Chantiers de sciences… un site à découvrir et exploiter 22 janvier 2017 Jacqueline Bonnard Emilie du Chatelet, vous connaissez ? C’est en partant de la controverse sur la question des « forces vives » entre les propositions d’Emilie du Chatelet et celles de Dorius de Mairan que Jean Claude Marot propose aux élèves de travailler les concepts de quantité de mouvement et d’énergie cinétique. En replaçant cette controverse dans son contexte historique, l’objectif est, comme pour tous les dispositifs pédagogiques proposés sur ce site, d’entrer dans une démarche de construction de savoirs en Sciences Physiques et Chimiques. « Ces dispositifs ont été élaborés et expérimentés pour et avec des élèves des enseignements secondaires. Selon les contenus abordés, ces outils peuvent être utilisés dans le cadre des cours de physique-chimie, pour les enseignements d’exploration en Seconde ou encore pour l’accompagnement personnalisé. Ils sont également exploitables pour la formation d’adultes dans le cadre de stages ou de dispositifs d’éducation populaire. » à découvrir absolument.
Les « révolutions » pédagogiques à l’école maternelle 8 janvier 2017 Jacqueline Bonnard Intervention au Bureau National du GFEN le 3/12/2016 Christine Passerieux Le cadre idéologique et politique L’école française, y compris l’école maternelle, est une des plus ségrégatives, elle ne cesse de creuser les écarts. Jean-Paul Delahaye (ancien directeur de la DGESCO) dénonce dans son rapport, Grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la solidarité pour la réussite de tous, le tri social opéré par l’école, imputant pour partie l’échec scolaire des enfants des milieux populaires à l’organisation de notre système scolaire et affirme que la résistance à la démocratisation de la réussite est très forte. Le rapport Bouysse/Claus de 2011 est resté longtemps dans les placards car ses conclusions sont sans appel : ne seraient-ce pas les enfants les plus défavorisés, les plus vulnérables, qui ont le plus à pâtir d’exigences prématurées ? Tous les courants dits « innovants » partent de ce constat, non en termes d’analyse socioculturelle mais l’imputant massivement à une malveillance à l’égard des individus, de leur identité. Les spécificités historiques de l’école maternelle, qui a toujours oscillé entre deux modèles qui produisent les mêmes effets ségrégatifs : – une école qui revendique de préparer à la suite de la scolarité, mais de manière étroite, dans ce que l’on appelle communément la primarisation, très largement à l’oeuvre dans les programmes de 2008 et qui a accentué les difficultés par des prescriptions normalisantes, technicistes, où les logiques de résultat ont participé à l’évacuation des processus pour y parvenir, sans que soit donnée aux enfants la possibilité de construire le sens et la fonction des activités scolaires et sans les doter des outils cognitifs et langagiers requis ; – une école inscrite dans une approche spontanéiste des apprentissages, où les enfants entreraient « naturellement » dans les attendus scolaires, lorsqu’ils y seraient prêts. Les tentatives de remplacement de l’école maternelle par des jardins d’enfants ne sont pas nouvelles. Dans ce cadre : – la formation institutionnelle en maternelle a toujours été réduite, historiquement relayée par des associations comme l’AGEEM, très centrée sur les pratiques. Ce qui a pour effet un faible impact de la recherche universitaire, et en particulier une faible prise en compte de la question sociale au profit fréquent d’explications médicalisantes et psychologisantes de la difficulté à devenir élève, ce au nom de la prévention ; – une offensive, relayée par l’institution, de promotion du jeu et de la bienveillance (cf. programmes 2015), après 2008 portée par différents courants, y compris universitaires (alors que le jeu est facteur de non identification de l’activité cognitive en maternelle et participe à créer des malentendus) jusqu’à interroger la nécessité d’une école maternelle. (…) accéder à la totalité de l’article
L’école des Incapables ? Mathias MILLET et Jean-Claude CROIZET 29 décembre 2016 Jacqueline Bonnard Proposé par Christine Passerieux : La maternelle, un apprentissage de la domination Mathias Millet et Jean-Claude Croizet, La Dispute, 2016 Une fois n’est pas coutume : un nouvel ouvrage de recherche concernant l’école maternelle vient de paraître. Et son titre frappe fort mais vraiment juste ! Mathias Millet et Jean-Claude Croizet dénoncent à la suite d’une enquête de plusieurs années, les effets d’un système éducatif profondément ségrégatif dès la maternelle qui, à travers les processus d’exclusion des enfants des classes populaires, « conduit à l’apprentissage douloureux de l’infériorité » et à son intériorisation. « L’école se détourne de l’enseignement« , au nom d’une naturalisation du développement des enfants où l’apprentissage se ferait par imprégnation, fréquentation d’objets d’apprentissage, dont chacun pourrait s’emparer selon son bon gré. Les enfants ne sont plus dotés des outils cognitifs requis pour entrer dans une socialisation scolaire puisque seule compte leur valeur intrinsèque, mais n’en demeurent pas moins à exécuter des tâches ou, par une grossière vulgate constructiviste, à être acteurs de leurs apprentissages. Nombre de savoirs légitimés par la forme scolaire sont considérés comme acquis à l’entrée à l’école maternelle et ne font pas l’objet d’apprentissages. La pédagogie invisible(1) renforce le sentiment d’étrangeté pour des enfants dont les performances sont essentialisées, pensées comme caractéristiques individuelles. La conception de l’enseignement sous-tendue perdure dans le système, comme le notent les auteurs, en particulier dans les classes relais, et détourne « les enseignants de la relation pédagogique au profit d’une lecture clinique des conduites scolaires« (2). L’origine des difficultés est imputée à l’extérieur de la relation scolaire, leur traitement est massivement externalisé. Les difficultés sont appréhendées comme un problème inhérent à l’élève (alors qu’elles sont inhérentes à tout processus d’apprentissage), jusqu’à ce que ce soit l’élève lui-même qui devienne un problème ! Lorsque « l’apprentissage est ignoré ou oublié comme apprentissage », « ce qui est le produit d’une relation scolaire est attribué à la nature de l’élève ». La non-conformité des enfants des classes populaires aux attendus scolaires (non explicites) trouve pour explication le déficit socioculturel, attribué à une faible stimulation familiale. Et lorsque la performance est assimilée à l’intelligence, l’école exerce une terrible violence symbolique sur les enfants et leurs familles, qui conduit « à l’intériorisation d’un sentiment d’indignité personnelle ». « On peut parler, à cet égard, de stigmatisation des difficultés scolaires et de stigmatisation par les difficultés scolaires ». Conçue pour des enfants/élèves en connivence avec ses pratiques, l’école « instruit la domination culturelle ». Les auteurs montrent dans un corpus très riche de moments de classes que « les interventions disciplinaires varient avec l’origine sociale des élèves » ; que les enfants issus des classes populaires font dès la maternelle l’ « expérience de la disqualification par accumulation de retours négatifs, de tentatives infructueuses dans les interactions, de moments de solitude face aux questions du maître ou lors d’un passage au tableau, de silences de l’enseignant valant non reconnaissance de ce qui vient d’être dit ou encore de condamnations plus ou moins abruptes des productions scolaires ». La catégorisation fréquente en élèves lents ou rapides est une forme à peine euphémisée des dons. Les auteurs constatent que, très jeunes, les élèves comprennent qu’ils ne « répondent pas aux attentes ou qu’ils ne le font pas aussi bien que d’autres » et vont jusqu’à assimiler leur personne à leurs productions. Par un « processus de persuasion clandestine » ils intègrent leurs écarts de réussite comme des différences de qualités individuelles » ce qui a des incidences très lourdes bien au-delà de leur scolarité, d’autant plus que l’école joue un rôle décisif dans les histoires individuelles. Alors que les conceptions les plus réactionnaires de l’apprentissage et de l’enseignement qui prônent dans les médias(3) une naturalisation du développement et des apprentissages, cet ouvrage est essentiel pour comprendre comment les enfants « intériorisent un sentiment de dignité ou d’indignité culturelle », qui peut conduire à la résignation, à un sentiment d’infériorité accepté. Un système qui cultive la nature des enfants pour la faire éclore plutôt que d’enseigner, qui conduit les élèves à intérioriser des sentiments de dignité ou d’indignité, dans des logiques concurrentielles entre eux, détourne très tôt les élèves de leurs apprentissages. Cet ouvrage questionne nombre d’idées communes largement répandues dans tous les milieux, y compris ceux de l’enseignement et notamment concernant l’école maternelle. Il est un véritable outil contre la déprofessionnalisation des enseignants qui menace ce premier palier de la scolarité. Les auteurs montrent, argumentent et nomment loin des discours convenus, des opinions communes, des mystifications de tous ordres. L’incantation à la réussite ne peut réduire les inégalités scolaires, disent-ils « parce que l’idée de réussite impliquera toujours en miroir celle d’échec ». La question centrale est bien celle de la « création des conditions d’un accès égal pour tous aux savoirs scolaires ». 1 – Basil Bernstein, Classes et pédagogies : visibles et invisibles, in Les sociologues, l’école et la transmission des savoirs, Dauviau, Terrail La Dispute, 2007 2 – Stanislas Morel, La médicalisation de l’échec scolaire, La Dispute, 2014 3 – Christine Passerieux, Les mystifications de l’innovation, dans ce numéro de Carnets Rouges
Le secteur Langues publie – Ethique et enseignement des langues (APLV) 17 décembre 2016 Jacqueline Bonnard Vient de paraître le dernier numéro des Langues Modernes (APLV) : coordonné par Maria-Alice Médioni et Jean-Paul Narcy-Combes * Éditorial, par Pascal Lenoir (pp. 7-8) www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article6453 * Introduction du dossier, par Maria-Alice Médioni et Jean-Paul Narcy-Combes (pp. 9-14) Extrait : « Ce dossier présente des approches riches et variées quant à la question de l’éthique. L’enseignement des langues pose de façon centrale la question de la rencontre entre des sujets de cultures différentes : toute nouvelle langue confronte l’apprenant à autrui, à la pluralité, et, de la même façon, gérer cet apprentissage confronte l’enseignant à la pluralité des cultures dans les groupes d’apprenants dont il a la responsabilité, à leur diversité sociale, affective et cognitive. Les conceptions éthiques des enseignants de langues se révèlent forcément à travers les choix qu’ils font quant aux modes d’enseignement privilégiés, aux modalités d’évaluation utilisées, aux situations plus ou moins complexes proposées aux élèves, aux objets d’étude favorisés, au contrat didactique mis en oeuvre dans la classe. D’autant qu’au sujet des langues se nichent les hiérarchies, inégalités, jugements de valeur, appliqués consciemment ou inconsciemment aux différentes langues, confortés par un discours politique, voire institutionnel ou par les usages qui sont faits du Portfolio des langues. » http://ma-medioni.fr/article/ethique-enseignement-langues * La liberté d’expression en classe de langue, par Nathalie Fareneau (pp. 65-70) Résumé : La classe de langue est un lieu privilégié qui permet de découvrir un autre univers linguistique et culturel, de s’ouvrir à l’altérité. Cette découverte suppose une prise de distance par rapport à ses propres références et invite à s’interroger sur des évidences, à réfléchir aux droits et aux devoirs qui régissent notre société. La démarche proposée invite à s’interroger sur la liberté d’expression, à travers la découverte d’?uvres qui furent censurées, ailleurs et à d’autres époques, et à mieux comprendre les valeurs que défend ou attaque une société. Les questions éthiques que soulèvent ces découvertes peuvent permettre également de mieux appréhender des problématiques actuelles autour de la liberté d’expression. Ce travail, conduit avec des élèves de lycée (d’un niveau B1 en espagnol) à partir de productions artistiques dans le monde hispanique et latino-américain, permet de traiter la question éthique aussi bien du côté de l’enseignant que de l’apprenant. Il incite l’apprenant à prendre conscience des schémas culturels qu’il a en lui, exprimer sa pensée et porter un regard critique. L’enseignant propose des contraintes pour que l’apprenant puisse exercer sa liberté et délimite le cadre qui protège l’intégrité de chacun. La langue étrangère qui au début peut représenter un obstacle pour débattre va devenir une alliée grâce aux différentes étapes de documentation et d’argumentation qui mobiliseront toutes les compétences en langue et permettront, après des temps d’entraînement, le plaisir de la rencontre et de l’échange d’idées contradictoires. Mots-clés : liberté d’expression, éthique, esprit critique, censure, ?uvres d’art. * La réécriture solidaire au service de la production écrite en classe de langue, par Valérie Soubre (pp. 71-77) Résumé : Ce projet inscrit l’écriture dans une durée délibérément longue soit l’ensemble du semestre. La démarche autour de la réécriture est basée sur l’accompagnement (enseignant-apprenant, apprenant-apprenant) à toutes les étapes de la réalisation. Le principe est de fixer un cadre dans lequel différentes étapes sont programmées pour permettre aux apprenants d’améliorer leur texte. Les différents états du texte ont pour but de faire surgir des besoins, qui feront l’objet d’apports en classe. Mots-clés : sens des apprentissages, écriture d’invention, coopération apprenante, co-évaluation, processus rédactionnels, apprentissages solidaires. * Les outils web à l’école : enjeux éthiques et socio-critiques, par Marta Puig Sedó (pp. 79-85) Résumé : Les enseignants des langues sont de plus en plus nombreux à intégrer dans leur pédagogie des outils numériques web, tels que des moteurs de recherche, des réseaux sociaux et des applications ou logiciels gratuits. Emportés par l’engouement que la technologie numérique suscite aujourd’hui, ils sont cependant relativement peu soucieux des enjeux éthiques que l’utilisation de ces outils engendre, tant sur le plan sécuritaire, socio-économique que cognitif. Cet article se propose une prise de conscience du rôle de l’enseignant face à la technologie numérique et sa pénétration dans le milieu scolaire. Mots-clés : outils web gratuits, artefacts numériques, enseignement des langues, milieu scolaire, enjeux éthiques, pertinence pédagogique Un exemplaire de la revue sera disponible à la bibliothèque du Secteur Langues (CABV de Vénissieux). Sommaire complet
