La Plaine : Récits de travailleurs du productivisme agricole, Gatien ELIE 19 mars 2018 Valérie Pinton Gatien Elie, adhérent du GFEN et membre du Bureau National publie… éditions Amsterdam 156 p, mars 2018, 12 € Dans la plaine de la Beauce, région spécialisée dans la céréaliculture intensive, la modernité technicienne n’admet guère de critiques. Nuisances industrielles, surcharge de travail, endettement, maladies professionnelles : rien n’y fait. Dépossédés de leur métier, les agriculteurs continuent néanmoins, consentants ou résignés, à faire le pari du progrès. Alternant portraits de chefs d’exploitation et chapitres analytiques, ce récit éclaire d’un jour nouveau l’engrenage productiviste. Des exploitations agricoles aux réunions syndicales, des agences bancaires aux coopératives de semences, des formations techniques aux salons agricoles, La Plaine est une enquête sociale sur le consentement des travailleurs du productivisme et sur les forces sociales de l’inertie politique. Vendredi 6 avril 2018, 19h30, à la librairie Folies d’encre à Saint-Ouen (métro Garibaldi) Rencontre débat avec Gatien Elie, géographe, en présence également d’Allan Popelard directeur de cette nouvelle collection « l’ordinaire du capital » : une collection de documentaires littéraires. Dédiée à la critique de la vie quotidienne, elle décrit comment le capitalisme, à travers la production, la consommation, la circulation et la territorialisation du capital, organise et conforme l’ordinaire des sociétés.
Enseigner en toute petite section, Isabelle Bastide 22 août 2017 Valérie Pinton Editions Retz « Pédagogie pratique« , 2017, livre (128 p.) + DVD-Rom, 23,10 euros Après avoir ouvert le livre à son sommaire, m’être dirigée directement à des chapitres qui m’intéressaient, je me suis rendu compte que cet ouvrage fourmillait de situations réelles, d’exemples concrets, de pistes pouvant être mises en oeuvre facilement dans une classe « ordinaire ». Je suis ensuite allée lire la postface de Christophe Joigneaux, enseignant chercheur de l’équipe ESCOL. Isabelle Bastide, professeure des écoles, auteure du livre, est elle-même en train de préparer une thèse dans cette équipe avec Jean-Yves Rochex. C’est une caution scientifique mais ce n’est pas le plus important. Finalement je suis revenue à l’intérieur du livre pour y voir que toutes les pratiques présentées n’étaient pas que le fait de la conduite expérimentée d’une classe mais relevaient en amont d’une conception très riche et très précise de l’enseignement à des tout-petits. Christophe Joigneaux écrit que ce livre répond à une « urgence », la classe des tout-petits est la grande oubliée des réflexions, des recherches, des formations, des publications. Il dit aussi que le livre « contribue à mettre au point des pratiques d’enseignement ». C’est bien ce qui la distingue des autres modes d’accueil de la petite enfance. Au GFEN, nous sommes aussi persuadés que l’école maternelle est ce lieu unique qui permet aux enfants d’apprendre ensemble. Les enseignant.e.s y conduisent des situations d’apprentissage pour rendre les savoirs accessibles à tous. Et c’est bien là que réside la plus grande des difficultés. Comment s’y prendre pour que ces enfants qui arrivent encore centrés sur eux-mêmes, sortant tout juste du cocon familial et ne maitrisant pas le langage, puissent faire des acquisitions de connaissances et de procédures pour devenir des élèves ? Il s’agit bien de construire des apprentissages qui vont les « élever », les tirer vers le haut, comme le dit Vygotski. Isabelle Bastide a réussi la performance de donner dans cet ouvrage des pistes étayées, progressives, concrètes, adaptées, focalisées sur les possibilités des enfants et non pas sur « ce qu’ils devraient savoir faire avant de l’avoir appris » ou sur ce qu’on attend d’eux en fin de cycle. On ne trouve pas de « recettes toutes faites », ni d’activités « extra-ordinaires », « innovantes » au sens de l’institution mais bien des pratiques de classes « ordinaires », avec des supports et des outils simples, mais pas simplistes, avec des manipulations. Evidemment à l’âge de 2 ans, on est d’abord dans l’action, avant de dire par des pratiques langagières associées, d’abord avec le langage de l’enseignant.e qui organise des reformulations et donne à voir sa propre pensée, ensuite et petit à petit en faisant parler les enfants pour expliquer ce qu’ils ont fait et soient capables de le refaire. Nous sommes bien dans la dialectique faire pour dire, dire pour penser, penser pour comprendre et conscientiser, que développent Véronique Boiron, Élisabeth Bautier, le GFEN… entre autres. Le livre est organisé en trois chapitres dont les pages sont différenciées par des onglets de couleurs. Ce détail éditorial a son importance dans un ouvrage de référence tel que celui-ci. On sait tout de suite se repérer. La première partie est consacrée à l’accueil et fait le point sur ce qu’on sait du développement des enfants de moins de 3 ans. Comment penser les apprentissages de la propreté, la gestion des « objets transitionnels », la notion de bienveillance ? Comment accueillir les parents, quelle place leur donner à l’école ? Faire alliance pour une co-éducation est primordial en toute petite section. L’auteure spécifie ce qu’enseigner en TPS veut dire, quels gestes et postures cela implique de la part de l’enseignant.e. Il faut aussi penser l’espace comme évolutif, pour s’adapter aux activités qui changent en cours d’année ; penser le temps, la durée et le rythme de la journée et proposer des temps collectifs et individuels en alternance, des routines et des transitions pour les entre-deux. Ce long chapitre (environ la moitié du livre en nombre de pages) est rempli d’exemples, d’outils, de photos, plans, schémas, etc., tous à même d’aider l’enseignant.e débutant.e ou chevronné.e qui veut réfléchir à sa pratique. La deuxième partie traite à proprement parler d’activités d’enseignement en insistant sur la place à donner à chacun des environnements pour qu’il soit propice aux apprentissages. L’auteure propose de penser la classe avec : – des espaces créatifs, où l’élève va exercer ses gestes graphiques et artistiques ; – des espaces sensoriels où il va pouvoir observer, manipuler, faire des découvertes, des expérimentations techniques ; – des espaces de jeux de construction et de jeux d’imitation pour apprendre à classer, résoudre des problèmes et à faire semblant, imaginer ; – des espaces de repos pour retrouver calme et sérénité et des espaces d’actions motrices, tout aussi importants les uns que les autres. Cela demandera une grande organisation et une gestion évolutive pour que le petit puisse bouger et élargir ses actions motrices. La troisième partie s’attaque au langage et décrit des temps spécifiques à l’enseignement de l’oral. Souvent, comme l’oral fait partie de la vie courante, on pense qu’il est enseigné partout et tout le temps ; c’est faux, il lui faut des temps dédiés. L’auteure met aussi l’accent sur le fait d’acquérir du vocabulaire et de « raconter » des expériences vécues. Enfin elle met en avant les moments des premières interactions entre élèves, guidées par l’enseignant.e, qui apprennent à structurer sa pensée au contact de celle des autres. Cet ouvrage semble correspondre à l’école maternelle telle qu’elle est actuellement, avec la diversité culturelle et sociologique des élèves, avec la moitié de ses effectifs comportant des enfants issus des classes populaires, qui ont le plus besoin de l’école. Les pratiques proposées dans cet ouvrage sont bien des pratiques d’enseignement, à destination des enseignant.e.s qui travaillent à accueillir ET scolariser les moins de 3 ans. Ces pratiques sont basées sur des années d’expériences et de réflexions de l’auteure et sont véritablement pensées à l’aune de la psychologie du développement et en fonction des besoins des enfants de cet âge-là, parfaitement adaptées à leurs potentialités. Isabelle Lardon Juillet 2017
Un recueil de nouvelles pour changer le regard sur la pauvreté, ATD Quart Monde 12 juin 2017 Valérie Pinton À l’occasion des 60 ans du Mouvement ATD Quart Monde, les Éditions Quart Monde et Souffle Court éditions ont lancé en janvier un concours de nouvelles. Le défi : raconter en 15 000 signes une rencontre imaginaire ou réelle qui déclenche une action collective contre la misère et l’exclusion. Avec plus de 120 nouvelles reçues des quatre coins du monde, le concours s’est terminé par la sélection de 30 d’entre elles pour constituer un ouvrage qui sort fin juin 2017. « On ne pensait pas qu’on arriverait à se parler » Autour du thème de la rencontre entre des mondes qui ne communiquent pas, ces nouvelles nous rappellent l’importance capitale du lien social dans nos sociétés. Ainsi, si toutes les histoires évoquent des situations de précarité, les personnages qu’elles mettent en scène nous renvoient aux changements positifs que les rencontres peuvent créer. On ne pourra vaincre la pauvreté que si des personnes de milieux qui s’ignorent ou se méprisent osent la rencontre, se parler et s’écouter. Ces 30 nouvelles démontrent, chacune à leur manière, combien les barrières sociales sont présentes dans nos sociétés, mais aussi combien il ne tient qu’aux uns et aux autres de les franchir. Avec cet ouvrage à la fois poétique et militant, le Mouvement ATD Quart Monde et Souffle Court éditions nous rappellent aussi que l’engagement peut prendre des formes différentes et que la culture reste au cœur des actions à mener pour construire ensemble une société autrement. « L’accès à la culture pour tous : une priorité » Dépeignant des tranches de vie et la réalité de la précarité, les histoires nous ramènent toujours à l’universel. La conviction qu’en parlant, en échangeant, une société autrement peut et doit être possible et construite par tous. Un recueil pour changer les regards, pour se recentrer sur l’essentiel : l’accès pour tous aux mêmes droits et à la même considération, passe aussi par l’écriture. En cette année particulière où ATD Quart Monde veut diffuser partout le message qu’une société sans exclusion est possible , ce recueil de nouvelles est à mettre entre toutes les mains, en particulier celles du jeune public.
