Appel à la mobilisation pour une politique éducative ambitieuse

Le budget 2008 qui sera appliqué à la prochaine rentrée est contesté par les élèves, les parents d’élèves, les personnels, les étudiants, les associations éducatives complémentaires de l’enseignement public et tous les partenaires de l’École. Les mobilisations vont croissantes et portent l’exigence
de moyens pour la réussite et la démocratisation du système éducatif.

Les 11 200 suppressions de postes entraîneront des classes surchargées, rendant impossible le suivi individuel des élèves. Dans le second degré cela va conduire à des disparitions de formations et d’options et la fin de dispositifs pédagogiques et de soutien innovants.

Conjuguée aux retraits de moyens, la mise en place précipitée, sans réflexion préalable et sans concertation suffisante, du bac pro 3 ans dans les LP, suscite des inquiétudes légitimes quant à la prise en charge des élèves en enseignement professionnel en particulier ceux qui sont en difficulté.

Dans le premier degré les projets de programmes traduisent une vision passéiste et rétrograde de l’École, ainsi qu’un recul pédagogique et didactique. Ils remettent en cause les cycles et s’accompagnent d’une apparente volonté d’externaliser l’aide aux élèves en difficulté en rejetant la responsabilité de l’échec scolaire sur les familles.

Ce budget de rigueur et les suppressions de postes concernent tous les secteurs comme l’Éducation nationale mais aussi l’Enseignement Agricole Public et tous les personnels, se traduisant par une aggravation des conditions de travail et un fonctionnement plus difficile pour notre système scolaire.

Les annonces budgétaires pour les prochaines années confirment que cette politique de régression en lien avec la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) pourrait s’installer dans la durée.

La transformation de l’École implique une toute autre dynamique pour le système éducatif et pour les métiers de l’éducation.

Pour obtenir des budgets ambitieux qui permettent une transformation de l’École,
Pour mettre en œuvre une autre politique éducative mettant la réussite de tous les élèves au centre de ses préoccupations,
Les organisations signataires appellent à poursuivre et amplifier les mobilisations en cours :

  • en organisant localement, dès la rentrée des vacancesde printemps, des rencontres entre parents, lycéens, personnels de l’éducation et responsables des associations éducatives complémentaires de l’enseignement public pour mieux les informer.
  • en développant dans la durée des actions s’opposant aux conséquences du désastreux budget 2008 :

– par une journée nationale d’actions diversifiées le 15 mai,
– par l’organisation samedi 24 d’une grande journée de mobilisations,                                         de rencontres avec la population et de manifestations dans tous les départements.

Ceméa,
Confédération Étudiante, CRAP-Cahiers pédagogiques,
FCPE, Ferc-CGT, FIDL,
Les Francas, FSU, GFEN, ICEM-Pédagogie Freinet, Jeunesse au Plein Air,
Ligue de l’Enseignement, Sgen-CFDT, Sud Éducation, Sud Étudiant,
Unef, UNL, Unsa Éducation

Lettre ouverte au président de la République

 Améliorer la réussite scolaire de tous les jeunes, il n’y a rien de plus urgent !

27 Septembre 2007

Monsieur le Président, Améliorer la réussite scolaire de tous les jeunes, il n’y a rien de plus urgent !
Vous semblez découvrir ce que nous n’avons cessé de dénoncer : après des années de progrès constants, de hausse du niveau de formation des jeunes, le système éducatif peine encore à remédier à l’échec scolaire de milliers de jeunes en difficulté.
Mais cette crise est d’autant plus urgente à traiter qu’elle s’inscrit dans une société qui voit grandir les inégalités sociales et territoriales. S’il y a des difficultés dans l’Ecole, elles renvoient aussi, tout le monde le sait, à des difficultés vécues au quotidien hors de l’école par des milliers d’enfants et de jeunes. Non, tous les enfants n’ont pas les mêmes chances au départ, tous les jeunes n’ont pas les conditions de vie, de santé, d’équilibre qui leur permettent, sans accompagnement, d’accéder aux apprentissages, de se projeter dans l’avenir.
Aider efficacement les jeunes les plus en difficulté, former les enseignants pour cela, combattre les inégalités sociales et le danger que représenterait l’instauration d’une Ecole à deux vitesses, ouvrir un avenir positif pour tous les jeunes, rien de plus difficile, rien de plus compliqué sans doute, mais rien de plus indispensable pour les jeunes, pour nous, pour l’avenir du pays.
C’est pourquoi l’Ecole doit réussir à se transformer.
C’est ce défi là que doit relever le Service Public d’Education, parce qu’il est le seul à pouvoir le faire, pour tous, et pas seulement pour les plus favorisés ou les « méritants ».
C’est une question d’avenir, c’est un enjeu de démocratie. « Egalité des chances » ou « ambition-réussite », ces grands mots, tout comme les polémiques stériles sur les méthodes d’enseignement, ne peuvent tenir lieu de politique de transformation démocratique de l’Ecole.
Au contraire, supprimer des milliers de postes, réduire l’offre d’enseignement pour tous, libéraliser la carte scolaire pour laisser se développer des ghettos scolaires, jouer la concurrence entre établissements, annoncer un collège éclaté, favoriser l’école privée, c’est menacer gravement le service public.
Comment avancer avec une politique guidée par la seule réduction des coûts ?
Tristement historique, la suppression de 11 200 emplois dans l’Education nationale (et peut-être plus dans les années à venir), s’ajoutant aux milliers déjà subies, annonce encore plus de précarité, de difficultés, pour tous, personnels, familles, élèves. C’est inacceptable.
L’école, les enfants et les jeunes méritent mieux.
L’avenir des enfants d’aujourd’hui, leur formation de citoyen et leur insertion professionnelle ne peuvent pas se réduire à un problème de « rentabilité » du système, encore moins s’organiser en sélections successives avant le collège, les lycées ou l’université.
Leur avenir se joue dès la maternelle, il se joue dans des classes moins chargées, il se joue dans un collège pour tous, il se joue dans la mise en oeuvre de pédagogies et d’organisations prenant en compte chacun, permettant l’accès de tous aux savoirs, à la culture. Il se joue certes avec des études dirigées, mais aussi et surtout avec une meilleure cohésion de la communauté éducative, des enseignants formés, des personnels pour accompagner, aider à tous les niveaux enfants et adolescents.
Nous voulons une politique éducative ambitieuse faisant avancer notre École publique en mettant au cœur la réussite de tous les jeunes. Nous voulons pour cela d’autres choix, un autre budget, une autre politique.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le président de la République, l’expression de notre haute considération.

Signataires :
Cé, CRAP-Cahiers pédagogiques, FAEN, FCPE, FERC-CGT, FIDL, FSU, GFEN,
ICEM-Pédagogie Freinet, Ligue de l’enseignement, SGEN-CFDT, UNEF, UNL, UNSA
Education.

Education patrimoine de notre société (2007)

Signataires :

CEMEA, CRAP Cahiers Pédagogiques, Education & Devenir, FERC/CGT, FSU, GFEN, ICEM Pédagogie Freinet, JPA, Ligue de l’enseignement, OCCE, SGEN/CFDT, UNSA Education

Ce texte a été envoyé le 14 mars 2007 aux candidats à l’élection présidentielle, ainsi qu’à la presse.

Dans cette période de campagne électorale, il est beaucoup question d’éducation. Tous les candidats affirment la nécessité d’en faire une priorité.
La réussite des jeunes semble être une préoccupation. Nous pourrions nous en satisfaire mais en fait cela ne saurait nous suffire. Car de quoi parle t-on réellement ? S’agit-il d’un affichage politiquement correct ou de corriger à la marge les inégalités ou bien d’un réel engagement pour permettre à tous les
jeunes de réussir à l’Ecole ?

Or, que nous soyons enseignants, acteurs de l’éducation, citoyens nous sommes préoccupés par l’avenir de tous les jeunes et particulièrement des jeunes des milieux les plus défavorisés. Et nous voulons que les débats sur l’école débouchent sur un véritable engagement de l’Etat à garantir l’accès de tous les jeunes aux savoirs, à garantir que plus aucun jeune ne soit laissé sur le bord du chemin. Nous voulons également que les conditions sociales ne soient, pour personne, un obstacle à la poursuite d’études et à l’acquisition d’une formation.

