Interview de Jacques Bernardin dans La Lettre de l’éducation

Interview de Jacques Bernardin dans La Lettre de l’éducation du Monde
(La Lettre n°904 du 2 janvier 2017
)

Jacques Bernardin : « Il faut chercher à comprendre les logiques qui animent les parents »

Ancien instituteur et formateur, Jacques Bernardin est président du GFEN (Groupe français d’éducation nouvelle)

Vis-à-vis des parents, quelle est « la » chose à faire ou à ne pas faire ?
Ce qu’il faut absolument éviter, c’est de porter des jugements hâtifs. A contrario, il faut chercher à comprendre les logiques qui animent les parents et qui, au premier abord, peuvent nous échapper. Ce n’est certes pas facile car, d’un côté, on peut être confronté à des interlocuteurs souvent d’un certain niveau s ocial et culturel, qui se placent en surplomb par rapport aux enseignants, et, de l’autre, à des parents qu’on ne parvient pas à rencontrer malgré des demandes réitérées. Les enseignants se trouvent en tension entre ces deux cas de figure opposés,qui met leur professionnalisme à l’épreuve.

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Philippe Meirieu :  » L’innovation pédagogique doit se faire au sein de l’école publique » paru dans AlterEcoplus

Paru dans AlterEco, un entretien avec

Philippe Meirieu :

par Céline Mouzon, le 07/09/2016

Le  discours  sur  une  alternative  scolaire  hors  de  l’Education  nationale  se  développe.  Porté  par différents  courants,  il  pourrait  ouvrir  la  voie  à  une  balkanisation et  une  marchandisation  de  l’école. Or  les  innovations  pédagogiques  existent  au  sein  de  l’école  publique.  Il  suffit  de  les  promouvoir, explique Philippe Meirieu, spécialiste des sciences de l’éducation et de la pédagogie.

L’école innove-t-elle aujourd’hui ?
Parlons-nous-nous de l’innovation dans l’Education nationale ou bien de la myriade d’innovations qui se  développent actuellement  à sa marge ? Avec  l’approche des élections présidentielles, se fait jour un  débat  important  opposant,  souvent  de  manière  peu  lisible  par  l’opinion  publique,  ceux  qui affirment que l’innovation pédagogique doit se faire au sein de l’école publique et ceux qui pensent qu’elle  est  impossible  dans  le  système  actuel  et  ne  peut  se  faire  qu’en  dehors  du  « carcan »  de l’Education nationale.
On  trouve,  parmi  les  tenants  de  cette  dernière  voie,  aussi  bien  des  personnalités  de  droite  qui professent  des  méthodes  très  traditionnelles,  fondées  sur  la  répétition,  la  mémorisation  et  la discipline,  avec  un  discours  fort  autour  du  « rétablissement  de  l’autorité »,  que  des  militants  de certains courants de l’Education nouvelle, autour des pédagogies Montessori et Steiner par exemple, voire  proches  de  la  mouvance  libertaire,  qui  ont,  eux,  pour  ambition  de  « lutter  contre  tout formatage  scolaire »  et  de  développer  la  créativité  des  enfants  que  l’école  traditionnelle  serait incapable de prendre en compte.
Se   côtoient   dans   un   même   combat   pour   la   « liberté   scolaire »   des   libéraux   élitistes,   des « républicains » nostalgiques et des « alternatifs » marginaux
Se  côtoient  ainsi  dans  un  même  combat  pour  la  « liberté  scolaire »  des  libéraux  élitistes,  des « républicains »   nostalgiques   et   des   « alternatifs »   marginaux.   Cette   convergence   entre   une conception  ultra-libérale  et  une  vision  autogestionnaire  de  l’éducation  me  paraît  préoccupante.
D’autant  que  ce  mouvement  se  rapproche  désormais  des  tenants  de  la  déscolarisation,  comme André  Stern,  qui,  au  nom  d’une  certaine  conception  de  l’enfance, affirment  que  l’école  « abîme » systématiquement les enfants et que seule « l’école à la maison », dans la nature, peut permettre un développement harmonieux.

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La question de l’action éducative à l’échelle d’un quartier

 

GFEN Île de France : Valérie SULTAN, Jeanne DION

Le « Groupe Réseau Éducatif » du quartier du Bois l’Abbé à Champigny dans le Val de Marne impulse depuis un an et demi une dynamique de réflexion entre différents partenaires :éducation nationale, conseil départemental, municipalité, et des associations de quartier ? « Les Femmes relais », « Unies pour Tous » -qui ensemble se regroupent à la « Maison pour Tous » du quartier.Tout au long de l’année, des rendez-vous sont proposés pour réfléchir et tenter d’apporter des
solutions aux problèmes éducatifs rencontrés dans et hors l’école. Le mercredi 9 décembre 2015, le quatrième de ces rendez-vous a réuni 170 personnes dont 125 enseignants des premier et second degrés de la 18e circonscription de Champigny, en REP+ et 45 acteurs territoriaux et associatifs. Ce large public a assisté avec une attention soutenue à une conférence de Serge Boimare, psychopédagogue, qui sur la base de ses travaux et de son expérience, propose de mettre en oeuvre une démarche de «  médiation culturelle » propre à surmonter les situations de blocage qui empêchent de nombreux élèves d’entrer avec force dans les apprentissages et sont une cause majeure du décrochage scolaire.

Madame Sache, Inspectrice de l’Éducation Nationale de la 18e circonscription, a introduit l’après-midi en soulignant l’intérêt porté à la question des élèves en difficulté et en remerciant les personnels de l’éducation nationale, les partenaires acteurs de l’éducation, le GFEN et Serge Boimare.

La conférence de Serge Boimare a suscité ensuite des échanges particulièrement riches permettant d’avancer sur de nombreuses problématiques de fond : comment passer de la théorie à la pratique dans les classes ? Quels rapports l’institution entretient-elle (ou pas) avec la réflexion pédagogique et didactique ?

Jeanne Dion, membre du GFEN, est intervenue pour décrire dans le détail une pratique pédagogique intitulée »le texte recréé », ce qui a permis de rendre « vivante » et »visible » une activité concrète de classe, tout en démontrant l’efficience de la recherche en didactique pour ouvrir des horizons prometteurs au sein de notre système éducatif, en opposition aux sempiternels discours de déploration, qui paralysent toute réflexion.

Le débat s’est poursuivi avec une intervention sur la question de la sélection à l’école. La conférence de Serge Boimare a permis de démontrer qu’il était possible de dépasser cette question en développant des pratiques de nature à faire réussir l’ensemble des élèves. Les échanges ont également donné lieu à des témoignages particulièrement éclairants, émanant à la fois d’anciens élèves décrocheurs, mais également de parents et d’acteurs sociaux qui ont pu faire partager leur expérience. Une intervenante a  insisté sur l’importance de « l’intergénérationnel » permettant aux acteurs éducatifs de tous âges de construire collectivement leurs savoirs, leur expérience et leurs pratiques.

La question de l’interculturel et de l’anthropologie des cultures a également traversé de nombreuses interventions :plusieurs intervenant-e-s ont considéré que cette problématique majeure ne faisait pas suffisamment l’objet d’une réflexion de fond et  gagnerait à être davantage prise en compte dans la formation. D’autres échanges ont eu lieu autour de la question de la »gestion de classe » et de « l’autorité », deux questions particulièrement lancinantes, auxquelles les travaux de Serge Boimare et du GFEN ont permis d’apporter des réponses en dépassant les idées reçues et les lieux communs. La posture de l’enseignant, son statut vis-à-vis de la classe,son rôle dans la relation pédagogique ont également été abordés, de même que la dialectique incontournable entre individu et collectif dans la construction des apprentissages.

L’intervention de Serge Boimare a permis de faire émerger des discussions très constructives, qui ne demandent qu’à être approfondies. Elle a surtout permis, au-delà des idées reçues et des poncifs qui paralysent si souvent la réflexion, de travailler à rendre visible ce qui se passe à l’école, avec tous ceux qui, dans un quartier, participent à l’action éducative, en proposant de dépasser les difficultés en étant créatifs.


Lire l’intervention de Serge Boimare :
« N’ayons plus peur des « mauvais élèves »,
c’est sur eux que repose le secret pour améliorer l’école ! »

L’Éducation nouvelle sur France-Culture

France Culture « La Fabrique de l’Histoire » :

Dans les albums du Père Castor

Un documentaire de Catherine de Coppet
et Anne Fleury

rediffusion le 28 décembre de l’émission du 17 mars


Roule-galette
, Mischka, Apoutsiak le flocon de neige, Perlette Goutte d’eau, Poule Rousse
Nombreux sont les albums du Père Castor qui émerveillent les yeux des plus jeunes, et réveillent les vibrants souvenirs des premières lectures des plus grands ! Créés au début des années 1930, au sein des éditions Flammarion, ces collections de livres illustrés pour les enfants ont marqué durablement le paysage du livre jeunesse : ils font partie des premiers ouvrages à s’adresser directement aux enfants, dans un souci éducatif, avec notamment pour credo des images de qualité réalisées par des artistes et célébrant souvent la poésie de la nature. A côté des récits illustrés, dont certains sont devenus des « classiques » toujours en librairie, les albums du Père Castor ont eu d’autres facettes beaucoup moins connues, comme celle des livres-jeux ou livres d’activité (découpage, pliage). Des pionniers au regard des préceptes pédagogiques de l’époque.

Derrière ce projet éditorial, pédagogique et esthétique, Paul Faucher (1898-1967) : ce libraire devenu éditeur a adhéré très tôt au mouvement de la Nouvelle Education, courant de pensée novateur prônant au début du 20e siècle une pédagogie axée sur les besoins réels des enfants. En vertu de ces idées, Paul Faucher va travailler en interaction avec les enfants, et ira jusqu’à ouvrir une
école. Le succès sera au rendez-vous, en France et dans le monde entier…

Ce documentaire retrace les débuts de cette aventure ambitieuse, à laquelle ont travaillé une foule d’auteurs et d’artistes venus d’horizons très divers.

Avec les témoignages de Jean Chapsal, ancien élève à l’école du Père Castor ; Michel Defourny, fondateur du Centre de littérature jeunesse de Liège ; Emilie-Anne Dufour, directrice de la Médiathèque du Père Castor ; François Faucher, fils de Paul Faucher, directeur des éditions du Père Castor entre 1967 et 1996 ; Jean-Michel Guilcher, ancien adjoint de Paul Faucher ; Martine Lang, éditrice aux éditions du Père Castor entre 1970 et 2014 ; Gerda Müller, illustratrice ; André Pozner, ancien élève à l’école du Père Castor ; Céline Rousseau, secrétaire de l‘Association des amis du Père Castor.

Certains albums du Père Castor ne sont plus édités aujourd’hui par Flammarion. L’association des Amis du Père Castor a repris l’édition de certains de ces titres en facsimilé.
La médiathèque du Père Castor est située à Meuzac (87). Elle a vu le jour grâce à la communauté de communes de Briance-Sud-Haute Vienne.

L’Education dans la Cité : l’acte pédagogique, un acte éminemment politique

L’acte pédagogique : un acte éminemment politique

Face à l’impensable, sidération et effroi paralysent la pensée. Des attentats au choix des urnes, le ressentiment crispe le rapport à l’autre, fait régresser les conquêtes démocratiques, sert le repli sur soi et la défiance.

