Lettre à un journaliste qui se dit nul en maths

Le 4 décembre, Jacqueline Bonnard était invitée par France Bleue Touraine pour une interview concernant l’annonce de “la baisse de niveau” qu’on présupposait aux évaluations PISA.

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Dans l’article suivant Jacqueline Bonnard explicite ses propos.

Lettre à un journaliste qui se dit nul en maths

Jacqueline Bonnard (secrétaire nationale du GFEN et responsable du GFEN 37)
6 décembre 2023

Le niveau baisse en particulier en maths, l’heure est grave nous dit-on en ce 4 décembre 2023, en l’attente des résultats de l’enquête PISA qui évalue les compétences des élèves de 15 ans de 81 pays dans trois domaines clés : la compréhension de l’écrit, la culture mathématique et la culture scientifique. 

D’ores et déjà, on présuppose que les résultats seront mauvais, m’annonce la journaliste de France Bleu Touraine me contactant après avoir repéré mes coordonnées sur le site national du GFEN. Après échanges sur nos activités de formation tant nationales que locales, elle m’invite à une interview de 5mn sur le sujet lors de la matinale du lendemain vers 7h30.

Dès potron-minet, je me pointe donc à la dite-station après m’être interrogée sur ce qu’il y aurait d’important à dire à ce sujet. 5 mn, c’est court surtout lorsque c’est entrecoupé de commentaires qui balaient rapidement les différents volets de la question sans qu’on puisse dérouler le fil de sa pensée… mais c’est l’exercice imposé et toute expérience est bonne à prendre même s’il est frustrant d’effleurer les causes du problème récurrent de l’enseignement des mathématiques et des sciences dans notre système éducatif. D’ailleurs est-il seulement question de maths ?

Ce que nous disent toutes les enquêtes auxquelles la France participe et qui scrutent l’efficacité des systèmes éducatifs sur une classe d’âge, c’est que les élèves français savent déchiffrer un texte mais qu’ils peinent à se représenter les situations décrites d’une part et repérer les informations utiles à résoudre le problème posé d’autre part. Tout se passe comme s’il ne s’agissait que d’utiliser des techniques opératoires acquises laborieusement sans rapport avec la situation décrite dans l’énoncé. C’est ce que nous pointons du doigt depuis de nombreuses années et qui a été si bien analysé par Odette Bassis[1] qui nous propose d’enseigner autrement, en faisant en sorte que tout commence par des questions, non pas celles que pose l’enseignant mais celles que se posent les élèves à partir d’une situation donnée.

Alors c’est une question de méthodes ?

Lors de l’audition du 13 septembre 2023 au CESE, Jacques Bernardin[2] rappelait les éléments incontournables pour une véritable réussite scolaire, sachant que les élèves apprennent d’autant mieux qu’ils sont impliqués et intellectuellement actifs. D’abord, il faudrait multiplier les situations suscitant la recherche.  Au GFEN, nous incitons les collègues à proposer des situations de recherche sous forme d’énigme ou de défi visant à créer l’intérêt, l’implication personnelle (situations ouvertes, assez complexes pour que chacun puisse y apporter sa pierre depuis son expérience, donc amenant à faire des hypothèses et des propositions). Cette recherche doit être ponctuée de confrontations entre pairs au sein de petits groupes, amenant à expliciter les points de vue, à les justifier, à argumenter et à raisonner. L’objectif est de parvenir collectivement, certains diraient dans un esprit coopératif à une solution concertée. Mais cette participation active ne serait rien sans un temps de formalisation, d’institutionnalisation, où l’on tire leçon de l’expérience, où l’on dégage l’essentiel, les éléments-clés. De même, tout apprentissage devrait s’accompagner de modalités d’évaluation qui forme l’élève à l’autorégulation c’est-à-dire apprendre à repérer ce qu’il a appris, ce qu’il sait déjà faire et ce qu’il lui reste à accomplir pour atteindre l’objectif visé.