Certains tentent de faire croire à l’opinion qu’on pourrait garantir l’égalité des chances sans en expliquer le caractère mensonger en ne disant pas ce que deviennent dans leurs projets les élèves les plus fragiles.
Prétendre mettre tout le monde sur une même ligne de départ ne garantit en rien l’arrivée de chacun. Nous préférons, nous, le concept d’égalité effective d’accès à l’éducation, à la formation, à la culture et à la qualification. Cela implique des changements réels pour l’Ecole (école primaire, collège, lycée).

Nous ne pouvons pas accepter non plus les discours actuels de démolition : l’Ecole ne saurait pas apprendre à lire aux élèves, elle enregistrerait une baisse importante du niveau de connaissance, elle serait le lieu des incivilités… Et il est intolérable que les élèves et leurs familles soient tenus pour responsable de leurs difficultés scolaires. Il en va ainsi de l’apprentissage à 14 ans qui sonne le glas d’un véritable collège pour tous, des injonctions aux enseignants sur les méthodes d’apprentissage (lecture,
calcul …).

Nous ne nous contenterons donc pas non plus d’entendre des discours flatteurs sur l’Ecole d’autant que le contexte actuel ne peut que nous inquiéter. Ce que nous vivons depuis des mois est un renoncement sans précédent à la réussite de tous les jeunes. C’est l’installation d’une école à plusieurs vitesses, d’une Ecole qui au lieu de combattre les difficultés scolaires contribue à les accentuer. Les suppressions de postes de ces dernières années en sont un des signes les plus visibles.

Depuis des mois nous alertons sur le sort qui est fait à l’Ecole et nous redisons avec force à tous les candidats à la fonction de Président de la République : les idées apparemment les plus simples ne sont pas forcément les meilleures !

Certes, l’École ne peut pas tout. Le lien entre les inégalités sociales et les inégalités scolaires est aujourd’hui une réalité connue de tous. Des politiques d’emploi, de logement, de santé… doivent permettre de contribuer à la réduction des inégalités. Mais l’Ecole doit faire encore mieux que ces dernières années. Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que l’Ecole a su répondre au défi de la massification rendue nécessaire par les exigences éducatives, sociales, culturelles et économiques de la société. De 5 % d’une classe d’âge au baccalauréat en 1960 nous sommes maintenant à plus de
62 %. Certes aujourd’hui encore trop de jeunes sortent du système éducatif sans diplôme ni qualification. La contribution de l’école à cette lutte contre les inégalités est essentielle et son bilan actuel est loin d’être catastrophique comme le prétendent certains et les dernières données de la recherche, les études statistiques le prouvent.

Enseigner, éduquer n’est pas chose simple. Vouloir convaincre l’opinion de l’inverse relève de l’illusion et du mensonge. L’Ecole a en particulier la responsabilité de faire apprendre la complexité du monde,
de savoir traiter la difficulté, les difficultés. Oui l’échec scolaire existe, oui il doit être combattu. Cela nécessite de réfléchir aux conditions de la démocratisation du système éducatif, de promouvoir des dispositifs qui ont pu faire leurs preuves sur le terrain mais sont méconnues et de chercher avec
l’ensemble des acteurs de l’école des propositions qui soient de véritables mesures innovantes (le développement et la diffusion des pratiques différenciées, le développement du travail en équipe, l’amélioration des conditions de scolarisation des élèves, l’organisation de l’Ecole, le renforcement de projets éducatifs territoriaux articulés avec les projets des écoles et des établissements…).

L’école a déjà fait beaucoup. Les résultats encourageants, voire positifs, d’un grand nombre de ZEP dans un contexte de dégradations sociales en sont un bel exemple. Et pour cela chaque jour des enseignants s’investissent, des équipes réfléchissent, des acteurs travaillent en complémentarité avec l’école.

Notre pays dispose pour cela d’une véritable richesse, d’un engagement des enseignants et de tous ceux qui travaillent au quotidien au côté de la jeunesse dans l’école mais aussi autour de l’école. Il faut croire en la possibilité de tous les jeunes de réussir, il faut avoir le courage d’engager une véritable transformation du système éducatif, avoir la volonté d’y mettre les moyens nécessaires. L’éducation ne saurait participer d’une logique quantitative, d’une logique comptable mais bien d’une logique humaine. Il s’agit de construire une société où toutes les femmes et tous les hommes auront la capacité de conduire leur vie personnelle, civique et professionnelle en pleine responsabilité et serons capable d’adaptation, de créativité et de solidarité.

De tout temps l’école a été un choix de société. C’est parce que nous voulons une société plus juste, plus égalitaire, plus humaine et plus citoyenne que nous voulons que l’éducation soit considérée au travers d’actes concrets comme un élément essentiel du patrimoine de notre société.

Le défi est aujourd’hui de permettre à tous les jeunes d’accéder à l’éducation, à la culture et à une qualification.

Adresse aux candidats aux prochaines élections

Février 2007

Signataires :
ANATEEP, APAJH, CEMEA, CRAP à Cahiers Pédagogiques, EEDF, FCPE, Fédération Française des Clubs Unesco, FERC-CGT, FGPEP, FNCMR, Francas, FSU,
GFEN, ICEM, JPA, Ligue de l’Enseignement, OCCE, Peuple et Culture, SGEN CFDT,
UNSA, Education

Les organisations représentatives de parents d’élèves et des personnels d’éducation, les associations éducatives et les mouvements pédagogiques complémentaires de l’enseignement public, signataires de ce texte, considèrent l’éducation comme un bien public inaliénable. Elles s’engagent à amplifier la mobilisation de tous leurs acteurs en faveur de l’éducation pour en défendre son principe comme sa réalité.

La complémentarité historique et éducative des activités qui sont les leurs, fondée sur la spécificité de leurs missions et la diversité de leurs pratiques, participe d’une conception ambitieuse du service public. Une conception fondée sur des valeurs de Laïcité, de Fraternité, de Démocratie, de Solidarité
et de Citoyenneté.

Cette complémentarité permet à tous les enfants et à tous les jeunes, sans distinction de leurs difficultés ou de leurs différences, d’acquérir des savoirs, une culture commune et des compétences susceptibles d’en faire des citoyens responsables, dans leur vie personnelle comme dans leur
devenir professionnel. Au sein comme en dehors de l’école, les activités auxquelles participent les enfants et les jeunes sont complémentaires et interactives. Parce qu’elles sont exigeantes dans leurs contenus et leurs méthodes, elles participent fortement à la réussite éducative et sociale de tous et à la réduction, de fait, des inégalités.

C’est pourquoi, les organisations signataires agissent, ensemble et en complémentarité, pour le développement :
– d’une Ecole qui intègre, dans les apprentissages, dans la vie de la classe et de l’établissement, les principes et les valeurs de notre République : démocratie pluraliste, solidaire et participative.
– de structures, de temps et d’espaces de loisirs culturels ou sportifs dont les projets éducatifs sont, dans le même esprit, fondés sur ces principes.

Elles le font dans un souci de cohérence et de justice sociale sur des territoires urbains ou ruraux au sein desquels toutes les populations, sans aucune distinction, sont réunies et concernées. Au-delà de
leurs différences, ce sont d’abord leurs convictions laïques qui guident leur idéal.

Fortes de leurs expériences, elles réaffirment la vocation non lucrative de leur action comme de leur engagement. Elles s’opposent, en conséquence, aux dérives marchandes qui dénaturent l’éducation, en temps et hors temps scolaires et creusent les inégalités, asservissent la communauté éducative et déconsidèrent les missions et le rayonnement des éducateurs.

Dans ce contexte, nos organisations ne veulent pas être la caution d’une quelconque « privatisation » d’un bien public irremplaçable que nos aînés ont contribué à bâtir. Elles défendent et actualisent l’héritage d’un modèle éducatif qui continue à être une référence partout dans le monde. Elles
revendiquent dans le même temps la reconnaissance de l’engagement d’hommes et de femmes pour qui éduquer participe, dans la vie sociale, d’une démarche citoyenne.

Alors que les moyens attribués à cette complémentarité n’ont cessé de diminuer depuis plusieurs années, nos organisations demandent, en fonction des évaluations qui en sont faites, que soient garanties :
– La pérennité et la qualité d’un service public d’éducation de tous,
– La reconnaissance et le soutien du monde associatif éducatif, complémentaire à l’enseignement public quand il se situe ni en concurrence ni en substitution de sa mission,
– La mise en oeuvre d’actions concertées avec tous les échelons des pouvoirs publics qu’ils relèvent des collectivités territoriales ou de l’Etat.