Prospérant sur le terreau des inégalités, la logique de bouc émissaire poussée par les marchands d’illusions a fait son chemin. Notre actualité n’est pas sans refléter d’autres périodes historiques aux enjeux funestes. Ira-t-on jusqu’à l’implosion sociale ?
Chaque éducateur s’interroge. Qu’avons-nous fait ou négligé de faire ? Comment pouvons-nous agir dès aujourd’hui à l’endroit de notre responsabilité ?
Rien n’est fatal dès lors que les énergies se conjuguent autour d’un projet fédérateur. Oser l’éducation nouvelle, c’est moins renverser les tables que rompre avec les logiques fatalistes. Expérimenter des pratiques d’apprentissages solidaires, oeuvrer à la compréhension partagée, permettre que se restaure l’estime de soi, ouvrir à la création et à l’exercice de la raison polémique, c’est constituer chacun de nos espaces éducatifs en foyer d’une démocratie en actes, préparant à d’autres rapports sociaux.
Il nous appartient de penser et préparer l’avenir ensemble.
 Le Secrétariat Général Collectif du GFEN
Ivry-sur-Seine, le 10 décembre 2015
Extrait de « L’ÉDUCATION NOUVELLE COMME ÉMANCIPATION MENTALE À CONQUÉRIR : UNE URGENCE DE CIVILISATION » :« L’Education Nouvelle, née comme pratique neuve dans l’acte pédagogique, comme philosophie délibérément optimiste quant aux capacités de tous les enfants, ne se construit que dans une relation égalitaire entre celui qui « sait » et ceux qu’il a en charge d’enseigner… C’est son caractère de valeur éthique qui la fait déborder du seul champ de l’école à celui, plus vaste infiniment, de la société toute entière, bousculant ainsi les cadres mandarinaux des systèmes en place. Elle est une contribution précieuse à tous ceux qui veulent faire naître une Humanité plus mûre : aux antipodes de la jungle ou de la caserne, de l’élitisme ou du troupeau, du profit maximum et de la docilité. »  

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Textes en réaction à l’actualité récente

  • Sur le café Pédagogique : Philippe Meirieu : Éduquer après le 13 novembre : « Laisser les questions ouvertes » lire
  • Le GFEN comme toute la société ressent de plein fouet l’onde de choc. Etat de fragilité. Qui sommes-nous, maintenant, dans ce monde ? Stéphanie Fouquet, secteur écriture-poésie lire
  • Sur le site « Là-bas si j’y suis » : une vidéo de la conférence d’Alain Badiou qui s’est déroulée le 23 novembre au théâtre de la Commune d’Aubervilliers : « POUR PENSER LES MEURTRES DE MASSE »
  • Un communiqué de la Ligue des droits de l’hommelire

A lire sur le site Le Grand Soir : « Eduquer à la citoyenneté » d’Odette Bassis

Le Grand Soir

journal militant d’information alternative

publie

le texte d’Odette Bassis

« Eduquer à la dignité de penser »

Dans un présent social aux prises avec des problèmes majeurs de dette, de chômage, d’inégalités et dans un environnement où l’avenir de la planète elle-même dépend d’un agir humain, la question de l’école et de la formation prennent une dimension plus urgente encore, devenant plus explicitement enjeu politique et social d’avenir. Odette Bassis

Ce sont jusqu’aux bases même de l’école qu’en sont secouées les finalités, lesquelles se trouvent aujourd’hui ciselées autour d’une centration sur la notion de « compétence » liée aux dites nécessités d’une professionnalisation future. Le tout dans un contexte où une telle notion est conçue en fait en conformité avec les attentes d’une normalisation commune entre pays liés aux lois d’une prévalence du
marché tant économique que culturel et social. Employabilité, flexibilité – comme objectifs visés à terme – qui sous-tendent une vision de productivité et d’une compétitivité à l’échelle mondiale et ceci, sous le couvert d’une adaptation plus ouverte et pertinente de l’école à la vie.

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www.legrandsoir.info/

« Tous les enfants ne peuvent pas réussir à l’école ». Et pourquoi pas ?

Grand débat organisé par ATD-Quart Monde dans le cadre des Rencontres 2015 « STOP aux idées reçues sur les pauvres »

« Tous les enfants ne peuvent pas réussir à l’école ». Et pourquoi pas ?

Samedi 30 mai 2015 –  nouveau théâtre de Montreuil

Salle comble samedi 30 mai au nouveau théâtre de Montreuil, près de 350 personnes assistent et participent au débat organisé par ATD-Quart-monde, avec Marie-Aleth Grard, vice-présidente d’ATD et rapporteure du rapport du CESE «Pour une école de la réussite pour tous», Jean-Paul Delahaye, inspecteur général qui a remis le récent rapport «Grande pauvreté et réussite scolaire» à la Ministre, Agnès Van Zanten, sociologue spécialiste de la question des inégalités scolaires, et Véronique Bavière, directrice d’école à la Goutte d’Or à Paris (18ème) en REP+. Philippe Watrelot, président des CRAP-Cahiers pédagogiques, modérait la table ronde et le débat avec la salle. La Ministre, dont la venue était annoncée, semblait finalement être retenue par d’autres engagements peut-être moins risqués (des militants arboraient calmement quelques banderoles contre la réforme du collège devant le théâtre, et certains spectateurs comptaient bien poser quelques questions à la ministre…).

Pour citer le compte-rendu de Véronique Soulé dans le café pédagogique : « Chacun à leur manière, les participants ont appelé à agir face à un système qui reproduit, voire aggrave les inégalités ».
Des témoins prennent la parole depuis la salle avant la table ronde pour donner le ton du débat : on se préoccupe de ce que vivent les gens, évitant ainsi les préconisations hors-sol. Trois parents témoignent de leur rapport compliqué avec l?école et les équipes éducatives : une situation de harcèlement non prise en charge, des orientations subies en SEGPA avec une enquête sociale douloureuse, la demande d’espaces pour les parents au sein des établissements. Les enseignants ne sont pas en reste et Delphine témoigne : «J’aime mon métier mais depuis quelques années je n’aime plus mon travail». Enfin, Guillaume prend la parole au nom de l’association «Hors la rue» pour dénoncer la situation des enfants des bidonvilles pour lesquels l’obligation de scolarisation n’est pas respectée.

En ouverture du débat, Philippe Watrelot cite un extrait de la Lettre à une maîtresse d’école, par les enfants de Barbiana (1) .

Agnès Van Zanten prend ensuite la parole pour dénoncer le cumul des inégalités, dans l’espace (la concentration des personnes en difficulté dans les établissements) et dans le temps (cumul des solutions qui produisent en réalité des effets négatifs). La sociologue prend pour exemple l’algorithme qui régit l’affectation au lycée des collégiens parisiens (logiciel Affelnet) : cet algorithme donne la priorité du choix aux élèves ayant de bons résultats scolaires. On observe ainsi une polarisation des publics et des niveaux scolaires, et les enseignants ont alors tendance à s’adapter aux niveaux supposés des élèves. Agnès Van Zanten dénonce également les dispositifs parés de bonnes intentions qui deviennent souvent des voies de relégation avec peu de passerelles pour en sortir. Elle remarque que les mêmes mécanismes régissent les carrières de certains élèves dans les parcours d’excellence.
Jean-Paul Delahaye reprend les principales lignes de son rapport avec son langage franc : «Les dysfonctionnements ne nuisent pas à tout le monde (…), la moitié de nos élèves – souvent de milieux favorisés – vont très bien (…), tandis que 30% de nos élèves déjà en très grande difficulté voient leurs difficultés s’accroître». L’inspecteur rappelle que plus de 80% des élèves de SEGPA viennent de milieu défavorisés, dénonçant au passage l’enquête sociale requise pour orienter les élèves en SEGPA (ce volet social n’existant pas pour les orientations en classes bi-langues). La Ministre semble s’être engagée à supprimer rapidement ce volet social pour l’orientation en SEGPA. Jean-Paul Delahaye est catégorique : 1,2 millions d’enfants vivent dans des familles pauvres ou très pauvres en France, et le système éducatif doit être entièrement réorienté vers ces élèves qui connaissent des difficultés à l’école. Or, entre 2002 et 2012, des économies ont été faites sur le dos des pauvres : les aides sociales ont été divisées par deux. L’inspecteur demande au gouvernement actuel de revenir au moins aux fonds sociaux de 2001, et nous sommes encore loin de cet objectif pourtant pragmatique.
Mais il rappelle avec force que la réussite scolaire de tous les enfants passe par un questionnement avant tout pédagogique.
Marie-Aleth Grard reprend quant à elle ses conclusions du rapport du CESE pour lequel elle est allée rencontrer des acteurs de terrain : «Oui, il existe des écoles où la réussite de tous est possible, où les enseignants se donnent pour ne pas laisser d’enfants sur le bord de la route et où ils travaillent ensemble». La vice-présidente d’ATD insiste d’emblée sur la nécessité d’arrêter  l’orientation en CLIS des élèves de milieux populaires dès la maternelle. Elle prône les bienfaits de la mixité sociale et scolaire, insistant sur la nécessité de convaincre tous les parents que la réussite des plus pauvres est l’affaire de tous, déclenchant à la fois l’ovation de la salle et l’ire d’un spectateur lorsqu’elle semble limiter la transformation de l’école à la formation d’une élite de qualité : «former une élite, on sait faire, mais si on veut une élite de qualité, elle doit connaître d?autres milieux sociaux et ne pas rester entre soi». Le rapport du CESE insiste sur des pédagogies qui font réussir tous les élèves : les pédagogies de la coopération, les pédagogies qui rendent visibles les enjeux des apprentissages, le travail d’équipe. Marie-Aleth Grard réclame une gouvernance exigeante et bienveillante, notamment en ce qui concerne la reconnaissance du travail des enseignants. Elle parle enfin des enseignants qui pensent que tous les élèves sont capables de réussir, un beau clin d’oeil au slogan du GFEN.
Enfin, Véronique Bavière, directrice d’école, témoigne du travail d’analyse et de partage de pratiques mené en équipe dans son école élémentaire. Elle s’appuie sur son expérience pour affirmer que le fait que tous les élèves entrent dans les apprentissages profite à tous.
Le débat se poursuit par une mise en activité de tous les participants de la salle : ils doivent se concerter par groupe de 5 ou 6 pour écrire sur une feuille verte ce qui leur semble être un levier pour la réussite de tous, sur une feuille rouge ce qui leur semble être un frein.