Est-ce qu’on perd son temps à raconter des histoires ? 24 novembre 2016 Jacqueline Bonnard Conférence-débat Yvanne Chenouf à Tours, le 16 novembre Auditorium de la bibliothèque Centrale en partenariat avec Livre Passerelle et la Bibliothèque de Tours Est-ce qu’on perd son temps à raconter des histoires ? Manifestement non pour les 90 personnes présentes à cette conférence-débat qu’Yvanne CHENOUF (AFL ) a mené en alternant l’exploration de livres de littérature jeunesse, lecture à haute voix de textes par des volontaires, anectodes pour rappeler la puissance du contexte pour s’approprier le sens d’un poème. Yvanne Chenouf se présente comme une des initiatrices du rapprochement des bibliothèques de quartier et les bibliothèques scolaires. Son propos s’est construit à partir des observations de l’atelier qui a précédé, réunissant bibliothécaires, lecteurs volontaires, éducateurs spécialisés, enseignants afin d’échanger sur leurs pratiques de la lecture dans des lieux différents. Les histoires : une longue histoire ! On se raconte des histoires depuis le début de l’humanité pour conjurer les peurs et expliquer des phénomènes incompréhensibles mais aussi à se souvenir des belles choses ou se projeter dans l’avenir. Plutôt que de dire qu’elles se propagent de bouche à oreille, il serait plus judicieux de dire de « bouche à bouche » car je la raconte à il qui la raconte à elles, ce qui permet de « faire communauté ». Certes, on ne raconte plus d’histoires autour du feu (la télévision a remplacé ces moments partagés) pour autant lire des histoires se borne-t-il à une leçon de lecture en classe ? Yvanne Chenouf rappelle à ce sujet la grande inégalité des enfants arrivant à l’école : certains arrivent avec plus de mille heures d’histoires racontées à la maison quand d’autres n’ont pas ces bases-là. Toute histoire a une vie, elle se transforme et fait partie de notre patrimoine culturel : on peut la commencer où on veut, la détourner, en faire une autre histoire. Prenons l’histoire de Boucle d’or qui prend les traits d’une jolie fillette : elle a commencé par être une vieille renarde qui rencontra trois ours adultes dans une grotte, leur fit un peu de ménage mais les ingrats la mangèrent. Puis aux cours des histoires, elle est devenue une vieille femme aux cheveux d’argent, puis une mère avec son enfant, puis boucle d’or et les trois ours. Sauf que chez les parents ours, ils se disputent un peu : serait-ce pour cela que chacun dispose de son lit ? Serait-ce pour cela qu’aujourd’hui le canapé remplace le troisième lit ? Chaque histoire, dans son voyage évolue et peut prendre des sens multiples et infinis. Mais qu’en disent les sociologues ? Au départ, lorsque l’enfant ne sait pas lire, l »adulte raconte l’histoire, c’est la fusion. Et autour du livre, il se passe plein de choses (théâtralisation, identification, comparaison avec les héros de l’histoire), on se découvre et on devient. Il y a toujours un livre qui parle de ce qu’on fait en famille et au départ nous disent les sociologues, on s’imprègne de ces histoires : c’est le moment de la filiation. Au début, nous dit Barthes, avec la lecture c’est le coup de foudre. Mais il va falloir écrire lettre à lettre et on souffre. Cependant, si on installe par exemple le rituel de sortie de classe sur la lecture d’une histoire, on se quitte sur du symbolique et chaque matin on se retrouve sur du symbolique. Arrive le moment où l’enfant sachant lire (entre sept et dix ans) rebute à s’y mettre devant l’ampleur de la tâche : l’accès aux contenus est difficile pour beaucoup. Il existe pourtant aujourd’hui de plus en plus de transmetteurs potentiels : l’enfant peut côtoyer plusieurs générations avec des comportements différents, d’autres entrées dans les histoires (cf : Bernard Friot et sa fabrique à histoires ). Pour s’en approprier le contenu, il faut habiter l’histoire : l’histoire doit parler de nous, c’est l’identification. Quand arrive la préadolescence, l’enfant part vers d’autres jeux et découvertes en s’appuyant sur le groupe d’appartenance (qu’il a choisi) : l’affiliation. Il se crée alors une coupure dont les éditeurs vont jouer : livres pour les filles ou les garçons, selon les centres d’intérêt. Pour contourner l’obstacle, Yves Citton propose non plus de demander à la suite d’une lecture le contenu retenu mais de dire de quoi le texte ne parle pas afin de susciter l’intérêt et la curiosité. Que peut faire l’école ? Certains enfants sont éloignés des codes de l’école et des valeurs qu’elle porte. Il faut progressivement les en rapprocher en leur faisant découvrir cet univers culturel, en les emmenant dans les musées, les expositions, les spectacles et les enquêtes montrent que de nombreux enseignants proposent ces sorties à leurs élèves. C’est à plusieurs qu’on apprend à lire tout seul C’est en écoutant et en racontant des histoires qu’on met sa propre histoire en ordre. Une histoire c’est une évocation plus ou moins fidèle d’une réalité, un discours car le narrateur raconte quelque chose au lecteur d’une façon particulière (si on ne met pas la forme, ce n’est pas une histoire). C’est un monde représenté car l’écriture reflète une réalité en créant un espace de réflexion et d’imagination, des encastrements d’une même réalité. Prenons un récit : un premier lecteur lit le texte, le second le lit à l’inverse, le troisième reprend le texte du point de vue « alors », deux autres le revisitent sous la forme d’un interrogatoire. Une même histoire peut être racontée de façon très différente, selon le point de vue adopté. Une histoire a besoin d’une distribution de personnages qui donnent l’impression de vivre avec un esprit et des attentes propres qui peuvent se moquer des conventions sociales. Ces personnages peuvent être attachants, si attachants que même lorsqu’ils passent dans une autre histoire, on les reconnait immanquablement et ils deviennent des personnages référents : une fillette au manteau rouge? C’est forcément le Chaperon rouge et même s’il s’agit d’un garçon se promenant dans la forêt portant un panier, c’est encore le Chaperon rouge. Les enfants doivent comprendre que les personnages peuvent passer d’une histoire à l’autre. Mais l’auteur peut prendre le contre-pied de l’image habituelle. Le chaperon rouge de Philippe Corentin devient « Mademoiselle sauve qui peut », rousse espiègle qui tire le nez du loup puis le chasse à coups de fourche. Renversant les codes du conte de Perrault, il montre que lire des histoires émancipe car, franchement croire qu’on peut confondre sa grand-mère avec un loup relève de la bêtise ! Encore faut-il que l’enfant écoutant l’histoire soit capable d’anticiper sur les suites possibles d’un évènement, d’imaginer à partir des informations retenues. Scénariser une histoire est un art : on peut présenter les personnages et leur environnement pour se représenter le contexte, mais certains auteurs jouent avec le lecteur en juxtaposant les personnages sans proposer de scénario, laissant ainsi libre court à l’imaginaire. Entrer dans une histoire c’est entrer dans un filet culturel, on a tous des représentations d’un ogre, d’un loup ou du petit poucet. Pour attirer le lecteur, l’auteur va devoir faire preuve d’originalité : il faut que l’histoire apporte quelque chose de plus. Le narrateur doit jouer avec nous et se jouer de nos attentes. Yvanne Chenouf le démontre en s’appuyant sur plusieurs livres apportés par le libraire. Les textes ne disent pas tout, ils laissent la place à l’interprétation. Prenons l’exemple de Yakouba (Thierry Dedieu ) qui lors de son initiation doit choisir entre tuer un vieux lion (donc sans gloire) ou le laisser en vie au risque d’être banni par la communauté. Quel intérêt de suivre le second choix ? Si le texte ne dit pas ce que Yakouba choisit, on le voit reprendre sa lance, retourner vers le village où il est accueilli par un grand silence quand les autres sont acclamés. Il n’est donc pas devenu guerrier mais berger, un peu l’écart des autres même si l’auteur souligne que c’est à partir de cette époque que le bétail ne fut plus attaqué par les lions. Si nous applaudissons le courage de l’enfant noir, il n’empêche qu’il a enfreint la loi et que notre interprétation est empreinte de notre culture et de notre position sociale. Il y a à inventer d’autres cultures avec les enfants et nous sommes les maillons entre ces mondes qui se rencontrent. Encore une histoire ? Quand « une fourmi de 18 mètres avec un chapeau sur la tête » nous renvoie à l’histoire de ces convois vers les camps d’extermination nazis. Relisons ce poème de Robert Desnos que de nombreux écoliers ont appris et illustré dans leur cahier de poésie en pensant à la période où il a été écrit (1943). Cette Chantefable fut écrite pour résister et affirmer l’existence de ces convois de déportés. Sachant que certaines locomotives avec leur tender intégré mesurent approximativement 18 m, que ce long voyage concernait des déportés de toutes nationalités, relisons le texte et écoutons le bruit du roulement sur les rails, en écho au petit train dans la campagne des Rita Mitsouko. Le texte ne le dit pas, mais derrière ces « poésies pour enfants sages », c’est l’esprit de la Résistance qui murmure encore à nos oreilles. Jacqueline BONNARD
Les parents ont besoin d’être reconnus comme éducateurs de leurs propres enfants 23 novembre 2016 Jacqueline Bonnard « Si nous voulons que les parents reprennent confiance en eux dans un premier temps, c’est pour qu’ils portent un nouveau regard sur leurs enfants, un regard positif et confiant dans leurs capacités! » Pour Jeanne Dion, membre du GFEN, il s’agit de l’essentiel dans la relation éducative Parents/Enfants. La construction de relations de confiance entre les parents et les enseignants est aujourd’hui une question centrale pour tous les enfants en premier lieu, tous les établissements scolaires, pour donner plus de sens à l’école et ainsi favoriser la réussite de tous. Mais comment valoriser, au seuil et dans l’école, le rôle d’éducateur des parents ? Et comment faire prendre conscience aux enseignants de la richesse de cette coéducation ? La vidéo ci-dessous propose le déroulé d’un atelier qui permet de faire prendre conscience aux parents de leur rôle d’éducateur auprès de leurs enfants et ce, depuis leur plus jeune âge. Cette vidéo s’inscrit dans le cadre du réseau éducatif à l’échelle d’un quartier « Le bois Labbé à Champigny Chennevières (94) », quartier REP+ doté de deux centres sociaux très fréquentés. On y compte 10 000 logements, 6 écoles et 2 collèges. Voir d’autres vidéos filmées dans ce cadre : – Atelier « la démarche des allumettes« – La démarche d’autosocioconstruction Intégration : Jacqueline Bonnard
Retour sur les 10èmes Rencontres internationales des ateliers d’écriture 22 novembre 2016 Jacqueline Bonnard Organisées par le groupe de la région Rhône Alpes et le secteur écriture du GFEN Les rencontres (les dixièmes) ont eu lieu du 20 au 23 octobre 2016. Des ateliers en matinées, des tables rondes et des plénières ont jalonné les après-midi, suivies de soirées artistiques mettant en jeu les dynamiques d’atelier. Les rencontres ont été portées par les forces mêlées du secteur et de la région Rhône-Alpes. Au total : – en journée lycéenne, 10 ateliers pour 150 jeunes et 25 animateurs mobilisés – au cours des journées, 22 ateliers ont été animés (8, 8 et 6) et jamais deux fois le même animateur – 11 « mille questions » – 7 tables rondes animées selon 3 dispositifs différents – 3 plénières animées 3 dispositifs différents (jeu de rôle / tables tournantes / panel) – 3 soirées spectacles de nature très variée et deux partenariats avec des salles de musique actuelle (Grenoble et Echirolles) et un déambulatoire à la manière « safari ici + soli sauvages » – l’ouverture par l’adjointe à l’éducation et à la culture qui salue le partenariat de longue date avec le GFEN. – 153 inscrits / 124 présents – nous aurons à gérer la publication des Actes Nous avons réussi à faire de l’organisation même de ces rencontres un véritable atelier géant alliant vécus d’ateliers, prise en compte de l’expérience, rencontres dynamiques dans le cadre de tables-rondes interactives. 3 plénières chacune conduite selon un dispositif différent ont permis à chacun-e de prendre la parole… et en plus 3 soirées spectacles mémorables. Lire le compte-rendu
10èmes Rencontres internationales des ateliers d’écriture 18 octobre 2016 Jacqueline Bonnard Du 20 au 23 octobre 2016 à Echirolles (Isère – France) Lycée Marie Curie, 5 avenue du 8 mai 1945, 38130 Echirolles Création et champ social : « LES ATELIERS D’ECRITURE : QUELLES DYNAMIQUES DE TRANSFORMATION ? » Ces rencontres sont organisées par le GFEN, avec le soutien de la ville d’Echirolles et en partenariat avec de nombreuses association et collectifs. Elles visent à favoriser la rencontre des acteurs sur le plan national et international pour permettre dans l’échange et la confrontation d’expériences, de nommer, mettre en débat, élucider les enjeux des ateliers et des pratiques d’ateliers. Les Rencontres des Ateliers d’écriture, ce sont aussi les «Rencontres lycéennes avec l’écriture» le mardi 18 octobre 2016 de 9h à 17h au Lycée Marie Curie : ateliers d’écriture, rencontres, débats… avec écrivains, poètes, animateurs d’ateliers, bibliothécaires, médiateurs du livre, militants de l’écriture… Programme et inscription