Accompagner les élèves. Jean-Pierre Bourreau et Michèle Sanchez 11 février 2017 Jacqueline Bonnard éditions Chronique sociale, 2016. 139 pages. 12,90 euros Dans la plupart des établissements du second degré, des dispositifs d’aide personnalisée ou d’accompagnement se multiplient. Qu’est-ce qu’aider l’élève de façon personnalisée ? Comment l’accompagner dans les apprentissages? Et si l’accompagnement commençait d’abord au sein de la classe. Pour basculer de l’Accompagnement personnalisé (AP) à l’accompagnement dans la classe, les auteurs (enseignants du second degré et formateurs) proposent cinq « renversements » possibles qui peuvent s’opérer progressivement dans le cadre du cours pour aider tous les élèves à réussir. Utilisant la parabole du voyage accompagné suivant un protocole, ils déclinent les gestes professionnels utiles pour permettre à chaque élève de trouver sa voie. Le premier renversement : inverser les rôles dans le couple parler/écouter. S’appuyant sur le fait que majoritairement, la réalité de la classe est « le cours dialogué » durant lequel l’enseignant parle à des élèves qui écoutent au risque de ne pas comprendre et apprendre, ils prônent une écoute active de ce que les élèves auraient à en dire. Dans la pratique de l’accompagnement personnalisé en groupes restreints, les auteurs caractérisent ce qu’une écoute active signifie : montrer aux élèves qu’on est là pour accueillir leur parole, faire expliciter les propos des élèves tout en favorisant les interactions, respecter leur parole. Ce qui semble des évidences n’est pas chose facile à établir tant les habitus (aussi bien du côté de l’enseignant que de l’élève) freinent la rencontre des points de vue. Cette écoute active n’est pas qu’une question de techniques, c’est aussi l’installation d’un cadre sécurisant pour chacun du groupe de paroles et la mise en place de retours réflexifs sur les apprentissages. Deuxième renversement : passer du face à face au côte à côte. Traditionnellement, l’interaction enseignant/élève se fait en face à face. Comme pour l’accompagnement d’un groupe de voyageurs, les auteurs proposent de passer au « côte à côte » pour cheminer avec les élèves ; ils isolent trois registres de l’accompagnement : guider, cheminer avec, soutenir. Chacun de ces registres correspond à des positionnements différents de l’accompagnateur tantôt devant, à côté, derrière selon qu’il souhaite diriger, conduire, assister, secourir. Pour guider un groupe d’élèves, deux points de passages obligés : fixer le cadre organisationnel des séances, permettre à chacun d’entrer dans la réflexion. Le cadre proposé s’appuie sur un même schéma temporel : le quoi de neuf ? et le retour sur la séance précédente en début de séance, une activité commune, une clôture de séance avec la pause « fil rouge ». Ceci impose le respect du temps alloué à chacune des phases. Pour entrer dans la réflexion, un temps de réflexion individuelle précède les échanges de points de vue en petits groupes qui peuvent se prolonger par une production d’affiches ou d’écrits collectifs. Cheminer avec un groupe d’élèves, suppose que le parcours emprunté ne soit pas entièrement balisé mais s’adapte au fur et à mesure des besoins, des ressentis, des réactions. Souplesse qui s’accompagne néanmoins d’une anticipation d’une séance sur l’autre tout en évitant de se tromper de chemin. Chemin difficile pour certains qu’il faudra soutenir sans focaliser sur les difficultés en mettant en place un accompagnement personnalisé discret et en faisant le pari du soutien par le groupe de pairs. Il est parfois utile de stimuler le cheminement des élèves en apportant des informations utiles en lien avec les interrogations des élèves, non pour donner des recettes mais pour fournir les éléments utiles à une réflexion pertinente. C’est le rôle de l’expert que de servir de passeur. Mais rien ne se fera sans la mise en mots des « difficultés à » et l’accompagnateur se doit d’être facilitateur en formulant ou en faisant reformuler les élèves pour qu’ils accèdent à une connaissance des possibles. Ces deux rôles de l’accompagnateur ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et l’on passe de l’un à l’autre au cours d’une même activité. Ce qui amène à transposer cet accompagnement personnalisé au sein même de la classe : on peut aisément le faire lors des travaux de groupe centrés sur une production (orale ou écrite), lors de la conduite d’un projet pluri ou interdisciplinaire au niveau d’une classe, dans le processus d’apprentissage des élèves dans les tâches complexes ou encore lorsqu’on anime des débats au sein de la classe. Troisième renversement : laisser le temps au temps. Les auteurs préconisent d’instaurer un autre rapport au temps des apprentissages et de la formation. Faut-il obéir à la sacro-sainte obsession de terminer les programmes ou laisser aux élèves le temps de faire des pauses, leur accorder le droit de réfléchir au sens donner à leur expérience scolaire ? Il est sans doute difficile aux enseignants de stopper le cours de la progression mais l’accompagnement personnalisé offre la possibilité de faire « des pauses réflexives » pour un retour sur les savoirs en jeu dans les cours. Si l’exercice s’avère difficile dans un premier temps, il est bénéfique tout particulièrement aux élèves en difficulté peu habitués à s’interroger sur leur capacité à apprendre et à reconstituer « le puzzle d’un savoir en miettes » pour en tirer profit. Par l’échange entre pairs, sous le regard bienveillant de l’animateur qui suit et relance le débat, chacun peut reconstituer la trame d’un cours, d’un documentaire, d’une lecture suivie. Il en est de même pour les « gestes d’études » où chacun peut comparer son propre fonctionnement à celui de l’autre, non en concurrence mais en complémentarité. Très souvent le temps scolaire n’est pas en concordance avec la temporalité personnelle de l’apprenant. Quand la formation imprime un rythme ou un contenu trop éloigné des attentes de l’élève, l’entreprise perd de son sens. Lorsque des jeunes sont dans une situation de survie, la recherche d’une rentabilité immédiate prend le pas sur la mise à distance d’efforts inévitablement infructueux à court terme. L’accompagnement personnalisé doit permettre ces « parenthèses » où l’institution permet une pause et favorise des temps de passages dans d’autres structures pour confirmer ou infirmer l’envie de s’engager dans une filière. Le temps du détour, lorsqu’il est valorisé, restaure l’image de soi et l’engagement du jeune dans la voie ainsi choisie. Mais toutes les bonnes intentions et dans les limites du cadre institutionnel sont vouées à l’échec si l’on n’accepte pas l’idée que les jeunes ont un autre rapport au temps. Cette expérience de l’accompagnement personnalisé pose la question de la transposition des éléments observés dans les temps de formation en classe et en établissement : pause réflexive à l’issue d’un cours ou d’une séquence dans des modalités diverses et à instituer de façon collective. Mais cela suppose certainement pour bon nombre d’enseignants un véritable travail sur soi et une véritable réflexion sur les attendus des programmes : perdre un peu de temps en début d’année en instituant des « pauses réflexives » peut permettre d’en gagner par la suite. Renversement n°4 : se centrer sur l’élève en tant que personne en construction. L’école a tendance à tendance à s’intéresser davantage aux performances scolaires de l’élève qu’à son développement personnel, c’est même une part importante de la tâche de l’enseignant qu’on nomme évaluation qu’elle porte sur le comportement, le travail, les résultats, ses compétences. On oublie souvent que derrière ces notes et commentaires, il existe des personnes inscrites dans un environnement familial et social qui influe sur cette performance. Du fait du petit nombre d’élèves en accompagnement personnalisé, il est plus facile d’installer une relation interpersonnelle et de prendre en compte l’individu dans sa globalité plutôt que de l’aborder en termes de résultats chiffrés. Tous entrent dans ce dispositif en raison de difficultés repérées par l’équipe éducative et souvent confrontés à des situations personnelles compliquées. Dans cette parenthèse, les adultes prennent le temps d’aborder avec eux leur vécu scolaire, leurs aspirations, l’éventail des possibles en termes d’orientation professionnelle. Il s’agit d’aider la personne à se (re)construire, entreprise parfois difficile car il ne suffit pas de vouloir aider pour que ceci soit accepté : la logique du professionnel ne rencontre pas forcément celle du jeune imbriqué dans une attitude de rejet de tout ce qui peut représenter l’institution scolaire. Si chaque parcours est différent, l’objectif visé est d’enseigner « ce qu’est être humain » au-delà du parcours scolaire et ses embûches. Plutôt que de subir, il s’agit de comprendre le fonctionnement du système scolaire, d’aborder les gestes de l’apprendre et le sens de l’expérience scolaire. Tout ceci se fait dans le respect de l’autre et de son droit à l’erreur : chacun a le droit de se tromper dans son parcours de formation et revoir ses choix d’orientation. Ce passage de la fonction enseignante à celle d’accompagnateur oblige à remettre en question le sens à donner au mot « réussite » et ce qui pourrait être mis en place dans la classe en opérant ce renversement n°4 : des projets collectifs et coopératifs, l’entraide entre élèves, l’auto et la coévaluation par exemple. Renversement n°5 : apprendre auprès des élèves pour leur permettre de mieux apprendre. La fonction de l’enseignant est de « faire apprendre les élèves » dans une relation dissymétrique entre celui qui détient le savoir (même s’il n’est plus le seul) et ceux qui aspirent à s’en approprier les contenus. Les auteurs proposent aux enseignants d’opérer un renversement en apprenant de leurs élèves pour parfaire leurs pratiques en levant les malentendus faisant obstacle aux apprentissages. Un préalable : accepter de se laisser surprendre, d’être déstabilisé par les propos des élèves. Ecouter la perception que les élèves ont de leur expérience scolaire, pour autant qu’elle soit déstabilisante, installe les prémisses d’un échange susceptible de faire opérer des déplacements. Allons plus loin, en favorisant l’expression de tous les points de vue, sans langue de bois et sur tous les sujets qui cristallisent les tensions dans les établissements. Cette phase passée, on peut constituer une mémoire collective et construire une parole « efficace » qui permet aux élèves de dépasser leur ressenti négatif pour reprendre pied dans une scolarité avec des perspectives positives. Cette expérience de l’accompagnement personnalisé pose les bases de la nécessaire posture d’accompagnement dans la classe. La situation de classe n’est pas la même que celle des dispositifs d’aide ou d’accompagnement. La posture d’accompagnement s’appuie sur trois dimensions : – une dimension incarnée qui montre la volonté de l’animateur de prêter attention à l’autre et accueillir sa parole ; – une dimension spatio-temporelle par la proposition d’un cadre en rupture avec le cadre dominant ; – une dimension éthique par l’ambition éducative et émancipatrice que l’animateur affiche. Les contraintes institutionnelles liées à l’organisation même des enseignements dans le second degré entravent la volonté des enseignants à modifier leur posture pour aller vers davantage d’accompagnement des élèves pour les aider à prendre conscience de leur potentiel. Rien ne se fera sans une réelle formation professionnelle à ce sujet. Aujourd’hui l’accompagnement personnalisé est cantonné à la périphérie de l’École. Pourtant, de nombreuses activités scolaires ne prennent leur sens que lorsque l’enseignant devient accompagnateur de ses élèves. L’ouvrage pose les bases d’une réflexion sur une professionnalité enseignante qui pourrait intégrer dans les cours les principes développés ici. Encore faudra-t-il que cela fasse l’objet d’une formation pour lever les empêchements à penser la classe autrement. Jacqueline BONNARD Lire aussi l’article du Café Pédagogique
L’école des Incapables ? Mathias MILLET et Jean-Claude CROIZET 29 décembre 2016 Jacqueline Bonnard Proposé par Christine Passerieux : La maternelle, un apprentissage de la domination Mathias Millet et Jean-Claude Croizet, La Dispute, 2016 Une fois n’est pas coutume : un nouvel ouvrage de recherche concernant l’école maternelle vient de paraître. Et son titre frappe fort mais vraiment juste ! Mathias Millet et Jean-Claude Croizet dénoncent à la suite d’une enquête de plusieurs années, les effets d’un système éducatif profondément ségrégatif dès la maternelle qui, à travers les processus d’exclusion des enfants des classes populaires, « conduit à l’apprentissage douloureux de l’infériorité » et à son intériorisation. « L’école se détourne de l’enseignement« , au nom d’une naturalisation du développement des enfants où l’apprentissage se ferait par imprégnation, fréquentation d’objets d’apprentissage, dont chacun pourrait s’emparer selon son bon gré. Les enfants ne sont plus dotés des outils cognitifs requis pour entrer dans une socialisation scolaire puisque seule compte leur valeur intrinsèque, mais n’en demeurent pas moins à exécuter des tâches ou, par une grossière vulgate constructiviste, à être acteurs de leurs apprentissages. Nombre de savoirs légitimés par la forme scolaire sont considérés comme acquis à l’entrée à l’école maternelle et ne font pas l’objet d’apprentissages. La pédagogie invisible(1) renforce le sentiment d’étrangeté pour des enfants dont les performances sont essentialisées, pensées comme caractéristiques individuelles. La conception de l’enseignement sous-tendue perdure dans le système, comme le notent les auteurs, en particulier dans les classes relais, et détourne « les enseignants de la relation pédagogique au profit d’une lecture clinique des conduites scolaires« (2). L’origine des difficultés est imputée à l’extérieur de la relation scolaire, leur traitement est massivement externalisé. Les difficultés sont appréhendées comme un problème inhérent à l’élève (alors qu’elles sont inhérentes à tout processus d’apprentissage), jusqu’à ce que ce soit l’élève lui-même qui devienne un problème ! Lorsque « l’apprentissage est ignoré ou oublié comme apprentissage », « ce qui est le produit d’une relation scolaire est attribué à la nature de l’élève ». La non-conformité des enfants des classes populaires aux attendus scolaires (non explicites) trouve pour explication le déficit socioculturel, attribué à une faible stimulation familiale. Et lorsque la performance est assimilée à l’intelligence, l’école exerce une terrible violence symbolique sur les enfants et leurs familles, qui conduit « à l’intériorisation d’un sentiment d’indignité personnelle ». « On peut parler, à cet égard, de stigmatisation des difficultés scolaires et de stigmatisation par les difficultés scolaires ». Conçue pour des enfants/élèves en connivence avec ses pratiques, l’école « instruit la domination culturelle ». Les auteurs montrent dans un corpus très riche de moments de classes que « les interventions disciplinaires varient avec l’origine sociale des élèves » ; que les enfants issus des classes populaires font dès la maternelle l’ « expérience de la disqualification par accumulation de retours négatifs, de tentatives infructueuses dans les interactions, de moments de solitude face aux questions du maître ou lors d’un passage au tableau, de silences de l’enseignant valant non reconnaissance de ce qui vient d’être dit ou encore de condamnations plus ou moins abruptes des productions scolaires ». La catégorisation fréquente en élèves lents ou rapides est une forme à peine euphémisée des dons. Les auteurs constatent que, très jeunes, les élèves comprennent qu’ils ne « répondent pas aux attentes ou qu’ils ne le font pas aussi bien que d’autres » et vont jusqu’à assimiler leur personne à leurs productions. Par un « processus de persuasion clandestine » ils intègrent leurs écarts de réussite comme des différences de qualités individuelles » ce qui a des incidences très lourdes bien au-delà de leur scolarité, d’autant plus que l’école joue un rôle décisif dans les histoires individuelles. Alors que les conceptions les plus réactionnaires de l’apprentissage et de l’enseignement qui prônent dans les médias(3) une naturalisation du développement et des apprentissages, cet ouvrage est essentiel pour comprendre comment les enfants « intériorisent un sentiment de dignité ou d’indignité culturelle », qui peut conduire à la résignation, à un sentiment d’infériorité accepté. Un système qui cultive la nature des enfants pour la faire éclore plutôt que d’enseigner, qui conduit les élèves à intérioriser des sentiments de dignité ou d’indignité, dans des logiques concurrentielles entre eux, détourne très tôt les élèves de leurs apprentissages. Cet ouvrage questionne nombre d’idées communes largement répandues dans tous les milieux, y compris ceux de l’enseignement et notamment concernant l’école maternelle. Il est un véritable outil contre la déprofessionnalisation des enseignants qui menace ce premier palier de la scolarité. Les auteurs montrent, argumentent et nomment loin des discours convenus, des opinions communes, des mystifications de tous ordres. L’incantation à la réussite ne peut réduire les inégalités scolaires, disent-ils « parce que l’idée de réussite impliquera toujours en miroir celle d’échec ». La question centrale est bien celle de la « création des conditions d’un accès égal pour tous aux savoirs scolaires ». 1 – Basil Bernstein, Classes et pédagogies : visibles et invisibles, in Les sociologues, l’école et la transmission des savoirs, Dauviau, Terrail La Dispute, 2007 2 – Stanislas Morel, La médicalisation de l’échec scolaire, La Dispute, 2014 3 – Christine Passerieux, Les mystifications de l’innovation, dans ce numéro de Carnets Rouges
L’autonomie obligatoire, Sociologie du gouvernement de soi à l’école, Héloïse Durler 21 octobre 2016 Valérie Pinton Héloïse DURLER Presses Universitaires de Rennes, collection Paideia, 2015 Nous publions ici une note parue dans Carnets Rouges n°6, mars 2016 Dans une première partie de l’ouvrage Héloïse Durler, à partir du constat que l’injonction à l’autonomie touche tous les milieux, explique comment ce sujet d’études s’est imposé à elle. Sur ses terrains d’observation elle constate en effet que l’autonomie est le maitre mot de l’univers scolaire, au nom duquel se fait l’évaluation des élèves, et qui parallèlement justifie les choix pédagogiques. Se dessine alors le profil de l’élève idéal, « celui qui comprend rapidement ce qui lui est demandé de faire, ou ce qui lui est expliqué ». Cet élève idéal, sur lequel s’appuie le système scolaire est celui qui détient en lui-même les ressources pour trouver les motivations qui vont lui permettre de s’engager dans les apprentissages, tout en se soumettant aux contraintes de la forme scolaire, dans une visée d’épanouissement personnel. L’individu, élève (ou travailleur) doit être l’entrepreneur de lui-même. Se trouve alors évacuée la question sociale alors que la question première à se poser est celle de la construction sociale de cette autonomie. Elle analyse à travers des références puisées chez plusieurs chercheurs du 20ème siècle les relations étroites entre changements sociétaux, conceptions politiques dominantes et conceptions pédagogiques. L’auteure s’intéresse aux dispositifs mis en place dans les classes, non appréhendés comme méthodes mais comme pratiques sociales, sous-tendues par « des principes pédagogiques, des conceptions de l’enfant, de l’apprentissage et du pouvoir » et qui « façonnent, orientent, valorisent et légitiment certains comportements ». L’engagement intellectuel des élèves est sollicité par l’école à travers des dispositifs de problématisation, de contrôle intellectuel et d’autocorrection. « La réflexivité apparaît donc comme un levier central de l’autonomie scolaire » dit l’auteure. Elle constate de manière récurrente dans les classes suisses observées que ces dispositifs « tournent à vide » en s’appuyant sur des ressources individuelles » inégalement réparties au regard de l’origine socioculturelle des élèves. La distance est donc grande entre l’élève idéal, qui peut répondre aux injonctions d’autonomie et l’élève réel qui reste en extériorité face aux réquisits scolaires. L’auteure observe que « les pratiques scolaires de l’autonomie (j’ajouterais telles qu’elles s’exercent très massivement) correspondent en réalité à une nouvelle modalité d’imposition de la contrainte scolaire et d’intériorisation des normes sociales dominantes ». Elle souligne en quoi ces prescriptions mettent également les enseignants en difficulté alors qu’ils doivent à la fois « veiller au respect des spécificités individuelles des élèves (leurs rythmes, leurs envies etc.) et leur donner la possibilité de découvrir les savoirs scolaires demanière ‘autonome’ ; d’autre part encadrer les pratiques cognitives et comportementales des élèves afin qu’ils se conforment aux attentes de l’institution scolaire en maîtrisant un ensemble de savoirs, de savoir-faire et savoir-être.» A la toute fin de l’ouvrage l’auteure, pose un certain nombre de questions, sans y répondre car là n’est pas l’objet de sa recherche, sur la nécessité de définir les ressources nécessaires à la construction de l’autonomie. En faisant un usage globalisant du terme de « pédagogies nouvelles », elle assimile idéologie et pratiques dominantes (y compris qualifiées d’innovantes) à une recherche pédagogique certes minoritaire mais bien réelle, qui travaille à apporter des réponses, loin de conceptions spontanéistes de l’apprentissage et naturalisantes du devenir élève. Cette réserve faite, le dévoilement des paradoxes de l’injonction à l’autonomie et leurs incidences négatives sur un engagement nécessaire des élèves dans leurs apprentissages, font de l’ouvrage un outil précieux de réflexion sur les modalités prescrites de transmission des savoirs. Christine PASSERIEUX
La natation de demain, une pédagogie de l’action. Raymond CATTEAU 17 avril 2016 Jacqueline Bonnard Un outil au service des formateurs et entraîneurs Nouvelle édition, revue et augmentée, éditions ATLANTICA, 2015. 230 pages, 24,90 euros Introduit par trois préfaces émanant de cadres techniques de la natation française, l’ouvrage se veut au service des formateurs et entraîneurs. Mais chacun peut y trouver des ressources utiles pour peu qu’il s’intéresse à la natation bien sûr, mais également aux situations d’apprentissage à privilégier dés lors que le milieu dans lequel l’apprenant évolue lui paraît suffisamment étrange, voire étranger. Car il ne faut pas s’y tromper, c’est avant tout la pédagogie de l’action qui est privilégiée dans le propos de Raymond Catteau car « transmettre la compétence ou l’expertise par des discours, verbaux ou écrits, se révèle toujours inopérant ». Pour apprendre à nager ou enseigner la natation, faites d’abord un peu de physique et de mécanique pour appréhender les caractéristiques des milieux terrestre et aquatique afin de comprendre ce que l’être humain doit surmonter et modifier dans sa motricité pour passer de l’être terrien « vivant sur un monde essentiellement hétérogène , peuplés d’êtres et d’objets » à un être aquatique capable de se mouvoir dans un milieu homogène qui oblige à revoir la façon de se mouvoir, se propulser. Apprendre à nager n’est pas chose facile lorsqu’inconsciemment, le néophyte tente d’adapter sa posture de terrien à ce nouveau milieu en maintenant les voies respiratoires et la tête hors de l’eau ce qui induit une verticalité du corps susceptible de gêner la nage. Certains diront que pour apprendre à nager, il suffit d’abord « d’apprendre les mouvements » comme l’ont fait les générations antérieures, au bord des bassins « où l’on a pied »… pour prendre confiance. Mais comme on n’apprend pas de mouvements pour apprendre à marcher, Raymond Catteau soutient que les systèmes de mouvements se coordonnent à partir de situations à résoudre par l’action et l’expérience du sujet. C’est le mobile (apprendre à nager) qui pousse l’individu à réunir les mouvements aux cours d’expériences répétées et analysées qui permet au nageur de se construire et passer progressivement d’une « organisation terrienne » à une « organisation aquatique ». Comme pour la marche, on note des structures de fonctionnement que l’apprenant doit successivement remettre en cause s’il veut progresser pour devenir un nageur performant. Quatre parties dans cet ouvrage La première est consacrée à la natation. Après avoir présenté un historique montrant que, dès l’Antiquité, la natation est présente dans les activités humaines, l’auteur pointe la progressive accession pour tous à la pratique de la natation. Il décrit ensuite les différents types de nage et cette faculté des bébés à explorer le milieu aquatique et s’y mouvoir sans appréhension. La deuxième partie aborde la culture natatoire. Il s’agit là de la connaissance des nages (structure et fonctionnement) : nages alternées (crawl et nage sur le dos) et nages simultanées (nage papillon et brasse). A chaque fois, on décrypte la posture, les gestes du nageur avec photos et illustrations à l’appui. La troisième partie propose une mise oeuvre didactique « pour devenir nageur et toujours meilleur nageur ». Cette mise en oeuvre se base sur la pédagogie de l’action et le processus de construction. Trois états pour le corps en milieu aquatique : le corps flottant, le corps projectile, le corps propulseur. Pour chaque état, on étudie successivement les aspects physique, physiologique, psychologique, pédagogique. Dans la quatrième partie, la mise en oeuvre pédagogique s’appuie sur les six niveaux de l’action décrits en partie 1, en reprenant les trois thèmes précédents : corps flottant, corps projectile et corps propulseur. L’auteur propose une suite d’objectifs intermédiaires à atteindre et chacun d’eux à travers une succession de tâches. Des annexes très fournies complètent cet ouvrage pour permettre au lecteur de connaître les références et options philosophiques de l’auteur dont Henri Wallon, Robert Mérand, Jean-Pierre Astolfi, Gaston Bachelard, Aurélien Fabre. Jacqueline BONNARD
Aux frontières de l’école, Institutions, acteurs et objets de Patrick Rayou 4 février 2016 Valérie Pinton Patrick RAYOU (direction) Presses Universitaires de Vincennes, 2015 L’ouvrage dirigé par Patrick Rayou, s’inscrit dans les travaux d’un réseau de chercheurs, (Reseida)1 qui s’attachent à analyser et comprendre comment se produisent les inégalités d’accès aux savoirs et à la réussite scolaire. Il engage à « se demander d’où on regarde les frontières de l’école » afin de « prendre en compte les processus qui les construisent plutôt que « de réfléchir uniquement en termes d’étrangeté d’un territoire par rapport à l’autre » (P. Rayou). Perspective intéressante pour sortir de la fatalité d’un échec socialement ségrégatif ou se satisfaire de dispositifs de remédiations et/ou de pacification qui n’interrogent pas la nature de ces frontières et ajoutent de la désespérance et un sentiment violent d’impuissance des acteurs de l’école, auxquels est imputée la responsabilité des échecs massifs dans les milieux populaires. L’école est confrontée à deux écueils : présenter les savoirs de manière telle que les élèves les moins connivents se sentent exclus d’un univers qui leur demeure étranger et considèrent que les apprentissages scolaires ne les concernent pas ; ou pour répondre à une pression sociale et politique de plus en plus forte, faire autre chose que de l’école (on pense ici à toutes les éducations à), qui l’un et l’autre produisent les mêmes effets d’exclusion pour les élèves issus des milieux les plus précarisés. C’est entre ces deux pôles qui ne sont pas antinomiques qu’elle oscille lorsqu’elle rabat ses exigences au nom de l’adaptation aux élèves en difficulté, ou naturalise le passage de l’enfant à l’élève, sans mettre en partage les outils langagiers et cognitifs requis. Les chercheurs qui participent à cet ouvrage montrent que les élèves les plus éloignés des pratiques scolaires sont soumis à des exigences qu’ils ne peuvent connaître, voire reconnaître (dans la double acception du terme) : à l’école primaire lorsque l’école externalise la demande scolaire via les devoirs et participe ainsi à creuser les écarts ; au collège où les élèves doivent se débrouiller seuls pour décrypter les réquisits de l’institution ou s’enferment dans des relations d’interdépendance avec les enseignants. L’étude des internats d’excellence, des micro-lycées ou du coaching alerte sur des dispositifs qui, s’ils ouvrent effectivement des portes à des élèves, leur permettent de renouer avec une scolarité réussie, ne résolvent pas la question de fond de l’accès de tous aux savoirs. La dernière partie s’attache à des objets qui circulent dans l’école et hors l’école (théâtre ; littérature, devoirs), provoquant des malentendus sur leur usage, leurs finalités, (relations travail/loisir ; fréquentation/ appropriation de textes ; conceptions du travail scolaire). Alors que nombre de discours insistent sur la pluralité des espaces d’apprentissages dans la société contemporaine, cet ouvrage a le grand mérite de rappeler la fonction spécifique de l’école, sa place dans l’histoire individuelle et donc collective. Il alerte sur les dangers de brouillage de ses frontières qui participe à contourner la réalité sociale, l’évacuer ou l’essentialiser, assignant ainsi les élèves les moins connivents à leurs origines. Les auteurs : Stéphane Bonnéry, Claire Lemêtre, Benjamin Moignard, Julien Netter, Anne-Claudine Olier, Myriam Ouafki, Pierre Périer, Filippo Pirone, Patrick Rayou, Françoise Robin, Stéphanie Rubi Christine PASSERIEUX Note de lecture parue dans Carnets Rouges, décembre 2015
