’universel. En guise de bilan, l’équipe souligne le défi posé par la mise en œuvre de cette action, sa poursuite. La première difficulté a été de lever les résistances multiples des élèves : « Pourquoi nous ? Pourquoi nous lire des histoires ? C’est pas de l’école… ». La difficulté des élèves à s’exprimer et faire des phrases ayant un sens, les moqueries, sont autant d’éléments à travailler pour que le cadre s’installe réellement. Les représentations des élèves sur le statut des enseignants influent également sur les relations entre l’adulte lecteur et les jeunes auditeurs : quelle légitimité du professeur de mathématiques pour lire et travailler sur un texte ? Il est difficile d’évaluer l’impact de ces séances sur les résultats scolaires des élèves, cependant en fin d’année scolaire, l’équipe note que les élèves entrent plus rapidement dans l’activité, posent volontiers des questions sur le texte qui va être lu, acceptent de prendre la parole pour donner leur avis améliorant la structure de leurs phrases, reprennent les histoires « lues » sans trop d’erreurs. L’écoute mutuelle s’est améliorée. Une enseignante de lettres ayant cette classe l’année suivante note chez ces élèves une capacité à argumenter qu’elle ne retrouve pas dans une autre classe de 5ème. L’échange qui a suivi ces deux présentations a porté sur les éléments d’évaluation à mettre en œuvre pour que l’élève puisse suivre sa progression, la fréquence de ces séances, la nature des textes à lire, les conditions de mise en œuvre en collège. Il apparaît que cette lecture de textes fondateurs permet aux enfants de (re)prendre le contrôle de leur espace intérieur. Mais pour qu’ils puissent associer des images aux mots et exercer leur pensée, il est important de passer d’abord par une lecture oralisée de l’adulte. Car tous les enfants n’ont pas eu la chance d’être en contact avec le patrimoine culturel sur lequel les savoirs scolaires s’appuient. Le « Tous capables ! » du GFEN passe par la pratique de ces deux outils que sont la culture et le langage pour permettre à tous de réussir. L’après-midi : Conférence « Ces enfants empêchés de penser » Devant un auditoire très fourni (près de 180 personnes), une animatrice du LIVRE PASSERELLE lit un album jeunesse « C’est écrit là-haut » introduisant le débat : Le nourrissage culturel dont parle Serge BOIMARE peut-il s’appuyer sur les albums jeunesse ? Question à laquelle Serge BOIMARE promet de répondre ultérieurement.Après avoir décrit le parcours professionnel qui l’a mené à cette réflexion, Serge BOIMARE a tout d’abord listé les signes annonciateurs du décrochage scolaire : dévalorisation de l’image de soi, relais passé au corps (douleurs psychosomatiques, agitation, instabilité ou atonie…). Ne pouvant s’appuyer sur leur pensée, les élèves en difficultés vont soit se réfugier dans le conformisme de pensée en refusant de quitter les chemins connus, soit en recourant à l’association immédiate, proposant une réponse à la question avant même qu’elle soit posée. Ces élèves sont alors incapables d’une parole argumentée ce qui les mène à un mode de communication primaire. Leur inquiétude est tellement envahissante qu’elle parasite leur fonctionnement intellectuel.Serge BOIMARE propose des pistes pédagogiques pour travailler contre cet empêchement de penser. Rien de révolutionnaire, assure-t-il, puisqu’au niveau des contenus et de la méthode, la démarche proposée s’inscrit dans le cadre des programmes officiels. Il s’agit de mettre en place un nourrissage culturel intensif et quotidien par la lecture de textes fondateurs (contes, mythes, épopées, fables…) autour de trois axes : écouter, parler écrire. A partir de la lecture faite par l’adulte (15 à 20 min chaque jour), un temps d’échange est organisé pour que chacun se représente l’action et confronte sa compréhension du texte à celle des autres. Il s’agit d’enrichir et sécuriser les représentations en les inscrivant dans une histoire commune. Cette phase est suivie d’une mise à l’écrit de quelques lignes sur une idée ayant émergé du débat. A titre d’exemple, l’orateur cite l’interrogation d’un groupe d’élèves à l’issue de la lecture de « La belle au bois dormant » : Vaut-il mieux dormir cent ans ou mourir tout de suite ? Question existentielle qui n’attend pas de réponse mais permet à chacun de s’exercer à l’argumentation et à trouver des exemples pour faire valoir son point de vue. La durée d’une séance est d’environ une heure. Pour porter ses fruits, cette pratique doit s’inscrire dans la durée (deux années minimum), mais mieux vaut peu que rien. L’important est de relier les savoirs à cet apport culturel que ce soit sur le champ de la littérature, des mathématiques, des sciences, de l’histoire… A titre d’exemple les romans de Jules Verne sont des supports intéressants car les héros traversent des aventures scientifiques, ethnologiques et humaines extra-ordinaires. Les connaissances construites au cours de ces voyages initiatiques permettent de métaphoriser les peurs et les craintes que chacun rencontre au cours de son développement et mettre ainsi à distance ce qui fait empêchement à penser. Et si la mise en œuvre, notamment en collège, peut poser quelques problèmes d’organisation, c’est surtout la volonté et l’impulsion donnée par quelques convaincus qui initient l’expérimentation, permettant une approche collective des questions essentielles sur le métier. Il faut prévoir des temps de réflexion pour que les équipes puissent échanger sur les observations faites en classe, profiter de l’expérience des autres ou prendre de la distance avec les conflits ordinaires. Il faut avoir conscience que les inquiétudes surgissent dans les premiers mois d’une expérimentation, et c’est légitime. « Jamais une formation, aussi brillante soit-elle, ne remplacera les bienfaits de la co-réflexion entre professeurs pour améliorer l’efficacité de leurs actions (…) et il est souhaitable que cette co-réflexion soit animée par une personne extérieure au groupe, afin d’atténuer les rivalités et les positions excessives« … Et à ceux qui penseraient qu’en mettant en œuvre cette pratique du « nourrissage culturel », « les meilleurs vont s’ennuyer », Serge BOIMARE rétorque qu’il ne s’agit pas d’abaisser le seuil des exigences : cet entrainement à l’argumentation stimulera leur intérêt et leur participation pour les hisser vers l’excellence. Ne remettons pas en cause l’existence de la classe hétérogène : « C’est sur elle que repose l’espoir de remonter le niveau de notre école. » Mais revenons à la question sur le « nourrissage culturel » à partir des albums àjeunesse ? Pour Serge BOIMARE, le texte-support doit avoir 4 caractéristiques : – une distance avec le quotidien, un temps et un espace plus lointain, – une proximité de vocabulaire, – un point d’identification tout en étant à distance avec la vie actuelle, – un fil dans l’histoire qui permet de l’universaliser, une métaphore qui renverra des notions universelles. On ne retrouve pas toujours cela dans les albums dits de jeunesse. A propos des illustrations, il propose de ne les donner que dans un deuxième temps afin d’encourager les enfants à se faire une image personnelle de ce qui est entendu. La journée s’est terminée par une invitation du GFEN37 aux personnes présentes de participer aux groupes de réflexion de l’association, temps d’échange autour de questions vives du métier alliant pratiques pédagogiques et étayage théorique. Jacqueline BONNARD [1] En référence à l’ouvrage de Serge Boimare , édition Dunod [2] Serge BOIMARE, « l’enfant et la peur d’apprendre », édition Dunod [3] Marie-Aude Murail, auteur de nombreux livres àjeunesse
En attendant une « nouvelle » formation 3 juin 2013 Valérie Pinton Introduction Quelle formation des enseignants pour mieux faire réussir les élèves ? Jacques BERNARDIN – L’éducation perd sa valeur… pensée de l’expert ? … – 2012 LIRE Articles : La formation des enseignants : un révélateur social et politique. Parcours dans l’histoire de la formation des maîtres du primaire. Michel BARAER Avec la Révolution, le problème de la généralisation de l’instruction passe au premier plan. Mais quels seront ceux qui transmettront les principes républicains et permettront « une révolution dans les têtes et dans les cœurs ? ». De Condorcet à la dernière loi d’orientation, un parcours historique de la formation des enseignants du premier degré. – 2012 LIRE Pour relever le défi de la démocratisation : Une formation au service du développement. Jacques BERNARDIN Des pistes de proposition pour la formation des enseignants. – 2011 LIRE Vers une transformation de la formation : La professionnalisation des enseignants. Odette BASSIS LIRE La démarche d’auto-socio-construction des savoirs à l’école et en formation. Odette BASSIS De quelques prémices incontournables aux paradoxes de la démarche d’auto-socio-construction dans la classe et en formation – 2013 LIRE Gérer le temps dans une séquence de formation. Jacqueline BONNARD Au cœur de la pratique, quelle articulation entre contenus et espace-temps ? – 2011 LIRE Former des profs de collège dans leur établissement ? A quel prix ? (Histoire Vraie) Patrick PICARD Radiographie de la mise en œuvre d’une formation d’établissement du second degré de la demande exprimée jusqu’à la réponse proposée par le formateur… pas si simple qu’il y parait… – 2007 LIRE Le travail de formateur. Apprendre à observer au-delà de ce qui est visible. Pascale BILLEREY – 2007 LIRE Formation de militants, formation d’enseignants… Quels enjeux ? GFEN 45 – 2007 LIRE Se qualifier tout au long de sa vie, un enjeu de société Collectif (Cathy Bellan, Guy Bonin, Patricia Bonin, Philippe Canetti, Pierre Giovannageli, Gilbert Payan, Nikou Walger) – 2006 LIRE Se former ensemble : enseignants du premier et second degré, animateurs de quartier et responsables culturels dans un réseau ambition réussite en Seine Saint Denis. Jeanne DION, Dominique BAUDRILLART 2008 LIRE Pour une Pédagogie de Projet émancipatrice. Maria-Alice MEDIONI La pédagogie de projet, clé de voute de tout apprentissage de toute formation. 2010 LIRE D’une loi d’orientation à une autre, les problèmes restent posés. Entretien de Philippe PERRENOUD avec François JARRAUD L’entretien porte sur la nécessité d’une approche collective du métier d’enseignant à la fois dans l’organisation du travail et l’approche pédagogique. 2013 LIRE Une intervention de Philippe Meirieu sur la nécessité de former les enseignants. Philippe MEIRIEU affirme la nécessité d’une formation pour les enseignants et décrit les différents paramètres dont il faut tenir compte aujourd »hui pour mettre en place des situations d’apprentissage pertinentes.
Inégalités scolaires et résilience, la FNAME 19 février 2013 Valérie Pinton Sous la direction de Alain THOMAZEAU, président de la FNAME et de Nadine JUHEL, membre du bureau national de la FNAME. RETZ, 2012, 17,50 € Denis Alamargot, Pierre Billouet, Colette Catteau, Jean-Charles Chabanne, Georges Felouzis, Jean-Paul Fischer, Lisa Flouret,Jean-Pierre Kamieniak, Laurent Lescouarch, André Ouzoulias, Pierre Périer, Marie-Christine Tokzek-Capelle, Christophe Thouny et Jean-Marc Champeaux, Jeanne Dion et Jean-Paul Robert du GFEN Depuis plusieurs années, les écarts entre les élèves les plus faibles et les élèves les plus forts se creusent. Les inégalités d’apprentissage sont à la fois précoces et cumulatives. Non seulement l’école française n’arrive pas à en maîtriser l’influence sur les performances des élèves, mais, pire, elle les accentue. La question du traitement de la difficulté scolaire et la nécessité d’une refondation de l’école sont plus que jamais d’actualité. Quelles sont les incidences des difficultés socio-économiques des familles sur les difficultés scolaires ? Quels sont les facteurs sociologiques et cognitifs permettant de mieux comprendre la fragilité et la réussite dans les apprentissages ? Comment pallier à la spirale des difficultés ? Comment les prévenir ? L’école peut-elle être un lieu de résilience pour les élèves les plus démunis ? Par ailleurs, l’accès aux savoirs écrits et la maîtrise du lire/écrire étant étroitement liés à la réussite scolaire, l’apprentissage et le rôle de l’écriture ne doivent-ils pas être revus ? Synthèse de différents textes qui sont autant d’éléments d’analyse et d’outils de remédiation, cet ouvrage collectif : propose de changer de regard afin de comprendre le processus de construction des difficultés et de contrecarrer celui-ci en profondeur ; convoque une véritable sociologie du malentendu scolaire pour expliquer l’inflation des inégalités scolaires (la responsabilité des non-dits et des enjeux d’apprentissage implicites, l’interprétation souvent erronée des attentes scolaires…) ; insiste sur l’importance de l’estime de soi des élèves en classe comme facteur clé de la motivation ; présente des pistes concrètes de remédiation ; met en avant une pédagogie où l’écriture est aussi importante que la lecture et constitue l’un des leviers les plus efficaces pour démocratiser l’accès à celle-ci. Un ouvrage percutant et d’actualité centré sur les moyens à mettre en oeuvre pour limiter les inégalités scolaires et pour construire une école plus juste et plus efficace. Sommaire Présentation des auteurs PARTIE I : ASPECTS SOCIOLOGIQUES DE LA DIFFICULTÉ SCOLAIRE : L’ÉCOLE, FACTEUR DE RÉSILIENCE ? Inégalités scolaires et politiques éducatives en France : évolutions et perspectives, Georges Felouzis De l’invisibilité des savoirs à l’invisibilité des difficultés, Christophe Thouny & Colette Catteau Implicites scolaires et disqualification des familles populaires, Pierre Périer Des situations scolaires aux effets redoutables : Que savons-nous de l’estime de soi des élèves en classe ?, Marie-Christine Toczek Facteurs sociologiques et cognitifs de la fragilité et de la réussite dans l’apprentissage de la lecture, Action recherche FNAME-UCP Première étude à Caractéristiques des élèves aidés par les maitres E des RASED : retrouve-t-on la corrélation entre grande difficulté en lecture, âge et sexe ?, André Ouzoulias et Jean-Paul Fischer, en collaboration avec le groupe Action-Recherche de la FNAME Dispositifs d’accompagnement de l’élève en difficulté : acteurs, pratiques pédagogiques et cohérence des actions, Laurent Lescouarch PARTIE II : CONSTRUIRE L’ÉCRIT, SE CONSTRUIRE PAR L’ÉCRIT L’encre et l’électron, Pierre Billouet Se construire par l’écrit pour penser et apprendre, Jean-Charles Chabanne L’écriture comme écriture de soi : acte d’écriture, maturation de la psyché et subjectivation, Jean-Pierre Kamieniak Écriture et pédagogie, Jean-Marc Champeaux & Jean-Paul Robert Facteurs sociologiques et cognitifs de la fragilité et de la réussite dans l’apprentissage de la lecture, Action recherche FNAME-UCP Seconde étude – L’accès à la lecture autonome en fin de CP : y a-t-il un rôle déterminant d’une première compréhension de la graphophonologie au niveau syllabique avant l’entrée au CP ?, André Ouzoulias et Jean-Paul Fischer, en collaboration avec le groupe Action-Recherche de la FNAME Tous capables de faire de la grammaire, Jeanne Dion Évolution de la procédure d’accord sujet-verbe en production écrite : exemple d’une étude en « temps réel chez des élèves de CE2, CM2, 4e et terminale, Denis Alamargot & Lisa Flouret Cet ouvrage fait suite au colloque 2011 de la FNAME sur le thème « Construire l’écrit, se construire par l’écrit »
Rapport à l’apprentissage dans l’Education Nouvelle : actualité et débats 1 février 2013 Valérie Pinton Jacques BERNARDIN Séminaire de la FESPI (Fédération des établissements scolaires publics innovants) 18-19 janvier 2013 – Pôle Innovant Lycéen, 96 rue Barrault, Paris 13ème Ne pouvant prétendre à donner une vision d’ensemble de la façon dont l’Education Nouvelle, dans la pluralité de ses courants, travaille cette question, je me contenterai plus modestement de situer l’approche du GFEN, qui s’inscrit dans une filiation commune tout en déclinant ses recherches et questionnements de façon singulière. Parler de rapport à l’apprentissage amène à interroger simultanément le regard sur l’apprenant qui y est confronté, la conception du savoir en jeu et le paradigme d’apprentissage qui organise leur rencontre et règle l’activité d’appropriation. I/ La vision du sujet 1) Le principe d’éducabilité est un acquis commun (contre toutes les théories fatalistes). Parmi les pionniers de l’Education Nouvelle, on trouve beaucoup de médecins qui ont pris en charge des enfants jugés inéducables, dont tout le monde désespérait, enfants dits « arriérés » ou difficiles : Maria Montessori (Italie), Edouard Claparède (Institut JJ Rousseau, Genève), John Dewey (USA), Ovide Decroly (Belgique), et en France, Alfred Binet et Henri Wallon (médecin neuropsychiatre, auteur d’une thèse sur l’Enfant turbulent en 1925)… Le GFEN parlait de « pédagogie de la réussite » en 1968, a combattu l’idéologie des dons (1974)[1], et lancera en 1982 le défi du « tous capables ! ». Aujourd’hui, les travaux des neurosciences sur la plasticité cérébrale viennent étayer ce qui était un pari éducatif à résonance sociale : rien n’est définitivement joué pour qui que ce soit, ni à 2 ans, ni à 6, le développement peut reprendre et se poursuivre tout au long de la vie… pour peu que le contexte et les activités y soient propices[2]. Du côté de la psychologie sociale, les travaux de Rosenthal et Jacobson dans les années 70 sur l’effet Pygmalion[3], qui ont été soumis au débat critique à travers de multiples recherches depuis, attestent de l’importance des attentes professorales à l’égard de celui qui apprend, attentes qui se traduisent par des modifications inconscientes du comportement et de la conduite de classe[4]. 2) La centration sur le développement (contre une naturalisation… justifiant les inégalités). L’Education Nouvelle est contemporaine des travaux de la psychologie, y trouve son appui et sa légitimité : travaux de Jean Piaget, Henri Wallon (et parallèlement de L.S. Vygotski) sur la psychogenèse. Ces travaux convergent sur l’importance de plusieurs facteurs contribuant au développement du sujet, notamment du milieu et de l’activité de l’apprenant. – L’importance du milieu, de ses stimulations (contre l’idée d’« auto-développement »). D’une part, le milieu où l’individu évolue n’est pas un milieu naturel, mais culturel et technique, milieu social façonné et transformé par l’histoire humaine. D’autre part, l’enfant est au carrefour de plusieurs milieux, l’amenant à des comparaisons et à des choix, permettant l’émancipation de celui qui vivait « encastré dans sa vie familiale » (H. Wallon). Enfin, le groupe est « initiateur de pratiques sociales », pousse à la double contrainte de singularité (faire sa place) et de conformité (qui ne se plie pas aux règles communes se met « hors jeu »), servant conjointement la personnalisation et la socialisation. Le GFEN développera la notion de « milieu stimulant » : maison du Renouveau à Montmorency, accueillant des orphelins de la Shoah (1945-1960)[5] ; groupe expérimental du XXè arr. de Paris (34 classes – de 1962 à 1971) avec ateliers-clubs intégrant les parents[6] ; équipes d’école à Morlaix, Ivry, Drancy, Paris [école Jourdain], Antony…[7] ; Parlement d’élèves au collège des Gorguettes à Cassis (1982)[8]… – La prévalence de l’activité, du « faire », de l’expérience… (contre le formalisme abstrait) Les références pourraient se multiplier sur ce point. Nous ne citerons que quelques auteurs : * O. Decroly : « Pour ce qui concerne les méthodes d’acquisition des connaissances et des techniques, il faut accorder le plus d’importance à celles qui permettent la redécouverte, l’expérience personnelle, l’activité, la réalisation individuelle ou collective, en un mot, la solution complète de problèmes réels »[9]. * J. Piaget : « (…) une vérité n’est réellement assimilée en tant que vérité dans la mesure seulement où elle a été reconstruite ou redécouverte au moyen d’une activité suffisante (…) Les connaissances dérivent de l’action (…) Connaître un objet, c’est agir sur lui et le transformer (…)»[10]. * H. Wallon : « (…) s’accommoder, s’adapter au réel, l’utiliser et, à cet effet, le connaître. L’intelligence, instrument de connaissance, sort de l’action et y retourne »[11]. Comme bien d’autres, le GFEN parle de « pédagogie active ». Marqué par l’empreinte de ses présidents successifs (Paul Langevin 1936-46, Henri Wallon 1946-62), ce sont les pratiques d’apprentissage qui seront au cœur de sa réflexion. Promotion des ateliers d’écriture (1975)[12] puis de création ; pédagogie du projet (1982)[13] et – parce qu’il ne s’agit pas de négliger la question des savoirs – démarches de construction de savoir. Lente gestation, depuis la « méthode d’observation » (portée par Aurélien Fabre, faisant transition avec les travaux de Wallon auprès de Robert Gloton qui la met en œuvre avec les équipes du groupe expérimental du XXè)[14], qui deviendra « démarche d’observation et de structuration » (1971) avant d’être appelée, suite à l’expérience du Tchad avec Henri et Odette Bassis (occasion de formation des maîtres à l’échelle d’un pays, de 1971 à 1975)[15], « démarche d’auto-socio-construction du savoir » dans les années 80, Odette Bassis en formalisant les caractéristiques depuis les apports croisés de Piaget, Wallon et Bachelard notamment [16]. 