Pendant que les participants de la table ronde « dépouillent » et synthétisent ces réflexions, les élèves de l’école Oran (donc Véronique Bavière est la directrice) nous proposent un court spectacle : ces élèves participent à un atelier d’écriture et de chant grâce à l’association Les serruriers magiques implantée dans le quartier de la Goutte d’or à Paris. Reprenons les mots justes du compte-rendu du site d’ATD-Quart Monde : « En T-shirts rouges, jaunes, bleus, verts, roses, ils [chantent et dansent « Je veux apprendre à respirer sous l’eau, ouvrir mon coeur, écrire des mots », et] dépeignent avec humour et émotion leur désir d’apprendre, leurs efforts, leurs qualités et leurs défauts. Le public est conquis : standing ovation pour les Serruriers magiques du quartier de la Goutte d’or. »

La synthèse des réflexions de la salle est très riche. Parmi les freins, Philippe Watrelot a relevé pêle-mêle l’évaluation, la stigmatisation, le chacun pour soi, l’autonomie sans valeurs partagées, les classes et les programmes trop chargés, le mal logement, les moyens, l’intériorisation du manque d’ambition. A l’inverse, des leviers pédagogiques peuvent participer à la réussite de tous les élèves : la coopération, l’autonomie avec des valeurs partagées, la prise en compte des difficultés, l’estime de soi, le partenariat et la valorisation des parents, la valorisation des filières technologiques, la formation des enseignants contre la méconnaissance sociologique et pour des pédagogies coopératives. Et des leviers évidemment politiques : la mixité dans les établissements et les classes et la mixité urbaine, la création de postes et la baisse des effectifs, la refonte de la politique d’éducation prioritaire.
Parmi les interpellations de la salle, celle de Véronique Decker, directrice d’école à Bobigny, à propos de « ses élèves du 115 » (2), a été particulièrement remarquée : « comment peuvent-ils travailler si on les envoie deux jours dormir à Noisy-le-Grand, puis deux jours ailleurs ?». Des parents issus de la grande pauvreté, militants d’ATD-Quart Monde, livrent également à l’auditoire leurs rapports douloureux à l’école, où parfois ils ont même peur d’entrer.
Un dernier tour de table à la tribune conclut le débat. Agnès Van Zanten assène que «la mixité sociale n’est pas un projet arithmétique», elle est liée à des pratiques pédagogiques et à des politiques sociales. Véronique Bavière nous secoue : «Apprendre est un droit. Quand un enfant est en échec, on peut penser que la loi n’est pas respectée». Jean-Paul Delahaye exhorte les parents de milieux populaires à se battre car le système ne bougera pas pour eux : «La mixité sociale et scolaire ne tombera pas toute crue», a-t-il prévenu. «Il va falloir vous battre, d’autant qu’il y a des projets de retour en arrière», faisant allusion au projet affiché de la droite de remplacer le collège unique par un collège diversifié en orientant plus tôt les élèves . Marie-Aleth Grard conclut en ajoutant aussitôt que les parents et les élèves de milieux défavorisés n’ont pas accès aux politiques et aux médias, c’est à nous, enseignants, militants, universitaires, de nous ranger à leurs côtés pour faire entendre leur voix et transformer le système à leur avantage.
Claire Benveniste

(1) Un autre extrait des Entants du Barbiana résonne avec les parti-pris et les valeurs du GFEN :« Vous ne pouvez plus vous retrancher derrière la théorie raciste des aptitudes. Tous les gosses sont aptes à faire leur quatrième et tous sont aptes à toutes les matières. Il est facile de dire à un garçon : « Tu n’es pas fait pour cette matière. » Le garçon accepte parce qu’il est aussi paresseux que le maître d’école. Mais il comprend aussi que le maître lui enlève son égalité. »
(2) On peut lire à ce sujet ce court article de Véronique Decker.

Audition de Philippe Meirieu devant la commission d’enquête au Sénat

COMMISSION D’ENQUÊTE DU SÉNAT SUR LE SERVICE PUBLIC DE L’ÉDUCATION, LES REPÈRES RÉPUBLICAINS ET LES DIFFICULTÉS DES ELEVES
 
Jeudi 16 avril 2015
Présidence de Mme Françoise Laborde
Audition de M. Philippe Meirieu
Crise de l’école et schizophrénie éducative
     Votre commission d’enquête porte sur une question qui me préoccupe particulièrement. Je partage votre conviction que notre École ne va pas très bien ; il est même devenu banal de dire qu’elle est « en crise ». En effet, l’École ne parvient pas à combler les inégalités sociales, l’enquête PISA montre même qu’elle a plutôt tendance à les creuser. L’école est en crise aussi en ce qu’elle n’inspire plus confiance à l’ensemble des parents. Elle voit se déployer, à sa périphérie, une multitude de dispositifs, ce qui montre qu’elle ne parvient pas à s’imposer comme une institution de la République qui se suffirait à elle-même et parviendrait à remplir seule ses missions. J’ai récemment travaillé sur le processus d’externalisation de l’aide aux élèves, extrêmement important aujourd’hui, puisque deux collégiens sur trois, au sein de l’échantillon étudié, bénéficient d’au moins deux dispositifs externes de soutien (qu’ils soient gratuits ou payants, reposent sur l’initiative familiale ou scolaire, s’effectuent dans un cadre associatif ou commercial). L’École est en crise aussi – les enseignants le disent et j’en avais fait le titre d’un de mes ouvrages rappelé par Madame la Présidente tout à l’heure – parce qu’ « il faut refaire l’École pour pouvoir faire la classe ». Dans le passé, l’École était un cadre institutionnel stabilisé dans lequel on pouvait venir et faire classe sans avoir à reconstruire l’institution. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il faut aujourd’hui refaire l’École pour pouvoir faire la classe. Chaque fois qu’un enseignant arrive dans sa classe, les codes scolaires et les principes qui régissent l’École sont à réaffirmer et à reconstruire.
     En réalité, je crois que les enseignants vivent aujourd’hui dans la difficulté, voire dans la dépression. Ils ont le sentiment d’être davantage contrôlés que soutenus par leur hiérarchie. Et si, de toute évidence, il y a dans mes propos une part d’exagération, il n’en demeure pas moins que l’institution enseignante est remise en cause et qu’elle subit de plein fouet les conséquences de la désidéalisation du travail intellectuel et de la culture gratuite…

Vidéos de la 6ème journée d’étude sur l’enfance au quotidien du CERSE

                                                                    10 décembre 2014

Différences culturelles dans les relations éducatives : compréhension et acculturation

organisé par le CERSE, laboratoire de sciences de l’éducation de l’Université de Caen
Basse-Normandie et son équipe Enfances, Jeunesses et Cultures

 
 
Vous y trouverez :
– l’introduction de Julie DELALANDE et Nathalie DUPONT

(Université de Caen Basse-Normandie, CERSE, équipe EJC)
Culture, altérité, relation sociale et parenté : des notions au service de questions professionnelles
– la conférence d’Elodie RAZY (Université de Liège, Laboratoire d’Anthropologie Sociale et Culturelle, Belgique) Comment peut-on être persan ? Les mondes de la migration à travers le prisme de l’enfance
la conférence de Françoise LORCERIE (CNRS, Institut de Recherches et d’études sur le Monde Arabe et Musulman)

Certains Caennais sont turcs. Migration, changement culturel et classements ethniques. Le cas particulier des enfants d’immigrés originaires de pays extra-européens

– la conclusion de Laurence FILISETTI (Université de Caen Basse-Normandie, CERSE, équipe EJC)

Voir aussi

Un autre avenir est à construire ensemble

Nous sommes convaincus que l’homme ne naît pas fanatique ni terroriste, il le devient. De même qu’il ne naît pas « démocrate » ni solidaire, il le devient. Pas de génération spontanée mais des processus, qui font de toute situation d’éducation et de formation autant de chemins de conditionnement, de mise en soumission aveugle ou bien d’émancipation.

« Tous capables ! » affirmons-nous, pari audacieux sur les capacités de l’humain à s’émanciper de sa condition et  des fatalités intériorisées. Loin de n’être que spéculation utopique, notre expérience plurielle en témoigne,  notamment  sur des terrains  réputés  difficiles :  éducation  prioritaire, classes spécialisées, dispositifs relais, quartiers…

Le prix de l’échec scolaire,  outre  ses  conséquences sur l’avenir professionnel,  est  élevé  pour  les individus comme pour la société : perte de l’estime de soi, sentiments d’incapacité personnelle et de disqualification symbolique  qui  amènent  à l’inhibition, au renfermement, mais  aussi  au  ressentiment et à la violence contre soi ou les autres. Faute de socialisation satisfaisante, l’individu  –  en  mal d’appartenance, d’inscription dans un collectif solidaire lui faisant place – devient une proie facile pour toutes les manipulations et monstruosités.

Nous venons hélas d’avoir une confirmation tragique de ce qui  peut arriver quand des individus, accumulant  les frustrations, n’ont pas suffisamment  fait l’expérience du débat, de la confrontation d’idées, de l’épreuve de la raison,  d’une réflexion certes exigeante mais finalement jubilatoire et intellectuellement émancipatrice : comprendre, c’est élargir sa maîtrise du réel et renforcer la confiance en ses propres capacités. Comprendre ensemble, c’est s’inscrire dans un collectif porteur de progrès, structurant et sécurisant.

La société, par l’intermédiaire de son école, cherche à perpétuer le lien social auprès des jeunes générations, en transmettant les acquis du passé et en éduquant aux valeurs communes. Autrement dit, la  scène scolaire est le terrain  d’essai de la citoyenneté. Au-delà des discours, de quels principes relèvent les pratiques au quotidien des classes : appel au conformisme et à la soumission ou à la créativité et à la liberté de pensée ? Imposition dogmatique des  règles et contenus ou incitation à la recherche et au débat ? Compétition ou coopération ? Sélection ou promotion collective ? C’est dire la responsabilité des éducateurs…

 Le Secrétariat Général Collectif du GFEN
Ivry-sur-Seine, le 15 janvier 2015
A  propos de la création du LIEN (Ligue Internationale de l’Education Nouvelle) au congrès de Calais, 1921 :« Ce Congrès était le résultat du mouvement pacifiste qui avait succédé à la première guerre mondiale. Il avait semblé alors que pour assurer au monde un avenir de paix, rien ne pouvait être plus efficace que de développer dans les jeunes générations le respect de la personne humaine par une éducation appropriée. Ainsi pourraient s’épanouir les sentiments de solidarité et de fraternité humaines qui sont aux antipodes de la guerre et de la violence »

Henri Wallon, 1952
(Responsable au sein du Conseil National de la Résistance en 1944,
Président du GFEN de 1946 à 1962)

Les activités scolaires, péri et extra-scolaires

« Rencontres du (des) temps de l’enfant »

Cherbourg-Octeville – Samedi 15 novembre 2014

Le samedi 15 novembre, le GFEN était invité par les élus du Front de Gauche à participer à une réflexion sur la mise en place de la réforme des rythmes scolaires. Jacques Bernardin et Christine Passerieux y ont représenté notre mouvement.

Un texte de Christine PASSERIEUX

Des clarifications nécessaires

La réorganisation des temps de l’enfant telle que mise en place par la réforme dite des rythmes s’inscrit dans un contexte particulier. Les savoirs vont croissant, le monde se complexifie. Les contenus d’apprentissage se multiplient (avec les éducations à la santé, l’hygiène, …) et se complexifient (il s’agit de comprendre plutôt que de compiler des connaissances) alors que le temps d’enseignement s’est réduit de 2 ans (recul de la scolarisation des 2 ans, suppression de 3 h de classe), que les écarts se creusent entre enfants au regard de leur origine socio-culturelle.

