Base élèves, lettre au ministère

Courrier collectif au ministre de l’Education Nationale

Monsieur le Ministre de l’Education Nationale,

Suite à la décision du 30 mars 2010 prise par Madame l’Inspectrice d’Académie de l’Isère, Claude Didier et Rémi Riallan se sont vu retirer leur fonction de directeur d’école au seul motif qu’ils refusaient de renseigner la base de données Base Elèves 1er Degré. Ils rejoignent ainsi la liste déjà conséquente des directeurs sanctionnés pour avoir défendu les droits de l’enfant, et dont le nombre atteint à présent la douzaine (1).

Pourtant, en date du 20 novembre 2009, la Ligue des Droits de l’Homme avait considéré, par l’intermédiaire de son président national, «que les instituteurs nommés ci-dessus obéissent à un impératif éthique en lien étroit avec la Convention internationale des droits de l’enfant, et ne devraient donc pas être sanctionnés».

Plus récemment, dans un rapport du 24 février 2010 (2), Margaret Sekaggya, Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme auprès des Nations Unies, mentionne qu’elle a adressé au gouvernement français, conjointement avec le Rapporteur spécial sur le droit à l’éducation et le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, une lettre d’allégations au sujet de la mise en œuvre du traitement de données Base Elèves 1er Degré. Dans cette lettre datée du 10 décembre, à laquelle la France n’avait toujours pas répondu lors de la remise dudit rapport, «des craintes ont été exprimées quant au fait que les mesures disciplinaires prises à l’encontre» des directeurs d’école refusant de renseigner Base élèves «soient liées à leurs activités non violentes de promotion et de protection des droits de l’homme, notamment du droit au respect de la vie privée». Les six directeurs isérois cités sont ainsi reconnus comme des défenseurs des droits des enfants comme le sont et le seront tous les enseignants sanctionnés pour ce motif, et les décisions des Inspecteurs d’Académie sont reconnues comme allant à l’encontre de cette instance des Nations Unies.

En sanctionnant ces directeurs, les Inspecteurs d’Académie de l’Isère, du Vaucluse, de l’Ariège, des Hauts de Seine et de l’Hérault n’ont respecté ni les droits de l’homme, ni les droits de l’enfant, ni la résolution de l’ONU de 1999 qui stipule que «nul ne peut être châtié ou inquiété pour avoir refusé de porter atteinte aux droits de l’homme»(3), ni les avis du Comité des droits de l’enfant et du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.

Condamnant ces manœuvres d’intimidation censées ébranler la détermination des directeurs qui refusent encore d’entrer dans ce dispositif ou qui, forts des recommandations des Nations Unies, ont décidé de cesser de l’alimenter, nous souhaitons que, sous votre autorité, tous les Inspecteurs d’Académie puissent satisfaire aux injonctions faites à l’Etat français par les instances internationales de défense des droits de l’homme. En conséquence, nous vous demandons de lever toutes les sanctions prises à l’encontre des directeurs d’école qui refusent d’alimenter le fichier Base Elèves 1er Degré.

Sans attendre que la justice française statue sur les 1800 plaintes déposées auprès des Tribunaux de Grande Instance et sur les recours déposés au Conseil d’Etat, nous espérons que vous saurez entendre les revendications portées par les parents d’élèves et les citoyens, les directeurs d’écoles et les enseignants, les syndicats d’enseignants mais aussi d’avocats et de magistrats. Tous exigent que l’anonymat redevienne la norme en matière d’éducation, que chaque élève ait un dossier au niveau local, ni centralisé ni partageable, ni consultable à distance. En conséquence, nous vous demandons d’abandonner Base Elèves 1er Degré et de détruire les données collectées irrégulièrement dans la Base Nationale Identifiant Elèves (BNIE).

Le Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies : «  recommande en outre à l’État partie de ne saisir dans les bases de données que des renseignements personnels anonymes et de légiférer sur l’utilisation des données collectées en vue de prévenir une utilisation abusive des informations. » (4)

Plus que jamais, il nous paraît indispensable que l’Education Nationale montre l’exemple en respectant les conventions internationales qui régissent les droits de l’homme et de l’enfant, pour tout ce qui a trait au respect de la vie privée.

PREMIERS SIGNATAIRES
Collectif National de Résistance à Base Elèves (CNRBE), Réseau des enseignants du primaire en résistance, Collectif Anti Hiérarchie (CAH), Appel des Appels, Appel des 200 maîtres contre les évaluations nationales, Collectif Non a la Politique de la Peur, Ecole en Danger, Fédération France Parents, Mouvement Antidélation, Association Française Janusz Korczak (AFJK), Centres de Recherche des Petites Structures et de la Communication (CREPSC), CIMADE, Défense des Enfants International France (DEI), Fédération Nationale pour l’Ecole Rurale (FNER), Groupe Français d’Education Nouvelle (GFEN), ICEM Pédagogie Freinet, MRAP, RESF, Organisation Femmes Egalité, Privacy France, Syndicat des Avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature, Union Syndicale Solidaires, CGT Educ’action, Fédération des Travailleurs de l’Education de la CNT, Fédération SUD Education, UDAS,
Emancipation Tendance intersyndicale, Ecole Emancipée, Sections départementales du Snuipp , Sections départementales de la FCPE (64, 66, 94), Sections de la LDH (Châtenay-Malabry, Montpellier, Grenoble, Pau, Sartrouville, Toulon, Fédération des Bouches du Rhône), Collectif Sauvons l’Ecole Pour Tous à SEPT (Bruche, Strasbourg, Haut Rhin), Comité de Vigilance d’Aubervilliers contre l’expulsion des Familles et Elèves Sans Papiers, Francas 93. Avec le soutien de André Ouzoulias et Hubert Montagner.