3) La lucidité sociologique (contre une vision idéalisée de l’enfant) On ne peut ignorer la nature socialement ségrégative des difficultés scolaires, ce qui explique notre attention aux travaux de sociologie pouvant rendre compte de « la reproduction ». Si la sociologie critique de Bourdieu la dévoilait en 1970, elle était insuffisante à en expliquer précisément les rouages, faisant la part belle à des surdéterminations sociales. Or, la reproduction n’est pas aussi automatique et les cas atypiques marquent les limites de cette logique « mécaniste » faisant peu de cas du sens que les individus accordent aux situations. En 1982, Bernard Charlot contribue à l’ouvrage collectif du GFEN « Quelles pratiques pour une autre école ? » avec un article intitulé « Je serai ouvrier comme papa, alors à quoi ça me sert d’apprendre ?» Réflexion amorçant le travail développé à l’université Paris 8 sur le rapport au savoir, visant à comprendre la logique des élèves face aux apprentissages[17]. Comment le « social » s’incarne-t-il dans l’appétence à apprendre, dans la posture et les comportements des élèves en classe ? Aujourd’hui, la crise du sens d’apprendre est plus marquée que jamais : les certifications ne sont plus garantes de l’emploi ; l’inflation des diplômés alimente la déflation de la valeur des diplômes ; la concurrence des nouvelles technologies d’accès à l’information interroge la pertinence de ce qui est proposé à l’école, au niveau de la forme comme des contenus. A quoi ça sert ? Ne cessent de demander certains élèves, n’investissant que ce qui leur apparaît « utile » dans la course scolaire ou vis-à-vis du futur professionnel. Leur rapport à l’apprentissage balance entre attente passive et activisme improductif, ils sont imbriqués dans le « faire » mais sans distance vis-à-vis de la situation, dont ils peinent à percevoir et investir les véritables enjeux cognitifs, élèves qui sont plus prompts à l’exercice et à la mémorisation qu’à la recherche et à l’exploration créatrice. Bien des élèves sont ainsi en situation de « décrochage cognitif » précoce… et cumulatif, qui se traduit par la fuite ou l’absentéisme, sur fond de dégradation de l’estime de soi. Aussi, de notre point de vue, c’est moins l’élève qu’il faut mettre au centre (par une sorte de bienveillance compassionnelle) que son rapport au savoir, qu’il faut prendre en compte et faire évoluer. Et ce, grâce à l’activité… Mais de quelle activité parle-t-on ? II/ La « pédagogie active » en question L’Education Nouvelle est dans un paradoxe. Alors qu’elle est mal connue (à cause d’une reconnaissance institutionnelle incertaine et de sa faible place dans la formation, rendant sa diffusion très aléatoire), elle est accusée de tous les maux, que ce soit par les courants réactionnaires (dénonçant le « pédagogisme », avatar de l’esprit de 68) ou à ce qui est plus gênant à par la recherche. Ainsi, Basil Bernstein qui critique les « pédagogies invisibles »[18] ; Philippe Perrenoud qui s’interroge : « Les pédagogies nouvelles sont-elles élitaires ? »[19] ou ces chercheurs québécois qui, en 2005, à travers une recension de recherches internationales, font une critique radicale du constructivisme, des approches centrées sur l’élève, de la différenciation pédagogique et de la pédagogie du projet (constatant de mauvais résultats des élèves malgré la dynamique pédagogique apparente des écoles) et prônent un « enseignement explicite »[20]. Plus récemment, en 2011, le réseau RESEIDA piste les processus de différenciation à l’œuvre dans les classes « ordinaires », interroge la doxa constructiviste qui les sous-tend[21]. Que constatent-ils ? Assez souvent, un retrait du maître au prétexte qu’il faut mettre les élèves « en activité ». Deux processus sont distingués. Le processus de différenciation « passive » présuppose tous les élèves en phase avec les demandes et attendus scolaires. Faute de clarification préalable, les élèves s’égarent dans des interprétations inappropriées des situations. Et il n’y a guère de recadrage par la suite, l’activité d’appropriation n’étant pas assez planifiée par manque d’analyse approfondie de l’objet travaillé. Enfin, au terme de la situation, comme il n’y a pas de reprise réflexive, les élèves restent dans la logique de l’expérience vécue. Au total, tout se passe comme si l’habillage des tâches et le déroulé de la séance étaient privilégiés, au détriment de la réflexion sur les enjeux cognitifs. Le processus de différenciation « active » est à l’œuvre quand l’intervention éducative, cherchant à s’adapter aux élèves, les dessert à son insu. L’organisation standard des séances comprend un temps de travail individuel suivi d’une phase de confrontation et de validation, avant une reprise conclusive aboutissant à une synthèse. Or, on observe que ce dernier temps, essentiel pour la montée en généralité et l’exercice de la réflexion, est souvent écrasé et ne sollicite que les « meilleurs » élèves… et l’enseignant. Comment s’étonner alors du décalage entre ce qu’on croit avoir travaillé collectivement à l’oral et les résultats du travail individuel écrit ? Face aux difficultés rencontrées par certains élèves, les professeurs aménagent le support ou la tâche en réduisant leur complexité, segmentent le travail et font un guidage renforcé. Les sollicitations et interactions sont ainsi revues à la baisse, aboutissant dans la même classe à des « contrats didactiques différentiels » qui étirent les différences en croyant les réduire. Quant aux usages du langage, plus les élèves sont considérés comme ayant de difficultés scolaires et/ou étant de milieux populaires, plus les interventions et le dialogue sont sur le registre quotidien, local et contextualisé, discours régulateur « horizontal » au détriment d’un discours instructeur « vertical » qui décontextualise, tire leçon de l’expérience, sert l’élaboration intellectuelle dans une visée cognitive. D’où la nécessité d’interroger la pédagogie active… dans sa mise en œuvre concrète. Cela oblige à mieux cerner l’objet de savoir, « ce qu’il y a à comprendre », et à revisiter les modalités d’apprentissage en conséquence. III/ La conception du savoir Pour les élèves scolairement fragiles, les savoirs sont perçus comme des obligations formelles plus ou moins utiles pour obtenir de bonnes notes, passer et avoir un bon métier plus tard. Savoirs qui sont appréhendés comme des objets réifiés, vérités atemporelles qu’il s’agit, de leur point de vue, d’ « enregistrer », de mémoriser puis de restituer lors des contrôles. Faut-il alors s’étonner de la forte déperdition des savoirs et de leur improbable transfert ? Faible valeur des savoirs et méprise quant à leur nature pourraient expliquer l’extériorité des élèves vis-à-vis de leur apprentissage. Quels renversements viser ? 1) La valeur du savoir Perçus dans leur unique valeur sociale d’échange, les savoirs ne sont pas perçus comme ayant plus foncièrement une valeur anthropologique d’usage : les objets techniques, les œuvres culturelles, les concepts, les systèmes symboliques sont autant d’outils de compréhension, de maîtrise symbolique mettant de l’ordre dans le chaos, médiatisant le rapport au réel et redoublant les pouvoirs d’action sur le monde. Ni tombés du ciel, ni jaillis spontanément de l’expérience, ils sont produits de l’activité humaine face aux besoins qui se sont imposés, faisant reculer les limites du possible par les audaces inventives et la puissance de l’intelligence collective. Autrement dit, pour l’humanité comme pour celui qui en recueille l’héritage, ce sont des outils d’émancipation faisant pièce à l’esprit de fatalité. 2) Leur nature Ces outils et les significations qu’ils incarnent ont été progressivement élaborés, sont les fruits de processus socio-historiques ayant des caractéristiques semblables. A l’origine, ils sont réponses à des problèmes sociaux qui se sont transformés en défis cognitifs (comment communiquer à distance sans ambiguïté, garder trace de grandes quantités, prévoir les récoltes, mesurer le temps, restituer les terrains inondés par le Nil, rendre compte de l’espace, mesurer à distance, prévenir les catastrophes naturelles, éviter ou soigner les maladies, etc.). Par ailleurs, leur genèse est jalonnée d’obstacles successifs, d’étapes constitutives avec : – une formalisation progressive (d’une vaste pluralité d’idéogrammes à un nombre restreint de lettres, dont la valeur est organisée dans un pluri-système graphique ; des calculi dans leur bulle d’argile à leur représentation chiffrée, dans un système de numération positionnelle ; de la corde à treize nœuds des égyptiens au théorème de Pythagore ; de la ruse pour mesurer la hauteur de la pyramide au théorème de Thalès…) ; – des ruptures, englobant les états antérieurs des connaissances en les débordant ou bien invalidant les savoirs passés (ainsi, la théorie microbienne de Pasteur contre la génération spontanée, la tectonique des plaques contre la dérive des continents de Wegener, la révolution évolutionniste de Darwin, la conception héliocentriste de Copernic…). Sans se noyer dans une histoire culturelle exhaustive, l’interrogation épistémologique permet de ressaisir les savoirs au cœur de leur intimité conceptuelle : à quelle question répondent-ils ? Qu’est-ce qui les a amenés à évoluer ? Autant d’appuis donnant sens et saveur aux savoirs, pouvant redonner goût d’apprendre et servir une appropriation raisonnée. Autrement dit, pour transformer de façon sensible le rapport aux objets culturels, il s’agit d’amener les élèves à s’approprier les savoirs à travers les processus qui les ont constitués, qui en justifient l’existence et en légitiment la forme actuelle. IV/ Le paradigme d’apprentissage En écho avec cette conception socio-historique des savoirs, le GFEN se situe dans une approche socioconstructiviste de l’apprentissage. Quelques points de repères. 1) Cerner la rupture (G. Bachelard : « on connaît contre une connaissance antérieure »…) Une double interrogation s’impose pour cerner la (ou les) rupture(s) à faire opérer : – du côté du savoir : questionnement épistémologique de ses amonts constitutifs ; – du côté des élèves : pour transformer les conceptions préalables, encore faut-il les connaître, observer les élèves et analyser leurs erreurs pour en déterminer la nature. 2) Débat contenu / méthode : pas de fétichisation du dispositif Le dispositif d’apprentissage ne vaut que par rapport à l’intention, à l’enjeu, au contenu visé. Le « travail de groupe », qui fait partie de la doxa de l’éducation contemporaine, n’a pas de sens hors d’objectifs précis : confrontation des points de vues singuliers ; débat sur des critères de catégorisation ; recherche commune d’invariants ; changement d’orientation de l’activité (ex. formaliser par un schéma, un tableau, une phrase conclusive…). A contrario des idées reçues, le magistral peut avoir sa place à un moment donné… Une « démarche » est opératoire pour optimiser l’appropriation d’une nouvelle notion, de concepts-clés. Elle est pertinente pour modifier le rapport au savoir car elle « met en scène » le problème à résoudre et aménage les étapes pour y parvenir. Elle sollicite l’engagement personnel, pousse au débat de preuves, stimule l’intérêt, la recherche individuelle et collective, ouvre à une compréhension partagée. L’essentiel étant moins le dispositif que la démarche intellectuelle des apprenants, la conduite de l’activité importe tout autant que sa préparation. 3) Une conduite de classe … sur le fil des paradoxes. Il s’agit de prendre en compte la singularité des élèves, de ne pas se substituer à leur libre cheminement sans pour autant qu’ils se perdent, au regard de l’objectif à atteindre. Jamais semblable selon le groupe et les individualités qui s’y expriment, la conduite de classe – notamment lors de séances inaugurales de nouvelles notions – est au carrefour de plusieurs zones de tension qui en assurent la dynamique et en gagent la pertinence. – Cadre instruit / libre cheminement. Le lancement de l’activité est un moment clé de la mobilisation initiale : présentation de l’enjeu, clarification du but à travers la réappropriation de la consigne voire présentation des formes de travail et de leur durée contribuent à installer le cadre de travail, à éviter les interprétations hasardeuses de la situation et les malentendus parasites, sans pour autant rien dévoiler de ce qui va faire l’objet de l’exploration conjointe. L’accompagnement passe ensuite par d’éventuels recadrages afin de ne pas perdre l’objet et de faire en sorte que chacun saisisse clairement, au-delà du but opératoire (ce qu’il y a à faire), le but cognitif (la question à résoudre) : temps de « dévolution » du problème aux élèves, amorce incontournable pour sa résolution. – Engagement individuel / dynamique collective. Tension ici entre la nécessité pour chacun de s’engager, de s’impliquer, de tisser un rapport personnel à l’objet (point de vue inévitablement subjectif) comme de la rencontre avec les points de vue des autres sur le même objet, afin de l’appréhender avec plus de recul, de distance. Pour Piaget, faute de confrontation, « l’individu demeure prisonnier de son point de vue qu’il considère naturellement comme absolu. (…) L’objectivité ne suppose pas seulement en effet l’accord avec l’expérience mais plutôt l’accord des esprits, ou plutôt, c’est par la critique mutuelle et la coordination des perspectives que l’esprit dépasse l’expérience immédiate ». Point de vue partagé par Aurélien Fabre, s’appuyant sur Wallon : «(Le facteur commun) se dégage de la confrontation des représentations individuelles que les enfants, chacun pour leur propre compte, viennent de tirer de l’objet. Il se situe exactement au point de convergence de ces représentations par leur retour sur l’objet ; il consiste dans le réajustement des perceptions sur l’objet de manière à donner à la représentation un même contenu que le mot viendra enfermer et fixer. C’est dans cette activité à double face, perception du côté de l’objet, et langage du côté du social, que se trouve le moment de la connaissance, celui où se décide le sort de la vérité ou de l’erreur »[22]. Moment clé du débat de preuves, où les pensées subjectives évoluent en entrant dans un processus d’objectivation. – Viser la réussite / … ou la compréhension ? La question, provocatrice, attire l’attention sur les limites de l’expérience en matière d’apprentissages, notamment intellectuels. « Faire » voire réussir ne suffit pas pour savoir. Encore faut-il tirer leçon de l’expérience, prendre du recul : « (…) Le réel, pour être objet de connaissance, ne se donne pas directement à voir, il doit être représenté, construit, interprété, faire l’objet d’une élaboration.»[23]. Ressaisie de l’objet et/ou des stratégies utilisées qui vise la prise de conscience. Piaget insiste sur ce point, Vygotski le confirme : « la prise de conscience, conçue comme généralisation, conduit directement à la maîtrise »[24]. Pédagogie active, oui… mais à condition qu’elle intègre l’activité intellectuelle des élèves. – Du rôle de l’enseignant d’Education nouvelle. Se mettre en retrait, renvoyer en miroir les questions que les élèves nous adressent (afin qu’ils se sentent autorisés à penser par eux-mêmes) est une attitude pertinente pour qui vise leur émancipation intellectuelle. Toutefois, on a évoqué les limites d’un retrait excessif, pouvant contribuer aux malentendus, au brouillage des pistes pour les élèves qui ne sont pas en connivence avec l’univers scolaire. Ce qui amène à poser le dernier paradoxe : Adopter la posture du « maître ignorant »[25], certes… mais sans pédagogie de l’abstention ! [1] GFEN, L’échec scolaire. « Doué ou non doué » ? Editions sociales, 1974. [2] GFEN (coll.), Pour en finir avec les dons, le mérite, le hasard, La Dispute, 2009. [3] Robert A. Rosenthal et Lenore Jacobson, Pygmalion à l’école. L’attente du maître et le développement intellectuel des élèves, Casterman, 1971. [4] David Trouilloud, Philippe Sarrazin, « Les connaissance actuelles sur l’effet Pygmalion : processus, poids et modulateurs » (Note de synthèse), Revue Française de Pédagogie N°145, oct.-nov.-déc. 2003, p. 89-119. [5] Claude François-Unger, L’adolescent inadapté, PUF, 1957. [6] Robert Gloton (dir.), A la recherche de l’école de demain. Collection Bourrelier, Armand Colin, 1971. [7] GFEN / Robert Gloton (dir.), L’établissement scolaire : unité éducative, Casterman, 1977. [8] Vincent Ambite, Il s’est passé quelque chose à Cassis. Des témoins parlent, Casterman, 1982. [9] Ovide Decroly, Manuscrit, oct. 1929 (Cf. Le Docteur Decroly et l’éducation, Centre d’Etudes decrolyennes, Ecole Decroly-Ermitage, Bruxelles, mars 1999, p. 20). [10] Jean Piaget, Psychologie et pédagogie, Denoël / Gonthier, 1969 (respectivement, p. 45 et 48). [11] Henri Wallon, De l’acte à la pensée. Essai de psychologie comparée, Flammarion, 1970, p. 9. [12] GFEN / Michel Cosem (dir.), Le pouvoir de la Poésie, Casterman, 1978. [13] GFEN / Michel Huber (dir.), Agir ensemble à l’école. Aujourd’hui… la pédagogie du projet, Casterman, 1982. [14] Aurélien Fabre, L’école active expérimentale, PUF, 1972 (Vice-président du GFEN à l’époque). [15] Henri Bassis, Des maîtres pour une autre école : former ou transformer ? Casterman, 1978. [16] GFEN, Quelles pratiques pour une autre école ? Casterman, 1982 ; Odette Bassis, Se construire dans le savoir, ESF, 1998. [17] Cf. Bernard Charlot, Elisabeth Bautier, Jean-Yves Rochex, École et savoir dans les banlieues… et ailleurs, Armand Colin, 1992 ; Bernard Charlot, Du Rapport au savoir. Éléments pour une théorie, Anthropos, 1997. [18] Basil Bernstein, Classes et pédagogies : visibles et invisibles, Paris, CERI-OCDE, 1975 [19] Philippe Perrenoud, La pédagogie à l’école des différences. Fragments d’une sociologie de l’échec. ESF, 1995 [20] Steve Bissonnette, Mario Richard, Clermont Gauthier, « Interventions pédagogiques efficaces et réussite scolaire des élèves provenant de milieux défavorisés », Note de synthèse, Revue Française de Pédagogie, n°150, janvier-février-mars 2005, p. 87-141. [21] Jean-Yves Rochex, Jacques Crinon (dir.), La construction des inégalités scolaires. Au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement. PUR, Rennes, 2011. [22] Aurélien Fabre, L’école active expérimentale, PUF, 1972, p. 96. [23] Elisabeth Bautier, Jean-Yves Rochex, Henri Wallon. L’enfant et ses milieux, Hachette, 1999, p. 49. [24] L.S. Vygotski, Pensée et Langage, Editions Sociales (1934/1985). [25] Jacques Rancière, Joseph Jacotot – Le maître ignorant, 10/18, 2004.