Dans ce contexte de montée des exigences et d’échec massif des enfants des classes populaires la rhétorique dominante est désormais au « temps d’éducation partagée ».  Comment se construit-elle ? L’éducation est l’affaire de tous, car d’une part les enfants apprennent partout et tout le temps, d’autre part l’école ne peut à elle seule faire face aux difficultés rencontrées. Discours de bon sens mais aux accents idéologiques et économiques lourds de menaces, qui brouillent les spécificités des différents milieux de l’enfant, et se traduisent par l’envahissement de la forme scolaire alors même que les missions de l’école sont réduites. Ainsi il est attendu désormais des familles, des collectivités, des associations diverses qu’elles suppléent à l’institution scolaire, fassent école en dehors de l’école. On se trouve dans une situation apparemment paradoxale de scolarisation de l’ensemble des lieux éducatifs, alors que les missions démocratisantes de l’école dans l’accès aux savoirs régressent (de moins en moins de formation, des effectifs qui s’alourdissent, le sens du métier qui se perd dans des injonctions contradictoires, des moyens qui s’amenuisent). Il n’est plus question de créer les conditions de la nécessaire transformation de l’école. En un mot on ne change rien à ce qui transforme les inégalités sociales en inégalités scolaires. lire l’article

Refonte des programmes scolaires : interview de Jean-Yves Rochex, sur France Info

A écouter :

« Refonte des programmes scolaires »
la version intégrale de l’interview de Jean-Yves Rochex http://www.franceinfo.fr/education-jeunesse/france-info-junior/programmes-scolaires-1169757-2013-10-10

Jean-Yves Rochex, chercheur sur l’école et professeur de fac à Paris 8, répond aux questions des abonnés à Mon Quotidien, le quotidien des 10-14 ans.

Au micro : Leïla et Pierre-Aimé, 10 ans,
Adrien et Loïc, 11 ans, Linda, 12 ans. Ils sont en sixième au collège Elsa-Triolet à Paris.

« Egalité des chances » et/ou « démocratisation » par Claude Lelièvre

Le groupe CRC du Sénat (auquel appartiennent les sénateurs communistes) a  voté pour la « loi de refondation de l’Ecole » après avoir obtenu notamment une certaine réécriture de l’article 3 où il n’est plus question d’ « égalité des chances » (qui peut être prise dans le sens restrictif d’un simple accès élargi à l’élite pour certains) mais  de l’affirmation du principe du « tous capables ».

L’expression « égalité des chances » apparaît juste après la première guerre mondiale, dans la mouvance des « Compagnons de l’université nouvelle » qui veulent mettre en place une « Ecole unique » (cf., par exemple leur déclaration du 20 novembre 1920 dans « La Solidarité, journal des quatre ordres
d’enseignement rédigé par les Compagnons »).

Pour comprendre vraiment ce dont il s’agit, il suffit de prendre connaissance d’un article de Ferdinand Buisson, l’ancien lieutenant de Jules Ferry (placé par lui à la tête de l’enseignement primaire, où il restera 17ans), finalement acquis à l’objectif de « l’Ecole unique » à la suite de sa conversion au radical-socialisme dans les débuts du XXème siècle : « Gratuité, obligation, laïcité, il fallait commencer par là. Mais aujourd’hui nous ne pouvons plus feindre de ne pas voir que notre société, malgré son
apparence démocratique, divise, dès leur naissance, les enfants de la nation en deux catégories qu’elle traite différemment. D’une part cinq millions d’enfants d’ouvriers, de paysans, de travailleurs manuels à qui elle offre l’instruction primaire élémentaire qui se termine à treize ans […]. D’autre part trois cent
mille enfants qui continueront de longues et belles études et acquerront ainsi la certitude d’être l’élite de la société de demain. Pourquoi ce privilège leur est-il dévolu ? […]. Une telle différence de traitement entre ces deux classes nous devient insupportable. Nous avons, pour la masquer, imaginé le système des bourses […]. Mais ces demi-mesures ne sauveront pas la nation qui se prive chaque année de quelques milliers d’intelligences hors ligne pour réserver ses faveurs aux médiocrités de la classe riche. Elle sera bientôt dépassée par les nations qui sauront mettre en valeur la totalité de leur capital humain, le plus précieux de tous les capitaux. Il faut donc aujourd’hui, par l’unité et la gratuité de l’enseignement, ouvrir l’accès de la haute culture » (« Manuel de l’enseignement primaire » du 24 septembre 1921).

On le voit, la conception de ce que l’on appellera plus tard « l’élitisme républicain » fondé sur le « mérite scolaire » et « l’égalité des chances » n’est pas née au moment ferryste, mais dans l’entre-deux guerres.
On aura aussi remarqué que l’accent quasi exclusif est mis sur l’accès à la « haute culture » (pour certains) : il y va d’ailleurs plus de l’intérêt national bien compris que de la justice sociale. Il s’agit avant
tout que « la nation ne se prive plus chaque année de quelques milliers d’intelligences hors ligne », car elle sera désormais dépassée par « les nations qui sauront mettre en valeur la totalité de leur capital
humain, le plus précieux de tous les capitaux ».

Changement de cap à la suite de la deuxième guerre mondiale, dans le cadre de la Commission et du célèbre Plan « Langevin Wallon[1] ».
Pour comprendre l’enjeu, rien de mieux que de prendre connaissance d’extraits de la conférence prononcée par Henri Wallon le 23 mars 1946 à Besançon.

« Il y a deux façons de concevoir l’enseignement démocratique. Il y a d’abord une façon individualiste : c’est poser que tout enfant, quelle que soit son origine sociale, doit pouvoir, s’il en a les mérites, arriver aux plus hautes situations […]. C’est en fait une conception qui reste individualiste en ce sens que, si les situations les plus belles sont données aux plus méritants, il n’y a pas, à tout prendre, une élévation sensible du niveau culturel pour la masse du pays. Aujourd’hui, nous envisageons la réforme démocratique de l’enseignement sous une forme beaucoup plus générale […]. Car même si c’est un enfant du peuple qui est passé au lycée, a pu accéder à l’enseignement supérieur, il entre dans une société qui n’est plus celle de ses origines. Il bénéficie de ses aptitudes intellectuelles et de son zèle au travail, mais en se déclassant, je veux dire en se déclassant vers le haut. Il y a, par conséquent, une sorte d’écrémage progressif, continu, des classes populaires, qui donnent leurs meilleurs sujets pour occuper les situations les plus élevées, les plus rémunératrices ou seulement les plus propres à rendre fiers ceux qui les occupent. La conception démocratique de l’enseignement qui envisage une élévation totale de la nation quelle que soit la situation occupée, ou plutôt quel que soit le travail et quelles que soient les fonctions qu’auront à accomplir tous les individus de la société, exige à elle à que, selon ses aptitudes naturelles, chacun ait accès à la culture la plus élevée ».

En définitive, selon le plan Langevin-Wallon « l’enseignement doit offrir à tous d’égales possibilités de développement, ouvrir à tous l’accès à la culture, se démocratiser moins par une sélection qui éloigne du peuple les plus doués que par une élévation continue du niveau culturel de
l’ensemble de la nation ».   A suivre, deux tiers de siècle après…


[1] Tous deux présidents successifs du GFEN (Groupe Françaisd’Education Nouvelle)

Rencontre avec Serge BOIMARE : écouter, parler, écrire autour de textes fondateurs

Journée de réflexion autour de « Ces enfants empêchés de penser[1] » : près de 180 personnes y ont participé.

Comment des enfants intelligents peuvent-ils ne pas entrer dans les apprentissages et s’empêcher de penser ? Comment les enseignants peuvent-ils les aider à se construire les compétences nécessaires à
tout apprentissage et prévenir ainsi le décrochage scolaire ?

La journée était organisée en deux temps :

Le matin : échanges de pratiques autour du « nourrissage culturel » et des pistes pédagogiques préconisées par Serge BOIMARE.

Préparée pour un groupe restreint (une trentaine de personnes) cette séquence a réuni des personnels de l’éducation exerçant sur différents champs : enseignants du premier et du second degré, enseignants ITEP, IEN, équipe de direction de collège, CPE, documentalistes, animatrices de l’association LIVRE PASSERELLE.

Serge BOIMARE a tout d’abord présenté les hypothèses de travail sur lesquelles il fonde sa
réflexion. 15% des élèves n’accèdent pas à la maîtrise de savoirs fondamentaux tels que la compréhension d’un texte simple ou le sens des opérations. Il fait l’hypothèse que ces enfants, dont on ne peut pas nier l’intelligence, inventent des moyens pour figer leur processus de pensée afin
d’échapper aux inquiétudes et aux frustrations que provoquent chez eux l’apprentissage[2] . Ils tentent
ainsi d’éviter de se confronter à l’idée de manque ou d’insuffisance lors d’exercices scolaires : « au
lieu de faire des essais et de risquer l’erreur, ils préfèrent sacrifier le tout, y compris ce qui est déjà maîtrisé, pour ne pas faire face à l’inconnu 
».  On justifie souvent leurs difficultés scolaires par une insuffisance de compétences instrumentales (attention, concentration, mémoire…) puis un manque de bases qui s’aggrave d’année en année. Énumération à laquelle on peut ajouter le manque de motivation ou de goût pour le travail intellectuel. Et toutes les remédiations proposées sur « l’apprendre à apprendre » ou l’aide personnalisée restent sans effet. En effet, ces jeunes ont restructuré leur monde interne, en développant des stratégies anti-apprentissage variées : bouger et faire du bruit, dormir, se fabriquer une carapace de certitudes, refuser la règle, associer vite pour ne pas réfléchir.  Cet échec rencontré tout au long de la scolarité laisse des traces : auto-dévalorisation et perte de confiance
envers les adultes.

Dans un environnement où tout et tous pointent en premier lieu les insuffisances et non les points d’appui, comment faire évoluer cette situation et redonner à ces élèves un minimum de confiance pour s’engager à nouveau dans une démarche intellectuelle ? Pour les réconcilier avec eux-mêmes et avec
l’apprentissage, Serge BOIMARE propose trois voies complémentaires qui peuvent facilement être transposées dans la classe :

– lecture oralisée de textes fondateurs (contes, mythes, épopées, fables…) pour permettre à chacun de mettre des mots et des images sur les inquiétudes qui l’agite.

– un temps de discussion et de débat sur ce qui vient d’être lu pour que chacun puisse confronter son point de vue à celui de l’autre

– une mise en mots individuelle par la rédaction d’un écrit pour reprendre une question ayant émergé du débat.

1 – L’expérience de l’association LIVRE PASSERELLE : Un « nourrissage culturel » en amont, hors et aux abords de l’école.

On a vu précédemment l’importance « du nourrissage culturel » et ce, dès le plus jeune âge. C’est le but poursuivi de l’Association LIVRE PASSERELLE. Après des années de terrain et de pratique à sonder combien l’illettrisme marginalise et enferme ceux qui le subissent, LIVRE PASSERELLE offre un regard, un geste, une histoire, un conte, une parole, un livre, un rire… dans des lieux variés et avec des publics différents.  Par la lecture à voix haute d’albums de littérature dite pour la jeunesse, l’association crée des espaces où circulent la parole, l’écoute, la réflexion et le plaisir. Depuis 1998, chaque animatrice sillonne le département d’Indre-et-Loire avec une valise de livres, et s’installe dans différents lieux où la littérature n’est pas a priori invitée. Ces lieux inhabituels à PMI, centre médico-social, bibliothèques, sortie d’écoles… – permettent des rencontres informelles avec les familles d’un territoire, pendant lesquelles se nouent la confiance et la conscience de chacun envers l’autre.