La Geste Formation, Christian ALIN 3 janvier 2016 Jacqueline Bonnard Gestes professionnels et Analyse des pratiques Préface de Philippe Meirieu, l’Harmattan, 2010, 239 p., 22,80 € Pour ne pas perdre ses lecteurs, l’auteur, dans une introduction originale, présente le fil conducteur de son travail spiralaire pour nous inviter à avancer avec lui vers plus de précisions, de justesse, de vérité. Pas de chapitres, mais six études, comme des incitations à chercher, à se questionner avec lui, à partir des éléments issus de son travail professionnel et scientifique. Ces études s’appuient sur l’EPS, mais leur problématique interroge les métiers d’enseignants et de formateurs. Manipulant les genres littéraires avec bonheur : du récit de pratiques à l’analyse théorique voire schématique des gestes professionnels, en passant par des récits de vie et textes poétiques, il offre une vision passionnante des métiers de l’Education. Les domaines de recherche en Sciences Humaines sur lesquels il s’appuie pour étayer son argumentation sont très variés et impressionnants : didactique et didactique professionnelle, sciences du langage, philosophie, psychanalyse, psychologie du développement, psychologie du travail, sociologie. La langue utilisée est alerte, tissant avec le lecteur, une complicité qui ne s’évanouit pas au fil des pages. Ce livre n’est pas seulement une compilation d’expériences, même si ces études peuvent être lues de manière indépendante. Il consacre de longues pages à une identification (issue d’une analyse empirique, ergonomique, anthropologique, sémiotique) des principaux gestes et obstacles didactiques professionnels du métier d’enseignant et de formateur, décortiquant avec brio et audace, l’ordinaire du métier dans ses multiples facettes. Une « Geste Formation » employée par de nombreux chercheurs ( Bucheton & Dezutter, 2008), (Perrenoud & al, 2008 ;Alin, 2007, Jorro, 2002 ) est encore peu utilisée par les professionnels de l’Education ou lorsqu’elle l’est, reste floue, employée au milieu « d’ une architecture de gestes complexes » (Bucheton, 2005). L’éclairage de Christian Alin sur ce concept de geste professionnel est édifiant : une approche étymologique (gestus avec le participe passé dérivé gerere signifiant faire, se comporter) où ce mot exprime le mouvement et l’expression, le mouvement et la signification, assortie d’ une méthode analytique du langage où il se propose d’investiguer les usages du terme geste dans le langage quotidien pour le glisser dans le champ de l’analyse du travail et en conclure que cette expression de « gestes professionnels » n’est pas encore stabilisée. Pour autant, s’appuyant en partie sur les travaux d’Yves Clot (2000) sur le genre et le style professionnel, sur l’activité du sujet chez Léontiev (1978) il réussit à clarifier la nature langagière, pragmatique, sémiologique des gestes professionnels des enseignants :« Si le geste professionnel s’exécute et se réalise en fonction du but opératoire, performatif qui lui est assigné, il est aussi sous l’impulsion des motifs et de la dynamique subjective du sujet qui le met en oeuvre, autrement dit ce que l’on nomme l’activité du sujet (Léontiev, 1978 ; Clot, 2000). Le geste professionnel est porteur de valeurs et des symboliques qui caractérisent et spécifient un métier et son histoire. Les gestes professionnels sont d’abord constitués d’actions, de gestes techniques, d’actes qui appartiennent au quotidien de l’exercice expert d’un métier. Mais ils appartiennent aussi, en tant que discours, à un référentiel issu de l’histoire, de l’ethnohistoire sémiotique d’un métier. » (ibid p.54 ) Au-delà de douze gestes et obstacles professionnels bien identifiés et reliés entre eux sous forme de schémas très explicites, il inventorie quatre modalités d’agir : une marge d’autonomie (allant de la directivité au laisser faire), une marge d’autorisation (capacité à se donner une marge d’initiative personnelle), une marge de conflictualité (être dans une posture d’affrontement, d’inhibition ou de déni), une marge de tolérance (capacité à composer plus ou moins bien avec des conduites parfois déroutantes). C’est dans la dynamique de ces obstacles professionnels que va se construire l’identité professionnelle. Parmi de multiples exemples professionnels, il cite la prise en main de la classe par un enseignant débutant où ce qui se joue ne relève pas seulement de gestes techniques, spatiaux, mais aussi d’une symbolique du pouvoir et du contrôle. Transmettre son expérience de formateur semble être le fil rouge de son engagement professionnel: il s’appuie sur quelques épisodes marquants de sa vie personnelle et de chercheur et c’est pour mieux faire comprendre qu’une analyse de pratiques ne peut se polariser sur l’action, l’expérience racontée, mais se doit aussi de mettre à jour l’architecture et l’esthétique de ces pratiques, avec leur fondation pratique d’une part et leur valeur, leur visée symbolique, éthique d’autre part. « La construction, c’est du bâti, l’architecture du symbolique. » (Le Corbusier) Loin des débats récurrents entre la théorie et la pratique, il s’attache à une pensée dialectique, déployant une orientation théorique en analyse des pratiques comme activité de métacommunication et de métalangage : comment des actions et des sujets émergent conjointement à l’occasion d’une situation de travail et en quoi cela contribue à l’émergence d’une identité professionnelle ? Cette manière d’appréhender la réalité et notamment son appétence pour prendre en compte l’ethnohistoire d’un métier et l’histoire de vie d’un professionnel est sans doute en relation avec son histoire personnelle, fruit d’un métissage culturel qui l’habite et l’enrichit. Il revient à plusieurs reprises sur « la poétique de la relation » d’Edouard Glissand, sur la part du sujet et de sa subjectivité dans ses actes professionnels. Même s’il présente toute une série de dispositifs qui apporte de la technique d’analyse réflexive, il démontre que « la transmission d’une expérience reste toujours une question d’alchimie de la rencontre de soi et avec l’autre. » (Ibid p.131 ) Au fil des pages, on pénètre de plus en plus dans l’univers sémiologique du sujet en analyse de la pratique: une incitation à mieux caractériser la signification et le sens des gestes des praticiens novices ou experts, dans leur activité, leur contexte, leur culture et leur ethnohistoire. « Prêter du sens plutôt que donner du sens » : il ne s’agit pas de l’interprétation univoque d’un formateur si expert soit -il, mais d’une construction partagée entre tous les acteurs de l’analyse. Examiner les actions sur un double registre : celui des éléments actions observables, racontables et commentables et celui des discours et des énonciations produites à propos de ces récits. Sémiologiquement et méthodologiquement, les actes s’identifient, les gestes s’écoutent, alors que le rapport Actes/ Gestes s’interprète et doit faire l’objet d’un processus d’attribution du sens. Et cette barre complexe qui sépare actes et gestes représente l’autonomie des faits et des dires, des actes professionnels, mais elle représente aussi la place de l’arbitraire et de l’inconscient dans leurs relations : ceci témoigne des tensions entre le sujet acteur-auteur et le sujet énonciateur, en analyse de pratiques. Cette reconnaissance de l’individu comme sujet signifiant possédant des résistances est souvent occultée et notamment sa faculté de négatricité ou « ce pouvoir de l’esprit de dire non., cette faculté que possède un sujet à déjouer les manipulations dont il se sent l’objet »( Ardoino, 1990, ibid p. 163). C’est pourquoi loin d’une écoute objective qui se limiterait à une évaluation des référentiels de compétences, il s’agit de mettre en place « des dispositifs d’analyse des pratiques qui rendent possible la co-analyse de l’implication et des jeux, des je et des enjeux des acteurs. » (Ibid p167) Dans cette quête du sens en analyse de la pratique, récit, écriture et écoute sont convoqués. Familiarisé aux problèmes de plurilinguisme aux Antilles, il utilise l’analytique et l’herméneutique du langage comme une des clés de la formation à l’enseignement. Il présente de nombreux outils d’investigation dont on mesure les enjeux épistémologiques, éthiques et méthodologiques. Cette traversée passionnante dans ce livre invite à transformer sa pratique professionnelle animé par cette « curiosité » telle que définie par Michel Foucault, cité par l’auteur, au début de ce livre : « la seule espèce de curiosité, en tout cas, qui vaille la peine d’être pratiquée avec un peu d’obstination: non pas celle qui cherche à s’assimiler ce qu’il convient de connaître , mais celle qui permet de se déprendre de soi-même. Que vaudrait l’acharnement du savoir s’il ne devait assurer que l’acquisition des connaissances, et non pas d’une certaine façon et autant que faire se peut, l’égarement de celui qui connaît? » (Ibid p.18) L’ ouvrage se conclut par une remarquable étude intitulée « Langues & Cultures » où il fait une analyse fine des enjeux identitaires, de démocratie et d’émancipation concernant la formation des enseignants aux Antilles françaises. Il plaide pour une éducation au plurilinguisme, une identité constructiviste face aux risques d’une identité essentialiste et communautariste : « Quand autant d’enjeux identitaires sont en cause, comment former des esprits critiques susceptibles de regarder la réalité hétérogène de leur pays, susceptibles d’invention et de créativité? ».(Ibid p.217-218) Son appel à une culture commune, fondée sur l’exercice du débat, de la « rhétorique » (ibid p. 215) ainsi que sa manière de concevoir l’hétérogénéité comme une richesse et non comme un obstacle, visent à articuler compétences sociales, civiques au coeur de la transmission des savoirs. Christian Alin a ainsi réussi à communiquer l’histoire d’une geste formation, métaphore évoquant les chansons de gestes issues des récits chevaleresques, se transmettant de génération en génération. Pascale BILLEREY
Tous Capables ! Mais de quoi ? Carnets rouge n°5, la revue du réseau-école du PCF 3 janvier 2016 Jacqueline Bonnard Revue du réseau-école du PCF, 43 p., 5 euros Carnets Rouges interroge le pari de l’humain et du tous capables face aux événements dramatiques de 2015. Ce pari du tous capables est une conception exigeante qui n’assigne pas de frontières à la construction du commun, élément essentiel au débat démocratique. Un commun à construire pour renouer avec l’action collective pour dépasser les peurs et les empêchements à concevoir autre chose que les injonctions à l’empathie et la compassion lorsque la situation nous sidère. S’opposant à l’idéologie des dons dénoncée par Lucien Sève en 1964, le pari philosophique du « Tous capables » lancé par le GFEN est loin d’être une idée partagée par le corps enseignant et la société dans son ensemble. Ceux qui en sont porteurs rament souvent à contre-courant des discours dominants. Pour Marine ROUSSILLON, le « Tous capables ! » est un projet communiste, car il ne s’agit pas d’être capable chacun pour soi et en solitaire, le « tous » pose le principe d’une réussite basée sur la force du collectif. Dépassant le champ de l’école, ce principe bat en brèche une idéologie qui valorise les différences individuelles pour mieux légitimer les inégalités sociales. Les progrès scientifiques montrent que chacun est capable d’évoluer pour peu qu’il rencontre des situations lui permettant d’interroger le monde et en transformer sa perception. Articulant projet éducatif et projet politique, l’auteur montre l’importance de l’école comme première expérience du collectif qui peut fonder chez l’individu la conscience de sa capacité à agir avec les autres ou ancrer durablement en lui un sentiment d’impuissance et de résignation. Dans son article « Tous capables ! Du pari éthique à la loi d’orientation », Jacques BERNARDIN, président du GFEN, retrace l’itinéraire historique de la formule portée par le mouvement, du parti-pris éthico-politique jusqu’à l’inscription du principe dans la loi d’orientation de 2013. Un pari sur l’humain à contre-courant de l’opinion commune, contre la théorie du handicap socio-culturel qui s’inscrit dans le courant de sociologie critique des années 70 et pousse des pédagogues comme Robert GLOTON à expérimenter d’autres pratiques pédagogiques. S’appuyant sur les résultats de la recherche (génétique, neurosciences, psychologie sociale, sociologie), ce parti-pris oblige à penser autrement les différences entre individus et s’interroger davantage sur la nature des difficultés des élèves pour y remédier plutôt que de s’enfermer dans des exigences scolaro-centrées qui renforce chez celui qui apprend un rapport au savoir limité à l’exécution de la tâche dont le sens même lui échappe. « Il faut donc penser le ‘tous capables’ non pas comme une donnée de nature mais comme conquête, acte