Reportage : Colloque « Quelles utopies pour aujourd’hui ? Education – Egalité – Emancipation » 22 septembre 2016 Jacqueline Bonnard 16, 17, 18 septembre 2016 TNP de Villeurbanne ************************************************************** Quelle place des utopies aujourd’hui dans le champ de l’éducation ? Sont-elles dangereuses ou salvatrices ? Et pour qui ? Dans une période où tout semble incertain, comment dessiner un projet éducatif contribuant à l’ouverture des esprits, la solidarité, la culture, la construction d’une aventure commune ? Tel était l’objectif de ce colloque organisé par le GFEN Lyonnais, le secteur Langues du GFEN, Le GREN (Groupe Romand d’éducation nouvelle). 260 inscrits à ce colloque ont participé à tout ou partie des différentes manifestations et travaux proposés. Le vendredi 16 septembre : les utopies nécessaires pour (s’) éduquer aujourd’hui Dès l’ouverture, Gérard Médioni pose la problématique. Il remercie le TNP et son directeur ainsi que la municipalité de Villeurbanne pour leur accueil. L’actualité dramatique et la perception que nous en avons ont rendu incontournable cette initiative pour oser croire encore que des possibles existent. Il rappelle qu’étymologiquement, utopie vient du nom d’une île idéale « utopia » (la meilleure des républiques) mais regrette qu’aujourd’hui il soit devenu synonyme de délire, rêve chimérique, alors qu’elles sont source d’avancées. Nous devons analyser les drames qui ont secoué nos sociétés pour trouver des solutions et en particulier faire évoluer l’acte éducatif. Rien ne peut se faire sans l’émancipation du plus grand nombre. S’appuyant sur une citation Giuseppe Tomasi di Lampedusa(Le guépard) « Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change », il rappelle que l’annonce de tout changement génère des freins qui visent à l’empêcher. Les mouvements comme le GFEN et GREN sont issus de la création de la Ligue pour l’Education Nouvelle au lendemain de la première guerre mondiale, porteurs d’idées nouvelles en éducation qui tardent encore aujourd’hui à se faire entendre. Damien Berthilier, adjoint au maire de Villeurbanne se dit honoré d’accueillir ce colloque dans ce lieu symbolique de l’accès à la culture pour tous, tout près des Gratte-ciel intégrant des logements sociaux (1930) qui jouxtent le TNP. Deux utopies réalisées, symboles d’une ville qui fait de l’éducation sa priorité et membre du réseau des villes éducatrices. L’accueil est une tradition de cette ville très métissée qui s’articule autour du slogan : « Nous sommes tous venus d’ailleurs, mais nous sommes tous devenus d’ici ». Etiennette Vellas présente le projet d’écriture d’un Manifeste « Utopie pour aujourd’hui pour construire demain« qui vise à définir les bases d’une autre éducation. S’appuyant sur les travaux du colloque, rendez-vous est pris pour le 5 novembre pour cette écriture. Utopie et pédagogie : toujours ! Jean Houssaye, auteur de nombreux ouvrages dont « Le triangle pédagogique » et « Les pédagogues », note que nous sommes dans une période en panne d’espoir mais pour autant, devons-nous baisser les bras ? La partie sociale de l’éducation est plus importante aujourd’hui en raison d’une réalité plus complexe et génère des outils sophistiqués mais sans grande efficacité. A l’image de Paulo Freire, il revendique l’image du pédagogue engagé dans la cité, porteur de valeurs civiques et démocratiques. Pédagogie et politique sont liées mais que peut le pédagogue sans un engagement du politique sur l’éducation. Il semble que le pédagogue soit condamné à l’utopie : condamné à être insatisfait, critique par rapport aux pratiques dominantes dans sa volonté d’émancipation. Il existe une distance entre idéologie et utopie, l’utopie permet de ne pas se résigner car il faut faire du réel à partir du possible en toute humilité. Elle donne vie à l’espérance. Quelle(s) utopie(s) revendiquer et mettre en oeuvre ? Il y a un siècle, l’égalité était l’utopie portée qui a menée à l’école primaire pour tous, puis le collège pour tous, puis l’université pour presque tous. Egalité des chances ou égalité des résultats ? Il ne suffit pas d’ouvrir à tous les portes de l’école (égalité des chances) si on ne combat pas les causes d’inégalité de résultats. Jean Houssaye propose une pédagogie de la fraternité en se référant aux propositions de Dewey dans « Démocratie et éducation » qui pose les enjeux de l’école. Dans sa forme actuelle, elle se caractérise par le formalisme, l’individualisme, l’intellectualisme, la déresponsabilité scolaire et sociale. Si les pratiques ont assez peu évolué, l’ambiance éducative est devenue plus libre. Mais qu’en est-il de la fraternité ? L’école est toujours d’une société donnée et on y retrouve toujours, dans ses mécanismes, les valeurs de cette société. Si les valeurs sont la compétition, la sélection, l’individualisme, la fraternité risque fort d’être au service de ces valeurs et en contradiction avec le but visé car la fraternité vise l’autonomie et la socialisation : une façon de vivre ensemble à l’école, des pratiques sociales qui s’apprennent et s’éprouvent pour faire société. C’est à cette condition que la fraternité se conjugue avec la démocratie. La pédagogie comme utopie En introduction, Philippe Meirieu pose la question de l’articulation entre éducation et utopie. Pour lui pédagogie et utopie ne font pas toujours bon ménage car dans les cités utopiques, il n’y a pas d’éducation (Thomas More, Utopia 1516). Chacun a une place prédéfinie et assume son destin dans une société figée, tout projet individualiste mettant en danger le projet collectif. Dans ce cadre, l’éducation apporte du désordre. A l’inverse on trouve des textes qui promeuvent l’éducation comme utopie dans le sens où elle pourrait tout, transformer l’individu en un homme nouveau ou encore détruire la Cité. Philippe Meirieu fait l’hypothèse qu’entre l’éducation congédiée et l’éducation magnifiée l’éducation impuissante et l’éducation toute puissante, la pédagogie peut se frayer un chemin. Un propos en deux parties : les impasses de l’hypermodernité, la pédagogie comme utopie pour résoudre les problèmes actuels Les impasses de la hyper modernité : Nous vivons la fin des sociétés holistiques qui englobaient toutes les composantes de la vie économique et sociale sous une même entité dictant notre bien à notre place. Nous sommes devenus métaphysiquement démocrates (Marcel Gauchet), mais nous le sommes pas politiquement ; nous n’acceptons plus que d’autres nous dictent nos choix. On assiste ainsi à la montée des individualismes sans que ne se soit construit un bien commun remplaçant ces sociétés théocratiques que nous rejetons. Prenons l’exemple de l’école, autrefois les parents faisaient une confiance absolue à l’école, aujourd’hui les parents inquiets interviennent sur les sujets les plus divers. Nous n’avons pas de bien commun à opposer aux crispations identitaires, tout au plus des slogans et des idées généreuses qui ne peuvent suffire à contrecarrer l’intérêt individuel ; les machines à fabriquer du bien commun ne fonctionnent pas et nous sommes contraints à produire des compromis boiteux et verbaux. La montée des individualismes identitaires et le phénomène de l’entre soi touchent tous les milieux. Il s’agit de fuir une société sans repère pour retrouver des éléments allant de soi pour lire le monde car toute clarification est vécue comme une libération. Un troisième phénomène caractérise notre société : la recherche perpétuelle du consensus autour d’une table. Le problème est qu’il n’y a pas de table (Anna Harendt) puisqu’il n’y a plus de langage commun, les logiques des groupes étant différentes et incompatibles bien qu’ayant chacune leur légitimité. Le dialogue est devenu impossible. Mais sans consensus, comment faire entendre raison à celui qui n’a pas choisi la raison ? Comment faire entendre raison à celui qui refuse obstinément notre enseignement ? Question qui interpelle l’humain que nous sommes à arraisonner l’autre. Face à l’impasse, la tentation est forte de pathologiser. Quelles solutions ? Convaincre par la raison de la raison est impossible. Une deuxième solution serait d’exclure le sujet de la raison en le déclarant fou. Une troisième solution consiste à contraindre par la raison mais en empruntant les armes de l’adversaire, quelle issue ? Et l’on navigue entre démission et passage en force. La pédagogie est une utopie parce qu’elle tente d’échapper à ce dilemme. Face à celui qui ne veut rien entendre, si nous refusons d’abandonner, il nous reste la pédagogie, un chantier à défricher sans arrêt sans qu’il ne soit certain qu’il existe un chemin entre la démission et le passage en force. La pédagogie fait le pari qu’il existe une chose plus forte que la raison : la reconnaissance de l’humain (Lévinas). C’est ce commandement du visage de l’autre qui permet la reconnaissance inconditionnelle et réciproque de l’humanité qui ne va pas de soi mais un pari à faire si nous ne voulons pas être condamnés à la barbarie. Quels seraient les enjeux aujourd’hui ? Une verticalité sans théocratie, du commun sans communautarisme, de la liberté sans individualisme. Philippe Meirieu fait le pari que la pédagogie peut se frayer ce chemin fragile en évitant des écueils comme les neurosciences ou le management qui tenteraient à nous faire croire qu’il existe des solutions toutes faites aux problèmes. Chemin fragile car il passe par la reconnaissance inconditionnelle de l’humain dans l’autre, un humain infiniment fragile mais digne. Ce qui est très exigeant mais est source d’inventivité remise en chantier pour « convaincre sans vaincre ». Sept verbes en guise de « belles échappées » : surseoir, distinguer, construire, compatir, débattre, se décentrer, coopérer. En conclusion, il n’y a pas d’autre choix que de choisir l’humain contre l’inhumain, continuer à échanger et débattre pour créer du commun plutôt que se battre. Le 17 septembre : des ateliers pour travailler les pratiques d’auto socio construction des savoirs Le matin : pratiques pour aborder des questions vives Démocratie : soigner la langue, la leçon de Victor Klemperer propose d’interroger notre propre vigilance sur les mots et en particulier lorsqu’on enseigne. Les écrits de Victor Klemperer sur la langue du IIIème Reich montrent comment le totalitarisme s’insinue dans la langue courante et s’inscrit dans le plus intime de chacun conduisant à l’adhésion à un système totalitaire : « les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir ». Peut-il y former à l’esprit critique sans une critique de la langue et ses usages ? Dans l’atelier Des questions au questionnement : une pédagogie à renverser, c’est la forme majoritaire de guidage de l’activité (méthode interrogative) qui est en débat. Et si pour les apprenants, leur poser des questions empêchait qu’ils s’en posent ? Dans la bibliothèque de la mairie, la réflexion porte sur Luttes et indépendances et la difficulté à aborder les points sensibles de l’histoire. L’étude porte sur les luttes et combats pour l’indépendance de l’Amérique du Sud. Quelle posture de l’enseignant entre neutralité et volonté d’engager le débat critique? Arrêtons-nous sur l’atelier Liberté d’expression, question vive de notre actualité en classe. Peut-on tout dire ou laisser dire, tout montrer ? Qui censure ou autorise ? Parmi une série d’oeuvres qui, historiquement, ont été censurées, chacun est amené à en « sauver » une et à donner les raisons de son choix. Mais on travaillera plutôt sur les oeuvres non choisies. Pourquoi ce non-choix ? Lorsqu’on découvre l’histoire de ces tableaux, les similitudes s’affichent : reconnaissance des pairs mais censure du pouvoir, séquestration des tableaux qui réapparaissent des décennies plus tard. De bonnes raisons pour endosser le rôle d’un collectif d’artistes projetant l’écriture d’une lettre ouverte pour dénoncer la censure et revendiquer la liberté d’expression. Exercice difficile et périlleux pour lequel chacun des groupes se charge d’un volet de l’argumentaire : ce que la loi autorise, notre conception de l’art, notre conception de la liberté. Dans la phase réflexive, il apparaît que ce l’on n’aime pas incite davantage au questionnement et permet une exploration plus fine de nos propres rejets. C’est en allant à la rencontre d’une autre époque, dans la confrontation des points de vue et loin des discours moralisateurs que l’on éprouve les limites de la liberté qu’elles soient consenties ou imposées. L’après-midi : démocratie, culture, éthique en chantier Nos amis suisses proposaient une réflexion sur « éprouver la vie en démocratie à l’école » en s’appuyant sur des témoignages de pratiques genevoises du conseil de classe, du conseil d’école entre autres pour tenter de faire de ces lieux une espace de paroles réelles. Dans l’atelier La culture entre attachement, arrachement et nouvel attachement, les participants ont tenté d’imaginer une école ou une formation réhabilitant « une culture anthropologique et politique du temps » (Jean Chesnaux). Dans la salle Casares du TNP, on planchait sur le concept de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). Une entreprise peut-elle concilier le profit et l’éthique ? C’est le genre de question peu travaillée par les militants pédagogiques tant les représentations sur les acteurs économiques semblent figées dans un imaginaire collectif suspicieux. Pourtant nous subissons tous l’économie de marché sans en comprendre forcément les mécanismes. Deux études de cas : une firme multinationale confrontée à un lanceur d’alerte, une association « artisans solidaires » face à des difficultés financières. Les groupes de travail se répartissent sur chacun des cas et tentent de vérifier l’implication dans la RSE. Où l’on découvre que certains grands groupes l’utilisent pour se donner une image écologique responsable tout en profitant de l’absence de législation dans certains pays pour polluer sans état d’âme. Tout serait une question de normes admises ou tolérées, l’intérêt étant un maximum de profits pour rétribuer les actionnaires. Endossons le rôle des différents acteurs : Nestlé contre une lanceuse d’alerte, CA de la fédération d’Artisanat solidaire et nous affutons nos arguments. Exercice intéressant qui montre les limites des directives lorsqu’il n’y a pas de réelle volonté politique d’application et de contrôle. 4 heures de conférence gesticulée avec Franck Lepage sur l’école et l’ascenseur social Oui, vous avez bien lu : cela a duré 4 heures ! Et on en redemande ! Une entreprise de démolition des évidences. « Je me suis mis au parapente parce que j’ai raté mon ascension sociale » déclare Franck Lepage en commençant son spectacle. Le parapente, un fil conducteur allégorique qui lui permet d’aborder les questions qui traversent la société au sujet de l’école, les contradictions du système et les logiques excluantes vécues à l’insu du plein gré des différents acteurs dont les enseignants. Remarques parfois grinçantes qui s’appuient sur une expérience scolaire subie avant l’inscription au Centre universitaire expérimental de Vincennes créé à l’automne 1968 et qui donnera naissance à l’université de Paris VIII. On rit beaucoup, on se remémore quelques situations vécues (ma parole, il y était !), on comprend les rouages de l’institution, le tri social par la notation, l’illusion de l’égalité des chances quand il suffit de constater les résultats. Et que dire de la logique économique qui consiste à déqualifier les emplois et installer un chômage conjoncturel. Après nous avoir fait beaucoup rire, il en vient même à plomber l’ambiance : dans quelques temps l’école aura disparu pour laisser place à une marchandisation des savoirs au profit de quelques grands investisseurs. Nous restera-t-il alors que l’utopie d’une école fraternelle ? Si vous n’y étiez pas et même si vous y étiez, (re) voir ce spectacle Le 18 septembre : Education nouvelle, une utopie en marche Cette matinée du dimanche est organisée autour des différents points de vue sur la question de l’utopie Etienne Vellas rappelle que l’utopie d’Education Nouvelle est ancienne. Et la pédagogie est-elle une utopie ? Le pédagogue (au sens large du terme) est un praticien de l’éducation qui essaie de faire au mieux en mettant en cohérence savoirs, valeurs, finalités et pratiques. Que s’est-il passé au début du 20ème siècle pour que des centaines de pédagogues se mettent en recherche : l’instruction et l’éducation obligatoires, le « plus jamais ça » au sortir de la première guerre mondiale, l’avènement des constructivismes. Mais les scientifiques ne disent pas comment faire, d’où l’émergence de mille et une façons de faire autrement. C’est là que nait le Tous capables de se construire et de construire la société de demain. C’est un appel à une résistance car les freins existent qui visent à maintenir l’existant (exemple de la notation en Suisse). Il faut créer des lieux où se construisent les savoirs tout en éprouvant les valeurs : coopération, solidarité, justice, reconnaissance de l?autre pour un monde plus juste. La parole aux partenaires Différents partenaires se sont succédé pour aborder le thème de l’utopie. Paroles entrecoupées d’extraits de films : Demain, Comme des lions, Merci