Grâce à un outil (la littérature jeunesse) qui fait quotidiennement les preuves de son intelligence et de son adaptation, LIVRE PASSERELLE souhaite :

– Encourager une approche globale des individus (enfants, adolescents, adultes) au sein de leur environnement (familial, scolaire, professionnel, géographique).

– Renforcer les pratiques partenariales en dépassant les cloisonnements professionnels.

– Utiliser les ressources d’une production éditoriale jeunesse, précisément sélectionnée, au service de la création culturelle, du lien social et de l’animation.

– Encourager le développement de pratiques culturelles autour du livre au sein des familles et lutter ainsi contre l’illettrisme.

Certaine que « La fréquentation précoce des livres offre à l’enfant des modèles et des références […] qui l’aident à comprendre le monde et à en surmonter les difficultés… »[3]

 2 – L’expérience de l’équipe du collège Verlaine de Lille : Un nourrissage culturel pour
renforcer les apprentissages.

Quelques équipes d’établissement ont testé les pistes pédagogiques proposées par Serge BOIMARE ; c’est le cas de ce collège ECLAIR de Lille. Cette expérimentation s’inscrit dans l’objectif 1 du projet
d’établissement : « renforcer les apprentissages ». En 2009, l’équipe enseignante fait le constat que les différentes aides aux élèves en difficulté (entraîner, donner des méthodes, mettre en confiance, travail en petits groupes, reprendre les bases…)  ont peu d’effet sur une frange non négligeable d’entre eux. Assistant à une conférence de Serge BOIMARE, ils repèrent les mécanismes menant à l’évitement de pensée déjà observé chez leurs élèves confortant ainsi leur analyse de départ. Ils décident donc de travailler avec ces « intouchables » (ceux sur lesquelles les « aides » traditionnelles sont sans effet)
en s’appuyant sur le protocole proposé. Il s’agit de partir de thèmes forts dont les textes fondateurs sont porteurs pour aider à mettre de l’universel et du général dans ce qui est individuel et catégoriel.

De quelle façon ?

1 – Intéresser les élèves en revenant aux sources de la curiosité primaire en s’appuyant sur du « culturel » (contes, mythes…) avec utilisation de métaphores plutôt que sur la vie du quartier ou de
l’actualité relatée par les élèves.

2 – Nourrir et alimenter l’imaginaire, en apportant un vrai contenu à partir de textes fondateurs.

3 – Encourager, favoriser l’expression personnelle par la parole en passant d’un langage d’évocation à un langage d’argumentation.

4 – Créer de l’énigme, de l’interrogation en faisant advenir « la question », celle qui permet de sortir des angoisses archaïques ou des centres d’intérêt primaires.

5 – Créer un dynamique collective dans l’appropriation d’un patrimoine culturel où chacun trouve sa place et se construit un monde interne sécurisé.

Le dispositif :

Le niveau de classe ciblé est une classe de sixième. Une fois par semaine, en classe entière, un adulte lit un texte fondateur (durée 5 à 10 minutes). A l’issue de cette lecture, les élèves reformulent ce qu’ils ont compris du texte. Puis, une question ouverte est posée aux élèves et mise en débat. Débat géré par l’adulte dont l’objectif est d’aider chacun à approfondir sa pensée et de développer sa maîtrise de
l’argumentation. Un adulte observateur est présent afin de permettre une analyse ultérieure de l’animation de la séance.

Au départ, la mise en œuvre a été difficile même si l’effectif du groupe était de 11 élèves car cette nouvelle forme de travail a généré des angoisses et une grande instabilité chez les plus faibles :
violence verbales, rapports conflictuels avec les adultes encadrant l’action.
Malgré tout, l’équipe a tenu bon et progressivement les choses se sont mises en place.

Les textes lus :

La première année, la lecture de textes s’est appuyée sur le livre « Feuilleton d’Hermès», puis des extraits de « l’Odyssée » sur proposition des élèves. La seconde année, l’« Épopée de Gigamesh » a semblé intéresser davantage les élèves ; mais peut-être la disposition en cercle a-t-elle favorisé les échanges en améliorant la concentration et l’écoute ?

Travail et réflexion collective des enseignants autour de ces séances :

Les textes, la ou les questions-débat ont été choisis collectivement avant chaque lecture, les emplois du temps des intervenants en laissant la possibilité (heure libre commune). Parfois, les réactions des
élèves suite à la lecture d’un extrait orientaient vers une autre direction pour le débat. En favorisant les pôles d’intérêt émergeant, l’équipe a souhaité, tout en anticipant les débats, que soit privilégiée l’accession par les élèves à la démarche permettant la sublimation de la pensée pour passer du « personnel » à l’universel.

En guise de bilan, l’équipe souligne le défi posé par la mise en œuvre de cette action, sa poursuite. La première difficulté a été de lever les résistances multiples des élèves : « Pourquoi nous ?
Pourquoi nous lire des histoires ? C’est pas de l’école… ». La difficulté des élèves à s’exprimer et faire des phrases ayant un sens, les moqueries, sont autant d’éléments à travailler pour que le cadre s’installe
réellement. Les représentations des élèves  sur le statut des enseignants influent également sur les relations entre l’adulte lecteur et les jeunes auditeurs : quelle légitimité du professeur
de mathématiques pour lire et travailler sur un texte ?

Il est difficile d’évaluer l’impact de ces séances sur les résultats scolaires des élèves, cependant en fin d’année scolaire, l’équipe note que les élèves entrent plus rapidement dans l’activité, posent volontiers
des questions sur le texte qui va être lu, acceptent de prendre la parole pour donner leur avis améliorant la structure de leurs phrases, reprennent les histoires « lues » sans trop d’erreurs. L’écoute mutuelle s’est améliorée. Une enseignante de lettres ayant cette classe l’année suivante note chez ces élèves une capacité à argumenter qu’elle ne retrouve pas dans une autre classe de 5ème.

L’échange qui a suivi ces deux présentations a porté sur les éléments d’évaluation à mettre en œuvre pour que l’élève puisse suivre sa progression, la fréquence de ces séances, la nature des textes à lire, les conditions de mise en œuvre en collège. Il apparaît que cette  lecture de textes fondateurs permet aux enfants de (re)prendre le contrôle de leur espace intérieur. Mais pour qu’ils puissent associer des images aux mots et exercer leur pensée, il est important de passer d’abord par une lecture oralisée de l’adulte. Car tous les enfants n’ont pas eu la chance d’être en contact avec le patrimoine culturel sur lequel les savoirs scolaires s’appuient. Le « Tous capables ! » du GFEN passe par la pratique de ces deux outils que sont la culture et le langage pour permettre à tous de réussir.

L’après-midi :
Conférence « Ces enfants empêchés de penser » 

Devant un auditoire très fourni (près de 180 personnes), une animatrice du LIVRE PASSERELLE lit un album jeunesse « C’est écrit là-haut » introduisant le débat : Le nourrissage culturel dont parle Serge BOIMARE peut-il s’appuyer sur les albums jeunesse ? Question à laquelle Serge BOIMARE promet de répondre ultérieurement.Après avoir décrit le parcours professionnel qui l’a mené à cette réflexion, Serge BOIMARE a tout d’abord listé les signes annonciateurs du décrochage scolaire : dévalorisation de l’image de soi, relais passé au corps (douleurs psychosomatiques, agitation, instabilité ou atonie…).  Ne pouvant s’appuyer sur leur pensée, les élèves en difficultés vont soit se réfugier dans le conformisme de pensée en refusant de quitter les chemins connus, soit en recourant à l’association immédiate, proposant une réponse à la question avant même qu’elle soit posée. Ces élèves sont alors incapables d’une parole argumentée ce qui les mène à un mode de communication primaire. Leur inquiétude est tellement envahissante qu’elle parasite leur fonctionnement intellectuel.Serge BOIMARE propose des pistes pédagogiques pour travailler contre cet empêchement de penser. Rien de révolutionnaire, assure-t-il, puisqu’au niveau des contenus et de la méthode, la démarche proposée s’inscrit dans le cadre des programmes officiels. Il s’agit de mettre en place un nourrissage
culturel intensif et quotidien par la lecture de textes  fondateurs (contes, mythes, épopées, fables…)
autour de trois axes : écouter, parler écrire. A partir de la lecture faite par l’adulte (15 à 20 min chaque jour), un temps d’échange est organisé pour que chacun se représente l’action et confronte sa compréhension du texte à celle des autres. Il s’agit d’enrichir et sécuriser les représentations en les
inscrivant dans une histoire commune. Cette phase est suivie d’une mise à l’écrit de quelques lignes  sur une idée ayant émergé du débat. A titre d’exemple, l’orateur cite l’interrogation d’un groupe d’élèves à l’issue de la lecture de « La belle au bois dormant » : Vaut-il mieux dormir cent ans ou mourir tout de
suite ? Question existentielle qui n’attend pas de réponse mais permet à chacun de s’exercer à l’argumentation et à trouver des exemples pour faire valoir son point de vue. La durée d’une séance est d’environ une heure.

Pour porter ses fruits, cette pratique doit s’inscrire dans la durée (deux années minimum), mais mieux vaut peu que rien. L’important est de relier les savoirs à cet apport culturel que ce soit sur le champ de la littérature, des mathématiques, des sciences, de l’histoire… A titre d’exemple les romans de Jules Verne sont des supports intéressants car les héros traversent des aventures scientifiques, ethnologiques et humaines extra-ordinaires. Les connaissances construites au cours de ces voyages
initiatiques permettent de métaphoriser les peurs et les craintes que chacun rencontre au cours de son développement et mettre ainsi à distance ce qui fait empêchement à penser.

Et si la mise en œuvre, notamment en collège, peut poser quelques problèmes d’organisation, c’est surtout la volonté et l’impulsion donnée par quelques convaincus qui initient l’expérimentation, permettant une approche collective des questions essentielles sur le métier. Il faut prévoir des temps de réflexion pour que les équipes puissent échanger sur les observations faites en classe, profiter de l’expérience des autres ou prendre de la distance avec les conflits ordinaires. Il faut avoir conscience que les inquiétudes surgissent dans les premiers mois d’une expérimentation, et c’est légitime.

« Jamais une formation, aussi brillante soit-elle, ne remplacera les bienfaits de la co-réflexion entre
professeurs  pour améliorer l’efficacité de leurs actions (…) et il est souhaitable que cette co-réflexion soit animée par une  personne extérieure au groupe, afin d’atténuer les rivalités et les positions excessives
« …

Et à ceux qui penseraient qu’en mettant en œuvre cette pratique du « nourrissage culturel », « les meilleurs vont s’ennuyer », Serge BOIMARE rétorque qu’il ne s’agit pas d’abaisser le seuil des exigences : cet entrainement à l’argumentation stimulera leur intérêt et leur participation pour les hisser vers l’excellence. Ne remettons pas en cause l’existence de la classe hétérogène : « C’est sur elle que
repose l’espoir de remonter le niveau de notre école. »

Mais revenons à la question sur le « nourrissage culturel » à partir des albums àjeunesse ?

Pour Serge BOIMARE, le texte-support doit  avoir 4 caractéristiques :

– une distance  avec le quotidien, un temps et un espace plus lointain,

– une proximité de vocabulaire,

– un point d’identification tout en étant à distance avec la vie actuelle,

– un fil dans l’histoire qui permet de l’universaliser, une métaphore qui renverra des notions universelles.

