Pédagogie

Pédagogie explicite contre pédagogie de la découverte

Et si la question était mal posée…

Jacqueline Bonnard – 2016

Si l’on admet que la pédagogie est l’ensemble des méthodes et pratiques d’enseignement, le concept de pédagogie recouvre à la fois les savoirs professionnels intériorisés (les pratiques) que l’enseignant convoque dans la gestion de la classe et la maîtrise des concepts nécessaires à la transmission du savoir (contenus, apports de la recherche en psychologie, en sociologie, en neurosciences…). Influencés par les courants de pensée qui traversent les périodes historiques, les praticiens ont élaboré des modèles pédagogiques porteurs de valeurs et s’appuyant sur des théories de l’éducation. Chaque période de transformation sociale produit de nouvelles propositions cristallisant les partis-pris philosophiques ; c’est sans doute une de ces périodes que nous vivons actuellement.

Les tenants de l’idéologie néolibérale prônent l’individualisation et renvoient chacun à ses performances l’obligeant à une obligation de réévaluation de lui-même. On voudrait nous faire croire que la crise qui traverse le système scolaire serait le résultat d’une pédagogie« laxiste », « centrée sur l’élève » et s’appuyant sur « les méthodes actives » héritières des mouvements d’éducation nouvelle et qu’il faudrait revenir aux « bonnes vieilles méthodes ». Or,qui connaît bien le système éducatif français sait que les pratiques pédagogiques majoritaires s’appuient sur un modèle transmissif  où le cours magistral ou dialogué imprime une démarche déductive sensée installer les savoirs visés de façon progressive et sans rencontrer d’obstacle. C’est une pédagogie de l’implicite qui s’appuie sur l’idée que forcément tous les élèves savent et comprennent de quoi il est question puisqu’ils ont suivi le même cursus. Or nous savons qu’il n’en est rien et en particulier pour les enfants des milieux populaires dont les codes sont trop éloignés de ceux de l’école.

Aux « méthodes actives », l’imaginaire collectif  associe le plus souvent les idées de Rousseau développées dans « l’Emile et l’éducation » : une pédagogie de la découverte, approche heuristique de l’apprentissage visant à l’épanouissement et s’appuyant sur la libre expression. S’il est abusif d’ériger en principe pédagogique la seule motivation de l’élève pour donner sens aux apprentissages, cela ne saurait justifier de revenir à des méthodes pédagogiques relevant plus du dressage que de l’apprentissage. L’enseignant a à imaginer et construire des situations structurées  qui obligent à l’exercice de la pensée, à l’interaction langagière par la confrontation à la pensée de l’autre et l’argumentation. C’est ce que développe notre mouvement avec  la démarche d’auto-socio-construction des savoirs. Découvrir ne suffit pas,  il faut des moments de formalisation et de structuration pour construire les savoirs et les organiser dans un système de représentation du monde cohérent.

Pour autant de quelle dose d’explicite avons-nous besoin pour mobiliser l’élève et l’aider à se mettre progressivement en avant comme sujet ?

Quelques pistes :

– Énoncer les objectifs visés tout en les inscrivant dans une progression pour développer la clarté cognitive : ce que nous allons faire, ce que nous avons déjà fait, pourquoi nous le faisons, de quoi allons-nous nous servir….

– Proposer des situations d’évaluation permettant l’observation de savoirs en action.

– Proposer aux élèves des critères d’évaluation et les indicateurs associés adaptés au niveau attendu et ce, en amont de tout contrôle des acquis.

– …

Méfions-nous des labels qui s’installent sous couvert de rénovation pédagogique, Ce dont nous sommes porteurs et ce qui nous mettons en débat n’a rien voir par exemple avec la pédagogie explicite (la troisième voie) qui tout en explicitant les objectifs visés enferme l’élève dans une démarche individualisée, un chemin balisé par l’enseignant et la répétition de tâches parcellaires.

Dans un récent article, Stéphanie Demers* alerte les enseignants sur les mirages de “l’enseignement explicite” du direct instruction, de l’efficacité mal comprise ou des mégasynthèses. Elle invite à réhabiliter la fonction émancipatrice de l’éducation plutôt que viser une efficacité pilotée par la seule performance, confondant la reproduction des savoirs d’un autre avec l’apprentissage. (lire l’article)

Dialogue n° 160  (avril 2016) pose la question : Expliciter pour faire comprendre ?
Dans la mode des « labels » pédagogiques, celui de « pédagogie explicite » nous est présenté par ses thuriféraires comme la panacée pour résoudre les difficultés scolaires. La revue développe la réflexion sur cette question. Une explicitation qui consisterait à découper les phases d’apprentissage, soi disant du simple au complexe, en entraînant l’élève à la reproduction de ce que montre le maître, ne serait, au mieux, qu’une illusion, au pire, une escroquerie.
Ce numéro revient, sur la notion, sous-jacente, d’implicite. Quels implicites ? Portés par qui ? Pour nous demander si tout doit être explicité? N’y aurait-il pas comme une prétention à vouloir, ou prétendre, tout expliciter ?
Mais qu’est-ce qui doit être explicité ? Le cadre, la conduite… de la démarche d’apprentissage, de construction du savoir ? Ou le donné fini de celui-ci, privant l’élève de tout plaisir de sa (re)découverte ?
Qui doit expliciter ? Le maître seulement ? Ou les élèves également, dans un mouvement d’appropriation des connaissances et savoirs travaillés ? Et comment, quelles conditions créer dans la classe, pour que cela soit possible et efficace ?
* STÉPHANIE DEMERS est professeure de fondements de l’éducation, au Département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec en Outaouais depuis 2011.

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