Quelle école pour quelle société ? ATD Quart-Monde et Pascal Percq 17 décembre 2012 Valérie Pinton Quelle école pour quelle société ? Réussir l’école AVEC les familles en précarité ATD Quart-Monde et Pascal Percq Edition Quart Monde et Chronique Sociale, 2012 Cet ouvrage, relate le travail accompli par ATD qui a abouti à la rédaction de la plaquette « Construire ensemble l’école de la réussite de tous » à laquelle le GFEN a collaboré avec d’autres organisations pédagogiques et syndicales, des fédérations de parents. Expériences et attentes des militants d’ATD Quart Monde montrent combien l’exclusion scolaire fait des ravages dans les histoires individuelles et combien l’école joue un rôle essentiel dans le développement de chacun, selon qu’elle autorise ou non à se sentir intelligent, acteur de sa vie, ayant place dans le monde. « L’école pour mes enfants, c’est la seule façon pour qu’ils aient une autre vie qu’une vie de misère » dit une mère. Les paroles de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants doivent être entendues par les enseignants et par une institution qui trie, sélectionne, évacue au nom du handicap socio-culturel. Le non savoir est une composante de la misère et ATD ne cesse d’affirmer son refus du déterminisme, rappelant fort justement que l’éducation est un droit. La rencontre de ces militants d’ATD avec des partenaires qui par ailleurs n’avaient pas nécessairement l’occasion d’échanger, de construire ensemble, est un vrai défi, un pari gagné contre la fatalité. Chacun a pu apporter ses propositions mais tous se sont retrouvés sur deux principes intangibles qui ont traversé l’ensemble des travaux : « Toute pédagogie repose sur l’affirmation que tous les enfants sont capables d’apprendre Toute pédagogie doit contribuer à construire et à respecter l’égale dignité de tous. » Le GFEN se retrouve, oh combien, dans ce petit ouvrage qui fait la démonstration du tous capables, lorsque parents d’élèves du Quart Monde, enseignants, chercheurs universitaires, militants syndicaux ou associatifs, échangent, se parlent, se rencontrent dans un projet commun. Il y a fallu de l’audace, et dans le contexte cette expérience menée par ATD, montre que c’est avec les premiers intéressés, concernés que se fera le changement et pas sans eux. Comme dans la classe, où la réussite de tous et de chacun n’est pas pensable sans ceux trop rapidement réduits à leurs difficultés. C’est l’hétérogénéité, à tous les niveaux de la société, qui permet à chacun de sortir de ses enfermements. Cet ouvrage relate un trajet, une histoire, avec un avant et un après. Alors lisez le, faites le lire, car il témoigne de possibles. Christine PASSERIEUX
Et si on se la jouait collectif ? 17 novembre 2012 Valérie Pinton Repenser le métier… et si on se la jouait collectif ? Jacqueline BONNARD – 2012 Dans un contexte où le résultat des élections présidentielles et législatives ouvre des perspectives favorables pour une véritable réflexion sur les enjeux de l’école et les réformes structurelles indispensables à notre système éducatif, la question du métier d’enseignant et d’éducateur se pose avec acuité. Après deux décennies de politiques scolaires qui ont déconstruit les valeurs qui fondaient le modèle républicain d’une école capable de former aussi bien les élites que de permettre à tous d’accéder au savoir – justice sociale, promotion sociale par l’éducation, laïcité, émancipation personnelle et citoyenne- l’ensemble des acteurs se trouve face à une situation paradoxale. Si les professionnels de l’éducation souhaitent majoritairement la réussite de tous les élèves, ils sont confrontés à une valorisation de l’individualisme, de la différenciation qui conduirait à la réussite de chacun. Ces valeurs issues du secteur privé impriment une conception libérale de l’offre scolaire promue par la stratégie de Lisbonne. C’est particulièrement sensible au niveau collège où les offres de formation se diversifient en fonction des lieux, des publics accueillis : options latin, classes bi-langues, classes européennes, internat d’excellence, établissement de réinsertion scolaire, réapparition de classes pré-professionnelles… Cette situation est particulièrement préjudiciable aux enfants des milieux populaires. Dans un système où l’on renvoie à chacun la responsabilité de son échec, les familles assistent, impuissantes, au difficile parcours scolaire puis social de leurs enfants. Parallèlement, la question de la formation professionnelle des enseignants devient cruciale lorsque l’on sait qu’elle s’est réduite à quelques rudiments instillés ici et là au profit d’une plongée en apnée au cœur du métier provocant déstabilisation et souffrance au travail. Chacun dans sa classe et advienne que pourra ! Soumis aux injonctions institutionnelles multiples qui alourdissent la tâche (évaluation permanente, individualisation), perturbés par des prescriptions qui brouillent les attendus (nouveaux programmes, introduction du socle commun), les enseignants vivent mal leur situation actuelle et se sentent disqualifiés car non soutenus par leur institution et dénigrés par les médias. Autant d’ingrédients qui incitent à l’isolement professionnel, au retour à des routines inscrites dans ce qu’on pense être « les bonnes pratiques » mais s’appuyant davantage sur le besoin de se sécuriser que sur l’efficacité pédagogique. Dans la solitude de la classe, répétant les gestes professionnels observés, les façons de « tenir la classe », beaucoup pensent avoir tout essayé sans résultat… Et si on se la jouait collectif ? Il existe pourtant des équipes d’enseignants qui, face à des situations en apparence inextricables, ont relevé le défi du « Tous capables ! » : tous capables d’apprendre et de s’émanciper par le savoir, tous capables d’enseigner et de mener à bien les objectifs visés par les programmes. J’aimerais illustrer le propos à l’aide de deux exemples d’équipes que j’ai suivies pendant plusieurs années : l’équipe éducative d’une classe productique en lycée professionnel, l’équipe pédagogique d’une classe de seconde d’un lycée d’enseignement général. Chalette sur Loing à LP Château Blanc-2008 Un établissement excentré sur le bassin montargois. Ici, on ne choisit pas une section, « on fait Château-Blanc » pour rester sur la commune, par obligation économique mais aussi par crainte de l’ailleurs. Une section a bien du mal à remplir : la 2ème Productique. Des quatre coins de l’académie arrivent les recalés de l’orientation dont un bon nombre de filles : elles rêvaient d’être coiffeuses ou esthéticiennes… elles seront mécaniciennes ! Pendant 4 années, j’avais accompagné cette équipe qui tentait de colmater les brèches du décrochage. Mais que pouvaient ces rustines qui résistent mal à ce flot de désespérance tant du côté de ces jeunes cassés par la vie que du côté des enseignants cantonnés au rôle de fusible de situations explosives ? Même si ces actions avaient permis de recouvrer la paix sociale, les apprentissages semblaient peu efficients. En cette rentrée 2008, l’équipe Prod a décidé de prendre les choses autrement : on se recentre sur les savoirs, on se la joue collectif (côté élève/côté prof) et surtout, on se lance un défi : « Tous en bac pro ! ». Par la force du collectif, c’est une des aventures humaines les plus intéressantes qu’il m’ait été donné d’accompagner. Les objectifs visés s’articulaient autour de trois axes. Tout d’abord réinscrire chaque élève dans une logique d’apprentissage par un accompagnement journalier et hebdomadaire autour du travail personnel. Deuxièmement, réinscrire les parents dans leur rôle en partageant avec eux la progression observée et en les impliquant dans le suivi de la formation. Troisièmement, inscrire le jeune dans un projet professionnel passant par l’obtention d’un bac pro et l’habitude d’un travail en équipe. S’il a fallu toute l’énergie et la cohésion de l’équipe éducative (intégrant assistant d’éducation, CPE, infirmière scolaire, COP) pour installer des habitudes de travail collectif tant chez les élèves que les professionnels au premier trimestre, les résultats ont dépassé les espérances : un très bon score aux résultats du BEP, les ¾ des élèves obtenant une place en bac pro et aucun élève sans solution à l’issue de la formation. Blois à Lycée Dessaignes 2009 Dans le cadre d’une réflexion sur le travail personnel de l’élève, l’équipe pédagogique d’une classe de 1ère S s’interroge sur les compétences transversales utiles aux élèves pour qu’ils réussissent. Mais comment savoir comment ils apprennent ? Les professeurs imaginent donc de les mettre en situation de réviser un contrôle « comme s’ils étaient à la maison » dans chacune des disciplines. Ils observent les supports utilisés par les élèves, les manières de faire, les échanges. Leurs conclusions mettent en évidence deux techniques de mémorisation majoritaires chez ces élèves : pour certains « lire la leçon suffirait », pour d’autres il y a nécessité de réécrire tout le cours, « faire » des fiches. Mais quelle que soit la technique adoptée, les enseignants constatent que la leçon est apprise « au kilomètre », que la construction logique d’un cours ne fait pas sens pour les élèves de même que la complémentarité des documents ou exercices en lien avec la problématique abordée. Après avoir un moment pensé qu’il suffirait de proposer aux élèves « les bonnes méthodes » pour s’approprier le cours, l’équipe enseignante s’est mise en réflexion au cours d’échanges de pratiques sur l’articulation entre « faire cours » pour l’enseignant et « apprendre le cours » pour l’élève. Que ce soit du côté de l’élève ou du côté de l’enseignant, l’équipe en arrive vite à la nécessité d’un travail collectif autour de cette problématique. L’année suivante les professeurs décident de poursuivre l’étude avec les élèves d’une classe de seconde générale en affinant l’observation sur « la posture de l’élève.et les gestes qui accompagnent l’activité intellectuelle révélateurs du sens donné à l’apprentissage ». Quelle que soit la discipline, ils constatent que la mémorisation passe d’abord par une déconstruction du cours, la hiérarchisation des idées ou des connaissances en jeu puis par une reformulation qui permet de reconstruire la connaissance produite afin de l’intégrer dans l’ensemble des connaissances antérieurement acquises. Ce qui correspond au schéma de Piaget sur l’assimilation. En revisitant collectivement ces mécanismes liés à l’apprentissage, chacun a revisité sa pratique pédagogique en y intégrant des objectifs communs pour que l’élève donne sens à ce qu’il apprend d’une part et favoriser l’activité intellectuelle d’autre part. Il s’agit de l’explicitation des attendus de la leçon, de la mise en réflexion des élèves sur les notions abordées par un repérage et une hiérarchisation des idées ou des connaissances, de la proposition de situations d’autoévaluation ou coévaluation pour tester les acquis. Au-delà des projets de ces deux équipes, on mesure la force et l’intérêt du collectif lorsqu’il associe le sens donné à l’expérience scolaire pour l’élève au sens donné à l’expérience professionnelle pour l’enseignant. Une approche collective permet de sortir de la solitude de la classe où tout se joue le plus souvent dans une relation duelle dans laquelle le savoir devient un prétexte alors qu’il devrait être l’objet médiateur d’une construction individuelle et collective. On entend beaucoup parler de métacognition chez les élèves, d’installer une attitude réflexive, de permettre le travail d’équipe. Mais chiche ? Si on se l’appliquait au sein des équipes éducatives ? Et si l’on mettait en pratique ce que l’on est sensé installer chez les élèves ? Et si en mettant en travail les pratiques pédagogiques au sein d’une même équipe, on passait d’une co-errance à la cohérence nécessaire à un enseignement de qualité ? Articles : Le métier Enseignant, Jacques BERNARDIN, Audition au Sénat, 21 février 2012 Où il est dressé un constat sur le métier d’enseignant après deux décennies de politiques éducatives qui ont déconstruit le système de valeurs qui fondait « l’école républicaine ». L’auteur propose des pistes pour rompre avec des habitudes professionnelles et faire évoluer les pratiques pour relancer la démocratisation de l’accès au savoir et à la culture. LIRE Vers une transformation de la formation à la professionnalisation des enseignants, Odette BASSIS, 2012 Si le métier de professeur est déjà en lui-même un métier « impossible », tant il est plongé devant un défi de complexité, le métier de formateur ne l’est pas moins, au regard des emboîtements de complexités qu’il revêt. Si la transmission des savoirs est la question-clé de la formation, il faut l’interroger dans une perspective d’intégration réciproque théorie-pratique mais également au travers de pratiques de transmission vécues par les futurs enseignants. Lire Pour une pédagogie de projet émancipatrice, Maria Alice MEDIONI (GFEN Secteur Langues) mai 2010 Travailler en projet est devenu une injonction institutionnelle pour inscrire les apprentissages dans des situations où le savoir se construit « à travers un faire social ». Pour autant interroge l’auteur : N’assiste-t-on pas à une récupération d’une notion qui permettait d’apporter une réponse nouvelle à une situation de crise dans l’école ? Les partis-pris sont-ils les mêmes que ceux qui ont prévalu chez ses concepteurs ? Le projet, est-ce une fin en soi, un supplément d’âme, ou un outil ? Lire Individualisation des situations d’apprentissage, Christine PASSERIEUX, 2005 LIRE Un travail de groupe peut en cacher un autre, Bernard MAYAUDON DIALOGUE n° 142 – L’ordinaire de la classe, octobre 2011 Description d’une pratique de classe qui travaille les questions suivantes : Pourquoi faire travailler les élèves en groupes et que fait-on quand nous faisons cela ? Suffit-il que les élèves soient en petits groupes pour qu’il y ait travail de groupe ? Peut-il y avoir travail de groupe sans mettre les élèves en petits groupes ? Lire Le conseil coopératif,Yves BEAL et Frédérique MAIAUX DIALOGUE n° 142 – L’ordinaire de la classe, octobre 2011 « Les conseils coopératifs de classe permettent à chaque enfant de se trouver impliqué dans le groupe, de poser sa parole et ainsi d’être entendu et reconnu par les autres et bien sûr par l’enseignant. » Lire L’écriture collective à Quels enjeux ? 25 pratiques pour enseigner les langues.,Valérie PEAN et Muriel RENARD DIALOGUE n° 139 – Écrire ses pratiques, janvier 2011 L’article s’appuie sur une expérience d’écriture collective. Lire Sauver les valeurs scolaires de l’école républicaine, Nathalie MONS Deux décennies de politiques scolaires ont déconstruit le système de valeurs sur lesquelles repose le modèle républicain de l’école. Progressivement l’intérêt collectif d’une éducation dite nationale fait place à « la valorisation des particularismes, de l’individualisme et de la différenciation ». Pour autant, ce modèle libéral de système scolaire n’emporte pas à ce jour l’adhésion de la communauté éducative et d’une majorité de parents. http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2012/132_2.aspx Masterisation : Il y a urgence, La tribune de Jean-Louis AUDUC Si enseigner, est un métier qui s’apprend, la formation passe nécessairement par la mise en place de véritables écoles professionnelles. Il y a même urgence à accélérer la reforme de la formation des enseignants « face au champ de ruines entraîné par la masterisation ». http://www.cafepedagogique.net/searchcenter/Pages/Results.aspx?k=Auduc masterisation urgence 2012 tribune ^ Haut de page
Les devoirs à la maison, Séverine Kakpo 26 septembre 2012 Valérie Pinton Mobilisation et désorientation des familles populaires PUF, 224 p, septembre 2012 Constatant que la question des pratiques familiales d’accompagnement en milieux populaires restait encore à l’état de « boite noire », Séverine Kakpo, maître de conférences en sciences de l’éducation ) Paris 8 et membre du CIRCEFT-ESCOL, en a fait l’objet d’une recherche visant l’étude des logiques des familles populaires, mises à l’épreuve des codes scolaires. Le suivi familial des devoirs concernant essentiellement la lecture d’enfants scolarisés en fin de primaire et au début des premières années du collège. Après une présentation du contexte de l’étude qui rend compte des grandes caractéristiques des familles auprès desquelles l’enquête a été menée, l’ouvrage – qui fait une large part aux extraits d’entretiens- aborde la nature de la mobilisation des familles sur le travail scolaire et montre comment ces familles, sous l’effet de la circulation des devoirs, transforment leur foyer en « véritable institution de sous-traitance pédagogique » voire en « institution pédagogique autonome » en prescrivant elles-mêmes du « travail en plus ». Le travail mené met ensuite en évidence que, en dépit de tous les gages sociaux de conformité aux attendus scolaires qu’ils affichent, une partie des parents fait, sur le plan des savoirs, l’expérience d’une profonde désorientation pédagogique entrainant certaines à développer des formes actives de résistance scolaire. Enfin, la dernière partie éclaire les rapports entre codes familiaux et codes scolaires de la lecture montrant comment certaines familles réinterprètent le curriculum scolaire en développant des modes d’encadrement des activités de lecture susceptibles de renforcer les malentendus dont sont couramment porteurs les élèves « en difficulté » voire d’en créer de nouveaux. Nouvel éclairage intéressant complétant la réflexion et le questionnement sur la délicate question du lien entre école et familles. A lire aussi : Patrick Rayou, Faire ses devoirs. Enjeux cognitifs et sociaux d’une pratique ordinaire, Presses Universitaires de Rennes, 1999 à Pierre Périer, Ecole et familles populaires. Sociologie d’un différend, Presses Universitaires de Rennes, 2005
Le stage « vécu de l’intérieur » (paroles de stagiaire) 24 septembre 2012 Valérie Pinton Il est très difficile de décrire ce qui s’y passe, il faut le vivre de l’intérieur pour éprouver le foisonnement du travail intellectuel dans les échanges. On se rend compte que les questions personnelles qu’on se pose sur sa classe, ses élèves sont des préoccupations professionnelles qui touchent aussi les autres collègues. On expérimente « en vrai » et « en grand » qu’on est plus intelligents à plusieurs. On en repart gonflé pour l’année, enrichi, enthousiaste. Voilà à quoi ça sert un stage de rentrée. Stage : mode d’emploi L’hétérogénéité des publics C’est quelque chose qu’on connait bien dans les classes. Ici on a la « preuve par l’épreuve » (Jacques Bernardin) que c’est une richesse et non pas un obstacle. On vient un peu de partout, selon l’implantation géographique, de la ville ou du département. On en a entendu parler par des formateurs engagés dans le mouvement, ou bien on sait que ça existe et on y participe chaque année, ou encore on l’a découvert un peu au hasard d’une lecture ou d’une rencontre… Qu’est-ce qui pousse à se retrouver dans une école en cette fin de vacances, alors qu’on pourrait profiter encore un peu de son temps libre, alors qu’on a aussi des tas de choses à préparer pour sa classe ? On est débutant dans le métier, majoritairement, mais on a aussi plusieurs années d’expérience et on voudrait changer des pratiques qui ne nous conviennent plus, on veut durer dans le métier, ou bien on est soi-même formateur (si, si ça existe la formation tout au long de la vie !) et on vient pour faire un point, une pause. Les motivations sont donc bien différentes, entre celui qui découvre le mouvement et celui qui adhère déjà à ses valeurs. Les animateurs des ateliers Eux, ce sont des militants qui ont travaillé en amont pour préparer ce stage. Au GFEN, le choix est fait de l’animer en binôme, un « ancien » et un « nouveau » dans le mouvement (et ce n’est pas une question d’âge), pour que l’expérience de l’un serve à l’autre, pour que l’un s’essaie sous le regard bienveillant de l’autre. « Assurer la relève, c’est important ! Il faut que les choses se transmettent, évoluent, avancent ; c’est l’essence même d’un mouvement », nous dit une secrétaire nationale. Un atelier : tentative de description Le principe est de faire vivre personnellement aux participants une situation dans laquelle eux-mêmes sont en posture d’apprenants, pour voir qu’ils passent par les mêmes cheminements de pensée que leurs élèves en classe. Ces démarches sont transposables et chacun pourra ensuite l’expérimenter professionnellement dans sa classe. Exemple : Lire une lettre en polonais pour montrer dans quelle situation se trouve un apprenti-lecteur de CP. Le but de ces ateliers n’est pas seulement de les vivre mais surtout de les analyser pour déteminer les invariants d’une situation d’apprentissage. On fait et on parle pour conscientiser ce que l’on a fait et formaliser ce concept noyau dur qu’est « enseigner/apprendre ». On revient sur l’activité, ce qui a fait empêchement ou obstacle, quels leviers ou quelles aides ont joué pour comprendre comment on a fait et pourquoi on a réussi. La question des savoirs est première. Ils sont toujours provisoires et s’enrichissent d’être partagés. L’aspect anthropologique est très important. Il faut du temps pour apprendre (cette idée est souvent occultée). On enseigne en fonction des conceptions qu’on a de l’éducation et des valeurs qu’on prône. Au GFEN, on (ré)affirme la réussite de tous, on met les élèves en condition de réussir ensemble, en confrontant les idées, en utilisant le langage pour argumenter, préciser. On affine sa pensée en formulant avec ses mots ce que l’on sait de la situation et en l’expliquant aux autres. Les modalités de la transmission obéissent à des règles de travail précises. L’enseignant doit être au clair avec les enjeux de son enseignement, les attentes qu’il a des élèves et ses propres intentions. Il les explicite clairement aux élèves. C’est toujours plus facile d’arriver à un endroit quand on sait où l’on va ! Le GFEN met en place des situations-défis pour enrôler les élèves dans l’activité. Celles-ci reposent sur de vrais problèmes à résoudre et reflètent la complexité du réel. Filons l’exemple précédent : le défi est de lire et comprendre un texte dans une langue qu’on ne connait pas. Chacun va dans une première phase mobiliser ses connaissances antérieures sur le type de textes, prendre des indices. Dans la mise en commun qui suit, on va se confronter aux autres et s’enrichir de ce que l’autre a trouvé. La phase individuelle est primordiale pour que chacun puisse se questionner et apporter des choses au collectif. Car le rapport au savoir est avant tout personnel et singulier. Dans ces pratiques, la posture de l’enseignant est essentielle pour faire penser les élèves et la question de la nature des étayages qu’il propose s’affine au fur et à mesure de l’avancée des travaux des ateliers. En filigrane, la question de l’aide est présente. Celle-ci n’est pas conçue comme une adaptation ponctuelle pour les « élèvesendifficultés » (écrit en un mot comme si c’était dans leur nature d’être en difficultés). L’aide est apportée au groupe en fonction des besoins, il y a des moments où il est nécessaire d’apporter de manière magistrale, des connaissances que les enfants ne possèdent pas, ce qui les empêche d’avancer dans leur cheminement de pensée. L’animatrice de la lettre en polonais a laissé chercher les participants jusqu’à ce que l’obstacle soit insurmontable. Elle apporte à la demande des mots de vocabulaire pour que le sens ne soit pas « deviné », elle met en garde sur certains mots faux-amis, elle encourage mais protège la « prise de risque » des apprentis lecteurs en polonais. Elle ne valide jamais, elle renvoie au groupe, demande des justifications et fait avancer la réflexion. Et on y arrive. La preuve sur la photo ! En même temps que les ateliers se poursuivent, des moments de discussion s’instaurent, autour d’un café ou d’un apéritif, à propos d’un livre dans le coin librairie, dans ces petits interstices informels tellement importants aussi dans les relations professionnelles. Ici pas d’ambiance « colonie de vacances » mais une convivialité affirmée par un pique-nique dans cour d’école, buffet sur table de ping-pong. Il n’y a que le buffet d’improvisé avec ce que chacun apporte, tout le stage a été minutieusement préparé dans une rigueur qui n’exclut pas la bonne humeur.
Retour sur les Rencontres du LIEN, Tunisie, juillet 2012 1 juillet 2012 Valérie Pinton de MAHDIA (Tunisie), 15-18 juillet 2012 Un bref retour croisé Odette et Michel Neumayer (GFEN), Etiennette Vellas (GREN) On pourrait raconter Mahdia en suivant bien des fils… … Celui de la richesse des rencontres interpersonnelles. Une centaine de personnes étaient présentes (nous avons dû clore les inscriptions un mois avant la date officielle). Tunisiennes évidemment (environ la moitié des participants) mais aussi européennes (Suisse, Belgique, Luxembourg, Allemagne, Italie, France), mais encore haïtiennes, russe, boliviennes et même une personne japonaise ! Superbe croisement, richesse des découvertes. … Celui des langues et des cultures. Nous avons veillé à leur présence effective aussi bien dans les groupes de travail, les plénières que lors d’un forum des langues. Nous avons affirmé notre diversité, traduit et lu nos problématiques en plusieurs langues, chanté et échangé. … Celui de la naissance d’un groupe nouveau, le GTEN (Groupe Tunisien d’Éducation Nouvelle). Nous avons remercié chaleureusement ce mouvement « tout neuf », en relation avec le GBEN depuis quelques années déjà, et qui agit dans un contexte social et politique particulièrement complexe. En relation avec les autres mouvements du LIEN d’Europe et des Amériques, il a su avec brio faire de l’organisation de ces Rencontres une belle réussite. … Celui de notre préoccupation commune : agir pour la transformation de nos sociétés à travers la transformation de nos systèmes scolaires et de formation. Nous avons pris conscience de l’étonnante proximité de nos préoccupations. … Celui de la transmission entre groupes, personnes, générations. Nous avons veillé à inscrire notre présent dans l’Histoire de l’Éducation nouvelle, cet ensemble de pratiques, de théories, de partis pris et d’engagements. Ce fut le cas dès l’ouverture avec l’atelier proposé à tous du GBEN sur « quelques 25 idées d’Éducation nouvelle ». Cela se confirma avec la présence du GHEN (Groupe haïtien) qui se développe et fête sa deuxième année d’existence. Cela se traduira bientôt par la création (re-création) d’un groupe d’Éducation nouvelle en Italie. … Celui de la préparation internationale inter-mouvements : d’abord un défi, celui de tenir ces Rencontres en terre africaine ; puis un patient travail, mis en musique par le GREN (en charge en ce premier semestre 2012 de la coordination des activités du LIEN) en étroite collaboration avec les ami(e)s tunisien(nes)s sur place. Le pari a été tenu et réussi (!), sachant que cette préparation internationale est une spécificité du LIEN par rapport aux Universités d’été du GFEN par exemple. On pourrait évoquer les objets de travail retenus : au delà des ateliers consacrés à la lecture, aux langues, aux sciences, à l’écriture, aux arts plastiques, à divers projets d’école d’Éducation nouvelle, au travail avec des adultes, insistons sur le souci partagé de faire exister dans nos pays, si différents et si proches malgré tout, une variété de pratiques qui soient à la hauteur de nos engagements : une école juste, démocratique, inclusive, créative, humaine. On pourrait décrire les modes de travail retenus : « ateliers » mais aussi des « cartes blanches », deux « forums », un « atelier d’écriture et de réflexion » (Mosaïques d’expériences) auquel tous les participants étaient quotidiennement conviés en fin d’après-midi. Nous terminerons ce bref compte-rendu par un début d’inventaire (en vrac), de quelques points sur lesquels nous avons le sentiment d’avoir avancé par rapport à nos précédentes Rencontres du LIEN (Ciney 2009, Marly-le-Roi 2006, Malone 2003) : le renforcement de la dimension internationale. la collaboration étroite, le travail intense, exigeant, d’entrer dans des cultures, des rapports aux savoirs, au temps, à l’Éducation nouvelle elle-même, etc. différents) afin que le GTEN, puisse organiser l’accueil en participant pleinement à la préparation conceptuelle du tout aussi. la participation de nombreuses personnes de Tunisie venant découvrir pour la première fois des pratiques d’Éducation nouvelle. la place affirmée de l’écriture pour tous et par tous, avec la perspective d’un écrit collectif et la naissance d’un collectif de coordination international pour mener à bien ce projet. la reconnaissance des apports de chacun, dans les ateliers évidemment, mais aussi par le biais de Cartes blanches très brèves et variées (10 minutes pour parler d’un sujet qui tient particulièrement à cœur). la notion d’engagement : chacun a compris qu’il pouvait changer quelque chose à son quotidien, se donner des perspectives en prenant appui sur ses découvertes, ses étonnements, ses partages. la dimension de la confiance réciproque. le constat que des principes et des pratiques d’Éducation nouvelle existent, que l’on peut en parler, y accéder, choisir à titre personnel mais aussi collectivement ceux qui semblent les plus pertinents. (La mise à disposition de livres offerts à la lecture des participants sur place et ultérieurement au GTEN a matérialisé notre souci de partager nos outils). la place de pratiques de création qui permettent le détour réflexif et sont des défis collectifs. l’ouverture aux langues (nous sommes en demande, à l’écoute, interpellés par leur mystère). la perception des apports originaux du GFEN en matière de sciences, de création, de langue, et notre souci (partagé) de prendre appui sur l’Histoire de l’Éducation nouvelle. Des apports incarnés par des personnes (nous étions une dizaine à Mahdia, « toutes générations confondues », membres du GFEN) le développement du site du LIEN (www.lelien.org), porté actuellement par la Suisse, la Belgique et la France et qui s’est donné pour mission de mettre en ligne une série de documents sur les Rencontres (descriptifs des ateliers, réflexions, Cartes blanches, etc.). Le site proposant par ailleurs des témoignages, des documents, des références de lecture et bien d’autres choses qui attestent que l’Éducation nouvelle se développe dans le monde. L’organisation et la gestion du site sont, depuis Mahdia, de plus en plus coopératives et internationales. … Restent des questions encore non traitées : le rapport des mouvements d’Éducation nouvelle aux institutions de leur pays. les stratégies de développement, les partenariats et les alliés, dans et hors l’école. les suites à donner aux Rencontres et l’organisation du LIEN (principes et fonctionnement). Ces quelques lignes pour faire comprendre qu’à Mahdia nous avons vécu de l’inoubliable… que le LIEN commence à être une très belle histoire… que c’est celle de nos mouvements d’Éducation nouvelle réunis.