On ne retrouve pas toujours cela dans les albums dits de jeunesse. A propos des illustrations, il propose de ne les donner que dans un deuxième temps afin d’encourager les enfants à se faire une image personnelle de ce qui est entendu.

La journée s’est terminée par une invitation du GFEN37 aux personnes présentes de participer aux groupes de réflexion de l’association, temps d’échange autour de questions vives du métier alliant
pratiques pédagogiques et étayage théorique.

Jacqueline BONNARD


[1] En
référence à l’ouvrage de Serge Boimare , édition Dunod

[2] Serge
BOIMARE, « l’enfant et la peur
d’apprendre »,
édition Dunod

[3] Marie-Aude
Murail, auteur de nombreux livres àjeunesse

Personnalisation, individualisation

Jacqueline BONNARD

février 2012

 

« Dans une société sans projet, on demande à chacun de construire le sien » écrivait JP BOUTINET dans son ouvrage « L’anthropologie du projet »[1]. Il constatait que nous passions ainsi d’une culture activo-passive à une culture pronominale caractérisant la culture « à projet » ; ainsi dans la sphère scolaire on ne dit plus « l’élève a échoué » mais « il s’est planté » ou encore qu’on oriente les élèves mais qu’ils s’orientent. Ce déplacement du collectif à l’individuel pose un problème d’éthique car il renvoie à l’individu lui-même la responsabilité de sa réussite ou le plus souvent de ses difficultés et échecs. On peut en effet s’interroger sur un projet d’école pour la réussite de chacun au détriment d’une école de la réussite pour tous. Même s’il est légitime de considérer que chaque individu est unique, on ne peut ignorer que les différences « d’aptitudes » à l’entrée de la scolarité sont fortement dépendantes des conditions sociologiques dans lesquelles l’enfant évolue. Dans ces conditions, individualiser les parcours risque de créer une discrimination qui ne veut pas dire son nom : aux manuels (ou non conceptuels, vocabulaire qui revient en force) l’obligation de s’orienter de façon précoce vers un métier au risque de ne pas se construire les outils intellectuels qui leur permettraient de rebondir en cas de difficultés, aux plus doués la possibilité d’apprendre et de se cultiver pour mieux choisir une orientation ultérieure.

En collège, on voit apparaître ici et là, des établissements qui instituent des classes à projet spécifique s’appuyant sur des programmes « allégés » dont un des objectifs est de « réconcilier les élèves en difficulté avec le système scolaire » sans que soient remises en cause les pratiques pédagogiques qui ont induit les résultats observés. Le bénéfice escompté (mais inavoué) de ces projets est de permettre aux « bons élèves de pouvoir apprendre et progresser plus rapidement ». On voit bien ici la logique sous-jacente, une adaptation pour se mettre au niveau présupposé des élèves et réduire les exigences relatives aux savoirs à enseigner. Que dire également de l’aide individualisée qui isole l’élève et sa famille avec un sentiment de culpabilité injustifié ? Car si l’école ne parvient pas à atteindre les objectifs visés, faut-il en rendre coupables les usagers ou s’interroger sur les moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs ?

Et si l’on commençait par considérer l’élève comme une personne et non un individu : une personne qui s’inscrit dans une histoire familiale, évolue dans un cadre social. Plutôt que d’isoler l’individu dans une problématique de manque, il serait plus pertinent d’analyser collectivement les difficultés récurrentes chez les élèves et de construire des réponses pédagogiques adaptées en  considérant  l’élève et sa famille comme des partenaires à part entière. Le dispositif pédagogique[2] majoritaire pour mener une séance de cours ou de formation répond à la logique de « l’indifférence à la différence »[3], c’est-à-dire qu’elle s’appuie sur un modèle implicite de « l’élève normal » qui adopterait spontanément les postures adaptées, apprendrait de façon fluide en répondant aux sollicitations de l’enseignant. De ce fait, les élèves les plus éloignés des évidences scolaires ne construisent pas de savoirs même s’ils participent aux activités proposées, de plus ils se trompent d’objet de travail puisque pour eux « l’important est de participer » en faisant plaisir à l’enseignant.

Il  s’agit donc moins d’individualiser la pédagogie selon les difficultés de l’un ou de l’autre que de proposer des situations d’apprentissage qui permettent à chacun de développer ses capacités et  s’inscrire dans des réussites valorisées car reconnues par le groupe social. Ce qui importe c’est de mettre en œuvre les conditions d’une appropriation individuelle de savoirs communs dans une démarche collective. Cette approche nécessite d’inscrire le métier d’enseignant dans un collectif de travail et de réflexion qui interroge les savoirs, les pratiques pédagogiques, les supports utilisés.


[1] JP BOUTINET (1990) L’anthropologie du projet

[2] Au sens que donne Stéphane BONNERY (2007) : des dispositifs récurrents, de classe en classe, abstraction faite de la façon d’enseigner propre à chaque professeur.
[3]
BOURDIEU et PASSERON (1964)

 

A lire :

  • Du plan Langevin-Wallon à aujourd’hui : Les aptitudes, sens et usages sociaux. Jacques BERNARDIN
    Un éclairage sur la notion d’aptitude selon Henri WALLON en replaçant les écrits dans leur période
    historique puis en les questionnant au regard des discours actuels sur l’éducation. LIRE
  • L’individualisation dans la classe, dans l’école, dans la société : une solution ? Stéphane BONNERY essaie de répondre à la question « L’individualisation : une réponse à l’exclusion
    sociale ? » en posant la question à trois niveaux : dans la classe, dans le système scolaire, dans la société. LIRE
  • Ecole pour la réussite de chacun ou école de la réussite pour tous ? Les points de vue d’Agnès Van Zanten et Choukri Ben Ayed relayés par le café pédagogique. Ces deux auteurs réfutent l’idée « d’une école pour chacun » qui déplace la responsabilité de l’état vers les individus au détriment de l’objectif d’une école pour tous. Lire
  • Livret Repères de l’IFE (ex INRP), Un dossier intéressant (2009) qui questionne la terminologie utilisée et donne quelques éclairages sociaux et éducatifs. Lire
  • Les paradoxes de l’individualisation, un dossier XYZep de l’INRP qui apporte des éclairages de praticiens et de chercheurs sur cette question à une époque (2006) où la prise en charge personnalisée de la difficulté scolaire était un sujet de recherches et de réflexion. Lire
  • Individuel/collectif en éducation : un faux débat ? Une intervention de Bernard BIER (2009) qui interroge l’approche éducative individualisée dans la lignée de certaines mutations sociales ; il montre que les apports de la recherche et la construction collective peuvent aider l’enseignant ou l’éducateur à « repenser le métier ». Lire

Quels freins à la démocratisation ?

Jacques BERNARDIN, Président du GFEN, Assises d’Aubagne 2011

«La nécessité pour tous de savoir lire / écrire est un phénomène récent »[1].
L’histoire montre que cette pratique sociale a été inventée par et pour une élite, que c’est un instrument de pouvoir tant sur le plan matériel (gestion des impôts, des récoltes, lois, comptabilité) que spirituel (transmission des mythes fondateurs).

Nécessité économique d’ouvrir l’école, choix politique d’en limiter l’accès : c’est dans cette tension que, de tout temps, s’est constituée l’école… Et les traces du passé sont instructives pour penser son avenir.

A/ La conquête du droit à l’instruction

On considère souvent que l’Ecole commence avec Jules Ferry. Or, « les grandes lois scolaires interviennent à un moment où la cause de l’alphabétisation des Français est déjà largement gagnée»[2].

I. Sous l’Ancien régime : le besoin d’école (16è-17è siècle)

L’école élémentaire est déjà florissante avec l’imprimerie (Gutenberg : 1447-1450) et surtout, à la demande de l’Eglise, des communautés urbaines et rurales et de l’Etat.

1) L’Eglise :

Luther, en 1524, envoie une lettre aux Conseils des villes allemandes pour qu’elles entretiennent des écoles obligatoires. « La réforme fait d’une invention technique une obligation spirituelle. Elle substitue à l’immensité des commentaires savants et inaccessibles sur l’Ecriture le texte même de la Parole de Dieu, offerte au fidèle dans sa langue.» (Furet, Ozouf). L’Eglise catholique décide de combattre la Réforme avec ses armes. C’est le sens du Concile de Trente (1563) : préserver son hégémonie avec des écoles élémentaires sous son contrôle. Quel est alors le rôle de l’école ? Pour l’Eglise, elle a une finalité chrétienne et morale : « normaliser le comportement social par l’intériorisation d’une morale pratique aux règles simples : respecter ses parents, obéir aux maîtres, avoir des mœurs purs, fuir le mal ».

2) Les communautés urbaines et rurales.

Dès le 16è s., la demande des villes est plus forte (centres de commerce, des échanges, de pouvoirs). Dans le monde rural, c’est d’abord la classe moyenne (paysans exploitants, petits marchands, artisans) qui demande l’école pour ses enfants, la France à haute productivité agricole.

3) L’Etat

Intervient au 16è et au début du 17è pour soutenir l’Eglise (Révocation de l’Edit de Nantes). … mais   trop d’instruction pourrait nuire. Dès le début du 17è siècle, l’argument est développé auprès du Roi de France, on le trouve sous la plume des députés du clergé aux Etats de 1614, on le retrouve dans le testament de Richelieu : « le développement inconsidéré de l’instruction risque de ruiner l’agriculture et le commerce, vraies sources de la richesse de l’Etat, par le drainage de la population vers la chicane et les belles-lettres ».

*« Dans ces écoles on enseignerait seulement à lire et à écrire, chiffrer et compter,en même temps on obligerait ceux qui sont d’une naissance basse et inepte pour les sciences à apprendre les métiers et on exclurait même de l’écriture ceuxque la Providence a fait naître d’une condition à labourer la terre, auxquels il ne faudrait qu’apprendre à lire seulement (…)»   (Mémoire sur les Raisons et moyens pour la Réformation des universités à 1667)

Le risque ne serait pas qu’économique, mais aussi social : « l’instruction créera plus d’espérances de promotion qu’il n’y a d’emplois disponibles hors du travail manuel ; d’où le risque d’un vaste parasitisme social, menaçant l’équilibre d’une société où les chances sont inscrites dans la naissance des individus ».

*« Si les lettres étaient profanées à toutes sortes d’esprits, on verrait plus de gens capables de former des doutes que de les résoudre, et beaucoup seraient plus propres à s’opposer à des vérités qu’à les défendre… On y verrait aussi peu d’obéissance que l’orgueil et la présomption y seraient ordinaires. » (Richelieu, Testament politique à 1688)

II. Pendant la Révolution (18è siècle)

La Révolution invente une image de l’école, y investit son propre avenir, en fait l’enjeu central d’un affrontement politique et culturel. L’école sera le creuset des nouvelles valeurs démocratiques.

1) Dès 1789, la Constituante transfère aux autorités administratives les pouvoirs de l’Eglise sur l’Ecole… mais cela nécessite du temps et de l’argent. En fait, on composera avec le réseau déjà existant (communautés locales), en concurrence avec le réseau d’ « écoles particulières ».

