Les pratiques, parlons-en !

Jacqueline BONNARD, 2012

Plus de cinq cent personnes ont assisté à nos stages de rentrée autour d’un thème fédérateur « Des
pratiques pour une autre école ! » Au-delà du slogan, de quoi s’agit-il ?

Au regard des comptes-rendus produits par les groupes et secteurs du mouvement, on mesure l’intérêt que suscitent les outils proposés. Je dis « outils » pour ne pas entrer dans le rayon des « méthodes qui marcheraient » comme s’il suffisait d’appliquer une procédure ou une recette pour l’élève se construise
des savoirs. Je dis « outils » car tout professionnel a besoin de savoirs formalisés pour exercer son action en fonction des objectifs visés. Je dis « outils » car au-delà de l’apparente facilité de l’exercice vécu ou observé, c’est la pratique de l’outil qu’il convient d’interroger

Entrer dans le métier enseignant c’est endosser une identité collective faite de valeurs et d’habitus[1],
c’est-à-dire d’un certain nombre de principes générateurs intériorisés par chacun d’entre nous et qui vont se traduire par des pratiques dont les caractéristiques sont identifiables comme relevant du métier sans pour autant présupposer de la visée consciente et de la maîtrise des opérations nécessaires
pour atteindre les objectifs visés. Ainsi comme le souligne Stéphane BONNERY[2],
Le dispositif pédagogique  majoritaire pour mener une séance de cours ou de formation répond à la logique de « l’indifférence à la différence », c’est-à-dire qu’elle s’appuie sur un modèle
implicite de « l’élève normal » qui adopterait spontanément les postures adaptées, apprendrait de façon fluide en répondant aux sollicitations de l’enseignant. De ce fait, les élèves les plus éloignés des évidences scolaires ne construisent pas de savoirs même s’ils participent aux activités proposées,
de plus ils se trompent d’objet de travail puisque pour eux « l’important est de participer » en faisant plaisir à l’enseignant.

De quoi sont révélatrices les pratiques produites et proposées par les militants du GFEN ?

1. Le pari du « Tous capables ! »

Les critères actuels de réussite et d’échec scolaire induisent une relation dissymétrique entre ceux qui possèdent les codes de l’école et ceux qui en sont éloignés de par leur origine sociale, tout en instaurant un rapport conflictuel puisqu’apprendre et réussir ne peut se faire qu’à coté ou contre l’autre. Le pari philosophique du « Tous capables ! » s’appuie sur le regard positif porté sur les potentialités de chaque individu à interroger le monde pour s’en construire une représentation en cohérence avec les connaissances actuelles et devenir ainsi acteurs de leur propre vie. Encore faut-il que les situations d’apprentissage proposées permettent à  chacun de mobiliser ses ressources internes et de se construire solidairement avec les autres des savoirs émanant du capital culturel bâti par les générations précédentes.

2. Le savoir au centre

Plutôt que d’annoncer « l’élève au centre de…», il s’agit de s’interroger sur les savoirs à transmettre et les processus de transmission. Il n’y a de savoir que construit par un sujet, en interaction avec les autres. Ce faisant l’individu se construit comme sujet en construisant son savoir. Pour le GFEN, le savoir est à la fois un objet construit socialement et le processus de cette construction. « L’idée du savoir implique celle du sujet, d’activité du sujet, de rapport du sujet à lui-même, de rapport de ce sujet aux autres » [3]

Cette approche nécessite une grande rigueur au niveau de la connaissance des concepts à aborder à la fois dans leur historicité et  les obstacles épistémologiques[4] liés à leur construction. C’est sur cette connaissance que la situation d’apprentissage proposée aux élèves est construite dans la perspective d’une appropriation collective de ces savoirs.

3. Les processus de transmission des savoirs

« On n’apprend jamais que seul, on n’apprend jamais qu’avec les autres », avons-nous coutume de dire. En proposant la démarche auto-socio-construction,  le GFEN favorise la mobilisation de chacun, installe le nécessaire conflit socio-cognitif et permet l’élaboration collective d’une synthèse active des savoirs abordés. Par la réussite de l’entreprise, ce processus installe une image positive de soi et de ses capacités.

Mais peut-on parler de pratiques sans évoquer la formation professionnelle des enseignants ?