patron. Pour l’ICEM, il y a nécessité pour les associations d’être en lien (exemple : le CAPE). La première utopie, c’est d’être encore militant, de déceler ce qu’il y a de meilleur chez l’enfant et l’accompagner, de reconnaître le rôle des familles. C’est de croire que l’évolution des pratiques peut se faire au sein de l’école publique. Michel Neumayer (GFEN) nous entraîne dans les rues de Brooklyn pour une utopie de quartier en suivant les peintures urbaines : « Connais ton histoire pour qu’elle ne se reproduise pas ». Utopie de l’écriture faite par tous et pour tous : on a davantage besoin d’horizontalité que de verticalité. Pour les représentants de Questions de classe(s), l’aventure du site participatif est une utopie réalisée puisqu’elle se poursuit depuis 2013. L’utopie aujourd’hui est de mettre en cohérence pédagogie et politique en organisant des stages syndicaux. Pour le représentant d’ATD quart monde, il s’agit davantage de rencontrer l’autre et de créer des outils, des situations permettant aux personnes en difficulté de partager leur ressenti avec d’autres. Il illustre le propos par une mise en situation. autres interventions Edwy Plenel : un besoin de poétique en politique Nous avons depuis quelques décennies un problème d’imaginaire, d’idéal, d’horizon. Comment reconquérir un enchantement politique, comment reconquérir une hégémonie culturelle (Gramsci) ? Deux temps pour cette intervention : l’illusion du présent, le réel de l’utopie. L’illusion du présent. Au moment où Gramsci est emprisonné par Mussolini, il note dans ses carnets que la crise c’est quand un vieux monde se meurt mais s’accroche et qu’un nouveau monde tente de naître. Et dans cet entre-deux éclosent des idées dangereuses : les tueurs d’humanité d’une part, les briseurs de fraternité d’autre part. Les tueurs d’humanité aujourd’hui c’est cette jeunesse qui rencontre une idéologie totalitaire au point d’oublier sa propre humanité. Les briseurs de fraternité s’appuient sur les précédents pour imposer une politique de la peur et du pire. Ces derniers installent la naturalisation de l’inégalité avec l’appui de théoriciens parfois brillants qui s’assument comme tels (exemple : Maurras). Aujourd’hui nos adversaires ne se revendiquent pas comme tels mais leur cheval de Troie est l’identité. Notre défi est d’avoir un imaginaire supérieur pour combattre ces idées. Pour les combattre, il faut en comprendre les failles : le rapport au temps, le rapport au monde, la question de l’idéal. La politique actuelle est prisonnière du présent, sans rappel du passé ni projection sur l’avenir (le présentisme, François Hartog). Il faut créer des discordances des temps et retrouver des possibles dans notre histoire passée. Le deuxième aspect, c’est l’oubli du monde. Nous sommes devant une crise de civilisation, les premières générations d’une civilisation globale, impérativement multiculturelle. Jusqu’à présent, l’occident avait imposé sa vision du monde mais nous vivons la fin d’un modèle vieux de cinq siècles. Pour les peuples dominés, « l’heure de nous-mêmes a sonné » écrivait Aimé Césaire. On ne peut pas émanciper l’autre malgré lui. Nous sommes un pays qui s?est construit dans l’intégration de nos territoires, de nos particularités ; c’est une caractéristique profonde de notre histoire. Il nous faut un imaginaire de la France telle quelle est et refuser l’identité à racine unique. Le dernier point est la question de l’idéal. Nous avons en face de nous ce que Charles Péguy appelle le monde moderne : un monde où l’on ne croit à rien, pas même à l’athéisme, le monde de ceux qui n’ont pas de mystique. Or dans nos parcours, nous avons eu besoin d’aller au-delà de nous-mêmes. Derrière cette question, c’est le spirituel de l’engagement et le besoin d’aller vers l’autre qui est en jeu qu’il faut retrouver et partager avec la jeunesse. Une pause pour échanger en petits groupes de proximité autour de cette première partie Le réel de l’utopie. Contre le présentisme, contre les crispations identitaires, contre le goût de la concurrence et le profit immédiat, comment retrouver le réel de l?utopie ? Notre république est déclarée démocratique et sociale ; il aura fallu un siècle pour que les démo socs (démocrates et socialistes) l’obtiennent. La question démocratique est indissociable de la question sociale. Edwy Plenel, évoquant son actualité, rappelle son admiration pour le Maitron (dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français créé par Jean Maitron, 76 volumes), véritable instrument d’émancipation car elle raconte la victoire des vaincus qui sont porteurs d’espérance. C’est chez les vaincus qu’on trouve une flamme qui va ré enchanter le futur. Dans le Maitron, Il y avait la volonté de raconter l’histoire d?itinéraires pluriels à hauteur d’humanité, en dehors de l’Histoire officielle. A la suite d’une collaboration avec les éditeurs actuels, l’écriture d’un ouvrage « voyage en terre d’espoir » s’est imposé qui sortira prochainement. Le propos est de montrer comment se libérer du 20ème siècle et de ses chagrins : la social-démocratie et le stalinisme. Il nous faut retrouver la jeunesse de cette scène originelle lorsque ces idéaux originaux n’étaient pas encore saisis par l’esprit de système. Retrouver les mots dans leur sens premier et relever cette histoire ancienne pour lui redonner sa vitalité et sa force. La révolution numérique crée un rapport à un monde sans frontière, un monde partagé, d’échanges. C’est un imaginaire d’horizontalité que nous pouvons utiliser. Face aux néo conservateurs, il y a aujourd’hui à reprendre ce flambeau essentiel de l’idéal démocratique dans sa radicalité. Un deuxième levier pour le réel de l’utopie s’appuie sur la place des minorités. Ce sont elles qui ont toujours fait bouger les lignes car lorsqu’on est dominé, on a toujours besoin de se regrouper pour créer un rapport de force. Nous devons faire du nous avec des je et retrouver le chemin du collectif : ce qui importe, c’est ce que nous ferons ensemble. Le troisième levier, c’est cette nécessité d’aller au-delà de soi, cette recherche de l’élévation car nous avons besoin d’un horizon ; c’est un enjeu de pédagogie populaire essentiel. Nous ne sommes pas naïfs, la catastrophe peut arriver, que les civilisations s’effondrent par méconnaissance de leurs fragilités, par délire de puissance. Et que nous reste-t-il ? à parier sur l’improbable, l’inattendu ; à être au plus proche du terrain pour libérer le potentiel qui existe dans le peuple. En conclusion, deux phrases fétiches car la politique a besoin de poétique. On ne fait pas la leçon à un raciste, on ne le punit pas mais on l’entraine à se dépasser lui-même, à sortir de ses crispations par un imaginaire supérieur et libérateur. « Marcheur, il n’y a pas de chemin. Le chemin se construit en marchant. » (Machado). « Tenter, braver, persister, persévérer, être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voilà l’exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les électrise » Les Misérables, Victor Hugo. Synthèse et clôture du colloque Dans la synthèse qui suit, Maria-Alice Médioni reprend le fil du colloque en soulignant que c’est un élan extraordinaire qui a permis cette rencontre autour des utopies Dans des lieux improbables, se construisent des possibles comme en témoignent les films projetés en matinée. Les différents intervenants ont rappelé la place importante des pédagogues dans la Cité et la place de l’Education Nouvelle comme rempart à la barbarie. Le pédagogue est condamné à l’utopie, à préférer la fraternité à la compétition à condition que la fraternité ne se résume pas à la compassion comme lot de consolation. Idée familière au GFEN qui défend l’idée que la démocratie se construit au sein même de la construction des savoirs et que les ateliers proposés ont permis de faire vivre aux participants. La parole des différents partenaires est soulignée comme complémentaires de l’engagement du GFEN dans une visée émancipatrice. La dimension politique est plus que jamais nécessaire en pédagogie comme l’a démontré Edwy Plenel mais aussi Franck Lepage dans sa formidable conférence gesticulée qui, au-delà de l’exagération du propos, nous invite à nous engager contre le projet de démantèlement de l’école de l’Union Européenne et déclare en déployant son parapente « sur votre souffle j’avancerai ». Rendez-vous est pris pour les prochaines dates du GFEN Lyonnais, du secteur Langues du GFEN, du GREN afin de poursuivre ces utopies. Le texte de synthèse sur le site du GFEN Lyonnais Jacqueline Bonnard
8ème UE du secteur Langues. Réussir en langues…Savoirs, gestes et situations à construire 4 septembre 2016 Jacqueline Bonnard Réussir en langues… Savoirs, gestes et situations à construire, telle était la thématique de cette université qui s’est déroulée comme à l’habitude dans l?école Jean Moulin de Vénissieux, en présence 80 participants sous une chaleur estivale. L’introduction de Maria-Alice Médioni pose les objectifs de ces journées : travailler à ce que réussir veut dire aussi bien pour l’apprenant que pour l’enseignant et le formateur. « Le plaisir du déplacement associé à la réussite ». Elle remercie les intervenants : Jean-Paul et Marie-Françoise Narcy-Combes, didacticiens des Langues qui souhaitent participer à l’intégralité de cette Université d’été. Journée 1 : Le défi, la prise de risquesPour débuter une même démarche à vivre pour tous, en quatre langues différentes : Atelier chansons. Les participants se répartissent en fonction de leur langue de prédilection. A partir d’une situation insolite, il s’agit de mettre l’imaginaire en jeu pour aboutir à l’écriture d’une chanson présentée lors du concert. Encore faut-il s’entendre sur ce qui caractérise une chanson : texte court, des rimes, des couplets, mémorisable, du rythme, de la musique, un refrain, création et poésie, pas forcément chanté. Individuellement, chacun choisit dans une banque de slogans publicitaires des fragments de phrases qui plaisent ou qu’on a envie de garder : première écriture de ce qui deviendra peut-être un succès! Affichage, collecte de trouvailles, textes retravaillés. Alternant phases individuelle et collective, chaque groupe produit un texte à chanter et scénariser : défi relevé lors du concert annoncé ! Mais sont-ce des chansons ? Un retour sur la première affiche permet de s’en assurer. Si l’on se projette en classe, comment lever les malentendus autour de cette situation d’apprentissage auprès des élèves, des parents ? Le jeu de rôle qui suit permet de réunir les points de vue des différents acteurs : élèves de la classe, parents, enseignant. Des pistes sont listées : rappeler les objets d’apprentissage, revenir sur les différentes étapes du processus de création, installer un retour réflexif à l’issue de la démarche pour lister ce qu’on a appris, socialiser les textes produits (recueil ou exposition). L’analyse de ce premier atelier a permis d’en fixer les étapes, la posture de l’enseignant en fonction des attendus, les apprentissages visés, l’intérêt de mettre en place une situation qui installe un collectif d’apprenants. Jour 2 : Réussir et comprendre : action, conceptualisation et vice et versa Quatre ateliers en parallèle, le matin. Connaissez-vous Ramon Llull ? propose de faire découvrir une des « figures-phare » de la culture catalane, entre mythification et oubli. « Double indemnity » [Assurance sur la mort] s?appuie sur les films noirs d’avant-guerre pour ouvrir la curiosité à ce genre de film policier, contrepoint au cinéma étasunien d’aujourd’hui où action se conjugue avec violence. Un troisième atelier interroge la liberté d’expression en classe de langue : apprendre à argumenter et prendre de la distance sur un sujet complexe. Arrêtons-nous sur l’atelier plurilinguisme en maternelle. Réussir et comprendre pour le groupe, c’est quoi ? Si réussir semble faire consensus (atteindre un objectif fixé), comprendre revêt différentes réalités : donner un sens à une situation, s’approprier les notions associées à la situation par exemple. Mais chacun admet que la compréhension ne suffit pas toujours pour réussir. Dans toutes les cultures, l’endormissement du tout petit s’accompagne d’une berceuse. Qu’est-ce qu’une berceuse ? Laissons-nous aller à voyager dans l’espace et le temps. 7 extraits musicaux chantés, parlés, rythmés, balancés où l’on découvre que berceuses et comptines se jouent de notre compréhension et nous obligent à en reconstruire le concept (pas si simple). C’est pourtant une approche intéressante pour une situation multilingue à l’école maternelle dans le cadre de l’éveil à la diversité linguistique préconisé dès la moyenne section par le programme d’enseignement de l’école maternelle. Cette activité permet à l’enfant de prendre conscience que la communication peut passer par d’autres langues que le français. Deux activités filmées en classe montrent que de jeunes enfants sont capables de percevoir des similitudes entre des extraits chantés dans différentes langues. Quatre ateliers en parallèle l’après-midi. Ce qui caractérise les universités du secteur langue est cette invitation au voyage, à la découverte d’univers faits de sons et de rythmes à la fois étrange(r)s mais en même temps si proches lorsqu’on accepte de s’ouvrir à l?autre. « Rapa Nui, un camino de gigantes » [un chemin de géants] nous propose un voyage vers l’île la plus isolée du monde. Un autre atelier propose de comprendre le fonctionnement du chinois en enclenchant un processus créatif et poétique autour d’une comptine Lundi, mardi. Et que dire de l’univers de Pina Bausch, la grande chorégraphe allemande : « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus ». Danse théâtralisée ou théâtre dansé ? Sur les images affichées, le tanztheater se joue des registres et des codes et semble s’appuyer sur les pulsions du corps humain : une occasion pour renouer avec un vocabulaire autour des émotions et des sentiments qui s’affiche progressivement sur les panneaux d’affichage. Qui a vu l?introduction du film d’Almodovar « Parle avec elle » comprend l’importance du mouvement dans le concept de « danse-théâtre » selon Pina Bausch. Chaque groupe tire au sort un sentiment puis s’essaie à un mouvement collectif en six temps pour l’exprimer : prise de risque pour le néophyte mais jubilation à la découverte par les autres groupes du sentiment exprimé. Dans une autre salle, on planche sur questions et questionnements. Suffit-il de poser des questions pour (se) questionner ? En langue étrangère comme ailleurs, s’interroger sur cette pratique en classe oblige à en cerner la pertinence et les conditions à mettre en place pour qu’il y ait une réelle construction de savoir. Jour 3 : Pédagogie explicite ou appropriation de connaissances ? Le matin. Intervention de Jean-Paul Narcy-Combes : Réussir, Vous avez dit réussir ? Réflexions sur ce construit en didactique des langues. Réussir est un construit social qui reste très ambigu en psychologie. S’appuyant sur les représentations des participants (réponses à un questionnaire remis en jour1), Jean-Paul Narcy-Combes relève une certaine homogénéité : la réussite renvoie à l’accomplissement