Sur les traces du Dr Janusz Korczak 1 juin 2012 admin Colette CHARLET- 2012 L’année 2012 est marquée par une série d’hommages au Dr Korczak (1878-1942), tant en Pologne, qu’ailleurs dans le monde. Ainsi, en a décidé le Parlement Polonais. En effet, il y a 100 ans qu’il créa sa première maison d’enfants à Varsovie (Dom Sieriot). Cela fait aussi 70 ans, qu’il disparut tragiquement avec ses 200 orphelins vers le camp d’extermination de Treblinka. Malheureusement, force est de constater que de nos jours, des atrocités se perpétuent à l’encontre des enfants sur des zones de conflits, en dépit de grandes déclarations d’institutions internationales. Korczak bouleversa notre rapport à l’enfant, en revendiquant sa place de sujet et d’acteur. Par ses ouvrages, dès 1928, il est considéré comme le précurseur de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. En France, l’Association Française Janusz Korczak (AFJK) est à l’initiative d’une série de manifestations avec l’appui de certaines municipalités, en direction du monde associatif, des éducateurs, des jeunes… Sur la plan international : la Mission Polonaise des Nations Unies de Genève, a organisé un séminaire le 1er et 2 Juin 2012 pour lui rendre hommage et inciter à mettre en pratique ses idées. Notre mouvement ne peut rester à l’écart de ces initiatives, parce qu’historiquement des personnalités comme Mme François (Claude François Unger), compatriote de Korczak et créatrice de la Maison d’Enfants : « Le Renouveau », nous fit connaître l’œuvre de ce grand éducateur, à la fin des années 70. Celle-ci était membre du BN et du comité de rédaction de notre revue Dialogue. Plusieurs articles évoquèrent le parcours de ce pionnier de l’éducation nouvelle et une exposition lui fut consacrée à l’INRP. Mme François, ne cessa de nous rappeler qu’il fallait aller au-delà des évocations et célébrations (point de pleurnicheries ! répétait-elle…) car Korczak était à la fois : médecin, éducateur, écrivain, penseur d’avant-garde dont « la réflexion dépasse la cadre de son époque ». Dans sa maison d’enfants, tout comme avec Mme François, notre « aventurière » de l’éducation nouvelle ; il instaura des instances démocratiques pour que les jeunes puissent prendre parole et aient leur mot à dire sur des décisions qui les concernent. Ce fut une véritable république d’enfants qui vit le jour avec son parlement, son tribunal et son organe de presse : « La Petite Revue » (vendue en kiosque dans Varsovie). Korczak assura aussi pendant plusieurs années, des émissions de radio où il répondait aux questions des auditeurs. Il ne cessa d’être le propagateur des Droits de l’Enfant. Ses idées sont développées dans deux livres majeurs : « Comment aimer un enfant » et « Le Droit de l’Enfant au respect ». En ces temps de crise, les œuvres de Korczak, porteuses de valeurs humanistes, nous ouvrent des perspectives pour agir, que l’on soit adulte ou enfant, nous incitent à ne point nous résigner ou de nous laisser aller à quelconque fatalisme : « Les enfants sont de futurs adultes. Ils sont donc en devenir, absents en quelque sorte… Nous sommes cependant présents ; vivons, sentons, souffrons… » (J.K) « L’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en considération… » dit l’article 3 de la Convention Internationale de l’Enfant. Mais combien d’Etats, de gouvernements ayant ratifié la dite convention, appliquent-ils cette décision et recommandation ??? Nous, militant(e)s dans le champ de l’Education Nouvelle faisons en sorte de donner existence à ces droits. Pour en savoir plus, vous référer au site de l’AFJK : htpp://korczak.fr Rio 2012…Sommet de la Terre Colette CHARLET Comme je l’écrivais et l’annonçais dans des précédents numéros de Dialogue ; en particulier le N° 143, consacré au Développement Durable à un sommet de la Terre réunissant un grand nombre de chefs d’état dont le nôtre seront présents pour prendre un certain nombre de décisions. Mais sur quelles bases vont-ils les prendre, sur quelle légitimité ? A t-on demandé l’avis des peuples, des jeunes ? Que vaut notre avis face à celui de ce que l’on appelle les « experts » ? Peut-on continuer à s’accommoder de sociétés à plusieurs vitesses, soumises aux diktats de ceux qui savent, nous empêchent de nous exprimer, d’exercer notre esprit critique ? Ce qui en ressortira engagera notre avenir concret sur le long terme et parfois de manière irréversible. Alors, qu’est-ce que l’éducation nouvelle a à voir avec ces importantes questions politiques ? A échanger avec mes ami(e)s de l’Association Korczak, ces 1er et 2 Juin dernier, en compagnie de 15 pays différents, dont une importante délégation de pays africains (adultes – enfants) ; nous avons pris conscience que le lien était aisé à construire avec la pensée de Korczak. Comment préparer les jeunes, dès le plus jeune âge, par des activités de mise en recherche, de questionnement, par la formation à la prise de parole au sein d’instances démocratiques ; leur permettant de développer un esprit critique, de structurer leurs savoirs, de leur donner la capacité d’agir de construire des projets sur un long terme, de transformer des situations inacceptables. C’est ce que nous avons fait au sein d’un collectif d’associations, à l’initiative d’INDP (Intercultural Network for Development and Peace), pour porter la parole et les projets des jeunes jusqu’à Rio. Régionalement, en Rhône-Alpes, une exposition a été montée ; donnant à voir des initiatives et une compilation est en cours de réalisation, des réalisations vidéos circulent… Bref, un travail coopératif et participatif entre plusieurs pays et associations où le GFEN peut prendre sa place. Notre revue Dialogue y a répondu par son numéro consacré à cette question. Comme l’histoire du Rat de Gramsci (qu’il écrivit de sa prison) ; il nous faut être des personnes d’action et en recherche…car la question de l’écologie politique est bien une affaire de démocratie et d’exercice du débat d’idées.
Personnalisation, individualisation 1 février 2012 Valérie Pinton Jacqueline BONNARD février 2012 « Dans une société sans projet, on demande à chacun de construire le sien » écrivait JP BOUTINET dans son ouvrage « L’anthropologie du projet »[1]. Il constatait que nous passions ainsi d’une culture activo-passive à une culture pronominale caractérisant la culture « à projet » ; ainsi dans la sphère scolaire on ne dit plus « l’élève a échoué » mais « il s’est planté » ou encore qu’on oriente les élèves mais qu’ils s’orientent. Ce déplacement du collectif à l’individuel pose un problème d’éthique car il renvoie à l’individu lui-même la responsabilité de sa réussite ou le plus souvent de ses difficultés et échecs. On peut en effet s’interroger sur un projet d’école pour la réussite de chacun au détriment d’une école de la réussite pour tous. Même s’il est légitime de considérer que chaque individu est unique, on ne peut ignorer que les différences « d’aptitudes » à l’entrée de la scolarité sont fortement dépendantes des conditions sociologiques dans lesquelles l’enfant évolue. Dans ces conditions, individualiser les parcours risque de créer une discrimination qui ne veut pas dire son nom : aux manuels (ou non conceptuels, vocabulaire qui revient en force) l’obligation de s’orienter de façon précoce vers un métier au risque de ne pas se construire les outils intellectuels qui leur permettraient de rebondir en cas de difficultés, aux plus doués la possibilité d’apprendre et de se cultiver pour mieux choisir une orientation ultérieure. En collège, on voit apparaître ici et là, des établissements qui instituent des classes à projet spécifique s’appuyant sur des programmes « allégés » dont un des objectifs est de « réconcilier les élèves en difficulté avec le système scolaire » sans que soient remises en cause les pratiques pédagogiques qui ont induit les résultats observés. Le bénéfice escompté (mais inavoué) de ces projets est de permettre aux « bons élèves de pouvoir apprendre et progresser plus rapidement ». On voit bien ici la logique sous-jacente, une adaptation pour se mettre au niveau présupposé des élèves et réduire les exigences relatives aux savoirs à enseigner. Que dire également de l’aide individualisée qui isole l’élève et sa famille avec un sentiment de culpabilité injustifié ? Car si l’école ne parvient pas à atteindre les objectifs visés, faut-il en rendre coupables les usagers ou s’interroger sur les moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs ? Et si l’on commençait par considérer l’élève comme une personne et non un individu : une personne qui s’inscrit dans une histoire familiale, évolue dans un cadre social. Plutôt que d’isoler l’individu dans une problématique de manque, il serait plus pertinent d’analyser collectivement les difficultés récurrentes chez les élèves et de construire des réponses pédagogiques adaptées en considérant l’élève et sa famille comme des partenaires à part entière. Le dispositif pédagogique[2] majoritaire pour mener une séance de cours ou de formation répond à la logique de « l’indifférence à la différence »[3], c’est-à-dire qu’elle s’appuie sur un modèle implicite de « l’élève normal » qui adopterait spontanément les postures adaptées, apprendrait de façon fluide en répondant aux sollicitations de l’enseignant. De ce fait, les élèves les plus éloignés des évidences scolaires ne construisent pas de savoirs même s’ils participent aux activités proposées, de plus ils se trompent d’objet de travail puisque pour eux « l’important est de participer » en faisant plaisir à l’enseignant. Il s’agit donc moins d’individualiser la pédagogie selon les difficultés de l’un ou de l’autre que de proposer des situations d’apprentissage qui permettent à chacun de développer ses capacités et s’inscrire dans des réussites valorisées car reconnues par le groupe social. Ce qui importe c’est de mettre en œuvre les conditions d’une appropriation individuelle de savoirs communs dans une démarche collective. Cette approche nécessite d’inscrire le métier d’enseignant dans un collectif de travail et de réflexion qui interroge les savoirs, les pratiques pédagogiques, les supports utilisés. [1] JP BOUTINET (1990) L’anthropologie du projet [2] Au sens que donne Stéphane BONNERY (2007) : des dispositifs récurrents, de classe en classe, abstraction faite de la façon d’enseigner propre à chaque professeur. [3] BOURDIEU et PASSERON (1964) A lire : Du plan Langevin-Wallon à aujourd’hui : Les aptitudes, sens et usages sociaux. Jacques BERNARDIN Un éclairage sur la notion d’aptitude selon Henri WALLON en replaçant les écrits dans leur période historique puis en les questionnant au regard des discours actuels sur l’éducation. LIRE L’individualisation dans la classe, dans l’école, dans la société : une solution ? Stéphane BONNERY essaie de répondre à la question « L’individualisation : une réponse à l’exclusion sociale ? » en posant la question à trois niveaux : dans la classe, dans le système scolaire, dans la société. LIRE Ecole pour la réussite de chacun ou école de la réussite pour tous ? Les points de vue d’Agnès Van Zanten et Choukri Ben Ayed relayés par le café pédagogique. Ces deux auteurs réfutent l’idée « d’une école pour chacun » qui déplace la responsabilité de l’état vers les individus au détriment de l’objectif d’une école pour tous. Lire Livret Repères de l’IFE (ex INRP), Un dossier intéressant (2009) qui questionne la terminologie utilisée et donne quelques éclairages sociaux et éducatifs. Lire Les paradoxes de l’individualisation, un dossier XYZep de l’INRP qui apporte des éclairages de praticiens et de chercheurs sur cette question à une époque (2006) où la prise en charge personnalisée de la difficulté scolaire était un sujet de recherches et de réflexion. Lire Individuel/collectif en éducation : un faux débat ? Une intervention de Bernard BIER (2009) qui interroge l’approche éducative individualisée dans la lignée de certaines mutations sociales ; il montre que les apports de la recherche et la construction collective peuvent aider l’enseignant ou l’éducateur à « repenser le métier ». Lire
Les pratiques, parlons-en ! 1 janvier 2012 Valérie Pinton Jacqueline BONNARD, 2012 Plus de cinq cent personnes ont assisté à nos stages de rentrée autour d’un thème fédérateur « Des pratiques pour une autre école ! » Au-delà du slogan, de quoi s’agit-il ? Au regard des comptes-rendus produits par les groupes et secteurs du mouvement, on mesure l’intérêt que suscitent les outils proposés. Je dis « outils » pour ne pas entrer dans le rayon des « méthodes qui marcheraient » comme s’il suffisait d’appliquer une procédure ou une recette pour l’élève se construise des savoirs. Je dis « outils » car tout professionnel a besoin de savoirs formalisés pour exercer son action en fonction des objectifs visés. Je dis « outils » car au-delà de l’apparente facilité de l’exercice vécu ou observé, c’est la pratique de l’outil qu’il convient d’interroger Entrer dans le métier enseignant c’est endosser une identité collective faite de valeurs et d’habitus[1], c’est-à-dire d’un certain nombre de principes générateurs intériorisés par chacun d’entre nous et qui vont se traduire par des pratiques dont les caractéristiques sont identifiables comme relevant du métier sans pour autant présupposer de la visée consciente et de la maîtrise des opérations nécessaires pour atteindre les objectifs visés. Ainsi comme le souligne Stéphane BONNERY[2], Le dispositif pédagogique majoritaire pour mener une séance de cours ou de formation répond à la logique de « l’indifférence à la différence », c’est-à-dire qu’elle s’appuie sur un modèle implicite de « l’élève normal » qui adopterait spontanément les postures adaptées, apprendrait de façon fluide en répondant aux sollicitations de l’enseignant. De ce fait, les élèves les plus éloignés des évidences scolaires ne construisent pas de savoirs même s’ils participent aux activités proposées, de plus ils se trompent d’objet de travail puisque pour eux « l’important est de participer » en faisant plaisir à l’enseignant. De quoi sont révélatrices les pratiques produites et proposées par les militants du GFEN ? 1. Le pari du « Tous capables ! » Les critères actuels de réussite et d’échec scolaire induisent une relation dissymétrique entre ceux qui possèdent les codes de l’école et ceux qui en sont éloignés de par leur origine sociale, tout en instaurant un rapport conflictuel puisqu’apprendre et réussir ne peut se faire qu’à coté ou contre l’autre. Le pari philosophique du « Tous capables ! » s’appuie sur le regard positif porté sur les potentialités de chaque individu à interroger le monde pour s’en construire une représentation en cohérence avec les connaissances actuelles et devenir ainsi acteurs de leur propre vie. Encore faut-il que les situations d’apprentissage proposées permettent à chacun de mobiliser ses ressources internes et de se construire solidairement avec les autres des savoirs émanant du capital culturel bâti par les générations précédentes. 2. Le savoir au centre Plutôt que d’annoncer « l’élève au centre de…», il s’agit de s’interroger sur les savoirs à transmettre et les processus de transmission. Il n’y a de savoir que construit par un sujet, en interaction avec les autres. Ce faisant l’individu se construit comme sujet en construisant son savoir. Pour le GFEN, le savoir est à la fois un objet construit socialement et le processus de cette construction. « L’idée du savoir implique celle du sujet, d’activité du sujet, de rapport du sujet à lui-même, de rapport de ce sujet aux autres » [3] Cette approche nécessite une grande rigueur au niveau de la connaissance des concepts à aborder à la fois dans leur historicité et les obstacles épistémologiques[4] liés à leur construction. C’est sur cette connaissance que la situation d’apprentissage proposée aux élèves est construite dans la perspective d’une appropriation collective de ces savoirs. 3. Les processus de transmission des savoirs « On n’apprend jamais que seul, on n’apprend jamais qu’avec les autres », avons-nous coutume de dire. En proposant la démarche auto-socio-construction, le GFEN favorise la mobilisation de chacun, installe le nécessaire conflit socio-cognitif et permet l’élaboration collective d’une synthèse active des savoirs abordés. Par la réussite de l’entreprise, ce processus installe une image positive de soi et de ses capacités. Mais peut-on parler de pratiques sans évoquer la formation professionnelle des enseignants ? Malgré les affirmations selon lesquelles le métier d’enseignant s’apprend en enseignant, ce qui a motivé la suppression de la formation initiale des professeurs néotitulaires, de nombreuses recherches montrent la nécessité d’une formation de haut niveau. Il y va de la qualité d’un enseignement qui doit contribuer à l’élévation générale des connaissances du corps social. Comme toute profession, les enseignants ont à se construire des compétences et en particulier celle d’analyser leurs pratiques pour prendre conscience de l’écart toujours présent entre travail prescrit et travail réel, entre objectifs visés et objectifs atteints, afin de rechercher les solutions pertinentes pour en améliorer les effets. Ceci ne peut se passer que par un travail réflexif collectif fait de récits de pratiques, d’échanges entre pairs, de comparaisons des stratégies pédagogiques adoptées. La verbalisation de la pratique génère un cadre interprétatif de l’acte professionnel et oblige à un dialogue entre théorie (apport de la recherche sur les items explorés) et pratique (situations de classe analysées). Intégrer à la formation professionnelle des enseignants les travaux relatifs à l’ergonomie du travail (en particulier d’Yves Clot[5]) d’une part et les apports des nouveaux pédagogiques d’autre part pourrait contribuer à une formation professionnelle plus formatrice que « formatante ». A lire La démarche d’auto-socio-construction du savoir, Odette BASSIS Dialogue n° 120 – Le savoir ça se construit, l’émancipation aussi, 2006 Définition et retour sur un concept élaboré par Odette et Henri BASSIS dans le cadre du GFEN et dans la lignée de la psychologie constructiviste (Piaget, Wallon, Vygostsky). Pour les militants du GFEN, l’apprentissage n’est pas affaire de recettes mais de stratégie ; le savoir ne se transmet pas, il se construit ; l’acte d’apprendre est un acte singulier, individuel ; l’apprentissage se conduit dans un cadre socialisé : « on n’apprend jamais que seul mais on apprend avec (coopération) et contre les autres (contradiction et confrontation) ». Lire Voir aussi la vidéo d’une intervention d’Odette BASSIS à ce sujet : http://www.dailymotion.com/video/xfv79f_2-l-auto-socio-construction-du-savoir-odette-bassis_news Quelques pratiques et démarches proposées par des militants du GFEN : La copie, cela s’apprend ! Corinne OJALVO Dialogue n° 145 – Du refus d’apprendre au pari de comprendre , juillet 2012 Une copie pour apprendre à copier… sous l’œil observateur d’un camarade avec retour réflexif sur les procédures utilisées : découpage syllabique, référence sémantique, remarque morphologique… Lire Entrer en littérature par la pensée effervescente ou la mise en œuvre d’un chantier au CE2, Ghislaine MORANT Dialogue n° 145 – Du refus d’apprendre au pari de comprendre, juillet 2012 Penser collectivement le métier. Le groupe cycle3 du GFEN38 a mis en place un chantier de lectures afin de proposer une alternative aux situations de travail traditionnelles en classe. Lire Jour de rentrée, les cinq premières minutes, Jacqueline BONNARD Dialogue n° 103 – Collège, diversifier ou démocratiser l’accès au savoir, 2002 De l’importance d’installer une véritable rencontre lors de « la prise de contact » avec une classe. Lire La place du symbolique dans la conceptualisation, Odette BASSIS Dialogue 139 – Écrire ses pratiques, 2011 Retour sur une démarche d’auto-socio-construction, ouvrant sur la notion d’addition qui donne matière à revenir sur les étapes de conceptualisation. Lire Du texte littéraire aux concepts en technologie Jacqueline BONNARD, Philippe GESSET Dialogue Hors Série – Prendre pouvoir sur l’écrit, 2011 Introduire une séquence en technologie par l’étude d’un texte littéraire, c’est le défi que deux enseignants (un professeur de technologie et un professeur de lettres) d’un collège « Ambition-Réussite » de Tours se sont lancés. Lire « Les chocolats littéraires » Pourquoi des débats littéraires à l’école maternelle, Sylvie MEYER-DREUX Dialogue n° 134 – Pour que la maternelle fasse école, 2009 Evoquer le débat à l’école maternelle soulève parfois des réticences car envisagé comme trop complexe pour de jeunes élèves. Pourtant, ce mode de communication met en jeu des capacités fondamentales tant sur le plan linguistique, cognitif et social que sur le plan individuel… Lire Une pratique du débat à l’école primaire, Marie SERPEREAU Dialogue n° 107 – Oeuvrer pour la paix : les paradoxes du conflit, 2003 Dans la salle polyvalente de l’école, du côté des grands pour cette école à deux ailes, les chaises sont disposées en deux cercles concentriques. Le cercle intérieur est réservé aux enfants qui se sont inscrits comme participants au débat quelques jours auparavant. Le second cercle, le cercle extérieur attend les auditeurs… Lire Le magistral et la mise en activité, Maria-Alice MEDIONI Dialogue n° 136 – Transmettre. Enjeux sociaux et pratiques éducatives engagées, 2010 Comment mettre en activité des étudiants lors d’un cours magistral intitulé « Apprentissage et didactique des langues » et installés dans un amphi ? Lire L’atelier de création poétique, à propos de l’acte d’écrire Christine JEANSOUS, Michel POLETTO Dialogue Hors Série – Prendre pouvoir sur l’écrit, 2011 Ecrire, loin d’être un simple transcodage de l’oral est une vraie « bataille » avec la langue et l’acte d’écrire est une activité à part entière, bien particulière. Lire L’atransmission, des chantiers pour créer… des ateliers… des démarches, Bernard MAYAUDON Dialogue n° 137 – Education Nouvelle en marche. Chantiers d’avenir, 2010 Pratique du secteur Arts plastiques, Recherche et Création, il s’agit d’un dispositif pour permettre à TOUS l’invention d’ateliers, de démarches. Lire « Le triomphe par le ratage » Dans les parages d’Henri Michaux, Odette et Michel NEUMEYER, Dialogue n° 138– Difficulté scolaire. comment retourner la peau du destin ? Actes des 3èmes rencontres nationales sur l’accompagnement (St Denis, 27-28 mars 2010) 2010 La formule, provocatrice à souhait, est du plasticien et écrivain belge Henri Michaux. Les auteurs en ont fait un atelier de création pour interroger les notions de réussite, d’échec d’essai et d’erreur. Lire Penser le Tous capables, Maria-Alice Médioni Dialogue n° 109 – Tous capables ! Quel travail ! 2003 Une réflexion autour la posture de l’animateur et de la nature de l’activité à proposer dans une séquence d’apprentissage. Lire Le rôle des attentes dans la construction de l’image de soi : l’effet « Pygmalion » Jean Bernardin Dialogue n° 138 – Difficulté scolaire. comment retourner la peau du destin ? Actes des 3èmes rencontres nationales sur l’accompagnement (St Denis, 27-28 mars 2010) 2010 Toute action de transmission repose sur des théories implicites concernant le regard que l’on porte sur l’apprenant, nos attentes à et notre conception de l’objet à transmettre (avoir, geste professionnel…). Lire Mais d’autres pratiques et démarches figurent dans les différents numéros de notre revue Dialogue. Lire également : Un dossier de l’IFE : Les effets des pratiques pédagogiques sur les apprentissages, n° 65, septembre 2011 – Auteur(s) : Annie Feyfant http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA/detailsDossier.php?dossier=65&lang=fr Existe-t-il des pratiques pédagogiques efficaces? La recherche en éducation peut-elle apporter une réponse à cette question? Cette revue de littérature tente de cerner les réponses apportées, surtout hors de nos frontières. Plusieurs courants de recherche tentent de répondre à la question « Qu’est ce que l’efficacité en éducation ? ». On pourrait faire état des travaux sur l’effet-maître, l’effet-établissement. Les travaux sur l’efficacité entremêlent les différents facteurs qui semblent favoriser les apprentissages. [1] Pierre BOURDIEU : Le Sens pratique, Les Éditions de Minuit, 1989, p. 88-89). [2] Au sens que donne Stéphane BONNERY (2007) : des dispositifs récurrents, de classe en classe, abstraction faite de la façon d’enseigner propre à chaque professeur [3] Bernard CHARLOT, Du rapport au savoir, poche éducation (p. 70) [4] Gaston BACHELARD, La formation de l’esprit scientifique. [5] Yves CLOT, Chaire de Psychologie du travail, CNAM