Ou une question de formation ?

Vaste programme direz-vous, mais qui pose la question de la formation des enseignants. Si l’on veut faire évoluer favorablement la situation, il faut commencer par l’enseignement des mathématiques et des sciences à l’école primaire – et ce dès l’école maternelle – non pas en assénant des savoirs finis à mémoriser mais en installant chez les élèves une posture de chercheur au sens de Bachelard : « Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. »[3]

Or la majorité des enseignants de l’école primaire sont issus de filières littéraires ou sciences humaines et se disent mal à l’aise avec ces disciplines. La formation professionnelle – aussi bien initiale que continue – devrait tenir compte de ces données par des mises à niveau nécessaires à la manipulation de concepts que les élèves doivent intégrer dans leur mode de pensée. Ceci est un préalable mais ne dédouane pas d’une réflexion sur les méthodes pédagogiques. La tentation du Ministère – dans un souci très libéral d’économie car la formation a un coût – est de fournir des outils clés en main de bonnes pratiques sous forme de Vadémécums mais il ne suffit pas de reproduire les exemples décrits pour transmettre les savoirs visés. Enseigner est un métier qui s’apprend. Ni répétiteur ou illusionniste, l’enseignant affine ses pratiques par compagnonnage et/ou échanges avec ses pairs, mais une véritable formation (initiale et continue) est nécessaire pour assoir une professionnalité : une formation s’appuyant sur les savoirs disciplinaires et leur didactique mais également sur une approche plurielle en éducation. Les mouvements pédagogiques sont peu présents dans la formation des enseignants pourtant les pratiques qu’ils portent permettent une diversification des gestes professionnels, leur transmission à l’occasion de controverses sur le métier.

Quelle conception des savoirs ?

Lors de l’interview, une auditrice nous a présenté son rapport aux mathématiques en évoquant deux exemples : l’inutilité selon elle du théorème de Pythagore dans la vie quotidienne et de sa découverte de l’angle plat… « un trait !». Pourtant soulignait-elle, j’aurais bien voulu savoir qui était Pythagore ! Elle serait bien étonnée d’apprendre que Pythagore n’a jamais rien démontré mais que ce sont ses successeurs qui s’y sont collés ! Cependant, en quelques mots, elle a bien résumé la situation à laquelle nous sommes confrontés.  Pour rendre vivants les savoirs, il faut les replacer dans leur contexte et comprendre comment ils se sont construits, quelles ruptures ils ont installées dans la représentation cohérente du monde. C’est ce que nous proposons de faire vivre aux enseignants lors de nos sessions de formation, car les difficultés rencontrées par nos élèves coïncident le plus souvent avec les ruptures qui ont permis des avancées : l’introduction du zéro en mathématiques, le vaccin en sciences… Et des savoirs pratiques aux savoirs théoriques, nos civilisations se sont ainsi construites : c’est aux adultes d’en faire goûter la saveur aux plus jeunes pour qu’ils se sentent intégrés à cette aventure humaine.

Voilà ce que j’aurais aimé développer afin de vous démontrer qu’il n’existe pas de « nul en maths » mais des rendez-vous manqués. Ni les redoublements ou groupes de niveau, encore moins l’uniforme ou autre recette de grand-mère ne sauraient renouer les fils de la rencontre.

[1] Odette Bassis, Concepts clés et situations-problèmes en mathématiques, Tome 1 et 2, Hachette Education, Pédagogie pratique à l’école et au collège,2004

[2] Jacques Bernardin (président du GFEN) a été auditionné le 13 septembre 2023, par la Commission Éducation, culture et communication du CESE (Conseil économique social et environnemental) dans le cadre de la saisine d’initiative “Réussite à l’École, réussite de l’École”.

[3] La Formation de l’esprit scientifique (sous-titré Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective) est un essai d’épistémologie de Gaston Bachelard publié aux éditions Vrin en 1938.

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