de rupture avec les fatalités intériorisées, avec l’auto limitation des possibles. » Destins scolaires, science du cerveau et néolibéralisme. Lucien SEVE revient sur ce parcours du combattant engagé dès 1964 lorsqu’il publie dans l’école et la Nation son étude : « les dons n’existent pas ». Progressivement, les apports de scientifiques comme ROSTAND, de sociologues comme BOURDIEU et PASSERON font bouger les lignes ainsi que l’engagement du GFEN s’appuyant sur de nouvelles pratiques pédagogiques. Lucien SEVE s’oppose à l’approche environnementale qui enferme l’homme dans une conception naturaliste où l’inné prime sur les acquis. Le monde socioculturel humain est en effet bien plus qu’un environnement : c’est dans l’interaction avec d’autres humains et le dialogue qui s’établit que les capacités se développent. Les différents milieux sociaux rencontrés sont formateurs et influent sur le développement de l’individu. Penser que tout serait déterminé dès la naissance justifie l’individualisme méthodologique, clé de voute de l’idéologie néolibérale. Même si les idées ont évolué, rien n’est gagné d’avance : « Se battre dans le champ des idées est de capitale importance politique. » Origines sociales et réussite scolaire : le déterminisme n’est pas une fatalité. Bertrand GEAY reprend une série de notions qui gravitent autour de la reproduction sociale par l’Ecole pour en nuancer l’appréciation : handicap socio-culturel, déterminisme sociologique, théories de la reproduction etc. Relevant les acquis des travaux de BERNSTEIN, BOURDIEU et PASSERON – la distribution des inégalités de réussite selon les catégories sociales, un système d’enseignement rendu autonome à l’égard des autres secteurs de la société par son organisation, les cultures scolaires et leur modes de transmission selon les segments du systèmes ? il montre cependant que l’invitation à inventer une « pédagogie rationnelle » figurant dans la conclusion des « héritiers » de BOURDIEU n’a pas servi de programme de travail principal à ses successeurs. L’opposition académique et sociale entre sociologie et sciences de l’éducation n’aurait pas favorisé cette articulation entre l’apport des analyses statistiques des inégalités et l’observation de l’effet des pratiques pédagogiques sur les inégalités. De même, comment concevoir une science de l’éducation qui occulterait le fait que la société est divisée en groupes sociaux aux intérêts antagonistes et gommerait le contexte socio-historique dans laquelle elle s’inscrit ? « Les cultures scolaires et les façons dont elles sont transmises dans les différents segments du système d’enseignement, les rapports entre elles et les cultures et les modèles éducatifs qui caractérisent typiquement les différentes classes sociales, sont à placer au centre de l’analyse si l’on veut saisir les modalités concrètes par lesquelles l’enseignement dispensé contribue à accroître ou à réduire les inégalités sociales face à l’Ecole.» Erwan LEHOUX montre comment le néolibéralisme récupère l’éducabilité et concurrence le tous capables sous de faux airs progressistes. Intégrant le concept d’éducabilité dans les discours sur les capacités cognitives des individus, les offreurs de soutien scolaire visent à favoriser une individualisation des parcours « au nom du respect des différences et de la personnalité de chacun », renvoyant l’individu à ses limites supposées tout en lui proposant un parcours soi-disant en cohérence avec le potentiel détecté. Dans une société en crise, éducabilité se rapproche donc d’employabilité puisqu’il s’agit de réussir de façon autonome à l’intérieur du marché scolaire afin de réaliser par la scolarité le potentiel qu’on a en soi. Lorsqu’il s’agit de réussir plus que de comprendre, l’objectif de l’école visant à donner à tous les élèves une culture commune devient secondaire. Aux enseignants de prendre le contre-pied de cette approche en s’appuyant sur le « Tous capables » qui privilégie un processus collectif d’apprentissage et la co-construction des savoirs grâce à la coopération. Éduquer et instruire le « peuple enfant ». La révolution au péril de la raison. Par un retour sur la période historique de la Révolution Française de 1789, Jean-Luc CHAPPEY décrit la méfiance des élus de la république à l’égard des plus pauvres, des femmes et des enfants, des esclaves, quant à leurs capacités d’exercer une citoyenneté : il conviendrait d’abord de les instruire. Entre 1789 et 1793 les députés des différentes assemblées vont travailler à réformer les institutions scolaires, visant à affranchir l’école de la « caste des savants ». Mais la reprise en main de l’espace pédagogique après la chute de Robespierre rétablit la distinction entre « le peuple enfant » et « les élites civilisatrices » : rétablissement du suffrage censitaire, la fin de l’obligation scolaire, l’existence des écoles libres tenues par les ecclésiastiques. Cette méfiance récurrente des élites à l’égard des classes populaires se poursuit encore aujourd’hui par cette propension des dirigeants républicains, français et européens à toujours parler pour et au nom du peuple à défaut de réellement l’écouter. Dans le monde de l’entreprise, Tous capables ? Donc dangereux… écrit Danièle LINHART. Confrontés à une organisation du travail qui leur est étrangère, que peuvent faire les travailleurs pour faire valoir les valeurs qui sont les leurs ? L’organisation taylorienne du travail a dépossédé les ouvriers de la maîtrise du travail tout en les rendant dépendant d’une décomposition de tâches prescriptives. Malgré cette prescription et cette conception dévalorisante de l’activité, les ouvriers ont développé des savoirs informels leur permettant d’échapper à cette planification abstraite du travail. D’autre part, la lutte collective leur permet de reconquérir un peu de pouvoir d’action. Mais les mutations économiques actuelles qui généralisent le travail tertiaire remplaçant progressivement le travail industriel, produisent un nouveau modèle d’organisation du travail basé sur l’individualisation de la gestion des employés, ce qui ne signifie pas que le salarié ait davantage d’impact sur l’organisation du travail. La précarisation de l’emploi provoque une déstabilisation des salariés en permanence sur le fil du rasoir et dépossédés de leur expérience : une instabilité qui empêche le sentiment d’appartenance à l’entreprise qui les emploie tout en les plaçant en état de subordination à l’égard d’un employeur craignant de les découvrir compétents et tentés d’imposer d’autres valeurs professionnelles et d’autres critères d’efficacité que les siens. Elisabeth BAUTIER constate depuis deux ans une volonté de réelle refondation de l’éducation prioritaire. Au-delà de la volonté affichée, pour des savoirs et des apprentissages pour tous, certaines conditions sont nécessaires : des conditions de formation des enseignants et des pratiques de classe différentes, sans doute aussi des conceptions de l’élève et des savoirs quelque peu différentes. Dans un premier temps, elles supposent que les enseignants sachent analyser les causes des difficultés des élèves et aient connaissance de l’impact des pratiques sociales dominantes sur l’acte pédagogique afin de travailler à ne pas exclure une partie de la population éloignée des codes de l’école. Suffit-il pour cela d’expliciter les consignes ou d’énoncer les objectifs? « Ce qu’il s’agit de mettre en oeuvre, c’est surtout de permettre aux élèves de s’approprier de nouvelles manières d’utiliser le langage et la langue, de se poser des questions, d’opérer ainsi des déplacements, les changements qui les émancipent parce qu’ils les conduisent à pouvoir apprendre et comprendre ». D’où l’importance d’une formation pensée en fonction de ces objectifs. Jean Paul DELAHAYE affirme que pour faire cesser le tri social, une scolarité obligatoire doit être pensée pour tous les enfants. Il rappelle que dans notre pays où l’origine sociale pèse sur les destins scolaires, un enfant ou adolescent sur 10 vit dans une famille en situation de grande pauvreté (1,2 millions). Il devient alors absurde de parler de l’égalité des chances, c’est à l’égalité des droits qu’il faut travailler. Mais au-delà de la question sociale, c’est l’organisation même du système scolaire qu’il faut repenser. Quatre leviers sont à actionner : une concentration des efforts et des moyens en direction des élèves et des territoires les plus fragiles, une politique globale pour une école inclusive, une politique de gestion et de formation des ressources humaines pour réduire les inégalités, l’alliance éducative indispensable entre l’école, les parents d’élèves, les collectivités territoriales et les associations. « Nous ne pourrons indéfiniment prôner le vivre ensemble sur le mode incantatoire et dans le même temps abandonner sur le bord du chemin une partie des citoyens. » Marc MOREIGNE et Emmanuelle SIMON proposent la formation d’un esprit critique vers une éducation artistique émancipatrice, « une vision qui allie prise de conscience de l’autre et du monde avec une élaboration de soi, mouvante en actes ». Entrer en contact avec une oeuvre engage l’individu dans un espace mental et physique autre, ce qui lui fait prendre conscience de sa place dans la collectivité et de la diversité du monde. Mais s’approprier une oeuvre n’a rien de naturel et se construit lors d’un parcours dont on ne connait pas forcément le tracé où l’aventure s’appuie sur « la recherche d’un espace commun de pensée, d’expérience et de partage de sens. » Jacqueline BONNARD
La mixité sociale à l’école, de Choukri Ben Ayed 3 juin 2015 Valérie Pinton Tensions, enjeux, perspectives Choukri BEN AYED Armand Colin avril 2015, 224 p., 22,50 € Choukri Ben Ayed poursuit son travail sur les inégalités et interroge une mixité sociale présente dans nombre de discours sur l’école tout en demeurant une catégorie floue. Dans cet ouvrage il analyse les différentes conceptions qui s’opposent, interroge les catégories convoquées (sociales, ethniques, culturelles, économiques…) et montre qu’elles impliquent des choix qui ont des incidences concrètes sur les parcours scolaires, en particulier des enfants des classes populaires : plus s’affirment des intentions en matière de mixité et plus se creusent les écarts ségrégatifs. Le premier chapitre est un rappel historique, tout à fait nécessaire en cette période dite de refondation, des choix de l’école des choix de l’école de la république à sa création : une école inégalitaire, reposant sur des principes méritocratiques qui perdurent. Rappel historique, poursuivi dans deux chapitres consacrés aux politiques menées en terme de carte scolaire, avec en particulier un développement très explicite des conséquences de la politique menée par Sarkozy. Politique qui a conduit à l’accroissement des ségrégations scolaires et jusqu’à une remise en cause de la sectorisation, dont on mesure bien les effets : autonomie des établissements, concurrence entre eux, place du privé, recul d’une politique nationale qui renvoie les responsabilités aux administratifs locaux. Par ailleurs Choukri Ben Ayed montre comment la généralisation du système informatique Affelnet, qui permet pour les élèves et parents les plus avertis de faire leur marché dans la recherche de l’établissement le mieux côté dans la grille concurrentielle de l’offre, rajoutant de la ségrégation là où elle est de plus en plus criante. Choukri Ben Ayed ne s’arrête pas à une analyse aussi fine soit-elle de l’état des lieux. Il apporte des outils conceptuels pour définir la notion de mixité sociale, des outils de mesure pour comprendre les écarts entre discours et réalité. Il fait également des propositions pour sortir d’une situation où se conjuguent hiérarchisation et méritocratie, alors que la mixité est particulièrement faible en France : redonner place à l’état tout en pensant les articulations entre national et local, limitation de la concurrence entre établissements, traitement de la question de l’école privée… En fin d’ouvrage il développe l’action du Conseil général du Val de Marne qui a fait de l’éducation une priorité sur la base du « tous capables » inscrit dans le projet éducatif départemental. Il n’y a donc pas de fatalité, y compris en matière de mixité sociale à l’école Christine PASSERIEUX 31/05/2015