2) Le projet Condorcet (1792).

L’époque est propice à l’émergence d’un nouveau « besoin de lire » (les lois, les journaux, les nouvelles). Avec Condorcet, premier projet d’alphabétisation de masse (« Cinq mémoires sur l’instruction publique ») : l’Instruction Publique est un devoir de la société à l’égard des citoyens, condition pour permettre à chacun de connaître et d’exercer ses droits tels qu’ils sont garantis par la loi. ; il s’agit de « diminuer l’inégalité » due aux différences des conditions sociales ; d’« augmenter dans la société la masse des lumières utiles », de viser « le perfectionnement de l’espèce humaine ». Ce projet « révolutionnaire » parle d’égalité hommes / femmes et d’instruction tout au long de la vie (avec l’organisation de conférences hebdomadaires).

Mais ce plan ne sera jamais appliqué dans son ensemble. Outre lecontexte politique troublé, il y a des divergences fondamentales quant au bien fondé et à la nature de l’instruction à donner au peuple.

– « Mon invariable maxime est ce mot : un peu, mais pas trop ; beaucoup de pratique, point de science». (Philipon de la Madeleine à 1793)

Pour certains philosophes des Lumières eux-mêmes…

« Le pauvre n’a pas besoin d’instruction ; celle de son état est forcée, il n’en saurait avoir d’autres » (Rousseau).

-Voltaire : « Ce n’est pas le manœuvre qu’ilfaut instruire, c’est le bon bourgeois, l’habitant des villes ».

– Destutt de Tracy : « Les enfants du peuple doivent surtout prendre très tôt l’habitude du travail pénible auquel ils sont destinés et ne peuvent donc « languir longtemps dans les écoles »

III. Au 19è siècle

Dès le début du 19è, la demande de l’opinion a provoqué le développement de l’instruction (notamment dans la petite bourgeoisie :artisans, commerçants ; employés du commerce, des banques, de l’administration ; contremaîtres et ouvriers qualifiés). On s’interroge par ailleurs sur ce qui se passe à l’étranger, où on s’aperçoit que le développement économique est lié à celui de l’instruction (cas de l’Allemagne protestante, de la Hollande, de l’Angleterre avec ses écoles mutuelles).

1) Guizot en 1816 : « l’instruction publique appartient à l’Etat »

– Loi de juin 1833 : obligation pour tout maître d’école d’obtenir un Brevet de capacité (délivré par une commission départementale indépendante) ; pour toute commune de plus de 500 hab., d’entretenir une école primaire, et assurer le vivre au maître ; pour tout département : Ecole Normale primaire de garçons.

– 1834 : Première tentative d’organisation pédagogique de l’école élémentaire

– 1835 : création du corps permanent des Inspecteurs des Ecoles Primaires.

*Création d’écoles primaires / Ecoles Normales…
Mais il ne faut pas donner aux élèves « des goûts et des habitudes incompatibles avec la condition modeste où il leur faudrait retourner » (Guizot)

*Il faut « veiller à ne pas trop étendre l’enseignement ; insister sur l’instruction morale et religieuse, fondamentale ; développer l’esprit d’ordre »  (Guizot, Lettre aux directeurs d’École Normale – oct. 1834)

*« L’homme de quelque pays qu’il soit, qui veut devenir un bon ouvrier, doit commencer par se défaire de l’idée exagérée de son propre mérite. » (Le Moniteur Industriel, 1837)

2) V. Duruy :

– 1865 : les communes de plus de 800 hab. : création d’une école spéciale de filles

– 1867 : généralise la gratuité. Dans les communes de plus de 500 hab., crée les bibliothèques scolaires, la caisse des écoles, et propose un nouveau programme (avec des rudiments d’histoire et de géographie).

> Fin années 1870 : 81 % des écoliers fréquentent les écoles publiques (91 % des garçons ; 70 % des filles).

3) Jules Ferry

-1870 : « Discours sur l’égalité d’éducation » : il s’agit de « faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui viennent de la naissance, l’inégalité d’éducation ».

-Grandes lois scolaires : 1881-82 (IIIè République)

1/ Obligation (de 6 à 13 ans) et gratuité
2/ Création obligatoire des Ecoles Normales d’Institutrices
3/ Construction obligatoire de maisons d’école dans communes et hameaux
4/ Laïcisation de l’école, du corps enseignant (pour affranchir l’enseignement primaire de toute influence religieuse).

Pourquoi créer l’Ecole obligatoire et gratuite ? Pour des raisons économiques (former la main d’œuvre dont la révolution industrielle a besoin) mais aussi politiques : il faut fonder la République (sortir du conflit entre la bourgeoisie républicaine / le parti monarchiste et clérical ; les conservateurs / la classe ouvrière).

* Il s’agit pour l’école républicaine de substituer l’enseignement moral et civique au catéchisme

*… mais aussi de « préserver les intelligences (…) du socialisme grossier et malsain (…) Si les institutions arrivent à enseigner la morale sociale… ce sera l’émancipation intellectuelle et morale venant après l’émancipation politique et la mettant à l’abri des orages »  (Jules Ferry, Progrès de la Somme
à 1878)

Discours de Jules Ferry (1879) devant le Conseil général des Vosges : « Dans les écoles confessionnelles, les jeunes reçoivent un enseignement dirigé tout entier contre les institutions modernes. On y exalte l’ancien régime et les anciennes structures sociales. Si cet état de choses se perpétue, il est à craindre que d’autres écoles se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans, où l’on enseignera des principes diamétralement opposés, inspirés peut-être d’un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871. » (… « grâce à notre école, nous fermerons l’ère des révolutions »)[3].

Les écoles Primaires Supérieures

*Le lycée pour les uns, l’école primaire supérieure pour les plus méritants des autres…

*qui ne doit pas être « une contrefaçon malheureuse de l’enseignement secondaire » mais plutôt «une école primaire – perfectionnée »   (J. Ferry à 1881)

– De 1880 à 1930, seulement 5 % d’une génération accède au Secondaire (2 à 2,5 % obtiennent le Baccalauréat)

*« Qu’il y ait pour tous des lumières, soit, mais que ces lumières n’éclairent chacun que dans la mesure qu’exigent ses besoins et que permettent ses capacités »  (G. Compayré – 1908)

B/ L’ouverture du Secondaire

     I. La transition : 1920-1959

1) Après 1914-1918 :

Les « Compagnons de l’Université Nouvelle », universitaires combattants qui ont côtoyé le peuple dans les tranchées posent le problème de l’école unique et proposent de poser la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans. « Séparer dès l’origine, les Français en deux classes et les y fixer pour toujours par une éducation différente, c’est aller à l’encontre du bon sens, de la justice et de l’intérêt national. (…) Les pères ont veillé dans les mêmes tranchées (…) les fils peuvent bien s’asseoir sur les mêmes bancs »[4] argumentent-ils.

Dans les années 20, le taux de croissance est élevé, il y a un essor de la production et de la consommation de masse, ce qui requiert une adaptation aux réalités industrielles nouvelles.

-1926 : alignement des programmes des écoles élémentaires des lycées sur ceux du primaire.

-1927 : gratuité pour tout le secondaire.

2) Période du Front Populaire :

-1936 : Jean Zay rend la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans (et propose d’accueillir tous les élèves en 6è, avant de les orienter en section classique, moderne ou technique).

-1937 : intégration des écoles primaires supérieures à l’enseignement secondaire.

3)  L’après-guerre :

Après la Libération, la volonté de démocratiser l’enseignement secondaire s’affirme de plus en plus, dans une période de reconstruction et d’essor économique important.

-1947 : Plan Langevin-Wallon. Mûri dans la Résistance, bien que jamais appliqué, il restera une référence. Ce plan propose l’allongement de la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans, et de créer un cycle d’orientation : un enseignement commun jusqu’en 5è, des options en 4è et 3è, avant l’orientation théorique (Baccalauréat), professionnelle (BEP) ou pratique (CAP).

II La naissance du système scolaire moderne : 1959-1975

En 1958 (4è République), 43 % des jeunes accèdent en 6ème. Or, au cours des « trente Glorieuses » 1945/1975, les besoins économiques ne cessent d’exiger davantage de formation.

1) Réforme Berthoin (1959)  :

– la scolarité obligatoire est portée à 16 ans (doit prendre effet en 1967… attendra 1971) ;

Première modification structurelle importante, qui réalise la diversification des filières scolaires, développe l’enseignement préprofessionnel et technologique.

2) Réforme Fouchet (1963)

Unifie le premier cycle (6è/3è), en un établissement unique, le CES (Collège d’Enseignement Secondaire) … mais le 1er Cycle en lycée durera jusqu’en 1978.

*« La structure pédagogique que nous avons donnée au CES et que j’ai personnellement veillé à faire adopter pour eux est la garantie de cet enseignement hiérarchisé, ou en tout cas différencié qui te paraît à toi-même si nécessaire » (Lettre de Georges Pompidou [1er Ministre] à un ami à 1965)

Même collège ne signifie pas scolarité uniforme. En 1974 :

– 77 % des enfants de manœuvres/OS sont entrés en 6è en retard (16 % des enfants de cadres
supérieurs) ;

– plus de 80 % des élèves du technique court ou en classes préprofessionnelles sont des milieux populaires ;

 3) Réforme Haby (1977) : le collège unique

Années 73-75 : choc pétrolier, fin des « Trente Glorieuses ». Il faut investir davantage dans la formation pour faire face à la nouvelle donne économique, au chômage, à l’incertitude de l’avenir. La création du collège unique parachève l’unification du secondaire (2.500 collèges construits en 10 ans, un par jour !)

Pour R. Haby, « Faire en sorte que toutes les catégorie sociales aient accès, dans des conditions de chances égales (aux formations de haut niveau) est devenu un objectif essentiel du système scolaire ». Les thèmes des discours : orientation positive et raisonnée (non subie), compenser les handicaps, pédagogie de soutien… On ne sélectionne plus, on « diversifie »…

Enfin l’égalité ? En fait, le tronc commun ne concernera que les 6è-5è… Jusqu’à la fin des années 90, des élèves seront orientés ensuite vers les CPPN (Classes préprofessionnelles de niveau) et les CPA (classes préparatoires à l’apprentissage).

De 1975 à 1985, le taux de redoublement en fin de 5è double pour dépasser 16 %

 

III- La démocratisation de l’accès au lycée (1980-90)

En 1981, arrivée de la Gauche… sur fond de crise persistante d’une école qui cherche à s’adapter à la société moderne : évolution de la famille, explosion des nouvelles technologies, rupture du lien formation / emploi, moindre prévisibilité de l’avenir… Tout concourt à investir davantage dans les études.

1) A. Savary (1981-84) réellement attaché à la démocratisation de l’école, a un souci constant d’améliorer la formation de tous les jeunes. Il propose de porter à 80 % le nombre d’élèves dans le 2nd Cycle. Il crée les ZEP, les PAE, lance la rénovation des collèges, met en place les MAFPEN, développe l’informatique à l’école, organise des journées de réflexion dans les établissements, commandite une série de grands rapports sur le collège (L. Legrand), le lycée (A.Prost), les contenus (Bourdieu, Gros).

