Lettre ouverte au Ministre EN (2005) Lettre ouverte à Monsieur le ministre de l’Éducation nationale Gaston Mialaret, Professeur honoraire de l’Université de Caen, Docteur honoris causa des Universités de Gand (Belgique), Lisbonne (Portugal), Rethymnon (Université de Crête), Bari (Italie), Timisiora (Bulgarie), Sherbrooke (Canada), Université Laval (Québec), Membre de l’Académie nationale des Sciences, Arts et Belles Lettres de Caen. Le 8 décembre 2005 Monsieur le Ministre, Je vous ai entendu, mercredi soir sur la chaîne de télévision France 2, condamner, sans appel, telle ou telle méthode d’apprentissage de la lecture utilisée au cours préparatoire. Je me suis demandé ce que faisaient vos conseillers pédagogiques qui auraient pu vous éviter cette formule traduisant une ignorance profonde des problèmes pédagogiques de l’apprentissage de la lecture. Parler d’une méthode, quelle qu’elle soit, sans tenir compte des efforts faits par les maîtresses et maîtres dans leur classe, par les praticiens qui introduisent de nouveaux moyens d’apprentissage (il suffit de consulter les diverses revues pédagogiques ou les travaux faits actuellement (à titre d’exemple) par Rachel Cohen qui introduit les ordinateurs dans les classes et qui les utilise pour l’apprentissage de la langue orale et de la langue écrite), les recherches très sérieuses faites dans nos laboratoires universitaires soit sur le plan linguistique soit sur le plan de la psychologie cognitive de l’apprentissage…. c’est faire fi de tous les efforts réels que l’on peut observer à tous les niveaux et faire preuve d’une ignorance que je ne veux pas croire être celle du Grand Maître de l’Université. Au-delà des querelles sur les méthodes … qui datent depuis plus de 100 ans, une réflexion sur ce qu’est une méthode permet d’apporter quelques lumières. Une méthode n’existe pas en soi ; elle n’existe qu’à travers un éducateur qui la met en œuvre et plusieurs facteurs sont à considérer avant de pouvoir porter un jugement sur la valeur de telle ou telle méthode. Une méthode est un ensemble de démarches psychologiques et pédagogiques (quelquefois même sociologiques) qui amène le sujet à l’apprentissage de la lecture. On a distingué, et depuis très longtemps, les démarches synthético-analytiques (en gros les méthodes syllabiques) et les démarches analytico-synthétiques (appelées -un peu à tort- les méthodes globales). Mais nous savons que les maîtres (qui ont officiellement la liberté de choix de leurs méthodes) adaptent plus ou moins, et selon leur personnalité, leur formation antérieure, les publics élèves qu’ils ont devant eux, le milieu social dans lequel ils enseignent, la méthode choisie. A notre époque un autre facteur intervient : celui de la langue maternelle des enfants et leur degré de connaissance du français. C’est dire qu’en fin de compte ce sont davantage les qualités d’adaptation des maîtres à leur public qui entrent en jeu que les qualités intrinsèques de telle ou telle méthode. Un bon enseignant obtiendra, avec la méthode qu’il se sera choisie ou construite, de bons résultats ; un enseignant mal formé, et quelle que soit la méthode utilisée, aura de mauvais résultats. C’est donc la question fondamentale de la formation des enseignants et les conditions d’existence de notre éducation nationale qui sont au cœur de tous les problèmes. Ne rejouons pas « Les animaux malades de la peste » de notre cher La Fontaine et ne faisons pas porter, à une méthode ou à une autre, le rôle du pauvre baudet de la fable. Avant de porter un jugement il faut aller plus loin et ne pas se contenter de la solution facile du bouc émissaire qui semble nous dégager de nos responsabilités. Vous comprenez pourquoi, Monsieur le Ministre, quand je vous ai entendu condamner une méthode d’apprentissage sans aucune justification scientifique, sans expliquer les avantages et les inconvénients de chacune des méthodes actuelles, j’ai cru rêver car votre attitude était à l’inverse de celle que nous essayons de développer chez tous nos étudiants et chercheurs : la nécessité d’éliminer, dans tout jugement objectif, la part d’opinions, l’influence des modes pédagogiques (les modes existent aussi en pédagogie), le besoin de satisfaire telle ou telle clientèle électorale ou autre. Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes sentiments les plus respectueux. NDLR : Gaston Mialaret est actuellement président d’honneur du GFEN. Il succéda à Henri Wallon, de 1962 à 1969, à la présidence du GFEN et fut l’un des créateurs des sciences de l’éducation en France. 8 décembre 2005 Valérie Pinton