Alors que nous venons d’entrer dans le 21ème siècle, nos organisations affirment que l’éducation de tous est une obligation républicaine qui concourt à la formation des citoyens et à la construction d’un espace de liberté que nous devons défendre et promouvoir.

C’est pourquoi, s’engageant pour leur part à se mobiliser pour l’éducation de tous et à développer des actions dans un esprit exemplaire d’ouverture, de dialogue et d’imagination, elles appellent les candidats aux prochaines élections à se prononcer publiquement et clairement sur leur
engagement à mettre en œuvre, avec les moyens adéquats, une politique éducative où la complémentarité du rôle et des actions des personnels d’éducation, des parents et des associations permettra d’atteindre de plus en plus cet objectif.

Un climat de confiance nécessaire

Les organisations signataires du texte ci-dessous ont fait le constat que la polémique sur la question de la lecture avait semé le trouble dans les écoles. Elles souhaitent, en diffusant ce texte dans toutes les écoles aux parents d’élèves, réaffirmer leur volonté de travailler à un nécessaire climat de confiance dans les écoles, indispensable à la réussite de tous les élèves.

4 décembre 2006

 

Madame, Monsieur,

Ces derniers mois, les enseignants, les parents et les mouvements pédagogiques se sont déjà adressés
à vous avec le souci de porter des éléments de compréhension à la connaissance de tous. En effet, c’est en comprenant mieux comment les enfants apprennent que, ensemble, nous mènerons tous les élèves vers la réussite.

Pour cela, l’école doit pouvoir mettre en oeuvre des stratégies pédagogiques diversifiées, qui prennent
bien en compte chaque élève. Elle a besoin aussi de pouvoir organiser des temps afin de permettre des rencontres avec les parents.

Nous avons voulu, au-delà de la polémique sur l’apprentissage de la lecture engagée par le ministre de l’Education nationale, dire notre volonté de combattre l’échec scolaire.
Tout doit être mis en oeuvre pour que, aussi bien dans l’école qu’en dehors de l’école, cette préoccupation demeure une préoccupation majeure.

Nous avons souhaité expliquer que le rôle des enseignants ne pouvait se réduire à quelques gestes
simplistes, à une technique sans réflexion. Enseigner et apprendre sont des activités complexes. L’apprentissage de la lecture n’échappe pas à cette complexité.

Contrairement à ce que nous pouvons entendre ici ou là, des progrès indéniables ont été réalisés ces dernières décennies : beaucoup moins de jeunes sont aujourd’hui en grave difficulté de lecture qu’il y a 20 ans et beaucoup moins sortent du système éducatif sans qualification.

Pendant cette période certains ont aussi voulu, y compris le ministre, « jouer les parents contre les enseignants ». Ils n’y sont pas parvenus. Un rapport récent de l’Inspection générale de l’Education nationale a confirmé que les méthodes utilisées par les enseignants respectaient bien les programmes.
Pour l’apprentissage de la lecture comme pour les autres apprentissages, les parents et les enseignants doivent travailler ensemble, dans des relations de confiance mutuelle, pour que la situation s’améliore : échanger et expliquer, montrer aux enfants une volonté et une attention communes, disposer des travaux de la recherche, écouter et comprendre les points de vue afin de mieux prendre en charge les élèves en difficulté…

Un climat de sérénité et de confiance dans les écoles et avec les parents est indispensable pour permettre la réussite de tous les élèves.

C’est ce que nous avons fait ensemble jusqu’ici et que nous poursuivrons dans l’intérêt de tous les élèves.

Les organisations signataires :

AIRDF (Association Internationale pour la Recherche en
Didactique du Français)


CRAP (Cahiers Pédagogiques)


ICEM (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne)


FCPE (Fédération des Conseils de Parents d’Elèves)


GFEN (Groupe Français d’Education Nouvelle)


Ligue de l’Enseignement


SNUipp-FSU (Syndicat National Unitaire des Instituteurs et Professeurs
des Ecoles)


SE-UNSA (Syndicat des Enseignants)


SGEN-CFDT (Syndicat Général de l’Education Nationale)


AFEF (Association Française des Enseignants de Français)

SI.EN-UNSA (Syndicat de l’Inspection de l’Education Nationale)
SNPI-FSU (Syndicat des Personnels d’Inspection de l’Education
Nationale)

Lettre ouverte au ministre-2006

Lettre ouverte au ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

Paris, le 12 octobre 2006

Monsieur le Ministre,

Depuis près d’un an, vous entretenez le trouble dans l’opinion publique sur l’apprentissage de la lecture et professez le simplisme pédagogique en la matière.
Vos prises de position, souvent caricaturales et aux fondements scientifiques contestés, s’opposent aux contenus même des programmes que vous avez signés.

Comment pouvez-vous déclarer en effet que « seule la synthèse (méthode syllabique) doit être employée à l’exclusion de toute autre » alors que les programmes indiquent sans ambiguïté qu’il faut recourir à deux procédures : l’approche synthétique (des lettres vers le mot) et l’approche analytique (du mot vers les lettres) ?

Comment pouvez-vous prétendre, monsieur le ministre, que la méthode syllabique est la meilleure méthode d’apprentissage de la lecture alors que, par le passé, avant même que l’on parle d’approche globale de la lecture, près d’un jeune sur deux sortait de l’école sans aucun diplôme ? Les professeurs de collège se plaignaient à l’époque que leurs élèves savaient déchiffrer mais qu’ils ne comprenaient pas ce qu’ils lisaient. On constate aujourd’hui encore, d’après une enquête INSEE de 2004, que c’est
parmi les plus de 55 ans que le pourcentage de personnes ayant des difficultés de lecture est le plus important.

Comment pouvez-vous affirmer que votre démarche s’appuie sur des études scientifiques alors que vous empêchez des chercheurs de s’exprimer et que les soutiens que vous avez évoqués prennent ouvertement leurs distances comme viennent de le faire plusieurs chercheurs en neurosciences lors d’un séminaire du Collège de France en déclarant : « La psychologie cognitive ne prescrit pas de méthode unique d’enseignement » ou encore « les approches synthétique et analytique sont toutes les deux efficaces ?

Monsieur le ministre, vous affichez publiquement des positions qui sont en contradiction avec celles des programmes que vous avez signés.

Vous déformez délibérément les résultats aux différentes évaluations pour pouvoir prétendre que les élèves ne savent plus lire et que l’Ecole est en danger.

Vous écartez des chercheurs reconnus des dispositifs de formation sous prétexte que leur parole n’est pas en conformité avec votre discours.

Vous menacez les enseignants du premier degré d’une enquête pour vérifier s’ils appliquent vos consignes et à l’inverse, vous soutenez officiellement les promoteurs du retour aux méthodes pédagogiques d’il y a un siècle et qui sont en contradiction avec les programmes officiels actuels.

Vous engagez les parents à dénoncer les maîtres qui n’appliqueraient pas une méthode exclusivement
syllabique, alors qu’ils n’ont pas les compétences pour identifier la méthode utilisée et que ce n’est pas leur rôle.

Jusqu’où irez-vous monsieur le ministre, dans le dénigrement des enseignants et le mépris des parents
? Jusqu’où ira votre acharnement ?

Parents, nous considérons que la réussite de nos enfants aujourd’hui ne passe pas par le retour aux méthodes du passé. Nous considérons que c’est par le dialogue entre enseignants, parents et responsables de l’Education nationale que le progrès est possible dans le domaine de l’éducation.
Nous rejetons toute forme d’autoritarisme.

Enseignants, nous sommes des professionnels. Nous connaissons et respectons les programmes d’enseignement. Nous oeuvrons tous avec détermination et professionnalisme pour conduire le plus grand nombre d’enfants à la maîtrise de la lecture et de l’écriture.

Inspecteurs de l’Education nationale, conseillers pédagogiques et formateurs d’enseignants, nous avons toujours fait en sorte d’aider les enseignants dans leur pratique professionnelle dans le respect de la personnalité de chacun et dans l’intérêt des élèves.

Militants d’associations éducatives, nous savons par notre engagement au côté de l’Ecole que
l’apprentissage de la lecture passe par des voies multiples et diversifiées et mérite mieux que les slogans et les simplismes.

La réussite des élèves ne peut se résumer à une affaire de méthode. Au-delà du professionnalisme nécessaire, elle nécessite une relation de coopération et de confiance entre les parents et les enseignants, relation nourrie par le dialogue et que nous nous employons quotidiennement à construire.