Réussir sa première classe, Ostiane Mathon 1 janvier 2012 Valérie Pinton Réussir sa première classe Ostiane MATHON Editions ESF et le Café Pédagogique, 2012 Un ouvrage plutôt bien fait qui s’adresse en priorité aux collègues qui entrent dans le métier. Le style est simple, facile d’accès et synthétique. L’auteur balaie les différentes questions que se pose le praticien débutant : Comment préparer sa classe ? Comment installer les rituels d’accueil ? Comment s’organiser et planifier,utiliser les différents affichages ?… Agrémenté de nombreux exemples concrets, commentés et accompagnés de ressources bibliographiques sur lesquelles nos jeunes collègues peuvent s’appuyer pour appréhender les différentes facettes du métier, ce livre propose des réponses aux interrogations portant sur « l’ordinaire de la classe ». L’auteur insiste sur la nécessité d’une approche collective du métier et d’un travail en réseau aussi bien dans le cadre de l’établissement scolaire que dans la relation aux parents. On peut regretter cependant que la partie concernant les situations d’apprentissage soit peu approfondie et s’organise autour de quelques définitions et postures de l’enseignant. Les conseils sur la nécessaire connaissance de soi et l’observation des profils d’apprentissage des élèves ne suffiront pas à outiller correctement l’enseignant débutant. Malgré tout, l’ouvrage peut servir de cadre rassurant grâce aux conseils et astuces donnés par l’auteur au professeur débutant pour adopter une attitude réflexive par rapport à sa pratique. Jacqueline BONNARD
Du tri à l’exclusion 30 novembre 2011 Valérie Pinton Du plan Langevin-Wallon à aujourd’hui, Jacques BERNARDIN, 2011, Lire Du rapport Thélot à la loi Fillon en passant par les déclarations et textes plus récents, les discours sur l’éducation utilisent la notion d’aptitudes, de talents propres à chacun pour justifier l’individualisation des cursus et l’abandon des ambitions démocratiques au nom d’un pragmatisme qui serait plus adapté aux besoins économiques d’aujourd’hui. On a même pu entendre certains responsables justifier ces choix en faisant référence au Plan Langevin-Wallon qui, lui-même, parlait d’aptitudes. Qu’en est-il exactement à chacune des époques ? D’hier à aujourd’hui, quel sens est attribué à cette notion et au service de quelles finalités ? Ecole pour la réussite de chacun, les points de vue d’Agnès VAN ZANTE et Choukri BEN AYEB, 2011, Lire L’individualisation dans la classe, Stéphane BONNERY, 2009, Lire En partant de ses travaux et en empruntant à des recherches réalisées par des collègues, l’auteur essaie de répondre à la question « L’individualisation : une réponse à l’exclusion sociale ? », en posant cette question à trois niveaux.1 – « L’individualisation dans la classe : inégalités, compensation, lien social et leurre ».2 – de l’individualisation dans la classe à « l’individualisation dans le système scolaire », et notamment l’individualisation dans le traitement de la difficulté scolaire.3 – « L’individualisation dans le système économique et dans la société », en traitant de la relation entre les contradictions qui sont dans la société et celles dans la salle de classe. « Individuel/collectif en éducation : un faux débat ? », Bernard BIER,2009, Lire Les paradoxes de l’individualisation, bulletin XYZep du Centre Alain Savary, 2006, Lire Les difficultés d’apprentissage seraient-elles des pathologies qu’il conviendrait de soigner ? Jacqueline BONNARD A tous les niveaux de la scolarité, les injonctions faites aux enseignants, aux éducateurs sont fortes pour dépister, prévenir, anticiper… afin d’individualiser et traiter les difficultés de façon parcellaire, en rejetant sur l’individu lui-même les causes du dysfonctionnement. A force de chercher des causes individuelles à des difficultés scolaires qui pourtant sont communes à un certain nombre d’élèves issus le plus souvent des classes populaires, on en vient à concevoir la difficulté scolaire comme une maladie. Le vocabulaire utilisé est d’ailleurs sans ambiguïté : on dépiste pour prescrire, on diagnostique pour prévenir, on traite le « problème » après avoir identifié la nature du « dys »fonctionnement en externalisant ce qui pourrait être pris en charge dans le cadre de la classe par une approche pédagogique concertée. Le courant neurocomportementaliste tente d’imposer cette conception : prolifération des « dys » (dyslexie, dyscalculie, dyspraxie…), arrivée massive de troubles (de l’attention, de langage, de mémoire…), comme autant de d’indicateurs attestant d’un dysfonctionnement génétique ou neurologique empêchant d’apprendre. Dans un modèle où la difficulté est renvoyée à chaque individu comme un problème personnel à résoudre -ou pire à une fatalité-, la porte est ouverte à une médication dont les effets peuvent être dévastateurs. Tout se passe comme s’il n’existait pas de mémoire pédagogique faite de connaissances et d’expériences à partager, comme si l’expertise de l’enseignant se cantonnait aux routines installées dans la classe. Pourtant l’école a besoin de construire du collectif, à commencer chez les professionnels de l’enseignement : échange de pratiques, regards croisés sur les élèves, élaboration de projets de classe, réflexion sur les enjeux et les visées… Au sein d’une société ou l’individualisme triomphe, le risque est de faire imploser l’institution si les problèmes repérés sont compris comme organiques ou physiologiques alors même que les sciences de l’éducation nous apprennent que la difficulté est constitutive de l’apprentissage et qu’il conviendrait d’analyser ce qui fait obstacle chez certains élèves. La tentation est grande de laisser croire que les réponses à la difficulté scolaire se trouvent soit dans le soutien scolaire (rattrapage, révisions, aide aux devoirs…) soit dans le soin (orthophonie, rééducation, suivi psychologique…). Il ne s’agit pas de nier l’intérêt scientifique des neurosciences dont l’apport nous permet de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau, mais face à une dérive idéologique, on peut à juste titre s’inquiéter de cette propension à externaliser la résolution du problème de l’élève en laissant croire que ses difficultés n’ont pas de rapport direct avec l’enseignement proposé d’une part, et des discours de neuroscientifiques peu soucieux de l’éthique nous expliquant comment « dépister » dès le plus jeune âge les enfants « à risques ». Attention ÉCOLE : enfants À RISQUE ! Un texte de Laurent CARLE, psychologue scolaire. Face à l’indignation justifiée par le projet gouvernemental de dépistage des enfants « à risques », l’auteur incite à signer la pétition mais s’interroge sur les tabous qui verrouillent les esprits et lient les langues, empêchant les enseignants à faire évoluer un système d’évaluation qui relève d’un logique élitiste. Avec en prime, un lien sur le document « protocole d’évaluation en grande section » sensé aider les enseignants à repérer « l’enfant à risque ». On connaissait la dysphasie, la dyslexie, la dysorthographie, la dyscalculie… Un billet d’humeur de Guy TRIGALOT Maître E, qui s’interroge sur « le besoin de néologismes pseudo-scientifiques qui font penser que l’on a une docte maîtrise du problème » Dyslexie, hyperactivité (et terreurs nocturnes), dysphasie : pédopsychiatrie ou neurospychiatrie ? Un article très complet et intéressant de Michel S Levy* sur la tentation de médicaliser les difficultés scolaires à partir d’études pseudo-scientifiques qui visent en outre à déresponsabiliser les différents professionnels et de faire porter massivement sur les sujets souffrant la responsabilité de ce qui se passe. *Michel S LEVY : Psychiatre, PsychanalYste à Rodez, auteur de « Psychanalyse : l’invention nécessaire », 2005, L’Harmattan et « Psychanalyse : une éthique de l’engagement » 2011, L’Harmattan Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent. Rapport de l’INSERM – 2005La lecture du rapport de l’INSERM auquel tous les auteurs font référence est fort utile si l’on veut comprendre ce qui se joue et comment – et quoi- l’idéologie libérale s’appuie sur une étude à priori « neutre et désintéressée » pour exclure. Livre Nos enfants sous haute surveillance, Sylviane Giampino, Catherine Vidal, Albin Michel, 2009 http://www.albin-michel.fr/Nos-enfants-sous-haute-surveillance-EAN=9782226189998 Site du Collectif Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans : www.pasde0deconduite.org/
Quels freins à la démocratisation ? 1 juillet 2011 admin Jacques BERNARDIN, Président du GFEN, Assises d’Aubagne 2011 «La nécessité pour tous de savoir lire / écrire est un phénomène récent »[1]. L’histoire montre que cette pratique sociale a été inventée par et pour une élite, que c’est un instrument de pouvoir tant sur le plan matériel (gestion des impôts, des récoltes, lois, comptabilité) que spirituel (transmission des mythes fondateurs). Nécessité économique d’ouvrir l’école, choix politique d’en limiter l’accès : c’est dans cette tension que, de tout temps, s’est constituée l’école… Et les traces du passé sont instructives pour penser son avenir. A/ La conquête du droit à l’instruction On considère souvent que l’Ecole commence avec Jules Ferry. Or, « les grandes lois scolaires interviennent à un moment où la cause de l’alphabétisation des Français est déjà largement gagnée»[2]. I. Sous l’Ancien régime : le besoin d’école (16è-17è siècle) L’école élémentaire est déjà florissante avec l’imprimerie (Gutenberg : 1447-1450) et surtout, à la demande de l’Eglise, des communautés urbaines et rurales et de l’Etat. 1) L’Eglise : Luther, en 1524, envoie une lettre aux Conseils des villes allemandes pour qu’elles entretiennent des écoles obligatoires. « La réforme fait d’une invention technique une obligation spirituelle. Elle substitue à l’immensité des commentaires savants et inaccessibles sur l’Ecriture le texte même de la Parole de Dieu, offerte au fidèle dans sa langue.» (Furet, Ozouf). L’Eglise catholique décide de combattre la Réforme avec ses armes. C’est le sens du Concile de Trente (1563) : préserver son hégémonie avec des écoles élémentaires sous son contrôle. Quel est alors le rôle de l’école ? Pour l’Eglise, elle a une finalité chrétienne et morale : « normaliser le comportement social par l’intériorisation d’une morale pratique aux règles simples : respecter ses parents, obéir aux maîtres, avoir des mœurs purs, fuir le mal ». 2) Les communautés urbaines et rurales. Dès le 16è s., la demande des villes est plus forte (centres de commerce, des échanges, de pouvoirs). Dans le monde rural, c’est d’abord la classe moyenne (paysans exploitants, petits marchands, artisans) qui demande l’école pour ses enfants, la France à haute productivité agricole. 3) L’Etat Intervient au 16è et au début du 17è pour soutenir l’Eglise (Révocation de l’Edit de Nantes). … mais trop d’instruction pourrait nuire. Dès le début du 17è siècle, l’argument est développé auprès du Roi de France, on le trouve sous la plume des députés du clergé aux Etats de 1614, on le retrouve dans le testament de Richelieu : « le développement inconsidéré de l’instruction risque de ruiner l’agriculture et le commerce, vraies sources de la richesse de l’Etat, par le drainage de la population vers la chicane et les belles-lettres ». *« Dans ces écoles on enseignerait seulement à lire et à écrire, chiffrer et compter,en même temps on obligerait ceux qui sont d’une naissance basse et inepte pour les sciences à apprendre les métiers et on exclurait même de l’écriture ceuxque la Providence a fait naître d’une condition à labourer la terre, auxquels il ne faudrait qu’apprendre à lire seulement (…)» (Mémoire sur les Raisons et moyens pour la Réformation des universités à 1667) Le risque ne serait pas qu’économique, mais aussi social : « l’instruction créera plus d’espérances de promotion qu’il n’y a d’emplois disponibles hors du travail manuel ; d’où le risque d’un vaste parasitisme social, menaçant l’équilibre d’une société où les chances sont inscrites dans la naissance des individus ». *« Si les lettres étaient profanées à toutes sortes d’esprits, on verrait plus de gens capables de former des doutes que de les résoudre, et beaucoup seraient plus propres à s’opposer à des vérités qu’à les défendre… On y verrait aussi peu d’obéissance que l’orgueil et la présomption y seraient ordinaires. » (Richelieu, Testament politique à 1688) II. Pendant la Révolution (18è siècle) La Révolution invente une image de l’école, y investit son propre avenir, en fait l’enjeu central d’un affrontement politique et culturel. L’école sera le creuset des nouvelles valeurs démocratiques. 1) Dès 1789, la Constituante transfère aux autorités administratives les pouvoirs de l’Eglise sur l’Ecole… mais cela nécessite du temps et de l’argent. En fait, on composera avec le réseau déjà existant (communautés locales), en concurrence avec le réseau d’ « écoles particulières ». 2) Le projet Condorcet (1792). L’époque est propice à l’émergence d’un nouveau « besoin de lire » (les lois, les journaux, les nouvelles). Avec Condorcet, premier projet d’alphabétisation de masse (« Cinq mémoires sur l’instruction publique ») : l’Instruction Publique est un devoir de la société à l’égard des citoyens, condition pour permettre à chacun de connaître et d’exercer ses droits tels qu’ils sont garantis par la loi. ; il s’agit de « diminuer l’inégalité » due aux différences des conditions sociales ; d’« augmenter dans la société la masse des lumières utiles », de viser « le perfectionnement de l’espèce humaine ». Ce projet « révolutionnaire » parle d’égalité hommes / femmes et d’instruction tout au long de la vie (avec l’organisation de conférences hebdomadaires). Mais ce plan ne sera jamais appliqué dans son ensemble. Outre lecontexte politique troublé, il y a des divergences fondamentales quant au bien fondé et à la nature de l’instruction à donner au peuple. – « Mon invariable maxime est ce mot : un peu, mais pas trop ; beaucoup de pratique, point de science». (Philipon de la Madeleine à 1793) Pour certains philosophes des Lumières eux-mêmes… – « Le pauvre n’a pas besoin d’instruction ; celle de son état est forcée, il n’en saurait avoir d’autres » (Rousseau). -Voltaire : « Ce n’est pas le manœuvre qu’ilfaut instruire, c’est le bon bourgeois, l’habitant des villes ». – Destutt de Tracy : « Les enfants du peuple doivent surtout prendre très tôt l’habitude du travail pénible auquel ils sont destinés et ne peuvent donc « languir longtemps dans les écoles »… III. Au 19è siècle Dès le début du 19è, la demande de l’opinion a provoqué le développement de l’instruction (notamment dans la petite bourgeoisie :artisans, commerçants ; employés du commerce, des banques, de l’administration ; contremaîtres et ouvriers qualifiés). On s’interroge par ailleurs sur ce qui se passe à l’étranger, où on s’aperçoit que le développement économique est lié à celui de l’instruction (cas de l’Allemagne protestante, de la Hollande, de l’Angleterre avec ses écoles mutuelles). 1) Guizot en 1816 : « l’instruction publique appartient à l’Etat » – Loi de juin 1833 : obligation pour tout maître d’école d’obtenir un Brevet de capacité (délivré par une commission départementale indépendante) ; pour toute commune de plus de 500 hab., d’entretenir une école primaire, et assurer le vivre au maître ; pour tout département : Ecole Normale primaire de garçons. – 1834 : Première tentative d’organisation pédagogique de l’école élémentaire – 1835 : création du corps permanent des Inspecteurs des Ecoles Primaires. *Création d’écoles primaires / Ecoles Normales… Mais il ne faut pas donner aux élèves « des goûts et des habitudes incompatibles avec la condition modeste où il leur faudrait retourner » (Guizot) *Il faut « veiller à ne pas trop étendre l’enseignement ; insister sur l’instruction morale et religieuse, fondamentale ; développer l’esprit d’ordre » (Guizot, Lettre aux directeurs d’École Normale – oct. 1834) *« L’homme de quelque pays qu’il soit, qui veut devenir un bon ouvrier, doit commencer par se défaire de l’idée exagérée de son propre mérite. » (Le Moniteur Industriel, 1837) 2) V. Duruy : – 1865 : les communes de plus de 800 hab. : création d’une école spéciale de filles – 1867 : généralise la gratuité. Dans les communes de plus de 500 hab., crée les bibliothèques scolaires, la caisse des écoles, et propose un nouveau programme (avec des rudiments d’histoire et de géographie). > Fin années 1870 : 81 % des écoliers fréquentent les écoles publiques (91 % des garçons ; 70 % des filles). 3) Jules Ferry -1870 : « Discours sur l’égalité d’éducation » : il s’agit de « faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui viennent de la naissance, l’inégalité d’éducation ». -Grandes lois scolaires : 1881-82 (IIIè République) 1/ Obligation (de 6 à 13 ans) et gratuité 2/ Création obligatoire des Ecoles Normales d’Institutrices 3/ Construction obligatoire de maisons d’école dans communes et hameaux 4/ Laïcisation de l’école, du corps enseignant (pour affranchir l’enseignement primaire de toute influence religieuse). Pourquoi créer l’Ecole obligatoire et gratuite ? Pour des raisons économiques (former la main d’œuvre dont la révolution industrielle a besoin) mais aussi politiques : il faut fonder la République (sortir du conflit entre la bourgeoisie républicaine / le parti monarchiste et clérical ; les conservateurs / la classe ouvrière). * Il s’agit pour l’école républicaine de substituer l’enseignement moral et civique au catéchisme *… mais aussi de « préserver les intelligences (…) du socialisme grossier et malsain (…) Si les institutions arrivent à enseigner la morale sociale… ce sera l’émancipation intellectuelle et morale venant après l’émancipation politique et la mettant à l’abri des orages » (Jules Ferry, Progrès de la Somme à 1878) Discours de Jules Ferry (1879) devant le Conseil général des Vosges : « Dans les écoles confessionnelles, les jeunes reçoivent un enseignement dirigé tout entier contre les institutions modernes. On y exalte l’ancien régime et les anciennes structures sociales. Si cet état de choses se perpétue, il est à craindre que d’autres écoles se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans, où l’on enseignera des principes diamétralement opposés, inspirés peut-être d’un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871. » (… « grâce à notre école, nous fermerons l’ère des révolutions »)[3]. Les écoles Primaires Supérieures *Le lycée pour les uns, l’école primaire supérieure pour les plus méritants des autres… *qui ne doit pas être « une contrefaçon malheureuse de l’enseignement secondaire » mais plutôt «une école primaire – perfectionnée » (J. Ferry à 1881) – De 1880 à 1930, seulement 5 % d’une génération accède au Secondaire (2 à 2,5 % obtiennent le Baccalauréat) *« Qu’il y ait pour tous des lumières, soit, mais que ces lumières n’éclairent chacun que dans la mesure qu’exigent ses besoins et que permettent ses capacités » (G. Compayré – 1908) B/ L’ouverture du Secondaire I. La transition : 1920-1959 1) Après 1914-1918 : Les « Compagnons de l’Université Nouvelle », universitaires combattants qui ont côtoyé le peuple dans les tranchées posent le problème de l’école unique et proposent de poser la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans. « Séparer dès l’origine, les Français en deux classes et les y fixer pour toujours par une éducation différente, c’est aller à l’encontre du bon sens, de la justice et de l’intérêt national. (…) Les pères ont veillé dans les mêmes tranchées (…) les fils peuvent bien s’asseoir sur les mêmes bancs »[4] argumentent-ils. Dans les années 20, le taux de croissance est élevé, il y a un essor de la production et de la consommation de masse, ce qui requiert une adaptation aux réalités industrielles nouvelles. -1926 : alignement des programmes des écoles élémentaires des lycées sur ceux du primaire. -1927 : gratuité pour tout le secondaire. 2) Période du Front Populaire : -1936 : Jean Zay rend la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans (et propose d’accueillir tous les élèves en 6è, avant de les orienter en section classique, moderne ou technique). -1937 : intégration des écoles primaires supérieures à l’enseignement secondaire. 3) L’après-guerre : Après la Libération, la volonté de démocratiser l’enseignement secondaire s’affirme de plus en plus, dans une période de reconstruction et d’essor économique important. -1947 : Plan Langevin-Wallon. Mûri dans la Résistance, bien que jamais appliqué, il restera une référence. Ce plan propose l’allongement de la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans, et de créer un cycle d’orientation : un enseignement commun jusqu’en 5è, des options en 4è et 3è, avant l’orientation théorique (Baccalauréat), professionnelle (BEP) ou pratique (CAP). II La naissance du système scolaire moderne : 1959-1975 En 1958 (4è République), 43 % des jeunes accèdent en 6ème. Or, au cours des « trente Glorieuses » 1945/1975, les besoins économiques ne cessent d’exiger davantage de formation. 1) Réforme Berthoin (1959) : – la scolarité obligatoire est portée à 16 ans (doit prendre effet en 1967… attendra 1971) ; Première modification structurelle importante, qui réalise la diversification des filières scolaires, développe l’enseignement préprofessionnel et technologique. 2) Réforme Fouchet (1963) Unifie le premier cycle (6è/3è), en un établissement unique, le CES (Collège d’Enseignement Secondaire) … mais le 1er Cycle en lycée durera jusqu’en 1978. *« La structure pédagogique que nous avons donnée au CES et que j’ai personnellement veillé à faire adopter pour eux est la garantie de cet enseignement hiérarchisé, ou en tout cas différencié qui te paraît à toi-même si nécessaire » (Lettre de Georges Pompidou [1er Ministre] à un ami à 1965) Même collège ne signifie pas scolarité uniforme. En 1974 : – 77 % des enfants de manœuvres/OS sont entrés en 6è en retard (16 % des enfants de cadres supérieurs) ; – plus de 80 % des élèves du technique court ou en classes préprofessionnelles sont des milieux populaires ; 3) Réforme Haby (1977) : le collège unique Années 73-75 : choc pétrolier, fin des « Trente Glorieuses ». Il faut investir davantage dans la formation pour faire face à la nouvelle donne économique, au chômage, à l’incertitude de l’avenir. La création du collège unique parachève l’unification du secondaire (2.500 collèges construits en 10 ans, un par jour !) Pour R. Haby, « Faire en sorte que toutes les catégorie sociales aient accès, dans des conditions de chances égales (aux formations de haut niveau) est devenu un objectif essentiel du système scolaire ». Les thèmes des discours : orientation positive et raisonnée (non subie), compenser les handicaps, pédagogie de soutien… On ne sélectionne plus, on « diversifie »… Enfin l’égalité ? En fait, le tronc commun ne concernera que les 6è-5è… Jusqu’à la fin des années 90, des élèves seront orientés ensuite vers les CPPN (Classes préprofessionnelles de niveau) et les CPA (classes préparatoires à l’apprentissage). De 1975 à 1985, le taux de redoublement en fin de 5è double pour dépasser 16 % III- La démocratisation de l’accès au lycée (1980-90) En 1981, arrivée de la Gauche… sur fond de crise persistante d’une école qui cherche à s’adapter à la société moderne : évolution de la famille, explosion des nouvelles technologies, rupture du lien formation / emploi, moindre prévisibilité de l’avenir… Tout concourt à investir davantage dans les études. 