Savoir enseigner dans le secondaire, Vincent Carette et Bernard Rey 3 mai 2015 Jacqueline Bonnard Editions de boeck , 2010 Collection LE POINT SUR… Pédagogie 159 pages, prix 14 euros Dans une période où la refondation de l’école suscite de nombreux débats, où la réforme du collège visant à « faire réussir tous les élèves » ne rencontre pas le consensus souhaité, les enseignants du second degré peinent à définir les contours de leur mission. S’interroger sur la spécificité du métier d’enseignant du second degré est donc d’actualité. N’attendons pas de cet ouvrage « des recettes pour faire la classe », il s’agit davantage d’une réflexion sur le métier d’enseignant spécialiste d’une discipline scolaire et sur la nécessité de repenser la transmission de savoir comme un acte vivant où l’élève exerce sa pensée à partir de savoirs problématisés. Enseigner est un métier difficile qu’on ne peut exercer sans y avoir été formé. L’école a la mission de « transmettre des savoirs et des compétences, c’est-à-dire une culture et plus encore, de faire que cette culture soit émancipatrice et débouche sur la faculté de penser par soi-même ». Les auteurs posent d’emblée cette question : Comment faire pour que cette culture soit transmise à tous les élèves ? Comment réussir à ce que tous les élèves apprennent ? C’est tout l’enjeu de la formation initiale et continue des futurs enseignants. Pour l’enseignement secondaire, une formation approfondie sur les savoirs disciplinaires à aborder est sans conteste indispensable mais il faut également des stages en responsabilité, moments propices à tester une mise en pratique enseignante accompagnée d’une réflexion sur cette pratique pour développer un savoir d’expérience. Ce savoir va s’appuyer sur la didactique de la discipline mais également sur les apports de la recherche en psychologie, sociologie, histoire de l’enseignement… auxquels on ajoutera « les connaissances accumulées par les praticiens et qu’on appelle la pédagogie ». Pour Rey et Carette, la pédagogie n’est pas un « discours sur les pratiques » mais un véritable savoir qui permet au professionnel de catégoriser la réalité pour interpréter les situations. Ce savoir emprunte à différents champs conceptuels, ce qui nécessite d’articuler pratiques et apports de la recherche. Trois parties dans cet ouvrage 1 – La première partie fait un état de la recherche sur le processus d’apprentissage en milieu scolaire et les conditions qui lui sont favorables. Prenant le contre-pied d’une représentation commune de l’apprentissage par « remplissage » où il suffirait de déposer les connaissances dans l’esprit de l’élève, trois conceptions de l’apprentissage et les pratiques associés sont développées : le constructivisme, le « socio-constructivisme« , les apports du cognitivisme. Pour chacune d’entre elles, les sources théoriques, leurs déclinaisons dans différents champs disciplinaires, la posture de l’enseignant et le statut de l’erreur de l’élève. 2 – Le chapitre 2 revient sur « cette irrésistible ascension des compétences » (Romainville, 1996) dans de nombreux systèmes éducatifs. Dans un premier temps, on résume les principes de la pédagogie par objectifs qui a prévalu dans la conception des programmes scolaires du 20 ème siècle et visant le découpage de l’apprentissage en unités aussi petites que possible pour réduire le risque d’erreur des élèves. Progressivement la pédagogie par objectifs est remplacée par une approche par compétences, ce qui n’est pas sans poser un certain nombre de paradoxes. Issue de l’univers professionnel la notion de compétence peut-elle s’appliquer à l’espace scolaire ? Il y a un lien de parenté entre compétence et conception socio-constructiviste de l’apprentissage mais l’approche pédagogique se confond-elle avec des visées programmatiques des apprentissages et de leur évaluation ? Ce qui amène le débat sur la notion de compétence en milieu scolaire. Les auteurs y voient des intérêts pédagogiques et didactiques : – la proposition d’activités suffisamment globales pour qu’elles fassent sens ; – la compétence débouche sur la réalisation d’une tâche et appelle la mobilisation du sujet pour atteindre le but visé ; – elle redonne de la finalité et du sens au savoir construit ; – elle donne à l’apprentissage son statut de processus dans la transformation même du sujet qui apprend. Mais la notion de compétence fait l’objet de nombreuses critiques dans le milieu scolaire comme dans le milieu de l’entreprise. S’agit-il de développer le savoir agir ou le pouvoir d’agir ? Faut-il ériger la complexité inédite comme norme ? Peut-on évaluer une compétence et si oui, comment ? L’approche par compétences serait-elle élitiste ? Carette et Rey démontrent que ces critiques reposent sur des malentendus : L’approche par compétences n’est pas une pédagogie par compétences, il s’agit de remettre en avant des situations pédagogiques qui mobilisent les ressources cognitives des élèves. Loin d’être la norme, « la complexité inédite » est un niveau ultime de maîtrise qui nécessite en amont l’apprentissage de procédures ou compétences élémentaires qui permettent de procéder à une opération en réponse à un signal. Ces dernières peuvent être utilisées et travaillées lors de situations d’entraînement proposées par l’enseignant. Il est d’autre part important d’insister sur le fait qu’une tâche inédite et complexe ne l’est que par rapport à un individu. Il existe une confusion entre ce qui est attendu et les moyens à mettre en oeuvre. Il est attendu que les élèves soient amenés à utiliser correctement dans une situation inédite ce qu’ils ont appris, ce qui nécessite une transformation de la gestion de la classe. Quelles modalités inventer pour évaluer la mobilisation des acquis (transfert de connaissances) et l’impact réel des propositions pédagogiques sur cette mobilisation ? Un chantier ouvert pour le monde de la recherche en collaboration avec les enseignants de terrain. 3 – Le chapitre 3 est consacré aux savoirs et disciplines scolaires. Les auteurs dissocient la notion de connaissance de celle du savoir avant d’exposer la démarche scientifique du chercheur productrice de savoir qui n’a rien à voir avec la démarche d’investigation prônée par les programmes actuels des enseignements scientifiques. Car le chercheur ne part pas de faits pris au hasard, il les recueille en fonction de ce qu’il cherche dans le domaine d’études qui est le sien. Les hypothèses de travail sont émises en amont de la recherche et déterminent les dimensions des phénomènes à retenir et la méthodologie à suivre. Ce n’est pas parce que les élèves font des observations de faits, qu’ils utilisent ensuite une démarche scientifique même lorsqu’elle est balisée comme telle par l’enseignant. Si l’observation n’est pas génératrice d’un questionnement, d’un problème, l’élève aura des difficultés à isoler les aspects significatifs de la réalité à travailler. Cette construction des problèmes en amont d’une démarche scientifique est essentielle. Elle est guidée par deux principes : – Problématiser sa pensée, c’est-à-dire réinterroger ce que l’on croit de la réalité ce que Bachelard appelait une rupture épistémologique. – Problématiser la réalité, à savoir « ne pas se contenter de constater comment elle est, mais se demander pourquoi elle est ainsi.« Construire un problème, c’est articuler deux domaines : celui des faits (mais au départ, ils ne sont pas déterminés) et celui des modèles explicatifs. Un savoir vaut par sa capacité à rendre intelligible une réalité observable. Entrer dans l’aventure des savoirs ce n’est donc pas mémoriser une série de propositions tenues pour vraies mais s’inscrire dans une activité de construction de problèmes et acquérir les compétences suivantes : s’interroger sur la réalité, la conceptualiser, construire des problèmes propres à ces savoirs. La situation-problème peut apparaître comme la réplique scolaire de la problématisation du chercheur. Même si les contenus de savoir enseignés ne constituent qu’une partie de la science correspondante, même si certaines disciplines scolaires empruntent à plusieurs champs scientifiques ou à des pratiques sociales de référence, la construction des savoirs passe par la transposition didactique qui impose une forme propre au « savoir scolaire ». Contrairement au processus de production de savoir des chercheurs qui partent toujours de l’état de savoir qui préexiste (théories, concepts, méthodes, résultats), on a une reconstruction du savoir produit sous une forme textuelle accessible à des personnes novices en la matière. Le savoir est reconstitué de façon à s’appuyer sur rien de préalable ou seulement sur des éléments pouvant apparaître comme évidents. Les énoncés successifs sont présentés dans un ordre qui n’est pas forcément celui de la rationalité théorique. Le savoir enseigné est souvent dépersonnalisé, organisé selon un programme qui tient compte des logiques d’apprentissages et en fonction des unités temporelles propres à l’institution scolaire. Le « texte du savoir scolaire » se veut explicite avec un contenu suffisamment stable pour qu’on puisse l’ériger en norme afin de permettre l’évaluation des acquis. La forme textuelle du savoir scolaire, si elle est le seul contact que les élèves ont avec le savoir, met en difficulté ceux dont le rapport à la langue écrite est éloigné de celui qui prévaut à l’école. Entre l’usage courant du langage et l’usage textuel qui est fait dans les savoirs scolaires, les modalités d’attribution de sens, autrement dit les façons de comprendre sont entièrement différentes : référence à la réalité dans un cas, relation mutuelle entre énoncés dans l’autre. Une des préconisations est donc de faire vivre des situations ou des tâches par référence auxquelles les énoncés de savoir prendront sens. Il s’agit de mettre les élèves en situation de recherche afin que les énoncés du savoir s’articulent avec les observations ou actions qu’ils font. Dans cette situation « a-didactique », les élèves sont mis en capacité d’agir et exercer leur pensée pour faire émerger le savoir (la dévolution pour Brousseau), ce qui ne suffit pas à l’appropriation du savoir visé. Elle se construit par la rencontre de familles de situations de même type autour d’un même concept, lors d’une structuration collective. Le danger serait de penser qu’il suffit de mettre les élèves « en activité » pour qu’ils apprennent. En conclusion, si la mission de l’enseignant du secondaire est de transmettre un savoir disciplinaire dont il est spécialiste, il ne doit pas seulement penser ce savoir à transmettre mais surtout s’interroger sur l’écart entre ce savoir et l’organisation mentale des élèves : cohérence et logique de pensée, préconceptions. Plutôt que d’exposer les choses, il convient de faire faire un pas de côté pour changer de perspective (situation-problème par exemple) afin de créer une situation d’étonnement pour que le savoir se présente sous une forme problématique, c’est à dire comme la réponse à un problème qu’on s’est préalablement posé. Devenir enseignant d’une discipline, c’est s’arracher à ce sentiment d’évidence des formes d’organisation mentales et des types de questionnement qu’elle suppose pour recontextualiser et repersonnaliser les connaissances visées en problématisant la réalité. Jacqueline Bonnard
Stéphane Bonnéry (dir.), Supports pédagogiques et inégalités scolaires 15 avril 2015 Valérie Pinton La dispute, 2015 Nous vous invitons à lire la recension du livre « Supports pédagogiques et inégalité scolaires » de l’Ifé-CAS : Stephane Bonnery, Les supports pédagogiques et les inégalités scolaires, compte rendu de lecture Les exigences des supports pédagogiques (manuels, fiche d’activité…) ont-elles diminué ou augmenté ? Quels sont les liens entre l’évolution de ces supports et la hausse des inégalités à l’école? Plusieurs membres de l’équipe ESCOL viennent de publier un ouvrage sous la direction de Stéphane Bonnery : Les supports pédagogiques et les inégalités scolaires : études sociologiques (L’enjeu scolaire, La dispute, février 2015, 224 p., 16 euros). Les auteurs se demandent en quoi les supports pédagogiques, définis comme les différents instrument matériels pour apprendre (manuels, préparation de cours…), peuvent participer aux inégalités scolaires. Ils entendent dépasser l’approche strictement didactique de ces supports pédagogiques, et éviter deux écueils des discours sur les inégalités scolaires : nier le poids des inégalités sociales, ou en rester aux fatalités sous-entendues par le vieux terme de « handicap socioculturel ». Ils souhaitent regarder de près ce qui se passe réellement dans les classes et l’interaction entre les supports, les élèves, les enseignants et les parents. Stéphane Bonnery, en introduction, argue que les changements dans les supports pédagogiques contribuent à la hausse des inégalités scolaires, du fait de leur exigence d’un rapport à la culture écrite de haut niveau (la « littéracie »), qui renforce des logiques de raisonnement propres à des formes bien spécifiques de la culture écrite réflexive. En d’autres termes, les supports sont de plus en plus complexes et présupposent des compétences implicites de l’enfant qui ne sont pas ou peu enseignées. Lire la suite
Les religions à l’école : vieille question, nouveaux défis ? 31 mars 2015 Valérie Pinton Le dossier « Les religions à l’école » paru dans la revue Histoire, Monde et Cultures religieuses reflète la rigueur, l’intégrité et le pragmatisme du travail de Françoise Lantheaume, sociologue à l’université de Lyon 2 Lumière qui l’a dirigé. Sa lecture va permettre de prendre un peu de distance critique avec tout ce qu’on a entendu et vu dans l’actualitédes élections récentes. Le dossier intitulé « Les religions à l’école » est dirigé par Françoise Lantheaume, professeur des universités à Lyon 2 et directrice du laboratoire ECP, Education, Cultures, Politiques. Il est issu d’un colloque organisé par ce laboratoire et deux instituts de recherche sur les sciences des religions et la laïcité. Le dilemme de départ est le suivant : une entrée de plus en plus importante des religions dans l’espace public, en particulier à l’école et par ailleurs, des prises de position nombreuses sur la nécessité de limiter leur emprise qui menacerait cet espace public. Mais il y a peu de recherches empiriques sur le sujet des religions, des faits religieux, de la laïcité, C’est pourtant ce qui ferait avancer les débats, face à la prolifération des discours idéologiques, institutionnels, prescriptifs sur la question des religions à l’école, discours qui ignorent souvent l’histoire. Ce dossier participe donc d’une réflexion approfondie et pragmatique de la question de la construction de la laïcité à travers l’histoire de l’école. Sur quels fondements se baser dans le contexte actuel ? Quelles incidences sur l’enseignement et le quotidien de l’école, par exemple la restauration ? François Lantheaume s’interroge sur les tensions entre « pureté des principes » et « hybridation des pratiques ». Les enjeux du passé, l’esquisse d’une approche laïque du fait religieux, le modèle républicain français mis sous tension, l’enseignement des faits religieux, le danger des conceptions créationnistes et l’enseignement de l’évolution sont autant de points éclairés par les différents articles du dossier. Pour ne pas en rester à une question franco-française, des situations sont analysées au Québec et en Suisse. Des varia concernent les textes fondateurs de l’Ecole laïque. La lecture de ce dossier sera sans aucun doute utile pour éclairer efficacement l’actualité politique et pédagogique que nous vivons avec la mise en oeuvre des assises dans le cadre de la grande mobilisation de l’Ecole pour les valeurs de la République et pour garder une vision et pour garder une vision sereine de toutes ces questions difficiles. Isabelle Lardon Dossier n°32 de la revue Histoire, Monde et Cultures religieuses des éditions Karthala, Paris, 18€ Voir Le catalogue Karthala présente des ouvrages dans les domaines des sciences humaines, politiques et sociales mais aussi des ouvrages de littérature, des dictionnaires de langues et des collections thématiques (Médecines du monde, Questions d’enfances par exemple.)