Aussi, nous vous demandons, monsieur le ministre, de cesser de caricaturer l’apprentissage de la lecture, de mettre en cause la formation des enseignants et d’entretenir la suspicion au sein de notre système éducatif, car en faisant cela, c’est vous qui mettez l’Ecole en danger.

AFEF à Viviane YOUX, Présidente

AGEEM – Lucille BARBÉRIS, Présidente

AIRDF à Christine BARRÉ DE MINIAC, Présidente

CRAP Cahiers pédagogiques, Dominique GUY, Secrétaire générale

FCPE à Farid HAMANA, Président

GFEN à Odette BASSIS, Présidente

ICEM Pédagogie Freinet à Catherine CHABRUN, Présidente

LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT à Eric FAVEY, Secrétaire national

SI.EN-UNSA à Patrick ROUMAGNAC, Secrétaire général

SE-UNSA à Luc BÉRILLE, Secrétaire général

SGEN-CFDT à Jean-Luc VILLENEUVE, Secrétaire général

SNUIPP-FSU à Gilles MOINDROT, Secrétaire général

SNPI-FSU à Erick PONTAIS, Secrétaire général

Appel de l’assemblée générale sur l’éducation- 4ème Forum Social Européen

Athènes, le 7 mai 2006

Nous, acteurs de l’éducation, mouvements, organisations, syndicats, associations et différentes composantes de la société civile qui ont participé au Forum Social Européen d’Athènes, proposons à toutes les organisations concernées par l’éducation en Europe l’appel suivant :

Cet appel est adressé à tous, au personnel travaillant dans les écoles, les collèges, les lycées et les universités, dans le secteur non formel et les activités de loisirs, aux lycéens, aux étudiants, aux familles, au monde de la culture, de la science, de l’art et du spectacle, aux parlementaires, aux élus, aux organisations syndicales et associatives, à tous les salariés et à leurs organisations syndicales européennes.

Nous réaffirmons les principes de la Plate-forme mondiale de lutte adoptée par la Charte du Forum de l’Education en 2001, par le troisième Forum Mondial de l’Education en 2004 et par le Forum Social Mondial de Caracas en 2006.

1/ L’éducation globale est un bien public mondial prioritaire et un droit humain inaliénable qui influence toute la vie des gens.
L’éducation est un enjeu de fond dans le cadre des besoins sociaux des travailleurs.

2/ Ce droit est essentiel pour l’accès à tous les autres droits, pour la construction de valeurs basées sur la solidarité, pour l’émancipation et la pratique de la citoyenneté

3/ L’état et les politiques publiques en général doivent assurer à tous les moyens nécessaires à la réalisation et à la promotion de ces droits.

4/ C’est un devoir de l’état de garantir, sans discrimination ni exclusion en relation avec la nationalité, la religion, l’ethnie, le genre, la classe sociale et les orientations sexuelles, le plein droit à une éducation publique substantielle et de haute qualité, à tous les niveaux du préscolaire à l’université, comme part du service public.

Pour toutes ces raisons, nous sommes contre toute politique néolibérale en éducation et en formation, comme celle mise en œuvre par l’Union Européenne (cf. la directive Bolkestein, l’AGCS, le processus de Bologne, la Déclaration de Lisbonne, etc.).

Contre la subordination de l’éducation aux besoins du marché

Contre l’augmentation des fonds privés ou de partenariats public-privé pour financer les écoles

Contre le renforcement des inégalités sociales qui renforce l’exclusion sociale

Contre l’appauvrissement et la nouvelle conception des programmes qui soumettent l’éducation à la logique du marché

Contre la précarisation des personnels travaillant dans les écoles, des jeunes, des travailleurs du domaine socio-éducatif et contre l’introduction et la consolidation de toutes les modalités de travail flexible

Contre le racisme et le néofacisme

C’est pourquoi l’éducation, comme droit inaliénable de tous, doit être un service public de grande qualité.

Pour cette raison, nous sommes absolument déterminés à nous battre :

. Pour une augmentation des investissements publics dans l’éducation (au moins 7 % du PNB).

. Pour le développement de la pensée critique et le plein exercice de la citoyenneté active.

. Pour le développement de la scolarisation des jeunes enfants dans le service public.

. Pour une recherche et un enseignement supérieur mis prioritairement au service de la création et de la promotion démocratique des savoirs.

. Pour l’acquisition des qualifications nécessaires et convenant au développement de chaque jeune.

. Pour l’affirmation de la différence des genres et l’égalité d’accès et des droits. Pour une éducation qui ne véhicule pas de stéréotypes masculins.

. Pour une formation de haut niveau et de meilleures conditions de travail pour tous les employés du secteur de l’éducation.

. Pour l’intégration, à tous les niveaux de l’éducation, de tous les jeunes à besoins particuliers.

. Pour l’accès gratuit à tous les niveaux de l’éducation des immigrants et des réfugiés et pour la reconnaissance des différences culturelles et linguistiques comme valeur commune.

. Pour la participation active des jeunes à la transformation sociale et pour le plein exercice de leurs droits.

. Pour la réduction des dépenses de guerre et l’augmentation substantielle des budgets de l’éducation.

. Pour une école laïque.

. Pour la promotion de la paix, de la coopération, de la solidarité, pour les droits humains pour tous sans discrimination.

. Pour un statut des étudiants.

. Pour une éducation intégrant comme un droit la formation des salariés tout au long d’un parcours professionnel sécurisé, choisie par le salarié et reconnue comme qualification dans le cadre de conventions collectives européennes.

C’est dans cette perspective que les écoles, les établissements d’enseignement supérieur, les activités de loisir et tous les espaces d’éducation doivent devenir un lieu public démocratique et collectif qui accueille, reconnaisse, valorise et crée des relations entre les différents acteurs (enseignants, étudiants, parents et la communauté) qui participent au processus éducatif.

Pour toutes ces raisons, il est crucial durant la prochaine période :

1. de continuer à élargir le nombre d’organisations et de mouvements impliqués dans le réseau et qui défendent l’éducation. Il est aussi nécessaire de renforcer l’implication des mouvements d’étudiants, des associations de parents, des syndicats et d’autres organisations et mouvements variés. La lutte pour une éducation publique et gratuite nous concerne tous.

2. D’organiser sur l’éducation des journées d’action commune sur la base de cet appel et avec ce slogan : nous soutenons l’éducation publique et gratuite à tous les niveaux, pour tous sans discrimination. Nous combattons la privatisation.
Nous rejetons une éducation fondée sur le libre marché.

3. Nous appelons à une semaine européenne d’action contre la marchandisation et la privatisation de l’éducation, la 3ème semaine de novembre par exemple. Nous appelons à toutes les actions des étudiants décidées le 17 novembre, journée internationale des étudiants.

4. Si le réseau des services publics décide d’un jour commun d’action, nous soutiendrons et appellerons à participer à cette action.

5. Nous demandons que ces actions soient intégrées à l’appel de l’Assemblée des mouvements sociaux du 4e Forum Social Européen.

La lecture est l’affaire des enseignants

Ce texte a été écrit à l’initiative des chercheurs listés en bas de page. Il a été signé par  le GFEN. Le journal Le Monde du 10 janvier 2006 l’a publié.

Mi-décembre, le ministre de l’Education nationale a communiqué avec force sa volonté d’abandonner la « méthode globale » et toute méthode comparable à ses yeux. Sitôt dit, maires et éditeurs ont été convoqués et a été annoncée une circulaire destinée aux inspecteurs de l’éducation nationale.
A la veille des vacances de Noël, l’état d’urgence devait être proclamé dans les CP !

Le ministre affirme que les causes des difficultés d’apprentissage de la lecture sont multiples dont acte mais se focalise aussitôt sur un seul facteur, les « méthodes d’apprentissage » (comprenons « d’enseignement »).
Comme si, en passant du pluriel au singulier, on pouvait transformer le complexe en simple, et, d’un coup de baguette magique, résoudre un problème qui se pose depuis le début de l’instruction obligatoire. Miracle de Noël ?

La même démarche vaut pour les « méthodes » elles-mêmes : en remplaçant la méthode globale et ses supposés équivalents par une méthode syllabique, le problème sera résolu, déclare le ministre. Hélas, ici encore, la réalité résiste à la pensée simpliste. Il faut savoir en effet que, si de très nombreuses recherches comparatives ont été effectuées, notamment dans les pays anglophones, un grand nombre d’entre elles débouchent sur des conclusions incertaines. Aucune en tout cas ne permet de définir une « méthode idéale ». L’honnêteté scientifique doit aussi conduire à reconnaître qu’il existe quelques études, rigoureusement conduites, dans des pays francophones, en Suisse (1980), en Belgique (1992) et en France (2000), dont les conclusions sont plutôt à l’opposé des opinions du ministre.