1) A. Savary (1981-84) réellement attaché à la démocratisation de l’école, a un souci constant d’améliorer la formation de tous les jeunes. Il propose de porter à 80 % le nombre d’élèves dans le 2nd Cycle. Il crée les ZEP, les PAE, lance la rénovation des collèges, met en place les MAFPEN, développe l’informatique à l’école, organise des journées de réflexion dans les établissements, commandite une série de grands rapports sur le collège (L. Legrand), le lycée (A.Prost), les contenus (Bourdieu, Gros). Il veut « un grand service public unifié et laïque ». Le 24 juin 1984, 1 Million de personnes défilent à Versailles pour l’école « libre ». Savary chute. J-P. Chevènement lui succède, met l’accent sur le « lire-écrire-compter », parle d’ « élitisme républicain ». On passe d’une volonté de démocratisation à une logique de compétitivité économique. R. Monory (1986-87), avec la Droite, reprend l’idée des 80 % niveau Bac, « Objectif légitime de démocratisation mais encore une nécessité dans la compétition économique internationale à laquelle notre pays est de plus en plus inéluctablement confronté ». 2) La loi d’orientation Jospin (1989) marque un tournant dans les missions jusqu’alors assignées à l’école, doublant le droit à la scolarité par le droit à la culture et à la qualification pour tous. L’objectif : conduire l’ensemble d’une classe d’âge au minimum niveau CAP ou BEP, et 80 % au niveau du Baccalauréat. Politique des cycles, projets d’établissements, place des parents (Conseils d’école), promotion du travail en équipes pédagogiques, évaluation…. Et formation dans les IUFM créés à cette occasion, avec des formations communes aux divers niveaux d’enseignement. IV- L’actualité : la nouvelle donne européenne (2000-2010) Bond en avant des nouvelles technologies, mondialisation sur fond de chômage persistant. Nécessité d’une hausse du nombre de diplômés… mais « Tous les élèves n’embrasseront pas une carrière dans le dynamique secteur de la « nouvelle économie » – en fait, la plupart ne le feront pas à de sorte que les programmes scolaires ne peuvent être conçus comme si tous devaient aller loin ». (Rapport de l’OCDE, Paris à 2001). 1) Du rapport Thélot à la loi d’orientation Fillon (2005) Il s’agit moins de viser la démocratisation que d’être pragmatique et d’adapter l’école aux nouvelles règles de compétitivité qui prévalent en Europe. « Dans un contexte de mobilité professionnelle de plus en plus généralisée, l’Ecole doit se concevoir comme une première étape, essentielle, dans le processus de formation tout au long de la vie ». L’Ecole ne doit plus seulement « dispenser des connaissances », elle doit surtout « mettre l’accent sur les savoir-faire et les savoir être qui donnent à chacun la capacité à faire face aux situations nouvelles » et « transmettre aux élèves les valeurs morales qui fondent la vie en société ». Autrement dit, il faut viser l’« adaptabilité » et l’« employabilité », sur une base opératoire et comportementale bien mieux adaptée aux besoins de l’entreprise moderne. 2) Du collège unique au collège pour tous… *« au collège unique, il faut substituer le collège pour tous qui donne à tous les collégiens un cœur de connaissances communes (…), mais selon des parcours diversifiés et personnalisés. » (Alain Juppé à 2003) *Il faut « assumer sereinement la différenciation scolaire (…) soutenir les plus faibles, tout en encourageant les meilleurs à se dépasser.» (Rapport Thélot, 2004) *« La vocation du collège unique n’est pas de former des élèves à l’identique (…) Le collège doit donc concevoir des solutions permettant de répondre aux besoins de chaque enfant, les uns pour poursuivre l’acquisition du socle, les autres pour avancer plus vite dans certaines disciplines. » (N. Sarkozy, Convention UMP sur l’Éducation àfév. 2007) C/ Des choix politiques à la justification des inégalités… Malgré l’ouverture des portes du Secondaire, si les inégalités perdurent, il faut les justifier… Théorie des dons, de l’intelligence manuelle… *« Il naît des hommes, il naît des femmes, il naît des filles uniques et des familles de dix enfants, il naît des enfants doués pour l’étude et d’autres doués pour les travaux manuels. Ce sont des disparités, des différences neutres par rapport à tout sentiment de justice ou d’injustice. (…) Les disparités sont inévitables. » (Valéry Giscard d’Estaing, 1972) *« L’intelligence du jeune être est manuelle ;elle le reste pour beaucoup d’adultes leur vie durant.» (René Haby, 1975) De la diversité des élèves aux différences de capacité, de maturité… *« On a fait une grande erreur avec le collège unique car tous les enfants ne sont pas égaux » (Jacques Chirac à 1996) *« Le collège unique n’était pas une bonne idée parce qu’il sous-estimait la diversité de nos enfants, leurs différences de niveau, de capacité, de curiosité, de maturité… (Alain Juppé – 2003) Différences de « talents », diversité des « formes d’intelligence » * Comme « les enfants sont différents dans leurs talents, leurs capacités, le rythme de leur progression, les ressorts de leur motivation, leur maturité », il faut « personnaliser les apprentissages » *« Compte tenu de la diversité des élèves, l’école doit reconnaître et promouvoir toutes les formes d’intelligence pour leur permettre de valoriser leurs talents » (Loi d’Orientation Fillon, 2005) De la réussite de tous à celle de chacun *« Je souhaite que l’on passe de l’école de la réussite pour tous à l’école de la réussite de chacun ». (Luc Chatel à 25 mai 2011) Discours du Président de la République le 23 juin 2011 : la fin du collège unique ? *Annonce d’ «une troisième révolution de l’éducation », celle de la personnalisation des parcours. *« Les élèves sont de plus en plus différents (…) Pour prendre en compte cette diversité, il ne peut y avoir qu’un maximum de réponses personnalisées »… *« Tous nos enfants ne sont pas des bêtes à concours »… > Annonce du doublement du nombre d’apprentis (jusqu’à un million d’apprentis) // Loi sur l’alternance qui permet d’aller en apprentissage à 15 ans… Circulaire de rentrée 2011-2012 : Parmi les éléments de cadrage… – Expérimentation d’une évaluation en fin 5è – Mise en place, pour certains élèves, de « programmes adaptés pour une découverte de l’entreprise » – Expérimentation d’une 3è « prépa-professionnelle » implantée en LP – Montée en puissance pour les élèves de 15 ans du dispositif DIMA de préapprentissage (Dispositif d’Initiation aux Métiers par l’Alternance). [1] Jean VOGLER, L’illettrisme et l’Ecole. L’échec de Condorcet ?, SEDRAP Université, Toulouse, 2000. [2] Fr. FURET, Jacques OZOUF, Lire et écrire. L’alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry, Minuit, 1977. [3] Jean FOUCAMBERT, L’école de Jules Ferry. Un mythe qui a la vie dure. Retz, 1986. [4] Cité par Jean-Paul DELAHAYE, « Le collège : une construction inachevée », dans Bernard TOULEMONDE (dir.), Le système éducatif en France, La Documentation française / CNED, 2è éd., 2006 ^ Haut de page
Communiqué de presse « États Généraux de la laïcité : pourquoi maintenant et pour quoi faire ? » 26 avril 2011 Valérie Pinton Communiqué de presse initié par La Ligue de l’enseignement, dont le GFEN est signataire avec de nombreuses autres associations d’éducation populaire ou d’éducation nouvelle. Paris, 23 avril 2011 Nous constatons que les conditions ne sont malheureusement pas réunies actuellement pour pouvoir participer à ces « États Généraux ». Les organisations laïques qui se sont toujours battues pour faire vivre et respecter le principe de laïcité demeurent disponibles pour participer, quant à elles, à toute initiative permettant un débat argumenté, serein et ouvert. Lire la suite et voir les signataires
Repenser l’école 1 janvier 2011 Valérie Pinton « Restituer aux savoirs leur portée émancipatrice »… Jacques Bernardin (GFEN) Article paru dans « Les idées en mouvement » N° 185, Journal de La Ligue de l’Enseignement, Janvier 2011 Les évaluations en témoignent : l’école française est impuissante à enrayer la ségrégation scolaire1. On pourrait l’imputer au creusement des inégalités sociales, à la concentration de foyers de pauvreté, à la dégradation des conditions de vie des familles ou encore aux choix néfastes d’une politique éducative régressive à bien des égards. S’il importe de veiller à tous ces facteurs qui pèsent lourd sur l’institution scolaire, une vision prospective exige d’interroger conjointement les éléments endogènes par l’intermédiaire desquels se perpétue l’inégalité devant l’école. L’épuisement du sens d’apprendre Le spectre de l’avenir professionnel attise l’aspiration des parents – notamment ceux de milieux modestes – à une école efficace pour l’emploi. Redoutable pression qui tend à instrumentaliser l’éducation au service de l’économie, amène les élèves à dénier l’importance d’apprendre au regard de la dévalorisation des diplômes et à ne s’investir qu’a minima dès lors qu’ils doutent, dans cette logique, de l’utilité des contenus proposés. Mais l’Ecole est-elle toujours à même de les détromper quand elle privilégie l’écoute, la mémorisation et l’exercice comme modalités d’apprentissage, quand elle multiplie notes et contrôles pour stimuler leurs efforts et gagner leur implication ? Est-elle plus pertinente quand elle privilégie le « faire » sans que soient ménagées les étapes pour s’en détacher afin d’en tirer leçon, quand l’enjeu et le sens de l’activité restent dans un implicite propice aux connivences… ou aux malentendus ? Il est toujours possible pour certains de se récupérer grâce aux aides apportées le soir à la maison ; d’autres ne disposent guère d’appuis pour étayer ou reprendre ce qui a été mal fondé. L’aide dans l’espace scolaire, qui répond à des aspirations légitimes, est-elle plus efficace ? Si elle semble conforter ceux qui ont appréhendé l’essentiel, elle n’opère qu’un rafistolage incertain voire contre-productif pour ceux qui sont passés à côté, confortant les attitudes de passivité et la dépendance. L’audace du changement Comment révolutionner leur rapport au savoir ? Le problème est ancien mais devient défi social quand l’ouverture de l’éducation à tous est perçue comme promesse non tenue. Bourdieu a dénoncé en son temps la violence symbolique d’une Ecole attendant de tous qu’ils disposent également de ce qu’elle n’enseigne pas, que ce soit en matière de rapport au langage, de dispositions vis-à-vis de la culture ou à l’égard de l’étude. L’interpellation reste pertinente. Lever les implicites Sans doute faut-il considérer à pour véritablement parler à tous à que rien ne va de soi, qu’y compris bien des natifs de langue française ne « parlent pas la même langue » que celle de l’école, peinent à saisir le sens des situations, l’objectif des activités et les attentes à leur égard. Ce qui plaide pour une explicitation de ce qui est vécu : que va-t-on faire et pourquoi ? Comment va-t-on procéder ? Clarification de l’enjeu et du but de l’activité comme des modalités de travail installant un cadre facilitant l’inscription dans la séance, mais aussi accompagnement réflexif en cours ou au terme de celle-ci pour échanger et comparer les moyens mobilisés et leurs effets, dévoiler et partager les techniques intellectuelles au bénéfice de tous. Eviter donc la « pédagogie invisible » de l’allant-de-soi. L’étrangement du familier De la maternelle au lycée, l’école ne cesse de convoquer une approche du réel singularisée par la distance, un rapport second aux choses en rupture avec l’expérience première des élèves. Ainsi propose-t-elle d’arrêter le cours ordinaire des échanges pour « mettre la langue au tableau » et l’observer, de sortir de sa fonction pour s’attacher à son fonctionnement, de s’extraire du rapport d’usage familier pour s’installer dans la posture savante du grammairien. Dans ces premiers pas à l’école se joue le prototype de la relation scolaire, exigeant de chacun d’arrêter de parler pour comprendre sa langue, de passer de la maîtrise pratique à une maîtrise symbolique ouvrant à de nouveaux pouvoirs de compréhension et d’action. Et ce n’est pas un hasard si bien des destins s’échouent précocement dans ce passage de la culture orale à la culture scripturale-scolaire2. L’aventure passionnante des savoirs : pour une culture vivante et émancipatrice Que ce soit en matière de langage, de comptage, de rapport au temps ou à l’espace (avec la géométrie et le plan), chacun est confronté à des codes symboliques, des systèmes de représentation ayant fait l’objet d’une genèse laborieuse à l’échelle historique, avec des points de butée faisant étrangement écho aux zones de turbulences affrontées par les élèves. Quel que soit l’objet proposé, l’enseignement devrait s’inspirer des leçons de l’interrogation épistémologique : à quel problème a-t-il répondu ? Quelles étapes en ont jalonné la mise au point ? A quelle grammaire répond son économie interne ? Et où les élèves en sont-ils ? Autant d’éléments pour élaborer la situation d’apprentissage, baliser la mise en scène de ruptures conceptuelles, anticiper le cheminement intellectuel des élèves. Changement d’approche subordonné à un enjeu central : comment restituer aux savoirs leur portée émancipatrice originelle ? Les savoirs sont d’abord défis à la fatalité, outils pour compenser les handicaps natifs de l’espèce. Autrement dit, savoir rime avec pouvoir. Et ce serait trop court d’ajouter une pincée d’histoire culturelle à la leçon classique. C’est au cœur même de la séance d’apprentissagequ’il faut le faire vivre aux élèves, solliciter imagination, créativité et exercice de la raison, occasion forte d’éprouver leur intelligence et de les inscrire dans le vif d’une aventure humaine passionnante. Rompre la solitude Le savoir n’instruit que s’il transforme. Qu’il s’agisse de projets, d’ateliers de création ou de démarches de construction de savoir, c’est le sujet qui est convoqué, met ses connaissances à l’épreuve, transforme son regard sur le monde mais aussi sur lui-même, plus fort des défis relevés. Comment peut-on accepter la dégradation de l’estime de soi relevée par les observateurs de notre système au fil du cursus scolaire ? Nous avons beaucoup à faire pour repenser une autre école, attentive aux progrès de chacun, soucieuse d’une autre dynamique pour chaque sujet en construction. Si apprendre relève d’un engagement individuel, personne n’apprend seul. L’école souffre d’être un espace de solitude paradoxale où les pairs sont plus concurrents que solidaires. Or, la confrontation des idées amène chacun à prendre distance avec ses opinions premières, à exercer son esprit critique et à sortir de lui-même : expérience clé d’une altérité qui fait grandir, libère de tous les communautarismes, d’un enfermement aliénant. A moins qu’il ne soit leçon de morale, où pourrait se fonder le lien social si ce n’est au quotidien des apprentissages ? Former : conformer ou transformer ? Participer à l’émancipation des élèves, les amener à jubiler de leurs conquêtes intellectuelles, les inscrire dans une communauté humaine qui transcende l’époque et les appartenances sociales, contribuer à l’édification de citoyens critiques et solidaires : belle mission, plus enthousiasmante que la mise au cordeau de l’employabilité. L’histoire a montré qu’il ne suffit pas de prescrire, quelle que soit la pertinence du projet. Faute d’acteurs convaincus et mobilisés… C’est le rôle de la formation. S’adresser à tous suppose d’interroger les conceptions relevant de l’opinion commune, qu’ils’agisse du regard sur les élèves ou leurs parents, sur le savoir ou sur l’activité d’apprentissage. Une logique de compagnonnage ne peut répondre aux exigences d’un métier complexe, obligeant chacun à concevoir et à agir en fonction de variables situationnelles mouvantes. Relancer vigoureusement la démocratisation exige, pour contrer les effets délétères de situations sociales difficiles, une action sur le long terme, ce qui plaide pour le travail d’équipe. On le pratique et on y prépare jusqu’alors trop peu, alors que nous en avons expérimenté la puissance transformatrice à divers niveaux de la scolarité. Le changement serait-il à portée de main ? 1Christian Baudelot, Roger Establet, L’élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales. La République des Idées / Seuil, 2009. 2Cf. Bernard Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires, PUL, Lyon, 1993. ^ Haut de page
Formation au service du développement 1 décembre 2010 admin Colloque « Avons-nous encore besoin de pédagogie ? » – Lyon / 8-9-10 octobre 2010 Table ronde (avec Stéphane Bonnéry et Walo Hutmacher) : « Quelles pédagogies ? Pour quelles sociétés ? » Pour relever le défi de la démocratisation : Une formation au service du développement Jacques BERNARDIN (GFEN) Selon l’OCDE, « en période d’austérité, il faut conserver les moyens essentiels qui vont permettre d’assurer une croissance économique durable, en particulier dans l’éducation ». Les économies faites à tous niveaux aujourd’hui en France, touchant particulièrement l’INRP, les mouvements pédagogiques et la formation ne vont-elles pas coûter cher au pays demain, sur le plan économique, mais aussi au niveau social et humain ? Avons-nous les moyens de nous passer de formation ? La France dans le paysage international Sans que les résultats soient globalement catastrophiques (plutôt dans la moyenne des pays de l’OCDE), on constate un tassement progressif, avec un accroissement des écarts et des inégalités[1]. Le prix à payer pour la sélection des élites ? Même pas… Avec un record, celui du mal-être à l’école : 45 % des élèves s’y sentent à leur place contre 81 % en moyenne dans OCDE[2], constat corroboré par l’enquête AFEV auprès de près de quatre cents des jeunes écoliers et collégiens[3]. Il n’est pas fatal que la France soit parmi les systèmes les plus ségrégatifs, que la naissance pèse autant sur les destins scolaires ; pas fatal que les élèves s’y sentent si mal… Développer la démocratisation L’école n’a pas à perdre à s’intéresser au sort des plus faibles, bien au contraire. Les comparaisons internationales montrent que les systèmes les plus efficaces sont aussi ceux qui sont les plus équitables, les mieux à même d’enrayer les effets des inégalités sociales. Outre les choix structurels (tronc commun jusqu’à la fin du collège, suppression du redoublement et des classes de niveau), ces résultats sont redevables à un investissement pédagogique conséquent[4]. En Finlande, on donne une autre place à l’activité de l’élève. Les maîtres mots sont non pas contrôle, note, classement, sélection mais autonomie, responsabilité, confiance, échanges entre pairs. Le changement de culture professorale a été impulsé et soutenu par une formation et un accompagnement pédagogiques conséquents, avec une incitation forte au travail en équipe. L’avenir de l’éducation ne peut s’imaginer sans le levier d’une formation repensée dans son orientation, ses objectifs et ses modalités. Formation conçue non comme entreprise de conformation (au prescrit, au standard de « bonnes pratiques ») mais comme dynamique de transformation individuelle et collective des impensés à l’œuvre au quotidien de l’activité professionnelle, d’interrogation d’un habitus professoral cristallisé au fil des ans (hérité du « petit lycée » dans le Secondaire), modelant à notre insu les façons de voir et les manières de faire… Echapper aux logiques ségrégatives exige de reconsidérer le métier sur des points clés de la pratique quotidienne : sortir de l’incompréhension à l’égard des élèves ; reconsidérer l’évidence de la chose enseignée ; modifier la conduite des temps d’apprentissage. Que transformer ?… 1) Le regard sur les élèves, davantage singularisé jusqu’alors par le jugement, l’évaluation-sanction que par l’interrogation à visée compréhensive. Regard à modifier par un triple éclairage : – des compétences didactiques, afin de mieux comprendre la logique des élèves. Ainsi, les erreurs, inhérentes à tout nouvel apprentissage,pourraient avoir une autre place, constituer des repères témoignant de l’avancée de leur compréhension, servir de points d’appui pour débattre des divergences, lever les malentendus, tester la pertinence des propositions, pousser à l’argumentation raisonnée et à l’exercice de la preuve. Le rapport de l’IGEN d’octobre 2006 avait pointé cette difficulté majeure des enseignants en éducation prioritaire à pouvoir spécifier la nature des difficultés des élèves[5]. Sans doute ces enseignants ne sont-ils pas les seuls à naviguer sans repère… – une dimension éthique. Toute entreprise éducative nécessite d’être soutenue par un regard sur l’apprenant. Ce qui était hier postulat philosophique (« Tous capables ») est aujourd’hui attesté scientifiquement. La notion de plasticité cérébrale étaye le pari d’éducabilité, appelant à une vision optimiste de l’Homme dans son historicité. Ajoutons-y les acquis de la psychologie sociale, notamment l’effet Pygmalion, phénomène des prophéties auro-réalisatrices rendant compte des processus modifiant inconsciemment nos comportements selon le regard porté sur l’autre. L’ensemble pourrait faire pièce aux postures fatalistes, à la rhétorique des aptitudes, des talents ou de l’ « excellence propre », cache-misère d’une vision naturalisée des différences justifiant tous les renoncements. – un positionnement social. Dans une visée de démocratisation, le regard des enseignants doit également être instruit par les apports de la sociologie de l’école et de la famille, dévoilant les logiques des élèves face aux savoirs et à la scolarité, les divers modes de socialisation et les attentes différentielles des parents à l’égard de l’institution scolaire. Apports nécessaires pour contrer les effets insidieux des stéréotypes sociaux et appeler à la responsabilité professionnelle. 