En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, ATD Quart Monde 18 février 2015 Valérie Pinton En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté ATD Quart Monde Plus la crise économique se prolonge, plus elle est présentée comme le résultat d’une compétition où les plus forts s’en sortent grâce à leur mérite et les plus faibles plongent à cause de leurs défauts. Les pauvres se voient ainsi convoqués au tribunal de l’opinion publique : s’ils sont pauvres, ce serait « de leur faute ». « S’ils font des enfants c’est pour percevoir des aides. » « Ce sont des assistés qui creusent nos déficits. » « Ils s’en sortiraient s’ils savaient gérer leur budget. » Les étrangers sont particulièrement visés : « Alors que le chômage ne cesse d’augmenter, ils prennent les emplois des Français. » Après le succès de sa première parution diffusée à plus de 33 000 exemplaires, la nouvelle édition de ce livre écrit par ATD Quart Monde, entièrement mise à jour et augmentée, répond point par point à plus de 100 idées reçues sur la pauvreté. Enrichi par les apports de 44 partenaires, accessible à un grand public, cet ouvrage défait la chape de plomb du fatalisme. Il invite à briser les murs de l’apartheid social qui s’est instauré en France et à vivre une rencontre libératrice : sortir des préjugés où les uns sont bons et les autres mauvais, se connaître au lieu de s’ignorer pour inventer ensemble une société où la misère n’aura plus droit de cité. Sommaire Ed. Quart Monde/Ed. de l’Atelier, 2014 (Nouvelle éd. revue et augmentée), 224 p, 5 €
Sexe, race et culture, Patrick Tort 7 janvier 2015 Valérie Pinton Sexe, race et culture Patrick TORT Ed. Textuel, coll. conversations pour demain, 2014 Patrick Tort est connu, en particulier dans les milieux de l’éducation nouvelle, pour sa lecture, tout à la fois scientifique, anthropologique, historique et philosophique, de Darwin, et ce dans une visée émancipatrice vis-à-vis de toute idéologie contribuant à naturaliser tout rapport social. Ce que l’on sait peut-être moins c’est qu’il se bat aussi pour que la pensée du social, sous prétexte de refuser tout déterminisme biologique à caractère immuable, ne refuse pas de penser ce qui, dans les déterminations naturelles et biologiques, se présente comme conditions de possibles transformations culturelles. Autrement dit, Patrick Tort travaille à tisser une dialectique fine entre évolution naturelle et histoire humaine. Dans ce petit livre d’une centaine de pages, sous la forme d’un entretien avec Régis Meyran (auteur en 2009 de « Le Mythe de l’identité nationale », Berg International, Paris), il prend position sur des débats particulièrement brûlants comme la résurgence massive du racisme ou la question du genre. Les 2 chapitres qui structurent le livre l’annonce clairement : « Réinstruire l’antiracisme contemporain », « Sexe, biologie et société ». Cet exercice discursif s’avère tellement périlleux et glissant qu’il s’est obligé de fournir des éléments biographiques loin de tout soupçon, même si les actes militants qu’il a jusque-là menés parlaient pour lui ! Sans compter son apport majeur pour comprendre l’anthropologie darwinienne avec la construction du concept scientifique d’effet réversif de l’évolution. Car les contradictions s’emmêlent particulièrement dans ces deux domaines majeurs des sciences du vivant et des sciences humaines. Ainsi il ne suffit pas de supprimer un mot, fût-il celui de « race », pour voir s’évanouir comme par enchantement des représentations idéologiques historiquement construites comme le racisme. De même nier l’existence du sexe biologique au nom de la lutte contre le sexisme mène dans une impasse. En outre opposer au « tout biologique » un « tout culturel », dans une logique binaire propre à tout ethnocentrisme, a montré son peu d’effet pratique jusqu’à récemment. Fidèle à son analyse sur les complexes discursifs, Patrick Tort nous invite à ne pas mélanger les différents niveaux de réalité (le niveau de la cellule ou du gène n’est pas le même que celui de l’individu biologique humain, encore moins celui d’un groupe humain socialement et culturellement constitué) ; fidèle à sa lecture rigoureuse de l’œuvre darwinienne, il nous invite à reprendre le travail de définition de ce qu’est une race (notion floue certes mais synonyme de « variété » dans l’histoire de la classification des espèces par exemple) mais aussi du racisme qu’il élargit jusqu’à « la négation du semblable dans le semblable à travers la fabrication d’un « autre » fantasmé comme vil et menaçant » (p 23) , à enfin (re)penser l’humaine civilisation dans sa généalogie naturelle comme dans ses développements historiques diversifiés, dans la filiation d’une anthropologie darwinienne. En un mot il nous invite à repenser, en la dépassant, l’opposition convenue entre « nature » et « culture ». Alors quoi faire pour construire l’égalité réelle entre hommes et femmes, comme entre les peuples, comment faire avec les différences sans les penser et les construire en pratique comme des inégalités ? Ce livre peut nous donner des pistes théoriques pour alimenter nos nécessaires luttes radicales, au sens où il s’agit de comprendre les situations à la racine pour mieux les transformer. Pascal DIARD
« Apprendre avec le numérique », Franck Amadieu et André Tricot 30 novembre 2014 Jacqueline Bonnard Apprendre avec le numérique, un regard aiguisé sur la question, celui de Franck Amadieu et d’André Tricot. Ces deux spécialistes de psychologie cognitive et ergonomique descendent en flèche les approches techno-centrées qui véhiculent des analyses hâtives et participent de la création de ce qu’ils appellent des « mythes ». Un mythe, selon le CNRTL, est un « récit relatant des faits imaginaires… mettant en scène des généralités d’ordre philosophique, métaphysique ou social ». Ces discours sont produits à cause d’une ignorance (quasi) totale de tout ce qui est posture et processus d’apprentissage… En quatrième de couverture, l’éditeur évoque les attentes et les croyances associées aux nouvelles technologies. On reste bien dans l?univers mythologique confronté au monde réel. L’ouvrage ne se contente pas de démonter onze lieux communs sur le sujet, il fait rapidement pour chacun un état de l’art des connaissances scientifiques s’y rapportant (avec étude de recherches et de méta-recherches). Il donne des illustrations à travers des exemples d’usages d’outils spécifiques. Enfin, il dégage des pistes pour agir. La question fondamentale pour les auteurs est celle de la plus-value apportée parle numérique aux apprentissages, aux apprenants. Il s’agit de nous faire réfléchir à : la motivation le jeu l’autonomie les apprentissages actifs les formats dynamiques des informations relatant la complexité du réel l’adaptation des enseignements les besoins particuliers des apprenants handicapés les capacités de lecture et d?attention les « digital natives » le coût le statut des savoirs tous objets censés être améliorés par le numérique. A chaque assertion simple, il est répondu par un vrai questionnement et une prise en compte de la complexité des choses. – On n’est pas plus motivé quand on apprend avec le numérique, la question est de l’utilité et de l’utilisabilité de l’outil, la première renvoyant à la perception d’apprendre, la seconde à la facilité d?utilisation de l’outil par l’utilisateur. – On n’apprend pas mieux en jouant grâce au numérique car c’est bien le scénario pédagogique qui est l’élément central des apprentissages scolaires. – L’autonomie n’est pas le résultat des apprentissages avec le numérique, elle en serait plutôt une compétence pré-requise. D’ailleurs, c’est l’expression «auto-régulation de ses apprentissages» qui est préférée au terme «autonomie». Ne pas oublier que la présence de l’enseignant et des autres est essentielle. – Le fait de rendre des apprentissages interactifs ne suffit pas en soi à rendre un apprentissage actif efficace. – Les animations et vidéos sont sans doute plus utiles pour faire acquérir des savoir-faire que des savoirs. – L’adaptation des enseignements n’est pas produite par l’environnement informatique mais par les humains. C’est une voie beaucoup plus modeste et raisonnable. – Le domaine des handicaps sensori-moteurs est le plus porteur d’espoirs. Les stratégies de compensation, contournement ou ré-éducation sont prometteuses, on en est qu’au début de ces outils qui ont fait la preuve de leur efficacité. Les élèves handicapés pensent, comprennent, conceptualisent comme les autres… – Un traitement particulier est fait à la lecture : celle faite sur écran est-elle une mauvaise lecture ? Les modes de lecture sont les mêmes, sauf que la lecture numérique est beaucoup plus exigeante et développe une activité plus complexe. – Le mythe des « natifs numériques » a la peau dure. Les problèmes de générations ont du mal à être étudiés scientifiquement. Massivement il n’y a pas de différence entre les « baby boomers », la génération« X » et la génération « Y ». De toute façon, ce que l’on fait à l’école avec un ordinateur est différent de ce qu’on en fait à la maison. – La gratuité est fausse. L’accès est peut-être gratuit mais les contenus ont un coût, parfois assuré par les annonceurs. – Le dernier chapitre traite de cette fameuse révolution numérique, qui chamboulerait jusqu’au statut des savoirs, des enseignants et des apprenants. Amadieu et Tricot n’y croient pas. « Il ne suffit pas d’avoir toutes les ressources à portée de clic. […] Entre les ressources et l’apprentissage par enseignement, il y a une personne importante – l’enseignant – , une institution importante – l’école- et des connaissances très particulières – les savoirs scolaires. Une belle conclusion sur le métier d’enseignant, pas près de disparaître au profit des technologies. L’enseignant «aura toujours une place centrale dans les apprentissages scolaires». Isabelle Lardon AMADIEU Franck et TRICOT André – Apprendre avec le numérique : mythes et réalités – Editions Retz, 2014 L’ouvrage,publié dans une petite collection de poche, coûte 5,10 €. Les illustrations des couvertures sont toutes confiées à l’humour de Christophe Besse. André Tricot a signé un article dans le numéro 153, juillet 2014 de Dialogue « Enseigner, apprendre avec le numérique ? » consulter le sommaire de ce n° François Jarraud, dans le Café pédagogique, a recueilli les propos d’André Tricot dans l’expresso du 21 octobre 2014, à la sortie du livre. lire l’article