Notons enfin que le matériel pédagogique ne constitue qu’une petite partie de ce qui se passe dans les classes et qu’identifier pédagogie et matériel utilisé, c’est encore une fois réduire le problème à sa plus simple expression.
C’est précisément en raison des difficultés que posent les comparaisons entre méthodes que les chercheurs ont été conduits à privilégier une approche en termes de pratiques des maîtres. On pourrait souhaiter que le ministère en prenne acte et renonce à ce qui s’est révélé être une impasse théorique et
pratique.

Vient ensuite l’argument d’autorité : le recours aux « neurosciences ». Comment confondre éducation et neurosciences alors que les échelles de mesure sont tellement disproportionnées ? Nos col-lègues, chercheurs dans les neurosciences, ne savent pas plus ce qui se passe dans une salle de classe que nous ne savons ce qui se passe dans le cerveau. C’est en tout cas ce que disent les plus sérieux d’entre eux.

Le ministre se propose enfin de démontrer en quoi la méthode qu’il met en cause est dangereuse et en quoi la syllabique s’impose à l’évidence. En ce moment pathétique où la Rue de Grenelle rejoint le Café du commerce, le fou rire le dispute à la consternation. Mais il est blessant, pour les maîtres, les formateurs et les chercheurs, de voir ainsi mises en doute leurs compétences professionnelles et la réalité de leurs connaissances par un responsable politique qui aborde des questions dont à l’évidence il
ne soupçonne même pas la technicité : les recherches en la matière, d’une extrême précision, sont publiées dans des articles qui se comptent par milliers. Comment peut-on les balayer ainsi d’un simple revers de main ?

Le plus inquiétant n’est-il pas qu’après que le Parlement a légiféré sur la bonne façon d’enseigner l’histoire de la colonisation, en lieu et place des historiens, un ministre s’arroge le droit de trancher sur la bonne façon d’enseigner la lecture, en lieu et place des professionnels ? A-t-il conscience qu’il dénie aux enseignants ce que l’école laïque leur a toujours reconnu : la pleine responsabilité de leurs démarches pédagogiques ?

A-t-il même conscience d’ébranler gravement la confiance des parents dans l’école ? Dénuée de toute valeur scientifique, en rupture avec la tradition républicaine, la campagne du ministre suscite notre indignation et nourrit nos inquiétudes.

Jacques Bernardin, formateur, IUFM d’Orléans-Tours. Jean-Marie BESSE, professeur de psychologie cognitive, université Lumière Lyon-II. Mireille Brigaudiot , maître de conférences, IUFM de Versailles. Rémi Brissiaud , maître de conférences de psychologie cognitive, IUFM de Versailles. Sylvie Cèbe , maître de conférences, IUFM de Lyon. Eveline Charmeux, professeure honoraire, IUFM de Toulouse. Gérard Chauveau , chercheur associé à l’INRP. Jacques Fijalkow , professeur de psycholinguistique, université de Toulouse-Le Mirail. Roland Goigoux , professeur des universités, université Blaise-Pascal,
Clermont-Ferrand. Philippe Meirieu , professeur des universités, IUFM de Lyon. André Ouzoulias , professeur, IUFM de Versailles.

A ces signataires s’en sont ajoutés environ 1500 autres, dont
de très nombreux enseignants de CP.

École : non au renoncement

Le GFEN est signataire de ce texte-pétition de chercheurs qui critique vivement la réforme des ZEP. Rédigé par Samuel Johsua, Philippe Meirieu et Jean-Yves Rochex, il a été co-signé par
plus d’une trentaine de chercheurs en éducation et a été publié par Libération le 6 janvier 2006.

La « crise des banlieues » qu’a connue notre pays durant le mois de novembre a été l’occasion, ou le prétexte, pour le gouvernement d’annoncer la fin de la scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans, avec la possibilité d’aller en apprentissage sous contrat de travail dès 14 ans ou 15 ans, ainsi qu’une nouvelle
réforme des Zones d’Éducation Prioritaires qui renie toute ambition de transformation progressiste véritable de notre système éducatif.
Certes il est plus que jamais nécessaire de débattre des difficultés, des modalités et des conditions de la démocratisation de notre système éducatif et de l’accès aux savoirs, ainsi que d’opérer un bilan critique des politiques menées depuis trente ans. Mais ce qui nous est proposé aujourd’hui n’a rien à voir avec cela et relève au contraire du renoncement historique à cette ambition.

Une part de l’opinion publique et du monde enseignant est sans doute favorable à la possibilité pour des adolescents, en difficulté au collège, de quitter celui-ci dès 14 ans pour aller en apprentissage.
Mais s’est-on demandé quels jeunes seront concernés en priorité par une telle mesure ? Les fils de ministres, d’avocats, de médecins ou d’enseignants montreront-ils la voie en ce domaine ?
Une telle mesure est bien plutôt un moyen de délester le service public d’éducation des questions que lui posent la difficulté et la relégation scolaires et sociales, tout en brandissant l’argument du réalisme et de la prise en considération de la situation difficile qui est effectivement celle de trop nombreux jeunes d’origine populaire aujourd’hui au collège. Mais ce réalisme est un réalisme illusoire, et il y a pour le moins une énorme hypocrisie à présenter l’apprentissage précoce comme solution pour les jeunes des quartiers les plus paupérisés et les plus stigmatisés : comment peut-on croire ou laisser croire que ces jeunes, qui sont déjà les premières victimes de la discrimination à l’embauche ou pour trouver un stage lorsqu’ils sont élèves de l’enseignement professionnel, ne le seraient plus dès lors qu’ils auraient deux ans de moins ?
C’est, en réalité, un réalisme du renoncement, au nom de l’adaptation à une situation urbaine, sociale, économique, culturelle et scolaire engendrée par une politique libérale qui organise la concurrence systématique entre les individus, accroît les écarts et « externalise » les exclus.

Chacun sait que l’apprentissage à 14 ans, ce sera l’orientation encore plus précoce vers des classes où l’on parquera, en attendant, ceux qui sont les premières victimes du fonctionnement élitiste et socialement inégalitaire de notre système éducatif, ceux qu’il faudrait, non pas chercher à séduire par des promesses illusoires, mais au contraire réconcilier avec l’étude, le travail et la culture scolaires. Chacun sait que cette mesure est aux antipodes d’une véritable formation, générale et professionnelle, et qu’elle témoigne d’un mépris détestable pour les métiers dits «manuels« qu’elle réduit à de simples tâches d’exécution, ne nécessitant qu’une formation scolaire au rabais. Chacun sait que le vrai courage politique ne consiste pas à «traiter« les problèmes par l’exclusion, mais à s’attaquer, le plus tôt possible, et donc dès les premières classes, à la genèse de l’échec et de la ségrégation scolaires. Non l’issue n’est pas dans la politique du renoncement mais dans une politique qui rompe avec la gestion sociale de l’inégalité et de la ségrégation sociales et scolaires, qu’est devenue, au fil du temps, la politique « en
faveur des plus démunis ». Non il n’est plus possible d’accepter que, dans ce domaine comme dans tant d’autres – la protection sociale et l’emploi en particulier –  les hommes politiques qui nous gouvernent
s’évertuent à transformer les victimes en coupables, à envoyer en permanence aux vaincus du libéralisme des signaux leur disant : « C’est de votre faute ! Vous n’aviez qu’à être du côté des vainqueurs ! » Cette pensée qui bafoue l’idéal d’une république sociale est à l’inverse de ce qui permettrait à notre peuple de redresser la tête et de prendre sa place dans un monde solidaire. Faut-il rappeler, une nouvelle fois, qu’« une chaîne ne vaut que ce que vaut son maillon le plus faible » ?