de la personne qui réalise une tâche. Il ne suffit pas d’atteindre l’objectif visé, il faut oser interroger le monde et transformer tout problème en réussite, dépasser les obstacles et aller au-delà de ses capacités. C’est un certain regard sur la vie loin d’être majoritaire dans notre société : les présents à l’UE ne sont pas là par hasard ! Mais réussir en langues ? Majoritairement les réponses montrent qu’on a beaucoup de mal à se projeter autrement qu’enseignant : arriver à communiquer de manière autonome, c’est à la fois compliqué et contradictoire. Au mot autonome, les anglo-saxons préfèrent celui de responsable. J-P Narcy-Combes propose de laisser tomber le terme de locuteur natif : la communication s’appuie sur un jeu de projection extraordinaire, elle suppose un bagage linguistique à retravailler ou remplacer. On n’accède à la pensée que grâce au langage. Tout dans notre corps se passe par liens neurophysiologiques mais il y a rupture entre notre corps et ce qu’est la pensée. Contrairement à l’ordinateur l’humain est à la fois le hard et le soft : apprendre se construit en faisant et on ne peut pas dissocier la langue du contenu. D’où l’importance de la psychologie lorsqu’on aborde la communication car comprendre celui qui réagit prévient les situations violentes : l’intensité d’une réaction n’est justifiée que par ce que nous sommes et ce en quoi nous croyons. Quels fondements théoriques ? Les travaux scientifiques montrent que ce sont nos émotions qui déclenchent la cognition et génèrent nos comportements. La neurophysiologie est universelle mais psychologiquement, il n’y a pas deux individus identiques. Si nous fonctionnons par analogie, la pensée humaine est avant tout métaphorique et la métaphore est ennemie de la science. On produit une langue lorsqu’on codifie ; la norme permet l’écrit, ce qui n’est jamais neutre et nécessite de s’interroger sur l’intentionnalité et la façon dont la connaissance est distribuée. Quelle place de l’enseignant de langues ? C’est un métier de passeur de culture. L’après-midi. Quatre ateliers en parallèle Au GFEN, on dit qu’expliquer empêche de comprendre. Mais quelles situations mettre en place pour que l’apprenant s’approprie les savoirs visés tout en développant sa capacité à se penser apprenant ? L’atelier Faites vos jeux ! La consigne : donne, passe et gagne ! s’attaque aux gestes professionnels pour construire et transmettre des consignes de façon pertinente à travers des dispositifs de communication variés. Dans une salle voisine, on s’interroge sur l’auto-socio-construction dans tous ses états et comment la penser au quotidien dans la classe et dans la formation, dans une perspective de mise en activité intellectuelle du sujet en interaction avec les objets de savoirs et ses pairs. Apprendre est une invitation au festival des erreurs : l’erreur ennemie ou alliée ? Impasse ou tremplin ? Humaine seulement ? S’agit-il de mettre en place une pédagogie explicite ou de rendre explicite les apprentissages vécus ? L’atelier Les journaux de bord et portfolios propose une réflexion sur la mise en place d’outils dont les noms nous sont familiers mais dont les usages sont assez peu répandus dans les classes. Dans un premier temps, à partir d’un Q-sort s’appuyant sur dix propositions, chaque groupe élabore une définition de « journal de bord » et « portfolio ». Après confrontation de points de vue, des affiches sont élaborées mettant en avant les éléments importants retenus. Pour le journal de bord : ce que j’ai appris et comment ? outil personnel de suivi, mes réussites et les obstacles rencontrés, base d’un dialogue élève/professeur. Pour le portfolio : ce dont je suis capable, recueil de productions ou réalisations, outil personnel d’autoévaluation en termes de savoirs et savoir-faire. La limite est parfois ténue entre journal de bord et portfolio comme en témoigne l’étude d’outils élaborés et mis en ?uvre par des collègues. L’important semble moins d’établir une grille d’items à cocher au fur et à mesure des activités que d’installer une attitude réflexive chez l’apprenant pour rendre explicite ce qui est en travail en termes de savoirs et de processus d’appropriation des connaissances. Ce sont deux outils qui, utilisés avec souplesse, permettent de sortir du contrôle externe des acquis par l’expert pour installer une évaluation formative par une interaction entre l’enseignant, l’élève et ses pairs, gage d’une régulation des apprentissages par l’apprenant lui-même. L’échange qui a suivi a ouvert quelques pistes de mise en ?uvre dans différents degrés d’enseignement ainsi que la nécessité d’une analyse collective et régulière de ces pratiques. Jour 4 : Le travail personnel : développement de l’apprenant et accompagnement par l’enseigant, le formateur. On parle beaucoup du travail personnel de l’élève mais pour autant tout le monde y met-il le même signifiant ? Quand et comment accompagner l’élève dans le travail requis dans et hors la classe ? Quatre ateliers. Deux ateliers sur le travail personnel dont un animé par Marie-Françoise Narcy-Combes où il s’est agi de définir sa place dans le développement personnel des élèves. L’accent a été mis sur la complexité des apprentissages : exposition aux différents types de discours, nécessité d’interactions et actions, entraînement, métaréflexions. Tout apprentissage permet un développement cognitif et langagier qui s’opère dans un environnement socio-culturel. L’usage des TIC peut-il favoriser le travail personnel de l’élève ? L’apport des outils connectés instaure une nouvelle posture tant du côté du formateur que de l’apprenant : l’accessibilité à l’information est exponentielle. Pour autant l’acquisition de savoir ne s’en trouve pas toujours facilité et c’est en classe qu’il s’agit de structurer ce qui est en travail. L’exercice de l’esprit critique et la mise à distance d’une information si rapidement offerte sont nécessaires à une conception cohérente du monde. Le deuxième atelier portait sur les gestes de l’étude à construire : quels attendus des différents acteurs concernés ? qu’est-ce qui permet ou pas la construction des gestes de l’étude ? Après avoir répertorié les différents lieux et types d’activités associés aux gestes de l’étude, les participants ont été amenés à lister ce qui peut faire empêchement à la construction des gestes de l’étude ou au contraire donner du sens aux devoirs. Quelques exemples pour installer ces gestes : point-méthode en classe (temps de réflexion personnelle puis échanges sur les stratégies de mémorisation), travail en projet, cahier d’exercisation (travail individuel à la maison avec corrigé pour vérifier un point de grammaire ou de conjugaison). Des pistes à creuser pour accompagner et faire en sorte que tous s’approprient ces gestes : casser le mythe de l’enseignant tout-puissant, permettre le choix des travaux à réaliser, susciter des temps d’entre-aide entre élèves, créer le besoin chez l’élève pour qu’il se questionne. Un troisième atelier proposait de découvrir différentes approches, stratégies et outils à l’école primaire pour apprendre à mémoriser efficacement en classe de langues à partir de cinq activités langagières du CERCRL à un niveau A1. Dans une période où la formation à distance devient prégnante, une réflexion sur les dispositifs hybrides se devait d’être là. A partir d’un dispositif mis en place à l’université Lyon2, l’articulation entre présentiel et non-présentiel a été abordé de même que l’accompagnement du travail personnel de l’apprenant dans ce type de formation. En clôture de cette université, Maria-Alice Médioni pose à nouveau la question de la réussite au regard des travaux de ces quatre jours. « Il n’y a que dans le dictionnaire que réussite vient avant travail » écrit le journaliste Pierre Fornerod. L’intention ne suffit pas pour apprendre, ni pour réussir. Il faut également du travail personnel et collectif de type intellectuel, des modalités de travail, un travail réflexif et de compréhension, de la régularité et de la constance. Oui, apprendre demande un effort intellectuel intense mais tous les efforts ne paient pas et il y a nécessité d’un accompagnement, de régulation. Pour accepter de changer, il faut y trouver un bénéfice et apprendre de ses erreurs suppose qu’on soit entraîné à le faire : le moteur de la réussite, c’est tout de même la réussite ! Mais il y a des formes de réussites qui sont des renoncements, voire des reniements, pour se plier à un système. Pour nous, la réussite ne consiste pas à se conformer mais à se former au travail intellectuel. Faut-il la considérer comme l’atteinte d’un objectif fixé ou comme recherche du dépassement ? Est-elle légitime quand elle consiste à écraser l’autre ? Il est primordial de se poser la question des valeurs à travers la réussite à l’école. Au mot réussite il faut associer le mot courage : courage du commencement, courage de se tromper, courage de faire et de refaire, courage de la prise de risques ; ce qui nécessite l’installation d’un cadre sécurisant. Si réussir, c’est résoudre des problèmes difficiles, c’est surtout ouvrir des possibles. Si l’ambition est « l’épopée de soi » (Vincent Cespedes), avoir de l’ambition pour tous est une exigence de justice sociale. Mais ce reportage serait incomplet sans l’annonce de la sortie du dernier ouvrage collectif du secteur Langues : Débuter en Langues chez Chronique Sociale. en savoir plus Il le serait également sans les remerciements à David et son équipe pour l’organisation sans faille de l’accueil et de la restauration : convivialité qui installe ce cadre sécurisant propice à toute réussite ! Jacqueline Bonnard photos : Jacqueline Bonnard et Eddy Sebahi Lire les documents de l’UE sur le site du secteur Langues
Colloque « Quelles utopies pour aujourd’hui ? », 16-17-18 septembre 2016, Villeurbanne 31 août 2016 Jacqueline Bonnard Colloque à l’initiative du GFEN Lyonnais, secteur Langues du GFEN, GREN « Quelles utopies pour aujourd’hui ? » 16-17-18 septembre 2016 TNP Villeurbanne Présentation et programme (pdf) Inscription et informations complémentaires sur le site du GFEN Lyonnais Avec les interventions de Jean Houssaye, Philippe Meirieu, Franck Lepage, Edwy Plenel et les membres du GFEN et du GREN. Ce colloque se donne pour objectif : de réfléchir à comment une autre éducation peut contribuer à l’ouverture des esprits, à la solidarité, à la culture, à la construction d’une aventure humaine commune ; de proposer des pistes concrètes pour échapper aux pseudo-évidences qui ne sont que des empêchements à penser, des fers qui bloquent l’action. Il s’agira de réfléchir à ce que signifie former les esprits, ce qui est la mission de l’éducation, mais pour les former au questionnement, à la divergence, à la résolution de problèmes, à la recherches de solutions, à la création, aux rêves, que l’on fait advenir ensemble. *** Dans l’attente de la diffusion de compte-rendus plus détaillés, de la synthèse, vous pouvez visionner les captations vidéos des interventions :http://www.youtube.com/playlist?list=PLWfpjXQlhDZkEfBO2VnF4LTc5ynFzjcJR
Quand l’ESPE s’ouvre aux associations complémentaires de l’école 10 juin 2016 Jacqueline Bonnard Depuis trois ans, sur l’académie d’Orléans-Tours, les associations complémentaires de l’école* se sont constituées en collectif sous l’égide du CAPE national. En concertation avec le directeur de l’ESPé, une journée animée par les militants des différents mouvements d’éducation populaire et d’éducation nouvelle a été proposée à 350 étudiants MEEF2 du 1er et du 2nd degré. Intégrée au tronc commun de la formation, cette journée portait sur La place du projet, le travail d’équipe et la dimension partenariale au service de la réussite de tous. Une journée minutieusement préparée Lors de la rencontre avec le directeur de l’ESPE Val de Loire, une trame de l’action a été proposée avec les objectifs de formation associés. Il a été convenu que la journée suivrait le même schéma directeur sur les six sites que compte L’ESPE. L’académie étant très étendue, il a été décidé de faire en sorte que les représentants locaux des différentes associations encadrent cette journée. A partir du cadre décidé sur le plan académique, sur chaque site des équipes se sont constituées autour de deux référents pour proposer des ateliers permettant la découverte de la diversité d’un tissu associatif local aux valeurs communes : coopération, émancipation par le savoir, principe d’éducabilité, pédagogie du projet. La plupart du temps, ces ateliers étaient co-animés par deux associations permettant une complémentarité de points de vue et/ou d’approches. L’exemple de la journée du site de Tours A chaque fois, un représentant national d’une association proposait un apport théorique sur la co-éducation. L’intervention de Jacques Bernardin à Tours: Pour une nouvelle donne éducative Sur chaque site une réunion avec le directeur de l’établissement a eu lieu ainsi qu’avec les responsables de filière le souhaitant. Cette réunion a permis d’aborder les aspects matériels de cette journée de formation, les modalités d’inscriptions aux ateliers. Rencontres intéressantes qui ont permis d’établir des liens et des perspectives de collaboration pour les années suivantes. Pour chaque site, le directeur fut présent à l’accueil ; des formateurs de l’ESPé ont participé aux ateliers. Le bilan des stagiaires A l’issue de chacune des journées, un questionnaire (trois questions ouvertes + une question fermée) a été proposé aux participants. Une très grande majorité des étudiants ont jugé cette journée intéressante voire très intéressante. Ils ont marqué leur étonnement en découvrant la diversité des associations partenaires de l’école, les valeurs affichées, le partenariat possible, l’apport pédagogique des ateliers proposés. Ils ont proposé des aménagements pour les années à venir : calendrier de ces journées, la durée de cette formation, les interactions possibles. Beaucoup d’échanges informels avec les animateurs d’ateliers et des contacts pour la suite. Chacun de ces bilans a été envoyé aux directeurs de site, aux animateurs des ateliers, au directeur de l’ESPE Centre Val de Loire. Des effets inattendus La préparation décentralisée a permis aux différentes associations de se rencontrer localement autour de ce projet et de renforcer les liens en organisant la co-animation. Si la trame de la journée était commune, les ateliers se sont construits en fonction des compétences locales. Et ce sont environ 60 animateurs locaux qui se sont investi sur les différents ateliers, créant ainsi un maillage sur l’ensemble de l’académie et une mise en réseau des militants associatifs. Cette lisibilité de l’action du CAPE intéresse aujourd’hui d’autres partenaires comme CANOPE sur Tours ou les DDEN sur Orléans. Et l’année prochaine ? Avant même d’avoir tous les bilans de ces journées, Monsieur COMBACAU, directeur de l?ESPE Centre Val de Loire, nous a proposé une réunion bilan de cette action afin d’envisager sa reconduction l’an prochain. Jacqueline Bonnard * La coordination du CAPE académique Orléans-Tours est assurée par le GFEN37 (Jacqueline Bonnard). Une plaquette de présentation a été élaborée.