« Refonder l’enseignement de l’écriture » de Dominique BUCHETON, Retz 29 octobre 2014 Valérie Pinton Refonder l’enseignement de l’écriture : vers des gestes professionnels plus ajustés du primaire au lycée Dominique BUCHETON Éditions Retz (collection Forum Éducation Culture dirigée par Jean-Yves Rochex) Quand un nouveau livre de Dominique Bucheton parait, c’est toujours unévénement dans le monde des sciences de l’éducation et dans celui de ladidactique du français. En effet c’est une chercheure qui sait allier lessavoirs disciplinaires et professionnels, s’intéressant à l’écriture et à l’enseignement primaire en particulier (où il n’y a pas tant de recherches sur le sujet). Dans ce dernier ouvrage, il ne s’agit rien moins que de refonder l’enseignement de l’écriture et les pratiques professionnelles à tous les niveaux de l’institution scolaire ! C’est : – une somme de tous ses travaux depuis plusieurs années – une théorisation des pratiques didactiques et pédagogiques de l’écriture – une analyse du travail enseignant et des gestes professionnels – un éclairage de la recherche nourri par les actions de terrain – une pensée claire et simple – l’affirmation qu’on écrit dans toutes les disciplines – la conviction que tous les élèves sont capables et les enseignants aussi. Quel défi lancé au système ! Dominique Bucheton est aussi une militante de l’éducation et son ouvrage commence par un préambule qui contient toutes ses convictions et qui représente un véritable manifeste en faveur de ses idées, issues de vingt ans de travaux, recherches, collaborations. Un manifeste au sens étymologique est une déclaration écrite, publique et solennelle, dans laquelle une personne expose une position, une conception. […] Télécharger la note de lecture d’Isabelle Lardon
André OUZOULIAS : Lecture Ecriture – Quatre chantiers prioritaires pour la réussite 21 mars 2014 Jacqueline Bonnard Un ouvrage qui paraît aux éditions Retz, à titre posthume. C’est un projet qu’André Ouzoulias a voulu comme un testament sur ce qu’il estimait nécessaire de changer dans la pédagogie de la lecture-écriture à l’école. Dans cet ouvrage, André Ouzoulias remet en cause les progressions et les didactiques actuellement en œuvre en fin de maternelle et début d’élémentaire et propose de développer des pratiques alternatives dans 4 domaines : Le langage oral : l’auteur défend un authentique enseignement de la langue orale en maternelle, premier palier vers l’acquisition de la lecture ; l’objectif est qu’en fin de maternelle, tous les enfants s’expriment avec à propos et clarté. La compréhension graphophonétique : il est plus efficace de commencer par faire comprendre l’idée de graphophonologie au niveau de la syllabe. La production écrite : l’auteur défend la nécessité de consacrer à l’écriture une pédagogie active, appuyée sur la production de textes courts à l’aide de référentiels, dans des situations qui rendent les enfants autonomes et créatifs. L’orthographe : afin de permettre aux enfants d’écrire beaucoup sans trop d’erreurs, il est indispensable de les outiller et de développer chez eux, dès le CP, la conscience orthographique.L’objectif est de permettre à tous les élèves d’apprendre à lire-écrire, et notamment à ceux qui n’ont que l’école pour apprendre. Un ouvrage de vulgarisation par un spécialiste de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Pour en savoir plus : site des éditions Retz
« Panser l’erreur à l’école : de l’erreur au dysfonctionnement », d’Yves REUTER 4 janvier 2014 Jacqueline Bonnard Presses universitaires du Septentrion – novembre 2013 Yves REUTER Yves Reuter pense l’erreur depuis de nombreuses années, à travers un long parcours d’enseignement, de formation et de recherche ; il a commencé à s’y intéresser dans les années 1980. En fait, il ne peut pas penser l’enseignement et les apprentissages sans la notion d’erreur. « L’essai et la réussite, l’erreur et la découverte, l’effort et la réalisation, ont entre eux une solidarité intime et nécessaire. Méconnaître l’un, c’est retirer tout support à l’autre. » Cette phrase de Wallon est mise en exergue parmi d’autres, au début du livre. Du point de vue de l’erreur, Reuter avoue une grande dépendance vis-à-vis des thèses de Jean-Pierre Astolfi, avec lequel il « discutait » souvent, au sens scientifique du terme. La filiation est annoncée ! Qu’est-ce que l’erreur ? « La manifestation d’un écart à une norme » ? Il n’y en a pas vraiment de définition, ni de description, elle est souvent confondue ou assimiliée à une cause interprétée. Elle fait l’objet d’une espèce d’évidence et de consensus dans la société. A l’école, elle a un caractère négatif. Pour preuve, les termes employés pour la désigner sont chargés de connotations négatives : anomalie, bêtise, bourde, confusion, désordre, fausse note, gaucherie, imperfection, incohérence, incorrection, faute. Elle est réduite à la fonction d’évaluer les élèves (de manière négative puisqu’on compte ce qui ne va pas) et de confirmer les thèses comme la baisse de niveau ou l’échec de l’Ecole. La faute est attribuée à l’élève (il est étourdi ou paresseux), à ses origines familiales et sociales (déstructuration familiale, difficultés éducatives, manque de culture, rapport au langage). La gestion de l’erreur est donc du registre de la répression, on va essayer de l’éviter, on va la corriger, pratiquer la tolérance zéro, la relever systématiquement (soulignée en rouge dans les copies) et la stigmatiser. Elle relèverait d’une sorte de délinquance scolaire, une infraction à des normes ou des règles. Cette conception classique de l’erreur découle d’une conception d’un enseignement transmissif, des apprentissages linéaires et des contenus sacralisés. Yves Reuter questionne ce discours et interroge le statut de l’erreur. On ne peut pas toujours rapporter l’erreur à une norme, une solution unique, même en orthographe ! Les évidences ne résistent pas à l’analyse. Les choses sont complexes et c’est plutôt l’absence d’erreurs qui devrait nous alerter… Le fait qu’un élève commette des erreurs manifeste qu’au moins, il a accepté d’entrer dans les systèmes didactiques et qu’il est en activité. Yves Reuter pense que l’erreur n’est pas une fin en soi mais une ouverture à d’autres questions, orientées vers les contenus didactiques ou vers les enseignants. Il faut exploiter l’erreur comme un outil et non plus comme un défaut, explique-t-il. Il n’y a pas une cause d’erreurs mais bien plutôt « un chaînage de causes » qui échappent souvent aux élèves. Son statut à l’école doit être reconsidéré comme climat fondamental des systèmes didactiques. Sa fonctionnalité pourrait être beaucoup plus importante que ne le suppose l’enseignement classique. Yves Reuter pose alors le mot et le concept de dysfonctionnement. Le terme lui paraît moins moralisateur que faute et surtout plus ouvert et dynamique pour désigner « l’articulation entre une variante et sa désignation en tant que problème ». Le dysfonctionnement présente un caractère structurel car il est omniprésent, fréquent, résistant, persistant. C’est un passage obligé dans la forme scolaire, milieu privilégié différent de l’espace professionnel par exemple, qui « autorise tâtonnements, essais, erreurs, en garantissant l’intégrité du sujet et permettant d’évaluer les produits à l’aune des apprentissages ». L’école se fonde donc sur le droit à l’erreur, qui devient « un outil pour enseigner » (référence au titre d’Astolfi), guider les élèves et s’apercevoir de leurs apprentissages. Yves Reuter développe la fonction heuristique du dysfonctionnement, comme « témoin » (Astolfi) d’un existant ou de fonctionnements à l’oeuvre, comme outil d’interrogation et de compréhension. L’intérêt primordial de la fonction heuristique est d’éclairer le fonctionnement des élèves et des apprentissages. Le dysfonctionnement permet de mieux comprendre le processus d’élaboration des connaissances ainsi que les connaissances déjà en place. Il manifeste de connaissances élaborées, même si elles méritent d’être affinées quand, par exemple, un jeune enfant dit « il prenda ou prendit » pour « il prit », il montre qu’il connait des régularités des formes verbales. On peut donc considérer les erreurs comme transitoires et normales. Des manières de penser peuvent être différentes mais pas « moins bien » ou illogiques, c’est selon l’âge ou la situation… Exemple : le jeune enfant qui croit que le mot désignant le lion est très gros, bien plus que celui qui désigne une coccinelle ! Les théories actuelles issues des travaux de recherche en sociologie, psychologie, didactique montrent qu’apprendre est le fait de relier de nouvelles connaissances à des représentations antérieures qui soit aident, soit font obstacle. Ces représentations peuvent constituer de véritables obstacles épistémologiques (cf Bachelard). Les erreurs peuvent renvoyer à des manières de faire des élèves et donc inciter à observer comment ils s’y prennent pour effectuer une tâche. Elles peuvent aussi renseigner sur le fait que l’apprentissage ne fait pas sens pour l’élève. La fonction heuristique du dysfonctionnement porte aussi sur le fonctionnement de l’enseignement. Cela concerne les modes de travail pédagogique, les stratégies mises en place, les consignes données et le manque de clarté (l’implicite qui demande une connivence avec les pratiques scolaires). Le dernier point concerne le savoir lui-même, les contenus et les fonctionnements disciplinaires. Les erreurs sont présentes parce que les contenus sont complexes, parce que les pratiques langagières sont importantes (différence entre langage courant et langage de la discipline), parce qu’il est question de contrats et de malentendus. Le dysfonctionnement a également une valeur épistémologique, c’est-à-dire qu’il permet de penser les didactiques elles-mêmes. En analysant le fonctionnement des disciplines on s’aperçoit qu’il y a des catégories d’erreurs, une hiérarchie, des modes de gestion différents selon les disciplines. Yves Reuter s’engage ensuite dans un dernier chapitre en proposant des « interventions » pédagogiques, des pistes pour utiliser le dysfonctionnement. Il recense un certain nombre de tensions professionnelles qu’il est important de réfléchir : imposer ou étayer ? Privilégier le résultat ou la démarche ? Intervenir ou non ? « Avancer » ou prendre le temps de la connaissance ou de la reconnaissance de l’erreur ? Éradiquer les erreurs ou développer une position réflexive sur les dysfonctionnements ? Refaire à l’identique ou faire autrement ? Répéter ou varier les stratégies ?… Il explicite un certain nombre de situations d’apprentissage sans tomber dans la prescription mais pour élargir la palette des possibles pour les formateurs ou les enseignants. En conclusion, Yves Reuter estime que l’erreur en soi n’est pas formative, c’est le dispositif mis en place qui peut permettre une prise de cosncience, une possibilité de transformation. Un petit livre (130 pages pour un coût de 14 €) très bien structuré : chaque chapitre est découpé en paragraphes courts, bien hiérarchisés et possède une conclusion. Les développements sont annoncés à l’avance et chacun entraîne le suivant. Les énoncés sont clairs et précis, illustrés par de nombreux exemples. Les idées sont maturées, nourries par les recherches et par le terrain. Un livre indispensable en formation pour « panser » la pédagogie… Isabelle Lardon