Les mesures annoncées par le gouvernement concernant les ZEP participent ainsi, elles aussi, d’une détestable politique du renoncement. C’est tout d’abord l’annonce selon laquelle cette nouvelle «relance« des ZEP devra se faire à moyens constants, alors que tous les analystes de cette politique insistent sur la faiblesse des moyens qui lui ont été accordés. Annonce renforcée, quelques jours plus tard, au beau milieu des vacances scolaires, par celle d’une diminution de plus de 30 % des postes mis au concours en 2006. C’est ensuite la centration quasi exclusive des mesures annoncées sur les collèges qui, d’une part, pourrait laisser croire qu’il n’y aurait pas de problème en amont, à l’école
maternelle et élémentaire et, d’autre part, qu’il n’est pas nécessaire de s’attaquer aux processus de ségrégation sociale, urbaine et scolaire qui produisent la paupérisation et la précarisation croissantes d’une part de plus en plus grande de la population habitant ou fréquentant les quartiers et les établissements scolaires «de banlieue«. C’est encore la possibilité donnée aux meilleurs élèves de ZEP de s’inscrire dans l’établissement de leur choix, qui affiche, en creux, le peu d’ambition que l’on a pour
les établissements qui concentrent déjà aujourd’hui, et concentreront encore plus demain, les élèves les plus «défavorisés« et, en particulier, évidemment, les lycées de banlieue qui vont se trouver de plus en plus ghettoïsés, bloquant plus que jamais l’ascenseur social qu’on prétend faire redémarrer.

C’est enfin l’accent exclusif mis sur l’individualisation des mesures et sur la volonté, affirmée aussi bien par Gilles de Robien que par Nicolas Sarkozy, de ne plus donner la priorité aux «zones« mais aux élèves. À ce moment encore, derrière une question qui mérite débat (faut-il privilégier une approche en termes de territoires, ou en termes de rapports entre le système éducatif et certaines catégories de population ?) se dissimule à bien mal à une volonté de renoncement à la transformation nécessaire de l’École et de lutte contre toutes les formes de « fracture sociale ». On voudrait nous laisser croire, en privilégiant une logique de traitement individuel, qu’il suffirait de mieux «adapter« les enfants de milieux
populaires (à grands renforts de soutien, de rattrapage, de parrainages, voire de culpabilisation ou de pénalisation de leurs parents) à un système éducatif dont le fonctionnement élitiste pourrait demeurer inchangé. Mais les enfants des « banlieues », ceux des milieux populaires posent au contraire, à notre société comme à notre école, le problème de leur nécessaire transformation ; ils nous obligent à mieux penser et à mettre en œuvre les conditions, sociales, économiques et scolaires de la démocratisation de l’accès au savoir et à l’exercice de la pensée critique. Perspective à laquelle tourne obstinément le dos ce gouvernement autiste, enfermé dans une logique du renoncement qui lui fait brader toute ambition pour l’École et qui le conduit à promettre une scolarité au rabais à ceux qui auraient au contraire besoin, non seulement de plus mais de mieux d’école.

Quand cette politique s’accompagne d’une multitude d’autres renoncements plus ponctuels mais tout aussi significatifs : abandon, en terminale, des Travaux Personnels Encadrés qui permettaient la formation au travail de groupe et à la recherche documentaire exigeants, imposition aux professeurs d’école de la méthode syllabique au détriment d’un apprentissage progressif et critique de la lecture tout au long de la scolarité, présence dans les établissements de forces de police pour faire régner l’ordre alors qu’on refuse à ces mêmes établissements les moyens en conseillers principaux d’éducation et en cadres éducatifs, enseignement des « bienfaits » de la colonisation, réduction de l’éducation civique à l’apprentissage de La Marseillaise , etc…, alors il n’est plus temps de s’inquiéter, il est urgent de chercher, par tous les moyens, à RESISTER.

Samuel Johsua , Philippe Meirieu et Jean-Yves Rochex

Premiers signataires  : Chantal Amade-Escot , Université Paul
Sabatier Toulouse ; Jean-Pierre Astolf I, Université de Rouen ;
Anne Barrère , Université Lille III ; Élisabeth
Bautier , Université Paris VIII ; Stéphane Bonnéry
, Université Paris VIII ; Marc Bru , Université Toulouse-le-Mirail ;
Yves Chevallard , IUFM d’Aix-Marseille ; François Dubet ,
Université Bordeaux II ; Marie Duru-Bellat , Université de
Bourgogne ; Sylvia Faure , Université Lyon II ; Jacques
Fijalkow , Université Toulouse-le-Mirail ; Dominique Glasman
, Université de Savoie ; Roland Goigoux , IUFM d’Auvergne ;
Jean Houssaye , Université de Rouen ; Samuel Johsua , Université de
Provence ; Bernard Lahire , ENS Lyon ; Alain Legardez , IUFM
d’Aix-Marseille ; Claude Lelièvre , Université Paris
V ; Gérard Mauger , CSU-CNRS ; Philippe Meirieu , Université Lyon
II ; Mathias Millet , IUFM de Poitiers ; Jacques Pain , Université Paris
X ; Patrick Rayou , IUFM de Créteil ; Jean-Yves Rochex
, Université Paris VIII ; Françoise Ropé ,
Université d’Amiens ; Gérard Sensevy , IUFM de Bretagne ;
Jean-Pierre Terrail , Université Versailles Saint-Quentin ;
Daniel Thin , Université Lyon II

Appel à signature AFL CEMEA GFEN ICEM

Nous, éducateurs, enseignants, parents, militants de mouvements pédagogiques et d’éducation
populaire, nous ne tiendrons pas compte de la circulaire du Ministre de l’Éducation nationale préconisant une méthodede lecture contraire à la visée émancipatrice de l’Éducation et aux résultats des recherches que nous conduisons.

Depuis plusieurs mois, le terrain avait été minutieusement préparé : jeter le doute dans l’opinion publique, apeurer les parents, valoriser certaines pratiques pédagogiques, en condamner d’autres…

Les événements de novembre, renforçant ces peurs et ces doutes, ont permis de stigmatiser une partie de la jeunesse et de ses enseignants.

La circulation organisée à l’échelle nationale de cette désinformation a constitué une véritable propagande gouvernementale afin de conditionner l’opinion publique.

Imposer une méthode d’apprentissage est déjà en soi un déni d’éducation, réduisant l’acte d’enseigner à une simple exécution et la classe à une somme de techniques et de recettes. Mais lorsque cette méthode vise l’assujettissement de la jeunesse, nous sommes bien dans la propagation d’une idéologie
politique écrasant tout espoir d’émancipation possible par l’éducation.

Des méthodes d’apprentissage où l’enfant est chercheur à celle où l’enfant est dressé, le choix idéologique est limpide : lui refuser dès le plus jeune âge de penser, lui ôter le désir de questionner, de comprendre, de connaître, lui imposer une obéissance passive en l’enfermant d’abord dans des exercices répétitifs et mimétiques… Au-delà de l’apprentissage de la lecture, c’est bien la volonté d’agir sur les capacités réflexives et complexes de la compréhension du monde de toute une jeunesse !

Une jeunesse qui déchiffre et une jeunesse qui lit… Les jeunes des milieux populaires en sauront toujours bien assez pour déchiffrer les programmes de télévision, la publicité et les messages utiles à la consommation. Des textes simplifiés pour les uns, des textes complexes pour les autres, les « héritiers »,
qui les auront d’abord rencontrés dans la famille et les activités culturelles privées …

La méthode syllabique constitue en outre un sérieux atout économique ! Pas la peine de réduire les effectifs ou de dédoubler des classes s’il s’agit de faire répéter en chœur aux enfants des sons et des syllabes. Les récalcitrants seront traités au cas par cas dans les programmes de « réussite éducative » en contractualisant les familles qui devront accepter l’échec, la rééducation et l’orientation comme allant de soi.
Les solutions préconisées ne coûteront rien à l’Éducation nationale puisque déléguées au privé : orthophonistes, soutiens scolaires, formations à distance, éditions scolaires et parascolaires….

On est bien loin de l’école publique, laïque et gratuite pour tous !

Le gouvernement a commencé par la méthode de lecture, emblématique de sa volonté politique et sociale. Mais qu’en sera-t-il demain de l’enseignement des mathématiques, de l’histoire, des arts …. ? Ils ne resteront pas davantage des espaces de mise en œuvre de la pensée.

M. de Robien est bien conscient que sa circulaire va à l’encontre des programmes de 2002. Qu’importe ! Trop ambitieux, ils seront changés pour rompre avec les progrès reconnus par tous dont ils témoignaient.

Non.