2) La conception du savoir. Il n’est pas simple, pour celui qui y excelle à tel point qu’il le professe, de se déprendre de l’évidente simplicité du savoir enseigné. Des siècles d’éducation ont banalisé l’idée que le savoir, empreint de logique, pouvait s’exposer aussi clairement qu’il se concevait. Or, nous devons bien constater la faillite de ce modèle hérité du passé, qui ne parlait en fait qu’aux héritiers, véhiculant une conception a-historique et réifiée des contenus. Quelles dimensions y substituer ? – Le savoir comme rupture. Contre cette vision linéaire et cumulative simpliste, nous soutenons l’idée d’un savoir polémique. Savoir, c’est rompre avec le rapport d’évidence, de transparence (aucun savoir ne « va de soi »), c’est rompre avec le « bon sens » amalgamant information, connaissance et savoir. Tout savoir nouveau est en rupture par rapport à ce qui précédait, que ce soit sur le plan socio-historique ou au niveau individuel. C’est ici faire place au poids des représentations initiales, au « déjà-là », aux concepts quotidiens, simultanément appuis et obstacles aux concepts scientifiques (Vygotski). – le savoir comme terme d’un processus. S’il est énonçable, stockable, mémorisable, le savoir ne s’y réduit pas. Il est essentiellement le résultat de « crises » constitutives, il témoigne d’une genèse qui en a imposé l’économie. Son évidence n’est apparue qu’après-coup, pour reprendre les termes de Bachelard. Il s’agit de faire revivre auprès des élèves ce travail du passé afin qu’ils accèdent au cœur de la logique des savoirs constitués, produits de rectifications successives. Quelle sont les caractéristiques de ce processus ? · Il est amorcé par un contexte problématique (un problème à résoudre) ; · dynamisé par un débat polémique, une argumentation critique (débat de preuves) ; · finalisé sous la double exigence des principes d’efficacité et d’efficience. Il incorpore dans son économie actuelle les traces de ces ruptures historiques. Sa forme répond à des exigences non pas formelles mais intrinsèques, sa genèse en justifie la pertinence… et lui donne valeur universelle. La formation disciplinaire ne saurait oublier l’histoire culturelle et une approche épistémologique des contenus à enseigner. Du côté des élèves, cela signifie que le savoir n’est pas à imposer (l’apprentissage est alors perçu comme tentative de normalisation) mais doit à grâce au travail pédagogique – s’imposer aux élèves (activité les amenant à comprendre que sa normativité interne est justifiée). – le savoir comme outil d’émancipation. Piégé dans l’unique valeur d’échange pour bien trop d’élèves, le sens des savoirs est à remettre en chantier dans des activités qui en réhabilitent la valeur formative. Tout savoir atteste de l’intelligence humaine face aux défis posés, est conquête contre les fatalités (assurer les besoins vitaux, échanger à distance, cumuler les savoirs et pouvoir les diffuser, prévoir le temps, échapper aux maladies, maîtriser l’espace, etc.), ouvre à des pouvoirs accrus de compréhension et d’action. Le savoir « révolutionne » la façon de penser les choses, le rapport au monde. Quelques exemples : la découverte de la circulation sanguine [William Harvey,1628] ; les microbes pour expliquer les maladies contre l’idée de génération spontanées [Pasteur, fin 19è ] ; la tectonique des plaques qui s’impose face à la dérive des continents de Wegener [1912] dans les années 60-66 ; le modèle de l’ADN de Crick et Watson [Prix Nobel en 1962] et, en matière de Préhistoire, les récentes découvertes qui remettent en cause les hypothèses jusque là admises… Cela vaut à l’échelle de l’histoire comme sur le plan personnel. Le travail de l’enseignant consiste à introduire chaque génération dans le mouvement vivant de la culture humaine… et, ce faisant, prépare chacun à y contribuer. 3) L’approche de l’apprentissage. Cette conception socio-historique des savoirs va de pair avec une conception socioconstructiviste de l’apprentissage. Outre l’appui déterminant du groupe de pairs pour avancer dans la compréhension, par dépassements de conflits sociocognitifs (ce qui repositionne le rôle de l’enseignant, autrement indispensable), que changer aux conceptions usuelles ce niveau ? – Au centre de l’action éducative, c’est moins l’élève que son rapport au savoir. Il s’agit tout d’abord d’imaginer la situation propice pour convoquer, mobiliser chacun des élèves sur un objet dont l’intérêt n’est pas préalable mais à conquérir (voire à reconquérir, comme dans les dispositifs relais). Qu’est-ce qui peut activer la curiosité puis la passion de comprendre ? Engager n’est pas tout. Encore faut-il ensuite organiser le cheminement intellectuel avec l’appui solidaire et exigeant des pairs. – L’important, c’est moins réussir que comprendre. Cela doit guider la conduite de la leçon : faire place à la diversité des avis, aux contradictions ; donner un statut à l’erreur comme témoin d’une pensée en chantier qui cherche ses marques ; inciter à la preuve (et ainsi former à la rationalité, à l’esprit critique) ; solliciter la réflexivité à tous moments. Il s’agit d’exercer un regard connaissant, d’apprendre à réfléchir sur les objets, situations et conduites pour accroître sa maîtrise du réel. – Sans oublier l’enjeu, la visée éducative derrière l’instruction. Derrière l’appropriation de contenus, sont convoqués et éprouvés des cadres de pensée, des façons d’appréhender le réel. A travers chacun des apprentissages, le sujet est amené à passer : * de sa subjectivité à une mise à distance réfléchie (processus d’objectivation) ; * de l’opinion à un point de vue conceptuellement outillé, rationalisé ; * de l’auto-centration à l’ouverture à l’altérité. Ce qui contribue au processus conjoint de personnalisation et de socialisation élargie, participant ainsi à l’émancipation intellectuelle. Une formation au service du développement Le développement de la démocratisation passe par un recentrage du métier sur le développement personnel des élèves comme sujets et futurs citoyens, et requiert pour y parvenir de s’appuyer sur le développement professionnel des enseignants. 1) Du développement personnel desélèves… De la famille à l’école, l’éducation transforme, fait grandir, « élève ». On y construit un rapport second au monde : prise de distance, médiatisation par les outils intellectuels, conscience accrue de l’ordre des choses; passage d’une maîtrise pratique à une maîtrise symbolique. C’est parallèlement l’ouverture à une socialisation élargie : échanges avec les pairs ; appropriation d’objets sociaux à portée universelle ; affiliation, par l’entremise des apprentissages, à l’histoire humaine. Tous ces outils permettant d’échapper à la captation, à l’influence sans partage de la sphère familiale. Au-delà, la pluralité des apports sur le plan culturel (appropriation de codes symboliques, de concepts, d’œuvres et de techniques), sur le plan intellectuel (capacités réflexives, pensée critique), sur le plan social (ouverture aux autres, aptitude au travail collectif) participe d’une citoyenneté agissante, indispensable pour actualiser et dynamiser la démocratie. 2) Du développement professionnel des enseignants Face aux enjeux (de démocratisation, d’extension de la formation vu l’accroissement des savoirs et les transformations de plus en plus rapides des métiers), l’exercice solitaire du métier n’est plus viable. La formation doit préparer au travail d’équipe, soutenir et accompagner une conception solidaire de la pratique professionnelle que ce soit pour préparer la classe, pour la conduire ou pour harmoniser l’action éducative. – Élaborer des situations d’apprentissage : Un rapport instruit à la pratique suppose de démonter la logique des savoirs pour en aménager la reconstruction, la ressaisie signifiante par les élèves : quelle est la nature de leurs erreurs ? Autour de quelle(s) rupture(s) conceptuelle(s) organiser la situation d’apprentissage ? – Échanger sur les gestes professionnels : Gérer la classe, s’ajuster à l’inattendu, faire face à l’imprévu… La logique d’action a ses impératifs qui amènent à faire des choix dans l’urgenced’un temps contraint. Mettre à distance le quotidien est indispensable pour mieux en assurer la maîtrise. Des entretiens croisés à l’ « instruction au sosie », c’est pointer là le rôle formateur de la polémique professionnelle (Y. Clot). – Élaborer une stratégie éducative durable. Inscrire l’action éducative dans une cohérence d’ensemble et dans la temporalité, c’est une condition indispensable pour obtenir des effets significatifs. Faire des choix concertés de stratégie éducative (diagnostic, sélection de priorités, suivi, relations avec les familles, évaluations régulatrices, etc.) nécessite une mobilisation de l’ensemble des acteurs. Nous savons par expérience combien les élèves et leurs parents y sont sensibles. Face à la surpression normative et l’indigence des appuis, il faut « étendre le pouvoir d’agir des professionnels pour ‘faire autorité’ sur le travail », « soignerle métier » (Y. Clot). Cela ne peut s’improviser, nécessite du temps, de la détermination politique… Mais l’avenir de la démocratie en vaut bien le coût ! [1] Christian Baudelot, Roger Establet, L’élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, La République des Idées / Seuil, 2009. [2]« C’est en France que les élèves souffrent le plus ! », Interview de Bernard Hugonnier, directeur adjoint de l’Education de l’OCDE dans Le Nouvel Observateur, 7-13 avril 2005. [3] Selon le Baromètre Trajectoires /Afev 2009: 36 % ont parfois ou souvent mal au ventre avant d’aller à l’école ; 37 % ne lèvent jamais le doigt, par peur de se tromper (25 % des écoliers, 41 % des collégiens) ; 53 % s’ennuient à l’école (parfois pour 37 % ; souvent ou tout le temps pour 16 % des élèves) ; 64 % avouent ne pas toujours comprendre (c’est souvent le cas pour 20 % des élèves). [4] Nathalie Mons, Les nouvelles politiques éducatives. La France fait-elle les bons choix ? PUF, nov. 2007. [5] Anne Armand, Béatrice Gille, La contribution de l’éducation prioritaire à l’égalité des chances des élèves, Rapport IGEN / IGAENR, MEN, octobre 2006. ^ Haut de page
Appel de Bobigny 30 novembre 2010 Valérie Pinton L’appel de Bobigny (dont le GFEN est signataire) a été rendu public officiellement mardi 19 octobre 2010. Il a l’ambition d’être le point de départ d’un grand débat national sur les enjeux de l’éducation, de l’enfance et de la jeunesse. En savoir plus : http://www.villeseducatrices.fr/page.php?page_id=20#ancre1 Education: vers un grand projet national pour l’enfance et la jeunesse Quelle place et quels moyens veut-on donner à l’éducation dans notre pays et en Europe ? Quel citoyen veut-on préparer ? Quelle capacité à vivre ensemble dans une société solidaire et plus juste voulons-nous forger ? Quelles connaissances, quels savoirs, quelles compétences et quelles qualifications seront indispensables aux jeunes pour cela ? Quelle place auront-ils dans la construction de leur propre avenir ? Parents, jeunes, enseignants, universitaires, associations complémentaires de l’enseignement public et d’éducation populaire, professionnels des collectivités locales, élus locaux, professionnels de la petite enfance et responsables syndicaux, nous appelons à la mobilisation de tous autour de l’éducation et de la formation, dès la petite enfance et tout au long de la vie. Au quotidien, nous travaillons, innovons, cherchons des solutions concrètes pour la réussite, l’épanouissement des enfants et l’émancipation des jeunes. Cela représente une chance et des compétences, une énergie et une capacité d’initiatives à mobiliser, indispensables à tout changement. Malgré notre engagement sur le terrain, des inégalités territoriales, sociales et de genre insupportables, subsistent dans l’accès aux savoirs et à la formation ! Nous les refusons ! Nous refusons aussi les reculs considérables qui sont annoncés. Nous refusons le statu quo ! Nous refusons les querelles stériles opposant savoirs, compétences et méthodes, sur la hausse ou la baisse du niveau des élèves ou sur le refus de l’autorité. Nous refusons la mise en concurrence comme perspective et le pari sur les logiques des rivalités individuelles et collectives. Nous voulons activer, au contraire, toutes les coopérations et solidaritéspossibles. Nous voulons et nous pouvons nous appuyer, pour le transformer, sur le service public laïque d’éducation de la maternelle à l’enseignement supérieur et sur ses personnels, sur le secteur de la petite enfance en pleine mutation vers un véritable service public. Nous voulons évaluer les expériences éducatives qui fonctionnent et les promouvoir. Nous voulons et nous devons nous appuyer sur la mobilisation des parents dans une démarche de coéducation, sur tous les acteurs de l’éducation populaire, du champ culturel et sur les travailleurs sociaux, mais aussi sur les jeunes eux-mêmes. Nous pouvons nous appuyer sur des communes, des départements et des régions assumant la priorité à l’éducation et engagés dans des démarches de « territoires apprenants » ou de « villes éducatrices » et mobiliser tous les acteurs du monde économique et leur potentiel de formation et d’insertion en relation avec le service public. Le 21ème siècle sera celui de la combinaison de l’éducation formelle, informelle et non formelle, celui du développement des connaissances, des informations disponibles et des moyens de communication. S’ajoutant aux inégalités sociales, les premières inégalités seront celles de l’accès à toutes ces sources de culture et celles de l’appropriation de ces outils de communication. La capacité à créer, à innover, à imaginer doit être favorisée dans les politiques nationales et locales d’éducation formelle et informelle, de culture et de soutien aux pratiques artistiques, et sportives, d’information, de formation et de recherche, de soutien à la vie associative. Le 21ème siècle sera celui du développement durable et nous affirmons l’urgence de la mise en œuvre d’une éducation à l’environnement et au développement durable accessible à tous, permettant de s’impliquer dans la vie de son territoire et qui donne les moyens de prendre des initiatives et d’agir avec les autres. Le 21ème siècle devra aussi être celui de la réconciliation entre perspectives individuelles et collectives, entre épanouissement personnel et intérêt général, entre diversité culturelle et unité, celui du renforcement de la démocratie et de la construction d’une société du mieux être, du mieux vivre. Tout projet national pour l’éducation et la jeunesse devra intégrer ces données en partie nouvelles. Il devra garantir le droit individuel à l’éducation, la formation et la sécurité professionnelle tout au long de la vie. Nous avons la responsabilité et le devoir de préparer progressivement les enfants et les jeunes à être des acteurs conscients, responsables et critiques de ces évolutions et de la construction de leur avenir. Nous avons la volonté de les consulter et les associer au sujet des projets qui les concernent. Nous proposons donc une véritable politique publique de l’éducation à la hauteur des enjeux démocratiques du 21ème siècle et nous appelons la Nation à se mobiliser pour les moyens de sa mise en œuvre. En effet la France est loin du compte pour la part du PIB consacrée à l’éducation et la jeunesse. Nous proposons dans cet appel de Bobigny des perspectives concrètes et positives pour l’éducation, dès la petite enfance, autour de 5 objectifs prioritaires et d’un ensemble de propositions qui sont la base d’un grand projet national pour l’enfance et la jeunesse. 5 objectifs prioritaires: Garantir dans le respect de la laïcité le Droit à l’éducation pour chacun et pour tous et donc l’équité dans l’accès à l’éducation et la formation ; refuser toute discrimination, en dépassant le droit formel à l’égalité des chances. Définir un projet éducatif global ambitieux pour l’enfance et la jeunesse sur tous les temps et les espaces éducatifs et sociaux articulant, dans un processus de formation tout au long de la vie s’appuyant sur une formation initiale solide, éducation formelle, informelle et non formelle. Promouvoir la coéducation, la coopération éducative de tous les acteurs, garantir la place et les droits des parents, des enfants et des jeunes. Mobiliser avec ce projet éducatif global toutes les ressources éducatives des territoires et de l’école, à travers l’articulation des objectifs nationaux avec les projets éducatifs des établissements d’enseignement et des institutions culturelles publiques, et ceux des territoires. Garantir à tous les jeunes, à l’issue de la scolarité au collège, la maîtrise évaluée des éléments (connaissances, compétences, savoir-être et savoir-faire) indispensables à l’accès et la réussite dans les enseignements diversifiés du lycée et à l’objectif de 0 sortie du système éducatif sans qualifications reconnues, à l’accès à la citoyenneté. Nous voulons ainsi préparer l’avenir et contribuer à construire sur le plan national une perspective éducative globale qui fait défaut aujourd’hui. Nous lançons cet appel à la Nation et à ses responsables politiques pour un grand débat national et des engagements solennels avant les échéances nationales qui détermineront l’avenir. Nous soumettons au débat cet ensemble de propositions transversales sur les enjeux majeurs, comme première contribution au projet national pour l’enfance et la jeunesse et à l’élaboration de la loi d’orientation et de programmation pluriannuelle indispensable à sa mise en œuvre : 1) Pour atteindre ces cinq objectifs prioritaires, nous demandons une véritable priorité à l’éducation reconnue dans une loi d’orientation et de programmation pluriannuelle pour l’enfance et la jeunesse. 2) Nous proposons ensemble la garantie du Droit à l’éducation pour chacun. C’est-à-dire, pour l’État, une obligation de moyens et de résultats de la maternelle à l’Université, avec l’objectif prioritaire de permettre l’accès de tous les jeunes aux connaissances, compétences, savoir-faire et savoir-être indispensables dans notre société de la connaissance. 3) Nous proposons que le principe d’équité guide toutes les décisions. Ceci nécessite des choix politiques en faveur des territoires et des jeunes subissant aujourd’hui des inégalités et des discriminations insupportables et en faveur de l’école et du collège. Cela exige que l’État joue tout son rôle de garant de l’équité à travers des mécanismes de péréquation entre territoires et oriente d’abord les moyens supplémentaires vers l’école primaire et le collège. 4) Cela exige d’abord d’affirmer les missions et le développement sur l’ensemble du territoire d’un service public de la petite enfance. Dans ce cadre, l’école maternelle doit être confortée dans ses missions et sa spécificité, dès 2 ans pour les enfants dont les parents le souhaitent. La transition avec les autres structures de la petite enfance, assurée notamment par des classes passerelles associant des professionnels de la petite enfance, des collectivités locales et de l’éducation nationale, doit être favorisée. La petite enfance doit être exclue du champ de la concurrence et de la mise en œuvre de la directive européenne « services ». Une charte doit garantir la qualité et la dimension éducative de l’accueil de la petite enfance (cf. « 0-6 ans : un enjeu de société »). 5) Cela exige ensuite que l’école primaire et le collège permettent à chaque jeune de disposer à la fin du collège des éléments indispensables pour pouvoir choisir et construire son avenir et la poursuite de sa formation. En effet, le collège n’est pas une fin en soi. Et, une place plus importante devra notamment être accordée à l’éducation artistique, l’éducation physique et sportive, l’éducation à la citoyenneté, l’enseignement des langues et la maîtrise des outils informatiques et de communication et de leurs usages, qui contribuent à la réussite et l’épanouissement de tous les enfants et constituent une part importante de la culture des jeunes. Pour cela, le travail en équipe, des formations initiale et continue rénovées pour tous les professionnels de l’école et en particulier les enseignants, la construction de projets éducatifs globaux sur tous les temps et espaces éducatifs de l’enfant, le respect de ses rythmes de vie et d’apprentissage sont indispensables. 6) Une attention particulière devra être accordée, avec la participation des parents, aux moments délicats de transitions, parfois vécues comme des ruptures à à l’entrée en maternelle, de la grande section au CP, du CM2 en 6ème, de troisième en seconde à en réalisant des projets communs et des coopérations entre enseignants des écoles et des collèges, des modules de formation communs, des liaisons intercycles développées, un suivi et un soutien spécifiques pour les enfants en difficulté. 7) Pour améliorer les rythmes de vie et de travail des enfants et des jeunes, très rapidement il faut un cadre national, décliné dans les projets éducatifs de territoire et les projets éducatifs d’établissement. Il doit prendre en compte les préconisations de l’Académie de médecine à propos de l’école primaire. Il faut donc alléger la journée et adapter le travail scolaire aux temps favorables aux apprentissages, alterner et équilibrer dans la journée les différentes formes de regroupement, les différentes activités et disciplines, les formes de travail, garantir la pause méridienne, refuser la semaine actuelle de 4 jours et prioriser un rythme annuel alternant 7 semaines scolaires et 2 semaines complètes de vacances intermédiaires, définir un volume annuel d’heures d’enseignement. Ce cadre national doit préconiser l’articulation des temps éducatifs et sociaux, leur mise en cohérence et la coopération éducative de tous. La conférence nationale sur les rythmes, convoquée par le ministère à l’initiative de partenaires des Assises, doit commencer par acter ce cadre national pour ne pas reporter les premières décisions. Elle doit permettre ensuite de travailler avec tous les acteurs concernés pour dépasser les conflits d’intérêts et définir les moyens de sa mise en œuvre. 8) La définition et l’impulsion d’un véritable projet éducatif d’école ou d’établissement et d’équipe nécessite l’implication et la coopération éducative de tous les adultes, professionnels et parents, partenaires associatifs de l’éducation populaire, du sport et de la culture du territoire, la logique de coéducation et l’évaluation partagée de ce projet. Les écoles primaires et les établissements devront prendre en compte ces objectifs et cette dynamique nouvelle dans leur structure et leur fonctionnement, dans le respect des cadres nationaux. Les enfants et les jeunes doivent être impliqués dans cette démarche. 9) Un contrat de confiance entre la Nation et les professionnels de l’école, en premier lieu les enseignants, doit garantir leur autonomie professionnelle, définir leurs missions et leurs objectifs et les reconnaître dans la redéfinition de leurs services, incluant la formation continue, la recherche-action et le travail en équipe dans le respect de leurs statuts nationaux et de leurs conditions de travail. Cela exige notamment de garantir une véritable formation initiale et continue des enseignants à la hauteur des enjeux. Ce n’est pas le cas de la réforme actuelle qu’il faudra remettre à plat. 10) L’école est une institution de la République à la base du système éducatif et du Vivre ensemble et joue un rôle irremplaçable dans l’éducation formelle. Ses missions doivent être confortées dans le cadre d’un service public amélioré. Mais, elle ne peut pas tout faire et tout compenser. L’éducation et l’accès aux connaissances se jouent aussi en dehors de l’École. Il faut donc assurer la cohérence éducative entre tous les acteurs, y compris les parents, concernés par cette dynamique co-éducative.C’est pourquoi nous soutenons l’incitation au développement et la reconnaissance nationale par la loi des Projets éducatifs de territoire, souples, coordonnés le plus souvent par la commune ou l’intercommunalité selon leur taille et leur capacité à mobiliser les ressources éducatives du territoire et tous les acteurs. Ils doivent s’articuler avec les projets des établissements et fonctionner sur la base d’un diagnostic partagé, de la coproduction du projet et de son évaluation régulière. Un fonds national de soutien et de péréquation, accompagné par la CNAF pour les temps « péri scolaires » et « extra scolaires » doit soutenir ce développement. 