Spinoza à Aubervilliers : Le projet « Thélème/l’Anthropologie pour tous » du lycée Le Corbusier 3 juin 2016 Jacqueline Bonnard Ce texte est né de la rencontre entre une idée et une expérience, que je voudrais lire à la lumière de Spinoza. L’idée, qui me tenait depuis les attentats de janvier 2015, est la suivante : l’Ecole de la République ne peut pas vouloir faire adhérer les élèves aux valeurs de la République et de la laïcité si elle ne leur garantit pas de leur permettre de « développer leur puissance de penser et d’agir ». La formule vient de Spinoza, et je pense que nous serions beaucoup mieux armés pour penser et mener une éducation émancipatrice, ET pour défendre les « valeurs de la République », si nous étions un peu plus spinozistes et un peu moins kantiens. L’expérience, c’est celle du projet « Thélème / l’anthropologie pour tous » mené au Lycée Le Corbusier d’Aubervilliers, par un groupe de professeurs, Catherine Robert, Damien Boussard, Valérie Louys et Isabelle Richer, qui a débouché à la fois sur une audition au CESE dans le cadre de la saisine « une école de la réussite pour tous » en février 2015 et sur un colloque que les professeurs et les élèves de ce projet ont organisé le 6 juin 2015. Développer la puissance de penser et d’agir, c’est exactement, à mon sens, ce que fait le projet Thélème et c’est pour cette raison que nous avons voulu qu’il soit présent au stage du GFEN-philo sur la laïcité en août 2015 . C’est aussi pour cette raison que je voudrais ici expliciter pourquoi ce projet me semble exemplaire de ce que peut faire l’école quand elle ne se résigne pas, quand elle prend à bras le corps la question de la démocratisation scolaire et de la laïcité. En effet, il ne sert à rien de proclamer, comme le fait inlassablement Henri Peña-Ruiz, par exemple, que les professeurs sont des « fonctionnaires de l’universel » qui s’adressent à l’universel en chacun de leurs élèves par-delà leur singularité et leurs particularismes, si l’école n’est pas d’une part le lieu où les particularismes se travaillent dans le sens de la découverte de ce qu’il y a d’universel en eux, et d’autre part le lieu où la singularité de chacun est autorisée, et effectivement amenée, à se développer. Or dans l’état actuel de l’école républicaine, ce sont les inégalités qui se renforcent : les élèves des milieux populaires sont, majoritairement, assignés à résidence dans les filières de relégation, et les élèves « issus de l’immigration » sont assignés à résidence dans leurs « cultures d’origine » (comme le dit souvent Saïd Bouamama, jusqu’à combien de générations est-on « issu de l’immigration » ?). Double peine pour des élèves qui sont souvent les deux (pauvres et « issus de l’immigration »). Après les attentats de janvier, quelle a été la réaction de l’institution ? Demander que les établissements scolaires « organisent une minute de silence, et créent des espaces d’échanges et de débat » ; organiser « la mobilisation de l’Ecole pour les valeurs de la République » (Najat Vallaud-Belkacem et Manuel Valls, à la Sorbonne le 9 février 2015), et autour de la laïcité, par la formation de 1000 formateurs chargés de former 300 000 enseignants à la « transmission des valeurs républicaines ». Mettre en avant l’Enseignement Laïque du Fait Religieux (ELFR) et l’Education Morale et Civique (EMC). Soit. Mais aussi, s’indigner (je ne parle même pas des réactions de la droite…) lorsque quelques élèves refusaient de faire la minute de silence, ou posaient des questions « insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école qui est chargée de transmettre des valeurs » (dixit N. V-B, le 14 janvier à l’Assemblée Nationale)…. Bref, alimenter le ressentiment en niant la fonction éducative de l’école, car où les élèves pourraient-ils poser ces questions et espérer qu’elles soient entendues et discutées de manière sereine, sinon à l’école ? Mais aussi, chercher à fermer le débat sur la définition même de la laïcité, parce que cela entretiendrait des confusions (« les adultes doivent parler d’une seule voix, il est perturbant d’entendre qu’il y aurait différentes définitions de la laïcité » N. V-B, allocution d’ouverture de l’Université d’été de l’ESPE Lyon, juillet 2015, Henri Peña-Ruiz reprenant cette idée dans son discours de clôture de cette même UE : « il faut arrêter d’adjectiver la laïcité »). Au passage, notons l’incohérence qu’il y a à déclarer inopportun et néfaste le débat sur la laïcité alors même que les instructions officielles concernant l’ELFR et l’EMC prescrivent que le débat en sera la pratique pédagogique principale… je ne peux pas m’empêcher d’y voir l’aveu qu’il y a là beaucoup de faux-semblant, d’inconscience et de méconnaissance des réalités. A rebours de cela, le projet « Thélème / l’anthropologie pour tous » a choisi une autre voie, en toute conscience, et opère toute une série de déplacements, qui font toute la différence.(…) Télécharger le texte complet Nicole GRATALOUP GFEN secteur philo Le projet « Thélème/ l’Anthropologie pour tous » Le Colloque « L’anthropologie pour tous », le 6 juin 2015 à Aubervilliers. lire Les actes du colloque. lire Deuxième colloque « Anthropologie pour tous », le 14 novembre 2015 à Aubervilliers. lire Nouveau Colloque « Les voix de l’optimisme », « Anthropologie pour Tous », 15 avril 2016, au lycée Blanqui à Saint-Ouen. lire
La natation de demain, une pédagogie de l’action. Raymond CATTEAU 17 avril 2016 Jacqueline Bonnard Un outil au service des formateurs et entraîneurs Nouvelle édition, revue et augmentée, éditions ATLANTICA, 2015. 230 pages, 24,90 euros Introduit par trois préfaces émanant de cadres techniques de la natation française, l’ouvrage se veut au service des formateurs et entraîneurs. Mais chacun peut y trouver des ressources utiles pour peu qu’il s’intéresse à la natation bien sûr, mais également aux situations d’apprentissage à privilégier dés lors que le milieu dans lequel l’apprenant évolue lui paraît suffisamment étrange, voire étranger. Car il ne faut pas s’y tromper, c’est avant tout la pédagogie de l’action qui est privilégiée dans le propos de Raymond Catteau car « transmettre la compétence ou l’expertise par des discours, verbaux ou écrits, se révèle toujours inopérant ». Pour apprendre à nager ou enseigner la natation, faites d’abord un peu de physique et de mécanique pour appréhender les caractéristiques des milieux terrestre et aquatique afin de comprendre ce que l’être humain doit surmonter et modifier dans sa motricité pour passer de l’être terrien « vivant sur un monde essentiellement hétérogène , peuplés d’êtres et d’objets » à un être aquatique capable de se mouvoir dans un milieu homogène qui oblige à revoir la façon de se mouvoir, se propulser. Apprendre à nager n’est pas chose facile lorsqu’inconsciemment, le néophyte tente d’adapter sa posture de terrien à ce nouveau milieu en maintenant les voies respiratoires et la tête hors de l’eau ce qui induit une verticalité du corps susceptible de gêner la nage. Certains diront que pour apprendre à nager, il suffit d’abord « d’apprendre les mouvements » comme l’ont fait les générations antérieures, au bord des bassins « où l’on a pied »… pour prendre confiance. Mais comme on n’apprend pas de mouvements pour apprendre à marcher, Raymond Catteau soutient que les systèmes de mouvements se coordonnent à partir de situations à résoudre par l’action et l’expérience du sujet. C’est le mobile (apprendre à nager) qui pousse l’individu à réunir les mouvements aux cours d’expériences répétées et analysées qui permet au nageur de se construire et passer progressivement d’une « organisation terrienne » à une « organisation aquatique ». Comme pour la marche, on note des structures de fonctionnement que l’apprenant doit successivement remettre en cause s’il veut progresser pour devenir un nageur performant. Quatre parties dans cet ouvrage La première est consacrée à la natation. Après avoir présenté un historique montrant que, dès l’Antiquité, la natation est présente dans les activités humaines, l’auteur pointe la progressive accession pour tous à la pratique de la natation. Il décrit ensuite les différents types de nage et cette faculté des bébés à explorer le milieu aquatique et s’y mouvoir sans appréhension. La deuxième partie aborde la culture natatoire. Il s’agit là de la connaissance des nages (structure et fonctionnement) : nages alternées (crawl et nage sur le dos) et nages simultanées (nage papillon et brasse). A chaque fois, on décrypte la posture, les gestes du nageur avec photos et illustrations à l’appui. La troisième partie propose une mise oeuvre didactique « pour devenir nageur et toujours meilleur nageur ». Cette mise en oeuvre se base sur la pédagogie de l’action et le processus de construction. Trois états pour le corps en milieu aquatique : le corps flottant, le corps projectile, le corps propulseur. Pour chaque état, on étudie successivement les aspects physique, physiologique, psychologique, pédagogique. Dans la quatrième partie, la mise en oeuvre pédagogique s’appuie sur les six niveaux de l’action décrits en partie 1, en reprenant les trois thèmes précédents : corps flottant, corps projectile et corps propulseur. L’auteur propose une suite d’objectifs intermédiaires à atteindre et chacun d’eux à travers une succession de tâches. Des annexes très fournies complètent cet ouvrage pour permettre au lecteur de connaître les références et options philosophiques de l’auteur dont Henri Wallon, Robert Mérand, Jean-Pierre Astolfi, Gaston Bachelard, Aurélien Fabre. Jacqueline BONNARD
Bernard REY : pas de compétences sans savoir et inversement 13 avril 2016 Jacqueline Bonnard « Enseigner aujourd’hui à l’aune des compétences » Conférence du 16/03/2016, école Saint Exupéry, Tours Invité par le GFEN37, Bernard REY* a tenté d’éclaircir la notion de compétence et les effets d’une approche par compétences dans la sphère scolaire. Sans esquiver le débat autour de la question : « entre savoirs et compétence faut-il choisir ? « , il pointe la spécificité des tâches proposées en milieu scolaire et des réponses souhaitées qui déroute plus d »un élève et en particulier ceux qui sont éloignés des attendus de l »école. Plan de l’intervention Notion de compétence et son incidence sur les apprentissages. – Généralités – Le problème didactique et pédagogique que pose l’acquisition de compétences – Comment peut-on amener les élèves à acquérir des compétences ? 1 – Introduction La notion de compétence en éducation a surgi en Belgique à la fin des années 90 mais déjà en juin 1989 la loi Jospin introduit un référentiel des compétences pour les cycles de l’école maternelle et primaire. La notion réapparait en 2006 avec le premier socle commun (une nouvelle version est prévue pour la rentrée 2016). Dans l’univers scolaire, on peut faire l’hypothèse que dans beaucoup de pays, on se préoccupe du lien entre ce qu’on apprend à l’école et l’usage qu’on en fait dans la vie. En 2000 au Québec, face à un décrochage scolaire massif, on tente une approche par compétences. On peut cependant se poser le problème du risque de l’abandon de l’accès aux savoirs. Faut-il choisir entre compétences et savoirs ? Ils ne sauraient s’exclure : il n’y a pas de construction de compétence sans savoirs associés. 2 – Généralités Définition de la compétence Compétence : possibilité qu’a un individu, dans un domaine donné, d’accomplir des tâches dans ce domaine. Etre compétent c’est quand, pour aborder une tâche nouvelle, l’apprenant s’appuie sur des ressources qu’il a déjà apprises. C’est la nécessité de mobiliser à bon escient des connaissances et des procédures. Une procédure : c’est un acte qui peut s’automatiser en s’entraînant : technique opératoire ; construire une phrase interrogative en anglais. savoirs/connaissances savoir-faire/capacité savoir-être/attitude Pour être compétent dans un domaine il faut dans ce domaine des connaissances et des savoir-faire (procédures). Dans une tâche nouvelle, il faut savoir mobiliser ses connaissances et savoir-faire. C’est « un nouveau nom » sur un problème classique de l’école : le transfert des acquisitions. La notion de compétence pointe l’attention sur ce problème pédagogique : réinvestir les acquis dans une tâche complexe. Tâche complexe : tâche qui implique la maîtrise de plusieurs connaissances et procédures pour la réaliser. Ce n’est pas forcément une tâche compliquée (ex : la production d’écrit) Il y a des actions qui sont des compétences en début d’apprentissage (lire un mot au CP : reconnaissance des lettres, combinatoire) puis au fil de l’apprentissage de la lecture, lire un mot devient une procédure. L’enseignement ne consiste pas seulement à acquérir des connaissances et des procédures : on renoncerait alors à donner aux élèves une autonomie de pensée. Dans l’enseignement il se produit une discrimination entre ceux qui réussissent ou pas à utiliser les connaissances et procédures connues pour accéder à une nouvelle tâche. Les enjeux pour les apprentissages 3 – Le problème didactique et pédagogique que pose l’acquisition de compétences Comment amener les élèves à mobiliser à bon escient leurs connaissances et les procédures acquises? Le problème est de faire accéder à une certaine autonomie intellectuelle (en opposition avec le dressage). C’est un acte décisif qui dépend de la manière dont les élèves interprètent ce qui leur est demandé. Dans les années 90, beaucoup de psychologues ont travaillé sur la notion du transfert. Le concept de schèmes emprunté à Piaget a aussi été exploré. Sur la même période, le concept de familles de tâches semblait très prometteur (‘Émile reviens vite, ils sont devenus fous’, Meirieu et Develay). Mais cela est incomplet. Pour que l’élève, devant un problème (math, histoire), soit capable d’aller chercher les bonnes procédures et connaissances pour le résoudre, il faut qu’il sélectionne les informations pertinentes : les bons éléments, ceux qu’on doit retenir et ceux qui sont anecdotiques et qu’il faut négliger. Ce choix, même dans une tâche élémentaire, peut provoquer des erreurs. D’où l’intérêt des chercheurs pour les moments où les élèves choisissent les données non pertinentes. De mauvaises interprétations à des problèmes posés L’individu, bien qu’il ait les connaissances et les compétences nécessaires, ne réussit pas toujours à résoudre, réaliser la tâche prescrite. Exemple 1. On demande aux élèves d’écrire un texte argumentatif sur la nécessité de ne pas gaspiller l’eau. L’un d’eux raconte qu’il s’est fâché avec son cousin qui prenait des douches trop longues. Ce faisant, il produit un texte narratif : il n’a pas considéré comme important, dans la consigne, le mot « argumentatif ». Exemple 2. Problème en classe de CE2 : « Fabien veut acheter un jeu à 12euros, il a 5 euros, combien doit-il demander à ses parents ? ». Un enfant répond « 12 » parce qu’il préfère garder son argent et demander tout à ses parents. Deux exemples de décalage du à une mauvaise interprétation du problème posé Il y a des réponses scolairement attendues Est-ce qu’il ne faudrait pas être plus explicite sur ce qui est scolairement attendu ? Il y a un implicite des tâches scolaires qui n’est pas lisible, pour tous les élèves. « L’école évalue les élèves sur des compétences qu?elle ne travaille pas. » (Bourdieu). Mais quelles sont les spécificités de la demande scolaire ? Difficile à cerner car les enseignants, inspecteurs, chercheurs sont habitués à cette interprétation qui paraît aller de soi quand pour certains élèves le problème de mathématiques est un problème relationnel car ramené à une situation familiale. 4. Comment peut-on amener les élèves à acquérir des compétences ? Caractéristiques de la forme scolaire et malentendus Trois caractéristiques : On attend que l’élève interprète la tâche ou l’action au moyen d’une grille de lecture se référant à un savoir, des connaissances, des compétences scolaires mais pas à ses émotions, au relationnel, à ses expériences personnelles, ses préférences personnelles. – Cette tâche relève de quelle discipline ? – Qu’est-ce qu’on attend de moi dans ce que l’on m’a enseigné ? On attend que l’élève pense la situation dans sa globalité, sans chercher à accrocher une procédure isolée à un mot de l’énoncé. On doit penser à l’aide des savoirs scolaires qui permettent de traiter la situation au lieu de sauter sur des données pour répondre coute que coute quelque chose, mais sans rapport avec ce qui est demandé : l’attendu scolaire est mal interprété. Le plus souvent il s’agit d’un profil d?élève obéissant, docile, qui ne pense pas par lui-même. Au moindre indice, même s’il n’est pas très sûr, il va montrer que ça, il le sait. Ces deux premiers points se rattachent aux difficultés pointées par le groupe ESCOL : certains élèves ne voient que le sens premier de la tâche (imbrication), pas le sens second celui des savoirs (secondarisation). Par exemple, faire tracer des cercles pour constater que tous les points sont à équidistance du centre signifie pour certains : savoir tracer des cercles sans « riper ». Il s’agit d’un défaut de « subjectivation » ; pour apprendre, il faut s’engager soi-même car venir dans la classe et s’asseoir ne suffit pas. Ces deux caractéristiques sont à mettre en rapprochement à ce défaut de subjectivation. La textualité des savoirs scolaires Les élèves n’expliquent pas comment ils ont trouvé car ils considèrent que : – c’est évident, – le prof le sait déjà. C’est bizarre de redire au professeur comment on a fait alors que c’est lui qui nous l’a appris. L’école attend qu’on ne s’appuie pas sur la connivence avec le destinataire ; elle demande des textes « universellement valables ». Cette universalité des écrits attendus est incompréhensible pour beaucoup d’élèves. Dans notre quotidien, nos messages se réfèrent aux gens avec qui nous les partageons, auxquels on ne réexplique pas tout puisqu’on sait qu’ils le savent déjà. C’est une spécificité du message scolaire. 5 – Dans l’échange qui a suivi les questions ont porté sur : Quand donner des tâches nouvelles et complexes ? Que doit-on expliciter ? Et les compétences transversales ? Informations et savoirs ? et Evaluer des compétences ? à partir des notes de Ginette Bien-Delajoux, Dominique Seghetchian, Jacqueline Bonnard *Bernard REY est professeur à l’Université Libre de Bruxelles. Il est l’auteur notamment des ouvrages : – Savoir enseigner dans le secondaire, éd.De Boeck 2010 – La notion de compétence en éducation et formation, Enjeux et problèmes, éd. de Boeck 2014