Nous appelons tous les enseignants et tous les éducateurs qui travaillent à l’augmentation (difficile car l’école n’est pas seule en cause) de la réussite de tous les enfants et de tous les jeunes à poursuivre ce qu’ils ont engagé et dont les résultats, encore insuffisants, se situent déjà largement au-dessus de ceux des méthodes d’alphabétisation. Celles-ci, du temps où elles étaient utilisées, n’ont jamais permis à 50 % des enfants d’obtenir le Certificat d’études. Aujourd’hui, plus de 60 % d’une classe d’âge obtient le
baccalauréat. Ce n’est pas un hasard.

Poursuivons ensemble !

Janvier 2006

AFL (Association Française pour la Lecture)

CEMEA (Centre d’Entrainement aux Méthodes d’Education Actives)

GFEN (Groupe Français d’Education Nouvelle)

ICEM – Pédagogie Freinet (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne)

Réponse aux propos de de Villepin et de Robien

Déclaration unitaire en réponse aux propos de de Villepin et de Robien

Paris, le 22 décembre 2005

Prenant prétexte de l’expression du malaise social qui s’est exprimé à travers la révolte des jeunes de certains quartiers ces dernières semaines, le gouvernement et sa majorité continuent de mettre en cause les services publics et les valeurs collectives de solidarité qui ont prévalu pour construire les équilibres républicains dans notre pays, notamment le service public et laïc d’éducation nationale.

Avec le projet de budget pour 2006, il porte un nouveau coup au tissu éducatif déjà mis à mal ces dernières années en poursuivant une politique désastreuse de suppression massive de postes et de crédits, mettant ainsi en cause sa capacité même de mener à bien certaines de ses missions. En application des lois Raffarin, Fillon et Borloo imposées malgré l’opposition de la très grande majorité des acteurs sociaux concernés, il met en oeuvre le transfert aux collectivités territoriales des personnels TOS dès le premier janvier pour les non titulaires.
Il renvoie sur les collectivités locales la prise en charge du traitement de l’échec scolaire. Il renforce ainsi les inégalités territoriales et prépare, à plus long terme, la privatisation des services concernés, première étape vers un éclatement du système éducatif national.

Par son projet de retour à l’apprentissage dès 14 ans comme mode de traitement de l’échec scolaire, ce gouvernement contribue à la dévalorisation de la voie professionnelle considérée comme voie d’échec. Il prend en outre une lourde responsabilité devant l’histoire en remettant en cause la nécessité de l’allongement de la scolarité obligatoire, de l’élévation des connaissances et des qualifications pour faire face aux défis culturels, économiques et sociaux du siècle.

Avec les propositions de Robien de mise en place de « réseaux réussite », le gouvernement veut franchir un pas supplémentaire vers une école du tri social en supprimant pour des milliers d’élèves des quartiers difficiles, de la maternelle au lycée, les aides – déjà notoirement insuffisantes – qui étaient apportées aux élèves au travers de la politique des ZEP.

Nous n’acceptons pas cette nouvelle étape dans la dégradation et la destruction des missions du service public d’éducation nationale, institution qui est au cœur du pacte républicain. Remplacer une
ambition collective par des mesures individuelles d’encouragement pour quelques uns ne peut que contribuer au renforcement des ségrégations scolaires, des injustices sociales, de l’exclusion, conduire à sacrifier les perspectives sociales et professionnelles de milliers de jeunes.

Nous n’acceptons pas la logique de culpabilisation des familles et des élèves en difficulté qui permet d’éviter le questionnement sur les causes profondes de l’échec scolaire et sur les transformations à mettre en oeuvre à tous les niveaux du système éducatif pour y faire face.

Cette politique autoritaire, démagogique et populiste est dangereuse pour le pays, elle ne peut conduire qu’à de nouvelles explosions sociales. A l’heure où les banlieues s’enflamment et où les jeunes des quartiers défavorisés désespèrent de trouver une place dans la société, nous affirmons qu’il est possible de mettre en oeuvre d’autres solutions, susceptibles de redonner espoir à la jeunesse, aux familles et au pays.

Nous affirmons qu’il est urgent de refonder un service public capable d’offrir des conditions de scolarisation améliorées pour tous dès la maternelle, tout au long de la scolarité obligatoire, et d’amener chaque jeune à un haut niveau de formation générale, professionnelle et citoyenne.

En faisant de mauvais procès, le gouvernement diffère les légitimes débats que devraient soulever la construction de l’école d’aujourd’hui. En restreignant toujours plus ses ressources, il obère toute faculté de relever durablement ces défis.

Pour l’immédiat nos organisations entendent contribuer à la résistance et la mise en échec des décisions gouvernementales, notamment au moment où se prendront dans les départements et les académies es décisions de carte scolaire pour les écoles, lycées et collèges afin de promouvoir le service public d’éducation en exigeant les moyens indispensables à son développement et son amélioration.

Elles décident de se revoir dans les prochaines semaines pour débattre de la construction d’une grande initiative unitaire nationale permettant d’ouvrir des perspectives de réelles transformations progressistes de l’école de la république.

Lettre ouverte au Ministre EN (2005)

Lettre ouverte à Monsieur le ministre de l’Éducation nationale

Gaston Mialaret,

Professeur honoraire de l’Université de Caen, Docteur
honoris causa des Universités de Gand (Belgique), Lisbonne (Portugal),
Rethymnon (Université de Crête), Bari (Italie), Timisiora
(Bulgarie), Sherbrooke (Canada), Université Laval (Québec),
Membre de l’Académie nationale des Sciences, Arts et Belles Lettres
de Caen.

Le 8 décembre 2005

Monsieur le Ministre,

Je vous ai entendu, mercredi soir sur la chaîne de télévision France 2, condamner, sans appel, telle ou telle méthode d’apprentissage de la lecture utilisée au cours préparatoire. Je me suis demandé ce que faisaient vos conseillers pédagogiques qui auraient pu vous éviter cette formule traduisant une ignorance profonde des problèmes pédagogiques de l’apprentissage de la lecture. Parler d’une méthode, quelle qu’elle soit, sans tenir compte des efforts faits par les maîtresses et maîtres dans leur classe, par les praticiens qui introduisent de nouveaux moyens d’apprentissage (il suffit de consulter les diverses revues pédagogiques ou les travaux faits actuellement (à titre d’exemple) par Rachel Cohen qui introduit les ordinateurs dans les classes et qui les utilise pour l’apprentissage de la langue orale et de la langue écrite), les recherches très sérieuses faites dans nos laboratoires universitaires soit sur le plan linguistique soit sur le plan de la psychologie cognitive de l’apprentissage…. c’est faire fi de tous les efforts réels que l’on peut observer à tous les niveaux et faire preuve d’une ignorance que je ne veux pas croire être celle du Grand Maître de l’Université.

Au-delà des querelles sur les méthodes … qui datent depuis plus de 100 ans, une réflexion sur ce qu’est une méthode permet d’apporter quelques lumières. Une méthode n’existe pas en soi ; elle n’existe qu’à travers un éducateur qui la met en œuvre et plusieurs facteurs sont à considérer avant de pouvoir porter un jugement sur la valeur de telle ou telle méthode.
Une méthode est un ensemble de démarches psychologiques et pédagogiques (quelquefois même sociologiques) qui amène le sujet à l’apprentissage de la lecture. On a distingué, et depuis très longtemps, les démarches synthético-analytiques (en gros les méthodes syllabiques) et les démarches analytico-synthétiques (appelées -un peu à tort- les méthodes globales).
Mais nous savons que les maîtres (qui ont officiellement la liberté de choix de leurs méthodes) adaptent plus ou moins, et selon leur personnalité, leur formation antérieure, les publics élèves qu’ils ont devant eux, le milieu social dans lequel ils enseignent, la méthode choisie. A notre époque un autre facteur intervient : celui de la langue maternelle des enfants et leur degré de connaissance du français. C’est dire qu’en fin de compte ce sont davantage les qualités d’adaptation des maîtres à leur public qui entrent en jeu que les qualités intrinsèques de telle ou telle méthode. Un bon enseignant obtiendra, avec la méthode qu’il se sera choisie ou construite, de bons résultats ; un enseignant mal formé, et quelle que soit la méthode utilisée, aura de mauvais résultats. C’est donc la question fondamentale de la formation des enseignants et les conditions d’existence de notre éducation nationale qui sont au cœur de tous les problèmes.
Ne rejouons pas « Les animaux malades de la peste » de notre cher La Fontaine et ne faisons pas porter, à une méthode ou à une autre, le rôle du pauvre baudet de la fable. Avant de porter un jugement il faut aller plus loin et ne pas se contenter de la solution facile du bouc émissaire qui semble nous dégager de nos responsabilités.