11) Les associations d’éducation populaire et complémentaires de l’école doivent donc voir leurs missions de service public et le respect de leurs projets propres, reconnues dans la loi d’orientation et être soutenue à travers des contrats d’objectifs et de moyens pluriannuels avec l’État et les collectivités. Ces missions doivent échapper à la mise en concurrence et à la marchandisation dans la mise en œuvre de la directive européenne « services ». 12) Les parents sont tout à la fois les responsables légaux de l’éducation de leurs enfants, des usagers du service public d’éducation, des acteurs de la coéducation et de la vie de l’école, des citoyens qui ont leur mot à dire sur les objectifs et le fonctionnement du service public. Les parents ont un droit à l’information, à la participation aux décisions concernant leur enfant, à leur représentation dans les instances de l’établissement, du projet éducatif de territoire et de tous les niveaux du système éducatif.Ces droits, individuels et collectifs doivent être reconnus par tous les acteurs de la communauté éducative au quotidien et à travers leurs associations représentatives. 13) C’est aussi pour les enfants et les adolescents un Droit individuel et collectif qui commence par l’accès sans discrimination au service public, à l’École publique du Vivre ensemble. Ce droit n’est pas garanti partout et pour tous aujourd’hui.C’est la première priorité de tout projet national pour l’éducation et la jeunesse.Cela passe aussi par le respect du principe de gratuité de la scolarité obligatoire. Il doit se traduire, dans la proximité du domicile, par des écoles et collèges de secteur dont le fonctionnement, les professionnels qualifiés, les équipements et les locaux, la vie quotidienne et les rythmes, le bien-être, le respect de la laïcité garantissent l’équité de traitement entre tous les enfants. Il passe à la fois par le maintien d’une sectorisation pour viser partout la mixité sociale, mais aussi et surtout par des garanties sur les conditions d’étude et de vie scolaire, par des modalités et des méthodes pédagogiques actives et diversifiées et prenant en compte un accompagnement individualisé en cas de difficultés, par une attitude de bienveillance et de respect mutuels avec les adultes, par la prise en charge à l’école du temps de travail personnel pour une véritable équité, une égalité réelle des droits. Cela concerne bien sûr les enfants et les jeunes en situation de handicap. 14) L’égalité des chances est basée sur un quiproquo. C’est un modèle de justice auquel on est très attaché en tant qu’individu, mais qui ne crée pas forcément une société « juste ». Si on développe l’égalité des chances uniquement pour accéder aux meilleurs établissements, on développe un modèle basé sur la compétition. Et dans les compétitions, il y a des vainqueurs et des vaincus. L’école républicaine doit être celle de l’égalité réelle des droits entre tous les élèves. Elle doit viser à la réussite de tous, dans un esprit de solidarité, de coopération et non de compétition. La question de l’évaluation des élèves doit être posée clairement, avec l’objectif d’améliorer la réussite de tous.L’évaluation doit valoriser les progrès, la réussite, l’engagement et l’effort plutôt que sanctionner l’échec. Elle doit prendre en compte l’erreur comme une étape de la construction du savoir. Cela nécessite une réflexion et un changement sur le sens et les modes d’évaluation, une formation adaptée des enseignants mais aussi une sensibilisation des familles.Cela exige de faire prévaloir l’organisation et la logique des cycles et donc d’en finir avec la logique des redoublements, en adaptant la durée de chaque cycle en prévoyant des modalités d’aide et d’accompagnement individualisés. 15) La loi a défini le triple objectif d’atteindre 0% de sortie sans qualification après 18 ans, d’amener 80% d’une classe d’âge au baccalauréat et de 50% au niveau licence. Nous lançons un appel solennel pour en finir avec les sorties sans qualifications reconnues. Après l’école primaire et le collège de la scolarité obligatoire, qui ne sont pas une fin en soi, les adolescents doivent se voir garantis, la poursuite d’une formation de qualité, l’accès à l’enseignement supérieur ou à une qualification reconnue. 16) Cela exige d’abord la démocratisation du lycée après la massification des trente dernières années. Cela exige la refondation du lycée avec la diversification des durées et formes des séquences et la mise en cohérence, le rééquilibrage de toutes les disciplines, un véritable dispositif d’aide et d’accompagnement individualisé pour prévenir l’échec et éclairer les choix de l’orientation, l’adaptation des locaux et des espaces tant au travail en groupes et en ateliers, qu’au travail personnel. Cela exige le respect des rythmes de vie et d’apprentissage des jeunes et d’une véritable pause méridienne. Cela exige le refus d’une hiérarchie des filières et des savoirs et une revalorisation des enseignements technologiques et professionnels, ainsi que des passerelles garanties entre les filières. Cela suppose aussi d’ouvrir chaque lycée sur son territoire et d’en faire en dehors des horaires scolaires une maison de la culture et de l’éducation informelle et non formelle. Cela pose enfin la question de l’allongement et de la diversification après 16 ans de la scolarité obligatoire comme obligation de moyens de l’État et formalisation des objectifs de 80% au bac et 0% de sorties sans qualifications reconnues. 17) Cela exige aussi la construction progressive d’une orientation ambitieuse et d’une éducation aux choix pour tous les jeunes et le refus des orientations précoces.Pour garantir une orientation construite avec le jeune et ses parents, le service public d’orientation doit être renforcé et garanti avec tous ces professionnels dans les lycées, les collèges et les CIO, sans le restreindre à l’usage d’internet et de bases de données.Il convient d’articuler ce service, centré sur l’orientation des élèves et des étudiants avec le service, centré sur la formation permanente, l’aide à l’insertion et la VAE dans un grand service public de l’orientation tout au long de la vie. Il doit travailler avec toutes les instances et structures du service public de l’emploi et de la formation initiale et continue, du service public national et des services publics régionaux de formation professionnelle, avec les instances et structures paritaires. Cela exige que l’offre de formation des établissements d’un même bassin ne soit pas définie uniquement en fonction des besoins locaux et soit coordonnée pour équilibrer ensemble la carte scolaire de leur secteur, en relation avec les régions. Il est de la responsabilité du ministère de l’éducation nationale de garantir un encadrement législatif et règlementaire de l’ensemble des formations initiales et en particulier de la formation en alternance et de l’apprentissage après 16 ans, la qualité des formations et le respect des droits des jeunes. 18) De plus, les jeunes seront tous confrontés à une évolution plus rapide des métiers et à une plus grande mobilité dans l’emploi et plus globalement à une évolution très rapide des connaissances et des sociétés. Cela exige d’anticiper sur l’articulation entre formation initiale solide et formation tout au long de la vie et de prévoir des modalités de reconnaissance dans les garanties collectives, de certification et d’évaluation des compétences et des acquis de la formation continue qui prolongent et complètent la certification initiale, mais aussi valident les acquis de l’expérience. Il s’agit ainsi de favoriser la promotion sociale et la sécurité professionnelle. Dans cette perspective large de qualification permanente des personnes et du point du vue de l’emploi, l’idée d’un service public de formation professionnelle,unifié dans ses objectifs d’accès de tous et de chacun à la qualification et à la sécurisation des parcours, mais diversifié et partenarial dans ses modalités d’exercice, mérite à l’évidence d’être approfondie pour articuler service public national de formation professionnelle, services publics régionaux et dispositifs paritaires et de transition professionnelle. Pour nous, ce projet concerne tous les citoyens. À travers l’avenir de la jeunesse, c’est celui du pays qui se joue. ^ Haut de page
Pour relever le défi de la démocratisation 16 octobre 2010 Valérie Pinton Colloque « Avons-nous encore besoin de pédagogie ? » – Lyon / 8-9-10 octobre 2010 Table ronde (avec Stéphane Bonnéry et WaloHutmacher) : « Quelles pédagogies ? Pour quelles sociétés ? » Une formation au service du développement. Jacques BERNARDIN (GFEN) Selon l’OCDE, « en période d’austérité, il faut conserver les moyens essentiels qui vont permettre d’assurer une croissance économique durable, en particulier dans l’éducation ». Les économies faites à tous niveaux aujourd’hui en France, touchant particulièrement l’INRP, les mouvements pédagogiques et la formation ne vont-elles pas coûter cher au pays demain, sur le plan économique, mais aussi au niveau social et humain ? Avons-nous les moyens de nous passer de formation ? La France dans le paysage international Sans que les résultats soient globalement catastrophiques (plutôt dans la moyenne des pays de l’OCDE), on constate un tassement progressif, avec un accroissement des écarts et des inégalités[1]. Le prix à payer pour la sélection des élites ? Même pas… Avec un record, celui du mal-être à l’école : 45 % des élèves s’y sentent à leur place contre 81 % en moyenne dans OCDE[2], constat corroboré par l’enquête AFEV auprès de près de quatre cents des jeunes écoliers et collégiens[3]. Il n’est pas fatal que la France soit parmi les systèmes les plus ségrégatifs, que la naissance pèse autant sur les destins scolaires ; pas fatal que les élèves s’y sentent si mal… Développer la démocratisation L’école n’a pas à perdre à s’intéresser au sort des plus faibles, bien au contraire. Les comparaisons internationales montrent que les systèmes les plus efficaces sont aussi ceux qui sont les plus équitables, les mieux à même d’enrayer les effets des inégalités sociales. Outre les choix structurels (tronc commun jusqu’à la fin du collège, suppression du redoublement et des classes de niveau), ces résultats sont redevables à un investissement pédagogique conséquent[4]. En Finlande, on donne une autre place à l’activité de l’élève. Les maîtres mots sont non pas contrôle, note, classement, sélection mais autonomie, responsabilité, confiance, échanges entre pairs. Le changement de culture professorale a été impulsé et soutenu par une formation et un accompagnement pédagogiques conséquents, avec une incitation forte au travail en équipe. L’avenir de l’éducation ne peut s’imaginer sans le levier d’une formation repensée dans son orientation, ses objectifs et ses modalités. Formation conçue non comme entreprise de conformation (au prescrit, au standard de « bonnes pratiques ») mais comme dynamique de transformation individuelle et collective des impensés à l’œuvre au quotidien de l’activité professionnelle, d’interrogation d’un habitus professoral cristallisé au fil des ans (hérité du « petit lycée » dans le Secondaire), modelant à notre insu les façons de voir et les manières de faire… Echapper aux logiques ségrégatives exige de reconsidérer le métier sur des points clés de la pratique quotidienne : sortir de l’incompréhension à l’égard des élèves ; reconsidérer l’évidence de la chose enseignée ; modifier la conduite des temps d’apprentissage. Que transformer ?… 1) Le regard sur les élèves, davantage singularisé jusqu’alors par le jugement, l’évaluation- sanction que par l’interrogation à visée compréhensive. Regard à modifier par un triple éclairage: Des compétences didactiques, afin de mieux comprendre la logique des élèves. Ainsi, les erreurs, inhérentes à tout nouvel apprentissage, pourraient avoir une autre place, constituer des repères témoignant de l’avancée de leur compréhension, servir de points d’appui pour débattre des divergences, lever les malentendus, tester la pertinence des propositions, pousser à l’argumentation raisonnée et à l’exercice de la preuve. Le rapport de l’IGEN d’octobre 2006 avait pointé cette difficulté majeure des enseignants en éducation prioritaire à pouvoir spécifier la nature des difficultés des élèves[5]. Sans doute ces enseignants ne sont-ils pas les seuls à naviguer sans repère… Une dimension éthique. Toute entreprise éducative nécessite d’être soutenue par un regard sur l’apprenant. Ce qui était hier postulat philosophique (« Tous capables ») est aujourd’hui attesté scientifiquement. La notion de plasticité cérébrale étaye le pari d’éducabilité, appelant à une vision optimiste de l’Homme dans son historicité. Ajoutons-y les acquis de la psychologie sociale, notamment l’effet Pygmalion, phénomène des prophéties auro-réalisatrices rendant compte des processus modifiant inconsciemment nos comportements selon le regard porté sur l’autre. L’ensemble pourrait faire pièce aux postures fatalistes, à la rhétorique des aptitudes, des talents ou de l’ « excellence propre », cache-misère d’une vision naturalisée des différences justifiant tous les renoncements. Un positionnement social. Dans une visée de démocratisation, le regard des enseignants doit également être instruit par les apports de la sociologie de l’école et de la famille, dévoilant les logiques des élèves face aux savoirs et à la scolarité, les divers modes de socialisation et les attentes différentielles des parents à l’égard de l’institution scolaire. Apports nécessaires pour contrer les effets insidieux des stéréotypes sociaux et appeler à la responsabilité professionnelle. 2) La conception du savoir. Il n’est pas simple, pour celui qui y excelle à tel point qu’il le professe, de se déprendre de l’évidente simplicité du savoir enseigné. Des siècles d’éducation ont banalisé l’idée que le savoir, empreint de logique, pouvait s’exposer aussi clairement qu’il se concevait. Or, nous devons bien constater la faillite de ce modèle hérité du passé, qui ne parlait en fait qu’aux héritiers, véhiculant une conception a-historique et réifiée des contenus. Quelles dimensions y substituer ? Le savoir comme rupture. Contre cette vision linéaire et cumulative simpliste, nous soutenons l’idée d’un savoir polémique. Savoir, c’est rompre avec le rapport d’évidence, de transparence (aucun savoir ne « va de soi »), c’est rompre avec le « bon sens » amalgamant information, connaissance et savoir. Tout savoir nouveau est en rupture par rapport à ce qui précédait, que ce soit sur le plan socio-historique ou au niveau individuel. C’est ici faire place au poids des représentations initiales, au « déjà-là », aux concepts quotidiens, simultanément appuis et obstacles aux concepts scientifiques (Vygotski). Le savoir comme terme d’un processus. S’il est énonçable, stockable, mémorisable, le savoir ne s’y réduit pas. Il est essentiellement le résultat de « crises » constitutives, il témoigne d’une genèse qui en a imposé l’économie. Son évidence n’est apparue qu’après-coup, pour reprendre les termes de Bachelard. Il s’agit de faire revivre auprès des élèves ce travail du passé afin qu’ils accèdent au cœur de la logique des savoirs constitués, produits de rectifications successives. Quelle sont les caractéristiques de ce processus ? Il est amorcé par un contexte problématique (un problème à résoudre) ; dynamisé par un débat polémique, une argumentation critique (débat de preuves) ; …finalisé sous la double exigence des principes d’efficacité et d’efficience. Il incorpore dans son économie actuelle les traces de ces ruptures historiques. Sa forme répond à des exigences non pas formelles mais intrinsèques, sa genèse en justifie la pertinence… et lui donne valeur universelle. La formation disciplinaire ne saurait oublier l’histoire culturelle et une approche épistémologique des contenus à enseigner. Du côté des élèves, cela signifie que le savoir n’est pas à imposer (l’apprentissage est alors perçu comme tentative de normalisation) mais doit à grâce au travail pédagogique – s’imposer aux élèves (activité les amenant à comprendre que sa normativité interne est justifiée). Le savoir comme outil d’émancipation. Piégé dans l’unique valeur d’échange pour bien trop d’élèves, le sens des savoirs est à remettre en chantier dans des activités qui en réhabilitent la valeur formative. Tout savoir atteste de l’intelligence humaine face aux défis posés, est conquête contre les fatalités (assurer les besoins vitaux, échanger à distance, cumuler les savoirs et pouvoir les diffuser, prévoir le temps, échapper aux maladies, maîtriser l’espace, etc.), ouvre à des pouvoirs accrus de compréhension et d’action. Le savoir « révolutionne » la façon de penser les choses, le rapport au monde. Quelques exemples : la découverte de la circulation sanguine [William Harvey,1628] ; les microbes pour expliquer les maladies contre l’idée de génération spontanées [Pasteur, fin 19è] ; la tectonique des plaques qui s’impose face à la dérive des continents de Wegener [1912] dans les années 60-66 ; le modèle de l’ADN de Crick et Watson [Prix Nobel en 1962] et, en matière de Préhistoire, les récentes découvertes qui remettent en cause les hypothèses jusque là admises… Cela vaut à l’échelle de l’histoire comme sur le plan personnel. Le travail de l’enseignant consiste à introduire chaque génération dans le mouvement vivant de la culture humaine… et, ce faisant, prépare chacun à y contribuer. 3) L’approche de l’apprentissage. Cette conception socio-historique des savoirs va de pair avec une conception socioconstructiviste de l’apprentissage. Outre l’appui déterminant du groupe de pairs pour avancer dans la compréhension, par dépassements de conflits sociocognitifs (ce qui repositionne le rôle de l’enseignant, autrement indispensable), que changer aux conceptions usuelles ce niveau ? Au centre de l’action éducative, c’est moins l’élève que son rapport au savoir. Il s’agit tout d’abord d’imaginer la situation propice pour convoquer, mobiliser chacun des élèves sur un objet dont l’intérêt n’est pas préalable mais à conquérir (voire à reconquérir, comme dans les dispositifs relais). Qu’est-ce qui peut activer la curiosité puis la passion de comprendre ? Engager n’est pas tout. Encore faut-il ensuite organiser le cheminement intellectuel avec l’appui solidaire et exigeant des pairs. L’important, c’est moins réussir que comprendre. Cela doit guider la conduite de la leçon : faire place à la diversité des avis, aux contradictions ; donner un statut à l’erreur comme témoin d’une pensée en chantier qui cherche ses marques ; inciter à la preuve (et ainsi former à la rationalité, à l’esprit critique) ; solliciter la réflexivité à tous moments. Il s’agit d’exercer un regard connaissant, d’apprendre à réfléchir sur les objets, situations et conduites pour accroître sa maîtrise du réel. Sans oublier l’enjeu, la visée éducative derrière l’instruction. Derrière l’appropriation de contenus, sont convoqués et éprouvés des cadres de pensée, des façons d’appréhender le réel. A travers chacun des apprentissages, le sujet est amené à passer : * de sa subjectivité à une mise à distance réfléchie (processus d’objectivation) ; * de l’opinion à un point de vue conceptuellement outillé, rationalisé ; * de l’auto-centration à l’ouverture à l’altérité. Ce qui contribue au processus conjoint de personnalisation et de socialisation élargie, participant ainsi à l’émancipation intellectuelle. Une formation au service du développement Le développement de la démocratisation passe par un recentrage du métier sur le développement personnel des élèves comme sujets et futurs citoyens, et requiert pour y parvenir de s’appuyer sur le développement professionnel des enseignants. 1) Du développement personnel des élèves… De la famille à l’école, l’éducation transforme, fait grandir, « élève ». On y construit un rapport second au monde : prise de distance, médiatisation par les outils intellectuels, conscience accrue de l’ordre des choses; passage d’une maîtrise pratique à une maîtrise symbolique. C’est parallèlement l’ouverture à une socialisation élargie : échanges avec les pairs ; appropriation d’objets sociaux à portée universelle ; affiliation, par l’entremise des apprentissages, à l’histoire humaine. Tous ces outils permettant d’échapper à la captation, à l’influence sans partage de la sphère familiale. Au-delà, la pluralité des apports sur le plan culturel (appropriation de codes symboliques, de concepts, d’œuvres et de techniques), sur le plan intellectuel (capacités réflexives, pensée critique), sur le plan social (ouverture aux autres, aptitude au travail collectif) participe d’une citoyenneté agissante, indispensable pour actualiser et dynamiser la démocratie. 2) Du développement professionnel des enseignants Face aux enjeux (de démocratisation, d’extension de la formation vu l’accroissement des savoirs et les transformations de plus en plus rapides des métiers), l’exercice solitaire du métier n’est plus viable. La formation doit préparer au travail d’équipe, soutenir et accompagner une conception solidaire de la pratique professionnelle que ce soit pour préparer la classe, pour la conduire ou pour harmoniser l’action éducative. Élaborer des situations d’apprentissage : Un rapport instruit à la pratique suppose de démonter la logique des savoirs pour en aménager la reconstruction, la ressaisie signifiante par les élèves : quelle est la nature de leurs erreurs ? Autour de quelle(s) rupture(s) conceptuelle(s) organiser la situation d’apprentissage ? Échanger sur les gestes professionnels : Gérer la classe, s’ajuster à l’inattendu, faire face à l’imprévu… La logique d’action a ses impératifs qui amènent à faire des choix dans l’urgence d’un temps contraint. Mettre à distance le quotidien est indispensable pour mieux en assurer la maîtrise. Des entretiens croisés à l’ « instruction au sosie », c’est pointer là le rôle formateur de la polémique professionnelle (Y. Clot). Élaborer une stratégie éducative durable. Inscrire l’action éducative dans une cohérence d’ensemble et dans la temporalité, c’est une condition indispensable pour obtenir des effets significatifs. Faire des choix concertés de stratégie éducative (diagnostic, sélection de priorités, suivi, relations avec les familles, évaluations régulatrices, etc.) nécessite une mobilisation de l’ensemble des acteurs. Nous savons par expérience combien les élèves et leurs parents y sont sensibles. Face à la surpression normative et l’indigence des appuis, il faut « étendre le pouvoir d’agir des professionnels pour faire autorité’ sur le travail », « soigner le métier » (Y. Clot). Cela ne peut s’improviser, nécessite du temps, de la détermination politique… Mais l’avenir de la démocratie en vaut bien le coût ! [1] Christian Baudelot, Roger Establet, L’élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, La République des Idées / Seuil, 2009. [2]« C’est en France que les élèves souffrent le plus ! », Interview de Bernard Hugonnier, directeur adjoint de l’Education de l’OCDE dans Le Nouvel Observateur, 7-13 avril 2005. [3] Selon le Baromètre Trajectoires /Afev 2009: 36 % ont parfois ou souvent mal au ventre avant d’aller à l’école ; 37 % ne lèvent jamais le doigt, par peur de se tromper (25 % des écoliers, 41 % des collégiens) ; 53 % s’ennuient à l’école (parfois pour 37 % ; souvent ou tout le temps pour 16 % des élèves) ; 64 % avouent ne pas toujours comprendre (c’est souvent le cas pour 20 % des élèves). [4] Nathalie Mons, Les nouvelles politiques éducatives. La France fait-elle les bons choix ? PUF, nov. 2007. [5] Anne Armand, Béatrice Gille, La contribution de l’éducation prioritaire à l’égalité des chances des élèves, Rapport IGEN / IGAENR, MEN, octobre 2006. ^ Haut de page