Malgré les affirmations selon lesquelles le métier d’enseignant s’apprend en enseignant, ce qui a motivé la suppression de la formation initiale des professeurs néotitulaires, de nombreuses recherches montrent la nécessité d’une formation de haut niveau. Il y va de la qualité d’un enseignement qui doit contribuer à l’élévation générale des connaissances du corps social. Comme toute profession, les enseignants ont à se construire des compétences et en particulier celle d’analyser leurs pratiques pour prendre conscience de l’écart toujours présent entre travail prescrit et travail réel, entre objectifs visés et  objectifs atteints, afin de rechercher les solutions pertinentes pour en améliorer les effets. Ceci ne peut se passer que par un travail réflexif collectif fait de récits de pratiques, d’échanges entre
pairs, de comparaisons des stratégies pédagogiques adoptées. La verbalisation de la pratique génère un cadre interprétatif de l’acte professionnel et oblige à un dialogue entre théorie (apport de la recherche sur les items explorés) et pratique (situations de classe analysées). Intégrer à la formation
professionnelle des enseignants les travaux relatifs à l’ergonomie du travail (en particulier d’Yves Clot[5]) d’une part et les apports des nouveaux pédagogiques d’autre part pourrait contribuer à une formation professionnelle plus formatrice que « formatante ».


A lire

  • La démarche d’auto-socio-construction du savoir, Odette BASSIS

Dialogue n° 120 – Le savoir ça se construit, l’émancipation aussi, 2006

Définition et retour sur un concept élaboré par Odette et Henri BASSIS dans le cadre du GFEN et dans la lignée de la psychologie constructiviste (Piaget, Wallon, Vygostsky). Pour les militants du GFEN, l’apprentissage n’est pas affaire de recettes mais de stratégie ; le savoir ne se transmet pas, il se construit ; l’acte d’apprendre est un acte singulier, individuel ; l’apprentissage se conduit
dans un cadre socialisé : « on n’apprend jamais que seul mais on apprend avec (coopération) et contre les autres (contradiction et confrontation) ». Lire

Quelques pratiques et démarches proposées par des militants du GFEN :

  • La copie, cela s’apprend ! Corinne OJALVO

    Dialogue n° 145 – Du refus d’apprendre au pari de comprendre , juillet 2012

Une copie pour apprendre à copier… sous l’œil observateur d’un camarade avec retour réflexif sur les procédures utilisées : découpage syllabique, référence sémantique, remarque morphologique… Lire

 

  • Entrer en littérature par la pensée effervescente ou la mise en œuvre d’un chantier au CE2, Ghislaine MORANT

Dialogue n° 145 – Du refus d’apprendre au pari de comprendre, juillet 2012

Penser collectivement le métier. Le groupe cycle3 du GFEN38 a mis en place un chantier de lectures afin de proposer une alternative
aux situations de travail traditionnelles en classe. Lire

  • Jour de rentrée, les cinq premières minutes, Jacqueline BONNARD

Dialogue n° 103 – Collège, diversifier ou démocratiser l’accès au savoir, 2002

De l’importance d’installer une véritable rencontre
lors de « la prise de contact » avec une classe. Lire

  • La place du symbolique dans la conceptualisation, Odette BASSIS

Dialogue 139 –  Écrire ses pratiques, 2011

Retour sur une démarche d’auto-socio-construction,
ouvrant sur la notion d’addition qui donne matière à revenir sur les étapes de
conceptualisation. Lire

  • Du texte littéraire aux concepts en technologie Jacqueline BONNARD, Philippe GESSET

Dialogue Hors Série – Prendre pouvoir sur l’écrit, 2011

Introduire une séquence en technologie par l’étude d’un texte littéraire, c’est le défi que deux enseignants (un professeur de technologie et un professeur de lettres) d’un collège
« Ambition-Réussite » de Tours se sont lancés. Lire

 

  • « Les chocolats littéraires » Pourquoi des débats littéraires à l’école maternelle, Sylvie MEYER-DREUX

Dialogue n° 134 – Pour que la maternelle fasse école, 2009

Evoquer le débat à l’école maternelle soulève parfois des réticences car envisagé comme trop complexe pour de jeunes élèves. Pourtant, ce mode de communication met en jeu des capacités fondamentales tant sur le plan linguistique, cognitif et social que sur le plan individuel… Lire