13ème Rendez-vous du Secteur Langues : Présentiel et distanciel 11 avril 2016 Jacqueline Bonnard Les 12 et 13 MARS 2016 à Vénissieux Pour son 13ème « Rendez-vous », le Secteur Langues du GFEN s’est proposé de travailler sur l’articulation entre présentiel et distanciel. Partant du constat que les dispositifs alternant le présentiel et le distanciel se multiplient ces dernières années, du fait du développement des outils technologiques qui le rendent possible, et d’une demande institutionnelle et sociale d’enseignement et d’apprentissage à distance, les différentes propositions du week-end avaient comme objectif d’explorer différentes modalités de travail, leur fonction, la plus-value qu’elles apportent ou pas, etc. Au Secteur Langues du GFEN, la préoccupation centrale est avant tout pédagogique, dans une perspective de lutte contre les inégalités. Les supports et les outils ne sont considérés que comme des moyens susceptibles de faciliter la mise en œuvre de situations d’apprentissage au service de l’apprentissage des langues et de la construction de la citoyenneté. Nous n’avons donc pas développé, comme d’autres groupes, une focalisation sur le numérique qui oblige à s’interroger sur les places respectives, dans notre agir professionnel, du processus d’apprentissage et de l’utilisation des machines. D’autant que la pression institutionnelle est constante et fait oublier d’autres technologies promues en leur temps et abandonnées depuis longtemps (tableau de feutre, diapositives, labo de langues, etc.) ou en voie d’abandon (TBI ou tablettes ). Nous avons donc privilégié des expériences menées par certains d’entre nous, particulièrement dans le but de les interroger et pour explorer plus particulièrement l’articulation entre le présentiel et le distanciel dans ce qu’elle a d’incontournable aujourd’hui. Les deux ateliers du matin ont concerné le travail mené avec des partenaires hors de la classe. Comment mener une enquête et en partager les conclusions quand on est apprenant d’anglais en France, en Espagne et au Danemark ? Que faire ensemble quand on se retrouve entre correspondants français et allemands ? Quelle plus-value peut apporter un dispositif comme eTwining dans le premier projet ? Quelles situations en présentiel peuvent enclencher, dynamiser et garantir le travail en non-présentiel quand les correspondants se retrouvent pour mener un projet ensemble ? Force est de constater que dans les deux cas, la pédagogie du projet est au centre des dispositifs mis en œuvre, comme modalité la plus cohérente dans la question des relations entre ce qu’on fait en classe et hors de la classe. L’après-midi était consacrée à l’intervention de Bruno Devauchelle, Chargé de mission TICE, Professeur associé à l’Université de Poitiers). Auteur notamment d’un ouvrage, Multimédiatiser l’école ? (Hachette Education, 1999, 176 pages), d’un site et d’un blog. Lire l’intégralité du compte-rendu Maria-Alice MEDIONI
Documents relatifs à l’AG du 19 mars 2016 31 mars 2016 Jacqueline Bonnard Procès-verbal de l’Assemblée Générale du 19 mars 2016 Rapport d’activités 2015 Bilan financier 2015 Budget prévisionnel 2016 Evolution des produits et des charges
Enseigner plus explicitement 6 mars 2016 Jacqueline Bonnard Un dossier du centre Alain Savary Ce dossier a été nourri par la formation nationale de formateurs REP organisée par la DGESCO à Poitiers et Lyon. Très complet, il commence par présenter ce que les textes officiels prescrivent, que ce soit dans le référentiel de l’éducation prioritaire ou dans les nouveaux programmes. Puis il évoque l’utilisation du vocable « pédagogie explicite » par plusieurs courants de recherche dont les cadres théoriques diffèrent, ce qui peut provoquer malentendus et controverses autour de ce que l’explicitation peut être dans le cadre d’une situation d’apprentissage en classe. Mais pour comprendre la complexité de ce terme, il faut interroger la spécificité des savoirs scolaires organisés en disciplines ayant chacune ses spécificités que ce soit au niveau des notions abordées, des méthodes utilisées et d’une certaine posture pour entrer en relation avec « les objets du monde». L’explicitation serait « une tentative perpétuelle de l’enseignant avec ses élèves pour les accompagner à lire des situations avec des notions théoriques et à construire avec eux des notions théoriques à partir des situations. » « L’explicitation » contribuerait à réduire les inégalités scolaires. Mais comment, pourquoi, quand expliciter ? Reprenant la typologie utilisée dans l’enquête sur les pratiques d’apprentissage du lire-écrire au CP pilotée par l’IFé et le laboratoire ACTé, le dossier pointe deux grandes catégories d’explicitation réalisées par l’enseignant : – explicitation du pourquoi : explicitation des finalités de la tâche (apprentissages visés, par exemple) – explicitation du comment : explicitation des procédures, stratégies ou connaissances à mobiliser pour traiter la tâche. Ce qui ne règle pas les difficultés que l’enseignant rencontre en classe lorsqu’il souhaite le faire. Le processus se joue à plusieurs niveaux : l’enseignant peut expliciter aux élèves, l’élève peut s’expliciter à lui-même et expliquer à l’enseignant, les élèves peuvent s’expliciter entre eux. S’appuyant sur des vidéos de chercheurs ou pédagogues, le dossier montre qu’enseigner plus explicitement ne signifie pas expliquer (au GFEN, nous disons qu’expliquer empêche de comprendre), passer par le dire ou le discours. Il s’agit d’un processus plus complexe qui se joue à plusieurs niveaux, s’appuyant sur le langage mais dans l’objectif que chaque élève devienne progressivement capable de décoder et catégoriser des situations, résoudre les problèmes posés et organiser en discipline les savoirs abordés. Dossier téléchargeable gratuitement sur le site du centre Alain Savary. Jacqueline BONNARD
Retour sur les 8e Rencontres Maternelle -Apprendre à l’école maternelle : un besoin à construire 1 février 2016 Jacqueline Bonnard Bourse du travail, Paris – 30 janvier 2016 La bourse du travail de Paris a accueilli samedi 150 personnes intéressées par la question du développement de l’enfant, entre besoin et apprentissage et du rôle central que l’école maternelle peut jouer dans ce cheminement. Comment faire apprendre et se développer tous les jeunes enfants dans une école maternelle à la fois respectueuse des étapes de leur développement et soucieuse de créer les meilleures conditions pour apprendre ? Le secteur Maternelle qui a conçu et coordonné ces rencontres 2016 n’a pas sacrifié à leurs objectifs primitifs : donner à réfléchir, échanger sur l’école maternelle, donner à voir des pratiques qui « fonctionnent ». La visée principale de ces rencontres est toujours de croiser les regards de chercheurs, de formateurs et de praticiens et d’outiller les enseignants pour les aider à faire réussir tous les élèves. Nouvelle formule cette année ! L’architecture de la journée a changé. Une seule conférence introductive et plus longue, des questions vives, non tranchées, qui traversent l’école maternelle actuellement et qui font débat, des ateliers classiques GFEN avec des situations d’apprentissage à vivre et à transférer professionnellement. Claire Benveniste ouvre la journée par des renseignements pratiques et Jacques Bernardin introduit la journée en aidant les participant.e.s à se repérer dans les nouveaux programmes. Il note comme points de rupture le cycle unique, le principe fondamental du « tous capables » d’apprendre et de progresser, la reconnaissance de la diversité des élèves, l’explicitation des situations et leur enjeu, la promotion de la coopération, une pédagogie variée. En exergue de la journée, les deux citations du jour : Tant qu’il n’a pas été satisfait pour la première fois, le besoin ne connaît pas son objet, il lui faut encore le découvrir (Leontiev) L’apprentissage n’est valable que s’il devance le développement (Vygotski) Conférence Elisabeth Mourot, de l’équipe CIRCEFT-ESCOL, a fait état de pratiques qui, à l’insu des enseignants, entretenaient des malentendus à l’école maternelle : les affichages en classe et comme exemple pour illustrer son propos, le trop fameux « petit train des jours » qu’on retrouve dans de nombreuses classes. Elle a mené une recherche dans des écoles de milieux différents, en éducation prioritaire ou en centre-ville à Paris, où elle a interrogé des élèves de grande section sur ce qu’ils pensaient de ces affiches : que croyaient-ils qu’elles voulaient dire ? A quoi servaient-elles ? Elle a catégorisé les réponses en trois parties : Les élèves qui nomment ce qu’ils voient et sont dans une approche réaliste du langage-communication Les élèves qui rattachent ces affiches à du vécu, des expériences et qui ont un rapport pragmatique au langage Et le troisième groupe qui sait que le wagon violet par exemple symbolise le lundi et qui est capable de l’expliquer avec un langage élaboré. Celui-là est dans les attendus de l’école. Il faut donc le savoir quand on enseigne et tenir compte du fait que plus on met d’affichage, en croyant que mettre le savoir « à disposition » permet à tous les élèves de s’en saisir, moins les élèves éloignés de la culture scolaire s’y retrouvent. Le savoir est « à prendre » et l’enseignant doit « montrer ce qui est remarquable », définition étymologique d’enseigner. ********* Pendant toute la journée, la librairie est restée ouverte et a connu un taux de fréquentation important. Les quatre ateliers du matin Les quatre ateliers du matin ont permis d’aiguiser réflexions et échanges sur quatre questionnements importants à l’école maternelle : La bienveillance à l’égard des élèves pourrait faire consensus… mais elle peut dériver vers la compassion et le renoncement : l’école maternelle s’adresse-t-elle à l’enfant générique, socialement aseptisé ou a-t-elle pour mission d’enrayer la reproduction des inégalités ? Christine Passerieux rappelle que ce concept de « bienveillance » est utilisé de façon massive dans les institutions, dans les formations, dans la presse, comme une valeur incontournable. Il semble faire consensus mais sur quels critères on le définit ? Les participants de l’atelier sont amenés à y réfléchir et l’animatrice classe les mots et expressions selon qu’ils renvoient à de l’affectif, de l’empathie ou bien à des gestes professionnels. Paul Devin, inspecteur et syndicaliste parle d’un concept « mou » qui laisse donc la porte ouverte à des malentendus ou des pensées carrément contradictoires. Remontent à cette occasion des doctrines plus ou moins bien interprétées autour des intelligences multiples de Gardner, de la pensée de Montessori et son approche spontanéiste de l’entrée de l’enfant dans les apprentissages… Christine Passerieux préfère que l’école maternelle s’interroge sur ses priorités. Individualisation, différenciation ? Ne pas contraindre, attendre qu’ils soient prêts ? Ou bien mettre en place un cadre sécurisant, renvoyer aux élèves un regard positif, créer les conditions d’une égalité d’accès au savoir, permettre l’activité intellectuelle grâce à l’action et au langage… Est-ce qu’on fait des mathématiques à l’école maternelle, ou des « pré-mathématiques » ? S’agit-il de manipuler uniquement ? Quelle approche privilégier avec de jeunes enfants, quelles conquêtes viser ? Joël Briand répond oui à la première question et examine l’enseignement du dénombrement dans les nouveaux programmes qui mettent en avant des résultats de recherches vieux de trente ans et qui ont eu beaucoup de mal à s’imposer. C’est en 1984 que le dénombrement a été défini par les didacticiens des mathématiques comme « la capacité à produire une collection b équivalente à une collection a, sans voir cette collection a au moment où l’on produit la collection b ». Briand propose une continuité dans les apprentissages en maternelle en passant des pratiques familiales à des pratiques sociales, avec des jeux de plateaux, petits chevaux, jeu de l’oie. Ensuite, on se dirige vers des pratiques ordinales, puis cardinales, avec des jeux de listes pour contrôler des collections ou des positions. On trouve ici des situations d’apprentissage par adaptation avec les fameuses « voitures dans les garages », différentes des situations de familiarisation. Enfin, des signes d’écrits aident à la mémorisation et amènent à l’étape finale qui est l’accès au calcul et c’est seulement à ce stade que l’élève acquiert le concept de nombre. Vergnaud écrit : « La reconnaissance de la propriété d’addition est une condition nécessaire à la conceptualisation du nombre ». En EPS, on bouge, on expérimente… mais est-ce qu’on apprend ? est-ce qu’on pense ? L’EPS en maternelle fait vivre aux élèves des expériences significatives des activités physiques humaines qui font partie du patrimoine de la culture physique, sportive et artistique. Elle aide l’élève à transformer sa motricité quotidienne en une motricité porteuse de pouvoirs d’agir nouveaux. « L’école est le lieu où les objets (y compris son propre corps) n’existent pas pour ce qu’on peut en faire dans l’activité quotidienne non scolaire, mais en eux-mêmes comme objet d’apprentissage » (Elisabeth Bautier). A l’école, l’élève passe d’un projet de jeu à un projet d’apprentissage. L’EPS dote les élèves de pouvoirs de penser leur activité et de pouvoirs d’apprendre ensemble. Patrick Lamouroux a illustré son propos d’exemples concrets pris dans les classes et la vidéo, encore une fois, a permis de ramener du réel dans l’atelier. Dessiner, oui… mais le dessin d’observation est-il possible… et souhaitable à l’école maternelle ? Comment s’y prendre lorsqu’on explore le monde des objets ? Jacqueline Bonnard rappelle les objectifs de l’école maternelle qui visent à ce que chaque enfant acquiert une posture d’élève et lui donne envie d’aller à l’école pour apprendre. Pour explorer le monde, le plus important est d’apprendre à observer, repérer les détails qui caractérisent l’objet, par ce pas de côté qui transforme l’objet familier en objet d’étude. Il s’agit d’apprendre à mettre en relation des événements et des cadres d’analyse pour donner un sens à ce qu’on observe, ce qui nécessite les opérations mentales suivantes : reconnaître par comparaison, inférer, déduire, interpréter. Dans ce processus volontaire d’une sélection d’informations durant lequel l’observateur met en relation son corpus de connaissances avec ce qu’il observe, le dessin joue le rôle d’objet médiateur lors des confrontations de points de vue entre élèves. C’est également une trace d’activité qui alimente la mémoire collective qui se construit. Damien Sage présente des activités réalisées en classe sur le domaine « explorer le monde » en moyenne section. Si l’évolution psychomotrice de l’enfant entrave sa volonté d’une représentation réaliste de l’objet, l’échange régulier entre pairs pour rapprocher le dessin de ce qui est observé montre l’affirmation de compétences graphiques au fur et à mesure des dessins. De même, on repère l’outillage progressif du regard sur le monde. Dessiner ce qu’on observe ? Oui mais rappelons que dans ce cadre, le dessin n’est pas une finalité : c’est tout à la fois une mise à distance de l’observable, l’exercice de compétences graphiques et le support qui permet les échanges sur les savoirs abordés. Les ateliers de l’après-midi Les ateliers de l’après-midi sont plus