Il veut « un grand service public unifié et laïque ». Le 24 juin 1984, 1 Million de personnes défilent à Versailles pour l’école « libre ». Savary chute. J-P. Chevènement  lui succède, met l’accent sur  le « lire-écrire-compter », parle d’ « élitisme républicain ». On passe d’une volonté de démocratisation à une logique de compétitivité économique. R. Monory (1986-87), avec la Droite, reprend l’idée des 80 % niveau Bac, « Objectif légitime de démocratisation mais encore une nécessité dans la compétition économique internationale à laquelle notre pays est de plus en plus inéluctablement confronté ».

2) La loi d’orientation Jospin (1989) marque un tournant dans les missions jusqu’alors assignées à l’école, doublant le droit à la scolarité par le droit à la culture et à la qualification pour tous. L’objectif : conduire l’ensemble d’une classe d’âge au minimum niveau CAP ou BEP, et 80 % au niveau du Baccalauréat.
Politique des cycles, projets d’établissements, place des parents (Conseils d’école), promotion du travail en équipes pédagogiques, évaluation…. Et formation dans les IUFM créés à cette occasion, avec des formations communes aux divers niveaux d’enseignement.

IV- L’actualité : la nouvelle donne européenne (2000-2010)

Bond en avant des nouvelles technologies, mondialisation sur fond de chômage persistant.
Nécessité d’une hausse du nombre de diplômés… mais « Tous les élèves n’embrasseront pas une carrière dans le dynamique secteur de la « nouvelle économie » – en fait, la plupart ne le feront pas à de sorte que les programmes scolaires ne peuvent être conçus comme si tous devaient aller loin ». (Rapport de l’OCDE, Paris à 2001).

1) Du rapport Thélot à la loi d’orientation Fillon (2005)

Il s’agit moins de viser la démocratisation que d’être pragmatique et d’adapter l’école aux nouvelles règles de compétitivité qui prévalent en Europe. « Dans un contexte de mobilité professionnelle de plus en plus généralisée, l’Ecole doit se concevoir comme une première étape, essentielle, dans le processus de formation tout au long de la vie ». L’Ecole ne doit plus seulement « dispenser des connaissances », elle doit surtout « mettre l’accent sur les savoir-faire et les savoir être qui donnent à chacun la capacité à faire face aux situations nouvelles » et « transmettre aux élèves les valeurs morales qui fondent la vie en société ». Autrement dit, il faut viser l’« adaptabilité » et l’« employabilité », sur une base opératoire et comportementale bien mieux adaptée aux besoins de l’entreprise moderne.

2) Du collège unique au collège pour tous…

*« au collège unique, il faut substituer le collège pour tous qui donne à tous les collégiens un cœur de connaissances communes (…), mais selon des parcours diversifiés et personnalisés. »  (Alain Juppé à 2003)

*Il faut « assumer sereinement la différenciation scolaire (…) soutenir les plus faibles, tout en encourageant les meilleurs à se dépasser.» (Rapport Thélot, 2004)

*« La vocation du collège unique n’est pas de former des élèves à l’identique (…) Le collège doit donc concevoir des solutions permettant de répondre aux besoins de chaque enfant, les uns pour poursuivre l’acquisition du socle, les autres pour avancer plus vite dans certaines disciplines. » (N. Sarkozy, Convention UMP sur l’Éducation àfév. 2007)

 

C/ Des choix politiques à la justification des inégalités…

Malgré l’ouverture des portes du Secondaire, si les inégalités perdurent, il faut les justifier…
Théorie des dons, de l’intelligence manuelle…

*« Il naît des hommes, il naît des femmes, il naît des filles uniques et des familles de dix enfants, il naît des enfants doués pour l’étude et d’autres doués pour les travaux manuels. Ce sont des disparités, des différences neutres par rapport à tout sentiment de justice ou d’injustice. (…) Les disparités sont inévitables. » (Valéry Giscard d’Estaing, 1972)

*« L’intelligence du jeune être est manuelle ;elle le reste pour beaucoup d’adultes leur vie durant.»        (René Haby, 1975)

De la diversité des élèves aux différences de capacité, de maturité…

 *« On a fait une grande erreur avec le collège unique car tous les enfants ne sont pas égaux »
(Jacques Chirac à 1996)

*« Le collège unique n’était pas une bonne idée parce qu’il sous-estimait la diversité de nos enfants, leurs différences de niveau, de capacité, de curiosité, de maturité… (Alain Juppé – 2003)

Différences de « talents », diversité des « formes d’intelligence »

 * Comme « les enfants sont différents dans leurs talents, leurs capacités, le rythme de leur progression, les ressorts de leur motivation, leur maturité », il faut «  personnaliser les apprentissages »

*« Compte tenu de la diversité des élèves, l’école doit reconnaître et promouvoir toutes les formes d’intelligence pour leur permettre de valoriser leurs talents » (Loi d’Orientation Fillon, 2005) 

De la réussite de tous à celle de chacun

*« Je souhaite que l’on passe de l’école de la réussite pour tous à l’école de la réussite de chacun ».
(
Luc Chatel à 25 mai 2011)

Discours du Président de la République le 23 juin 2011 : la fin du collège unique ?

*Annonce d’ «une troisième révolution de l’éducation », celle de la personnalisation des parcours.

*« Les élèves sont de plus en plus différents (…) Pour prendre en compte cette diversité, il ne peut y avoir qu’un maximum de réponses personnalisées »…

Tous nos enfants ne sont pas des bêtes à concours »…

> Annonce du doublement du nombre d’apprentis (jusqu’à un million d’apprentis)

// Loi sur l’alternance qui permet d’aller en apprentissage à 15 ans…

Circulaire de rentrée 2011-2012 :

Parmi les éléments de cadrage…

– Expérimentation d’une évaluation en fin 5è

– Mise en place, pour certains élèves, de « programmes adaptés pour une découverte de l’entreprise »

– Expérimentation d’une 3è « prépa-professionnelle » implantée en LP

– Montée en puissance pour les élèves de 15 ans du dispositif DIMA de préapprentissage (Dispositif d’Initiation aux Métiers par l’Alternance).


[1] Jean VOGLER, L’illettrisme et l’Ecole. L’échec de Condorcet ?, SEDRAP Université, Toulouse, 2000.

[2] Fr. FURET, Jacques OZOUF, Lire et écrire. L’alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry, Minuit, 1977.

[3] Jean FOUCAMBERT, L’école de Jules Ferry. Un mythe qui a la vie dure. Retz, 1986.

[4] Cité par Jean-Paul DELAHAYE, « Le collège : une construction inachevée », dans Bernard TOULEMONDE (dir.), Le système éducatif en France, La Documentation française / CNED, 2è éd., 2006

Lettre à mon fils lycéen

Yves Béal

Il y a déjà quelques jours que la grève occupe mon esprit, mes jours, mon énergie, mes nuits aussi. Pourtant, ai-je pris le temps d’en discuter vraiment avec toi, et tes enseignants, pourquoi ne l’ont-ils pas fait eux aussi… Cela explique peut-être ta réponse lorsque j’ai souhaité t’emmener à la manif : « cela ne me concerne pas ».

Penses-tu comme certains que je fais grève pour prendre quelques vacances supplémentaires, pour empêcher les lycéens de passer leurs examens, pour défendre quelques avantages injustifiés…
Penses-tu que le monde peut continuer à tourner avec des individus qui ne seraient préoccupés que par leurs seuls intérêts personnels…
Penses-tu que la retraite n’est qu’une affaire de vieux qui ne peut pas concerner quelqu’un qui n’est pas encore entré dans la vie active…
Penses-tu qu’il n’y aurait pas grand risque, avec le projet de décentralisation, à bouleverser la maison ECOLE…

Une école qui produit plus d’ennui que de jubilation.
Une école qui ne fonctionne souvent qu’avec un « engrais qui ronge », la note, véritable fléau des mentalités, machine à dociliser, machine à fabriquer la « servitude volontaire » dont parle La Boétie. Une école qui, de tous ses rouages, du sommet à sa base, ne parvient qu’à accroître les inégalités devant le savoir, ne parvient qu’à faire endosser par chaque enfant sa propre responsabilité dans sa réussite ou dans son échec, sans remettre en cause ni ses choix politiques souvent aux antipodes des valeurs affichées de liberté et de laïcité, ni son fonctionnement hiérarchisé souvent aux antipodes des valeurs de démocratie, de solidarité et de fraternité, ni les pratiques de ses agents souvent aux antipodes des valeurs de citoyenneté et d’égalité… ce qui explique en fin de compte sûrement comment se fabriquent des « citoyens » qui ne cessent de s’en remettre à d’autres pour penser à leur place, pour agir à leur place, des « citoyens » sourds, aveugles et muets, prêts à encaisser tous les coups comme s’il s’agissait d’une fatalité.

Oui, je suis enseignant et je sais que l’école, mon école, celle de la république, cette école à laquelle je suis attaché, je sais que l’école a besoin de notre inventivité à tous (enseignants-citoyens, enfants-citoyens, parents-citoyens…) pour faire progresser en son sein la devise héritée de la Révolution française, mais je sais aussi que ce n’est pas permettre son évolution dans le sens de la réussite de tous que de la mettre en miettes et de la livrer aux marchands.

Comment imaginer que ces marchands, une fois dans la place, mettront leur argent au service de tous, au service public de l’éducation de tous les enfants quand on sait que le but de tout capitaliste n’est
pas le bien commun de l’humanité mais la course à son propre profit et que pour cela, il vise non pas une société de liberté mais de libéralisme, non pas une société d’égalité mais d’acceptation des inégalités, non pas une société de fraternité mais d’exclusion.

Oui, nous avons du chemin à faire… mais faisons-le ensemble.

Je ne veux pas te léguer un monde du « chacun pour soi ». J’ai confiance en l’homme, j’ai confiance en toi. Pourtant j’ai peur, j’ai peur pour nous tous, pour toi, pour tes frères et sœurs. Peur que ce que tes arrière-grands-parents, tes grands-parents, mes parents, ont conquis si difficilement, nous le perdions
aujourd’hui. Peur que ce qui se trame hypothèque pour longtemps la vie des jeunes générations, non seulement pour les années de formation et l’entrée dans la vie active mais aussi pour la durée de travail prolongée au delà d’un âge raisonnable et une retraite indigne du temps passé en activité.

Je sens bien que c’est à moi d’agir, avec les autres qui manifestent aujourd’hui, pour le passé et pour l’avenir des plus jeunes.

Toi, tu es en âge de t’engager aussi. Je sais, c’est difficile de penser qu’à 16 ans on peut construire des choses « pour la vie », c’est difficile de penser qu’un système, aussi imparfait soit-il, vaut le coup d’être défendu. Je suis convaincu pourtant que si l’école actuelle mérite d’être transformée, elle ne mérite pas d’être démolie et livrée aux appétits capitalistes. Pour ce qui est du système de la retraite, là aussi, des transformations sont nécessaires… mais l’argent existe, il faut le prendre là où il est, faire payer les riches, les patrons, les grands financiers et non pas rogner sur les retraites des salariés ni allonger la
durée des cotisations. Il faut prendre beaucoup plus là où il y a beaucoup plus.

Je ne sais pas si je t’aurai convaincu.
L’important pour moi, c’est de t’avoir dit pourquoi je suis en grève, pourquoi  je crois qu’il est important que nous soyons des millions dans la rue.
A toi de décider !