Les professeurs continuent de défendre l’école publique contre toutes les attaques qui visent à la détruire

Ce 12 novembre 2021, le Figaro Magazine a titré sa une  » École. Comment on endoctrine nos enfants ». Le sous-titre est encore plus racoleur : « Antiracisme, idéologie LGBT+, décolonialisme… Enquête sur une dérive bien organisée ». À l’heure où le ministère de l’Éducation nationale clame la nécessité de « revenir » aux valeurs de la république, cet article dénonce des enseignant .e.s qui les mettent en œuvre!

La charge se fait par l’intermédiaire de témoignages anonymes. La dénonciation en particulier d’une enseignante d’EMC à partir des déclarations d’une élève n’a rien à envier aux méthodes qui ont
conduit à la décapitation de notre collègue Samuel Paty : le mensonge, la calomnie, la dénonciation publique d’enseignant.es.

Le vocabulaire employé relève d’un complotisme qu’on s’étonne de trouver dans un magazine issu d’un quotidien national. De quel côté se situe l’endoctrinement ? Faudrait-il donc sanctionner des enseignant.es qui luttent contre toutes les discriminations et les préjugés qui mènent à la violence ?

Hier, ils dénigraient l’Université publique en taxant les universitaires d’Islamo-gauchistes. Aujourd’hui, c’est au tour de l’École publique et de toute la profession enseignante, sans égards pour les attaques dont elle souffre depuis de nombreuses années.

Cet article est une caricature outrancière. Il est l’illustration et le résultat de l’abandon d’un service
public d’éducation depuis trop d’années. Au lieu de parler des moyens, à l’heure où le ministère de l’Éducation nationale rend pour la troisième fois en deux ans des dizaines de millions d’euros à Bercy tandis que l’école publique implose, on préfère lancer des anathèmes et discréditer une institution dans
son ensemble. Un cap dans la stratégie de délégitimation de l’Ecole publique vient d’être franchi. Il ne s’agit plus seulement de détruire, il faut maintenant salir.

Trop c’est trop !

Depuis trop d’années, l’Ecole est la cible d’attaques organisées si bien que le prof-bashing est devenu un sport national, désormais alimenté par le ministère. La réalité des salles de classes, des cours de récréation et des établissements scolaires, où le savoir se construit avec un recul critique, n’est lue nulle part, entendue nulle part.
Au lieu de cela, ce sont les commentateurs et commentatrices  les plus éloigné·es de la sphère scolaire qui font naître des peurs et de véritables paniques morales plaquées sur une Ecole qui n’existe que dans leurs fantasmes.
Nous ne sommes pas responsables des comptes qu’ils ont à régler avec l’institution
scolaire.

Ici, un nouveau pas est franchi, puisque depuis la publication du dossier et le tollé qu’il a suscité, par son
silence, Jean-Michel Blanquer lui apporte sa caution. Du titre aux articles, le torrent de boue déversé, les accusations infondées, auraient pourtant mérité réaction d’autant plus que certaines  « valeurs de la
République » y sont malmenées, tel l’antiracisme ou la lutte contre les LGBT+-phobies qui s’inscrivent bien, aux dernières nouvelles, dans le principe de fraternité. Pire, par la voix de Souâd Ayada, présidente du Conseil Supérieur des Programmes, on peut lire une caution de la rue de Grenelle à des  propos pourtant faiblement étayés. Elle va jusqu’à souhaiter contrôler et épurer l’édition scolaire, pratique qui masque mal un désir inassouvi de censure de certains débats.

Ajoutons que ce dossier opère une opportune diversion et sert les intérêts d’un ministère désormais incapable d’assurer à tous les enfants de la République des conditions d’accueil scolaire conformes au code de l’éducation. Le manque d’enseignantes et d’enseignants est criant dans certaines académies, et prive des enfants toujours plus nombreux de leur droit essentiel à l’éducation. Quant à l’intégration des élèves en situation de handicap, elle est d’une insuffisance au-delà du scandale. Devant cette rupture majeure du principe d’égalité, largement dénoncée, le silence est pourtant de mise dans les Rectorats concernés comme rue de Grenelle.

Les collectifs signataires de cette tribune dénoncent, sans réserve, ces attaques infondées. L’Ecole publique n’endoctrine personne. Au contraire, chaque jour, des centaines de milliers d’enseignant·es œuvrent pour que chaque élève, chaque enfant, chaque jeune puisse apprendre, progresser, grandir et former son jugement, loin du spectaculaire médiatique et des fake-news. Qu’ils et elles soient ici remercié·es et félicité·es, pour ce labeur quotidien, le plus souvent exercé dans l’ombre de ces coups médiatiques scandaleux et dangereux, faisant le lit de l’extrême-droitisation des discours sur l’Ecole. Ça suffit !

La profession enseignante, à plusieurs reprises endeuillée et meurtrie ces derniers mois, a droit à un peu de reconnaissance et de tranquillité. Que ses ennemis récurrents le lui accordent, est-ce trop demander ?

Au court terme des échéances électorales et des discours caricaturaux répond le temps long de l’éducation. Nous en appelons dès lors à ce que l’Ecole soit protégée de ces attaques. Nous
adressons notre plus entière solidarité aux collègues et collectifs nommément visés dans le dossier du Figaro Magazine. Sans faire fi de notre diversité, nous exprimons avec force et clarté notre attachement au service public d’éducation nationale. Puissions-nous collectivement trouver le courage nécessaire à la continuation de notre métier car nos élèves, nos enfants, en ont besoin et se tiennent fort heureusement loin du monde ténébreux dessiné par le Figaro Magazine.

Signataires :

  • Carnets rouges
  • Collectif Aggiornamento Histoire-Géo
  • Collectif Questions de classe(s) — N’Autre école
  • Collectif pour la défense du service public d’éducation 38
  • ICEM Pédagogie Freinet
  • GFEN
  • Institut bell hooks/Paulo Freire
  • Collectif Pédagogie Solidaire
  • Collectif Lettres vives
  • Collectif SVT Égalité
  • Collectif Enseignant·e·s Pour La Planète
  • Cahiers de pédagogies radicales
  • Fondation Copernic
  • L’APSES (association des professeurs de sciences économiques et sociales)
  • Cahiers d’histoire, revue d’histoire critique
  • GRDS (Groupe de recherche sur la démocratisation scolaire)
  • ATTAC
  • AFEF (association française des enseignants de français)
  • OCCE (office central de la coopération à l’école)
  • Comité thématique Education de Génération.s
  • CRAP-Cahiers pédagogiques