classiques pour les habitués des rencontres, ils présentent des situations d’apprentissage à l’école maternelle sous forme de démarches éprouvées du GFEN assorties de témoignages en classe. Quatre démarches ont été vécues, dans différents domaines. Approche et enjeux du plurilinguisme… Pour quoi faire ? Quelle plus-value apporte-t-il ? Agnès Mignot, du secteur Langues du GFEN, a fait écouter et catégoriser des extraits musicaux pour dégager avec les participantes le concept de « berceuse » dans différentes langues, en se référant aux « exemples oui » et « exemples non » de l’apprentissage de l’abstraction de Britt-Mari Barth. Elle a illustré ces propos en montrant des vidéos de classe en petite section où les élèves apprennent à écouter des berceuses et à reconnaitre un mot dans une comptine chinoise, le mot « Mama ». C’est à ce moment-là qu’on passe du multiculturel au multilinguisme, quand on s’intéresse à la langue de l’autre. La séance se termine par une mise en situation avec les noms des jours de la semaine écrits en japonais et en chinois pour retrouver des ressemblances et au final, avec une aide de type « dictionnaire », la liste des mots dans les deux langues ! Des textes d’auteurs ou des prescriptions officielles sont donnés à lire pour approfondir le sujet. Construction d’un outil mathématique ou comment structurer sa pensée en construisant le tableau à double entrée ? En faisant passer les participants par différentes phases de travail individuel et appuyé sur les mises en commun en grand groupe, faire pour soi, confronter, on arrive à élaborer le tableau à double entrée, que tous les élèves connaissent, utilisent, souvent sans comprendre comment il est construit. C’est le défi d’une « vraie » démarche d’auto-socio-construction du savoir, réalisable en maternelle qu’Odette Bassis et Khoulfia Léonard ont relevé. Activité plastique, citron rouge… Couleurs et matières ! Sylviane Maillet a fait revêtir aux participantes de belles blouses de plastique noir pour les mettre tout de suite en condition ! C’est avec beaucoup d’enthousiasme que les participants à cet atelier ont pu à travers différentes recherches mettre en relief la matière comme élément incontournable dans la peinture moderne. Ils ont travaillé à partir du citron, sujet souvent repris dans les Natures Mortes, mais en ne mettant l’accent que sur sa composition matérielle. Puis dans une seconde étape sur d’autres fruits et légumes dans le même état d’esprit. Beaucoup de questions ont pu être soulevées. Parmi celles-ci : l’esthétisme, les prolongements à cette démarche, la sensibilisation par les élèves à la Nature Morte dans l’art. Apprentissage par le jeu Michel Baraer, Françoise Toanen et ses élèves de en vidéo, sont allés voir de près, dans leur atelier, comment on peut apprendre en jouant, comme le recommandent les nouveaux programmes. A partir de deux jeux, les tours du fichier « Vers les maths » et un jeu coopératif, les animateurs de l’atelier proposent de réfléchir à l’activité mentale des enfants et précisent que le jeu est détourné sciemment. Les participants vont construire des tours avec des cubes de trois couleurs, avec la consigne de réfléchir aux opérations mentales nécessaires pour réaliser la tâche. La discussion va bon train, on se demande comment maintenir l’enrôlement dans la tâche, avec les multiples allers et retours entre activité individuelle et réflexion collective, s’il faut introduire une consigne intermédiaire, si on a bien résolu le problème… L’enseignante reste au centre du dispositif et permet à chacun de de comparer, raisonner… L’atelier 9 est intitulé « Les rencontres, et après ?… Comment passer d’un évènement à une mise en chantier de pratiques ». C’est un atelier « extra-ordinaire » qui a eu pour objet de mettre en contact des personnes intéressées par l’idée de transposer en classe les démarches vécues au GFEN. Deux équipes ont présenté leurs travaux. Les univers sonores à Besançon. L’objectif est de travailler sur le son avec les élèves afin de présenter un spectacle accompagné par des musiciens. Les enseignants concernés exercent sur les trois niveaux de l’école maternelle. Dans un premier temps, il s’agit de « produire un son » en utilisant des objets et des matériaux différents. Mais qu’est-ce qu’un son par rapport à un bruit ? On essaie, on écoute, on tente de reconnaître puis on verbalise l’action. Trois verbes reviennent : secouer, gratter, taper. Et si on dessinait le son ? Entreprise difficile : il faut coder, marquer le rythme et la durée. L’étape ultérieure sera de reproduire un son. Ces objets qui transforment la matière à Paris. Objets familiers, les ustensiles de cuisine ont permis d’explorer deux procédés de fabrication culinaire : écraser, râper. Après observation et manipulation des objets en situation réelle, les élèves ont travaillé sur le geste, chaque groupe devant guider l’enseignant pour une utilisation correcte. L’écoute des échanges enregistrés lors de cette phase a permis de suivre l’élaboration d’un vocabulaire adapté et cette faculté chez l’enfant à réutiliser rapidement ce qu’il a appris. Même si les domaines explorés sont différents, on repère des similitudes dans ces deux chantiers: la nécessité de rencontres préparatoires pour explorer les concepts abordés et être au clair là-dessus, l’installation d’un temps suffisant de manipulation avant toute séance nécessitant une observation attentive des phénomènes, la pratique récurrente de phases d’échanges et de structuration, l’importance des traces d’activité (dessins, photos, enregistrements…) On est impatient de connaître la suite et chacune des équipes ne demande qu’à s’étoffer Clôture En clôture, Christine Passerieux est revenue sur les objectifs de ces rencontres. « Il s’agissait aujourd’hui de mettre la focale sur cette idée qui semble relever du bon sens, et qui est pourtant loin d’être partagée : l’apprentissage à l’école n’est ni spontané, ni naturel, il relève d’une construction sociale, culturelle que l’école doit prendre en charge pour les enfants les moins en connivence avec ses pratiques. L’envie d’apprendre à l’école s’apprend et pour la moitié des élèves… à l’école ». Jean-Jacques Vidal veut inscrire cette journée dans la continuité et lance un appel aux personnes intéressées pour mutualiser des connaissances, essayer des situations dans leur classe, agir, penser et formaliser ensemble dans un réseau « Maternelle ». Rendez-vous aux Rencontres sur l’accompagnement à Saint Denis le 2 avril 2016 ! Isabelle LARDON Lire aussi : – le reportage du Café Pédagogique, – le compte-rendu plus détaillé de l’intervention d’E. Mourot (Café Pédagogique), – celui de l’atelier de Christine Passerieux sur la bienveillance (Café Pédagogique), – celui de deux ateliers (« le dessin permet-il de mieux comprendre le monde ? », et « Je joue donc je pense », toujours sur le Café Pédagogique). – le compte-rendu de l’OZP
La Geste Formation, Christian ALIN 3 janvier 2016 Jacqueline Bonnard Gestes professionnels et Analyse des pratiques Préface de Philippe Meirieu, l’Harmattan, 2010, 239 p., 22,80 € Pour ne pas perdre ses lecteurs, l’auteur, dans une introduction originale, présente le fil conducteur de son travail spiralaire pour nous inviter à avancer avec lui vers plus de précisions, de justesse, de vérité. Pas de chapitres, mais six études, comme des incitations à chercher, à se questionner avec lui, à partir des éléments issus de son travail professionnel et scientifique. Ces études s’appuient sur l’EPS, mais leur problématique interroge les métiers d’enseignants et de formateurs. Manipulant les genres littéraires avec bonheur : du récit de pratiques à l’analyse théorique voire schématique des gestes professionnels, en passant par des récits de vie et textes poétiques, il offre une vision passionnante des métiers de l’Education. Les domaines de recherche en Sciences Humaines sur lesquels il s’appuie pour étayer son argumentation sont très variés et impressionnants : didactique et didactique professionnelle, sciences du langage, philosophie, psychanalyse, psychologie du développement, psychologie du travail, sociologie. La langue utilisée est alerte, tissant avec le lecteur, une complicité qui ne s’évanouit pas au fil des pages. Ce livre n’est pas seulement une compilation d’expériences, même si ces études peuvent être lues de manière indépendante. Il consacre de longues pages à une identification (issue d’une analyse empirique, ergonomique, anthropologique, sémiotique) des principaux gestes et obstacles didactiques professionnels du métier d’enseignant et de formateur, décortiquant avec brio et audace, l’ordinaire du métier dans ses multiples facettes. Une « Geste Formation » employée par de nombreux chercheurs ( Bucheton & Dezutter, 2008), (Perrenoud & al, 2008 ;Alin, 2007, Jorro, 2002 ) est encore peu utilisée par les professionnels de l’Education ou lorsqu’elle l’est, reste floue, employée au milieu « d’ une architecture de gestes complexes » (Bucheton, 2005). L’éclairage de Christian Alin sur ce concept de geste professionnel est édifiant : une approche étymologique (gestus avec le participe passé dérivé gerere signifiant faire, se comporter) où ce mot exprime le mouvement et l’expression, le mouvement et la signification, assortie d’ une méthode analytique du langage où il se propose d’investiguer les usages du terme geste dans le langage quotidien pour le glisser dans le champ de l’analyse du travail et en conclure que cette expression de « gestes professionnels » n’est pas encore stabilisée. Pour autant, s’appuyant en partie sur les travaux d’Yves Clot (2000) sur le genre et le style professionnel, sur l’activité du sujet chez Léontiev (1978) il réussit à clarifier la nature langagière, pragmatique, sémiologique des gestes professionnels des enseignants :« Si le geste professionnel s’exécute et se réalise en fonction du but opératoire, performatif qui lui est assigné, il est aussi sous l’impulsion des motifs et de la dynamique subjective du sujet qui le met en oeuvre, autrement dit ce que l’on nomme l’activité du sujet (Léontiev, 1978 ; Clot, 2000). Le geste professionnel est porteur de valeurs et des symboliques qui caractérisent et spécifient un métier et son histoire. Les gestes professionnels sont d’abord constitués d’actions, de gestes techniques, d’actes qui appartiennent au quotidien de l’exercice expert d’un métier. Mais ils appartiennent aussi, en tant que discours, à un référentiel issu de l’histoire, de l’ethnohistoire sémiotique d’un métier. » (ibid p.54 ) Au-delà de douze gestes et obstacles professionnels bien identifiés et reliés entre eux sous forme de schémas très explicites, il inventorie quatre modalités d’agir : une marge d’autonomie (allant de la directivité au laisser faire), une marge d’autorisation (capacité à se donner une marge d’initiative personnelle), une marge de conflictualité (être dans une posture d’affrontement, d’inhibition ou de déni), une marge de tolérance (capacité à composer plus ou moins bien avec des conduites parfois déroutantes). C’est dans la dynamique de ces obstacles professionnels que va se construire l’identité professionnelle. Parmi de multiples exemples professionnels, il cite la prise en main de la classe par un enseignant débutant où ce qui se joue ne relève pas seulement de gestes techniques, spatiaux, mais aussi d’une symbolique du pouvoir et du contrôle. Transmettre son expérience de formateur semble être le fil rouge de son engagement professionnel: il s’appuie sur quelques épisodes marquants de sa vie personnelle et de chercheur et c’est pour mieux faire comprendre qu’une analyse de pratiques ne peut se polariser sur l’action, l’expérience racontée, mais se doit aussi de mettre à jour l’architecture et l’esthétique de ces pratiques, avec leur fondation pratique d’une part et leur valeur, leur visée symbolique, éthique d’autre part. « La construction, c’est du bâti, l’architecture du symbolique. » (Le Corbusier) Loin des débats récurrents entre la théorie et la pratique, il s’attache à une pensée dialectique, déployant une orientation théorique en analyse des pratiques comme activité de métacommunication et de métalangage : comment des actions et des sujets émergent conjointement à l’occasion d’une situation de travail et en quoi cela contribue à l’émergence d’une identité professionnelle ? Cette manière d’appréhender la réalité et notamment son appétence pour prendre en compte l’ethnohistoire d’un métier et l’histoire de vie d’un professionnel est sans doute en relation avec son histoire personnelle, fruit d’un métissage culturel qui l’habite et l’enrichit. Il revient à plusieurs reprises sur « la poétique de la relation » d’Edouard Glissand, sur la part du sujet et de sa subjectivité dans ses actes professionnels. Même s’il présente toute une série de dispositifs qui apporte de la technique d’analyse réflexive, il démontre que « la transmission d’une expérience reste toujours une question d’alchimie de la rencontre de soi et avec l’autre. » (Ibid p.131 ) Au fil des pages, on pénètre de plus en plus dans l’univers sémiologique du sujet en analyse de la pratique: une incitation à mieux caractériser la signification et le sens des gestes des praticiens novices ou experts, dans leur activité, leur contexte, leur culture et leur ethnohistoire. « Prêter du sens plutôt que donner du sens » : il ne s’agit pas de l’interprétation univoque d’un formateur si expert soit -il, mais d’une construction partagée entre tous les acteurs de l’analyse. Examiner les actions sur un double registre : celui des éléments actions observables, racontables et commentables et celui des discours et des énonciations produites à propos de ces récits. Sémiologiquement et méthodologiquement, les actes s’identifient, les gestes s’écoutent, alors que le rapport Actes/ Gestes s’interprète et doit faire l’objet d’un processus d’attribution du sens. Et cette barre complexe qui sépare actes et gestes représente l’autonomie des faits et des dires, des actes professionnels, mais elle représente aussi la place de l’arbitraire et de l’inconscient dans leurs relations : ceci témoigne des tensions entre le sujet acteur-auteur et le sujet énonciateur, en analyse de pratiques. Cette reconnaissance de l’individu comme sujet signifiant possédant des résistances est souvent occultée et notamment sa faculté de négatricité ou « ce pouvoir de l’esprit de dire non., cette faculté que possède un sujet à déjouer les manipulations dont il se sent l’objet »( Ardoino, 1990, ibid p. 163). C’est pourquoi loin d’une écoute objective qui se limiterait à une évaluation des référentiels de compétences, il s’agit de mettre en place « des dispositifs d’analyse des pratiques qui rendent possible la co-analyse de l’implication et des jeux, des je et des enjeux des acteurs. » (Ibid p167) Dans cette quête du sens en analyse de la pratique, récit, écriture et écoute sont convoqués. Familiarisé aux problèmes de plurilinguisme aux Antilles, il utilise l’analytique et l’herméneutique du langage comme une des clés de la formation à l’enseignement. Il présente de nombreux outils d’investigation dont on mesure les enjeux épistémologiques, éthiques et méthodologiques. Cette traversée passionnante dans ce livre invite à transformer sa pratique professionnelle animé par cette « curiosité » telle que définie par Michel Foucault, cité par l’auteur, au début de ce livre : « la seule espèce de curiosité, en tout cas, qui vaille la peine d’être pratiquée avec un peu d’obstination: non pas celle qui cherche à s’assimiler ce qu’il convient de connaître , mais celle qui permet de se déprendre de soi-même. Que vaudrait l’acharnement du savoir s’il ne devait assurer que l’acquisition des connaissances, et non pas d’une certaine façon et autant que faire se peut, l’égarement de celui qui connaît? » (Ibid p.18) L’ ouvrage se conclut par une remarquable étude intitulée « Langues & Cultures » où il fait une analyse fine des enjeux identitaires, de démocratie et d’émancipation concernant la formation des enseignants aux Antilles françaises. Il plaide pour une éducation au plurilinguisme, une identité constructiviste face aux risques d’une identité essentialiste et communautariste : « Quand autant d’enjeux identitaires sont en cause, comment former des esprits critiques susceptibles de regarder la réalité hétérogène de leur pays, susceptibles d’invention et de créativité? ».(Ibid p.217-218) Son appel à une culture commune, fondée sur l’exercice du débat, de la « rhétorique » (ibid p. 215) ainsi que sa manière de concevoir l’hétérogénéité comme une richesse et non comme un obstacle, visent à articuler compétences sociales, civiques au coeur de la transmission des savoirs. Christian Alin a ainsi réussi à communiquer l’histoire d’une geste formation, métaphore évoquant les chansons de gestes issues des récits chevaleresques, se transmettant de génération en génération. Pascale BILLEREY