 

  • Une pratique du débat à l’école primaire,  Marie SERPEREAU

Dialogue n° 107 – Oeuvrer pour la paix : les paradoxes du conflit, 2003

Dans la salle polyvalente de l’école, du côté des grands pour cette école à deux ailes, les chaises sont disposées en deux cercles concentriques. Le cercle intérieur est réservé aux enfants qui se sont inscrits comme participants au débat quelques jours auparavant. Le second cercle, le cercle extérieur attend les auditeurs… Lire

  • Le magistral et la mise en activité, Maria-Alice MEDIONI

Dialogue n° 136 – Transmettre. Enjeux sociaux et pratiques éducatives engagées, 2010

Comment mettre en activité des étudiants lors d’un
cours magistral intitulé « Apprentissage et didactique des
langues » et installés dans un amphi ? Lire

 

  • L’atelier de création poétique, à propos de l’acte d’écrire Christine JEANSOUS, Michel POLETTO

Dialogue Hors Série – Prendre pouvoir sur l’écrit, 2011

Ecrire, loin d’être un simple transcodage de l’oral est une vraie « bataille » avec la langue et l’acte d’écrire est une activité à part entière, bien particulière. Lire

  • L’atransmission, des chantiers pour créer… des ateliers… des démarches, Bernard MAYAUDON

Dialogue n° 137 – Education Nouvelle en marche. Chantiers d’avenir, 2010

Pratique du secteur Arts plastiques, Recherche et Création, il s’agit d’un dispositif pour permettre à TOUS l’invention d’ateliers, de démarches. Lire

  • « Le triomphe par le ratage » Dans les parages d’Henri Michaux, Odette et Michel NEUMEYER,

Dialogue n° 138– Difficulté scolaire. comment retourner la peau du destin ? Actes des 3èmes rencontres nationales sur l’accompagnement (St Denis, 27-28 mars 2010) 2010

La formule, provocatrice à souhait, est du plasticien et écrivain belge Henri Michaux. Les auteurs en ont fait un atelier de création pour interroger les notions de réussite, d’échec d’essai et d’erreur. Lire

  • Penser le Tous capables, Maria-Alice Médioni

Dialogue n° 109 – Tous capables ! Quel travail ! 2003

Une réflexion autour la posture de l’animateur et de la
nature de l’activité à proposer dans une séquence d’apprentissage. Lire

 

  • Le rôle des attentes dans la construction de l’image de soi : l’effet « Pygmalion » Jean Bernardin

Dialogue n° 138 – Difficulté scolaire. comment retourner la peau du destin ? Actes des 3èmes rencontres nationales sur l’accompagnement (St Denis, 27-28 mars 2010) 2010

Toute action de transmission repose sur des théories implicites concernant le regard que l’on porte sur l’apprenant, nos attentes à  et notre conception de l’objet à transmettre (avoir, geste professionnel…). Lire

Mais d’autres pratiques et démarches figurent dans les différents numéros de notre revue Dialogue.

Lire également :

Un dossier de l’IFE : Les effets des pratiques pédagogiques sur les apprentissages, n° 65, septembre 2011 – Auteur(s) :  Annie Feyfant

http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA/detailsDossier.php?dossier=65&lang=fr

Existe-t-il des pratiques pédagogiques efficaces? La recherche en éducation peut-elle apporter une
réponse à cette question? Cette revue de littérature tente de cerner les réponses apportées, surtout hors de nos frontières. Plusieurs courants de recherche tentent de répondre à la question « Qu’est ce que l’efficacité en éducation ? ». On pourrait faire état des travaux sur l’effet-maître, l’effet-établissement. Les travaux sur l’efficacité entremêlent les différents facteurs qui semblent favoriser les apprentissages.


[1] Pierre BOURDIEU : Le Sens pratique, Les Éditions de Minuit, 1989, p. 88-89).

[2] Au sens que donne Stéphane BONNERY (2007) : des dispositifs récurrents, de classe en classe, abstraction faite de la façon d’enseigner propre à chaque professeur

[3] Bernard CHARLOT, Du rapport au savoir, poche éducation (p. 70)

[4] Gaston BACHELARD, La formation de l’esprit scientifique.

[5] Yves CLOT, Chaire de Psychologie du travail, CNAM