Vous comprenez pourquoi, Monsieur le Ministre, quand je vous ai entendu condamner une méthode d’apprentissage sans aucune justification scientifique, sans expliquer les avantages et les inconvénients
de chacune des méthodes actuelles, j’ai cru rêver car votre attitude était à l’inverse de celle que nous essayons de développer chez tous nos étudiants et chercheurs : la nécessité d’éliminer, dans tout jugement objectif, la part d’opinions, l’influence des modes pédagogiques (les modes existent aussi en pédagogie), le besoin de satisfaire telle ou telle clientèle électorale ou autre.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes sentiments les plus respectueux.

NDLR : Gaston Mialaret est actuellement président d’honneur du GFEN. Il succéda à Henri Wallon, de 1962 à 1969, à la présidence du GFEN et fut l’un des créateurs des sciences de l’éducation en France.

Rôle positif de la colonisation

Nous n’appliquerons pas l’article 4 de la loi du 23 février stipulant que  

« les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif» de la colonisation

Cette pétition, close depuis le 2 janvier, a été lancée à l’initiativede la Ligue des Droits de l’Homme et des Historiens contre la loi du 23 février 2005. Elle a recueilli plus de mille signatures au
cours du mois de décembre, dont celle du GFEN. 

Les députés de la majorité ont refusé le 29 novembre d’abroger l’article 4 de la loi du 23 février stipulant
que « les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif » de la colonisation. Ce qui avait été adopté par une assemblée quasi déserte, en catimini, vient d’être confirmé en toute connaissance de cause. La pétition des historiens contre la loi, publiée par Le Monde du 21 mars, a été à l’origine d’un mouvement de protestation représentatif de la majorité des enseignants et des chercheurs.
La demande d’abrogation a été faite aussi par l’Association des professeurs d’histoire et géographie, par les syndicats d’enseignants, par les associations telles que la Ligue des Droits de l’Homme et la Ligue de l’enseignement. La presse s’en est fait l’écho et a ouvert un débat depuis plusieurs mois. Le gouvernement, en particulier son ministre de l’Education nationale, qui affirme que les programmes
demeurent inchangés, le Président de la République, qui parle de « grosse connerie », mesurent la gravité de la situation ainsi créée, le gâchis qu’ils ont laissé devenir insoluble :

· Une loi qui impose une histoire officielle et nie la liberté des enseignants, le respect des élèves.

· Une loi amputant le passé des millions d’habitants de ce pays, nationaux ou étrangers, qui ne se reconnaissent pas dans cette déformation unilatérale de l’histoire.

· Une loi qui ne peut être appliquée, mais dont on ne peut obtenir l’abrogation.

· Une loi qui compromet le traité franco-algérien de paix et d’amitié en préparation, alors que des liens étroits et anciens associent les deux sociétés.

Cette loi permettra, à l’évidence, à des groupes de pression d’intervenir contre les manuels scolaires et les enseignants qu’ils jugeraient non conformes à l’article 4.

Cette loi, imposée par des groupes de pression nostalgiques du colonialisme et revanchards, nourris d’une culture d’extrême droite, est une loi de régression culturelle en ce début de XXI ème siècle où toutes les sociétés doivent relever le défi de leur mondialisation, assumer leur pluralité, qui est une richesse .

Cette loi discrédite et ridiculise l’image de la société française à l’étranger, et le communautarisme chauvin qui l’inspire ne peut que favoriser des réactions de rejet. Présente dans le droit français, elle reste une menace pour l’avenir : si le gouvernement actuel promet d’en limiter la portée, qu’en sera-t-il de ses successeurs ?
Universitaires, chercheurs, enseignants, nous n’appliquerons pas cette loi scélérate et continuons d’en demander l’abrogation de son article 4.

Nous demandons aux institutions universitaires, aux IUFM, aux associations professionnelles, aux syndicats d’enseignants, aux parents d’élèves d’organiser un vaste mouvement de protestation.

Les associations éducatives en danger !

Texte commun / Septembre 2005

La lettre ouverte des Associations Éducatives Complémentaires de l’Enseignement Public que nous publions ici a été adressée au Président de la République, au Premier Ministre, au Ministre de l’Éducation nationale, aux Présidents des groupes parlementaires, à l’Association des Maires de France, aux députés. Il s’inscrit dans le cadre d’actions communesvers les enseignants, les élus locaux. Vous pouvez aussi contacter votre député, votre conseiller général ourégional ou votre maire sur cette question.

Les associations éducatives en danger !

La diminution, en 2005, de la subvention du Ministère de l’Éducation nationale et la suppression annoncée pour2006 de 800 emplois d’enseignants mis à disposition mettent en grave difficulté les associations éducatives complémentaires de l’enseignement public et l’École publique elle-même.

Ces associations se situent, depuis leur création,dans la logique du développement et du rayonnement de l’Ecole publique. Elles en défendent les valeurs et visent à promouvoir, durant et en dehors du temps scolaire, le service public d’éducation dont elles sont des partenaires incontournables.
Que ce soit dans l’école elle-même, dans les centres de loisirs et de vacances, dans les établissements spécialisés, au sein des ateliers relais, des associations scolaires…, ou au travers des formations qu’elles mettent en place, des colloques et séminaires qu’elles organisent, des revues qu’elles éditent ou des outils éducatifs et pédagogiques qu’elles produisent…, elles occupent depuis des décennies une place décisive dans l’éducation et la formation. Elles contribuent à l’évolution du système éducatif, en
accompagnant nombre de dispositifs innovants dont elles sont souvent à l’origine.
A ce titre, elles bénéficient depuis très longtemps de l’agrément de l’Éducation nationale et du soutien
de l’Etat pour mener leur action grâce à des subventions de fonctionnement et à la mise à disposition d’enseignants (autorisée par le statut de la fonction publique), qui animent et encadrent des réseaux nationaux, régionaux et départementaux avec l’aide de milliers de salariés et plus encore de bénévoles.
Les enseignants mis à disposition de ces associations sont garants de la qualité éducative des projets comme du respect des principes fondamentaux de l’Ecole républicaine. L’évaluation, régulièrement assurée par les inspections du ministère, des missions confiées à ces enseignants confirme le bien-fondé de leur action.

La baisse continue des subventions (moins 20% en 4 ans), la décision de supprimer les postes de mis à disposition, l’absence de référence au rôle éducatif des associations complémentaires dans la Loi d’orientation, marquent une rupture majeure des relations du Ministère de l’Éducationnationale avec ses premiers partenaires éducatifs et illustrent une évolution de la conception de l’éducation à laquelle nous ne pouvons souscrire. Nous réaffirmons la vocation non lucrative de l’action des associations complémentaires et nous opposons aux dérives marchandes qui dénaturent l’éducation, en temps et
hors temps scolaire, creusent les inégalités, asservissent la communauté éducative et déconsidèrent les
missions et le rayonnement des éducateurs.

Dans une période où les questions de formation, d’éducation à la citoyenneté, d’éducation au développement, de laïcité, de temps libre, d’intégration sociale, d’épanouissement personnel de l’enfant… mettent en évidence la nécessaire complémentarité éducative, cette « rupture de contrat » entre l’Éducation nationale et ses premiers partenaires est incompréhensible.
Aujourd’hui, le gouvernement appelle à la mobilisation des associations pour aider à la réalisation de ses politiques en faveur de l’emploi et de la réussite éducative. Nous ne pouvons admettre la diminution, dans le même temps, des moyens attribués aux associations, qui va entraîner la réduction de leurs activités et d’inévitables disparitions d’emplois.
La suppression des mises à disposition d’enseignants serait, selon le ministère, une conséquence technique de la mise en oeuvre de la nouvelle Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF) : les actions des associations ne rentreraient pas dans les objectifs des programmes « Enseignement scolaire » de la LOLF adoptés par le parlement.
Nous ne pouvons entendre cet argument. En effet, s’il ne s’agit pas, comme l’affirme le Ministère,
d’une volonté politique délibérée d’affaiblir les associations complémentaires de l’École, mais d’une « omission » du législateur, celle-ci doit être rattrapée de toute urgence pour permettre aux associations de retrouver leur place au sein de l’École.

Nous demandons au Ministre de l’Éducation nationale et au Premier Ministre de présenter devant le Parlement un rectificatif au programme « Enseignement scolaire » de la LOLF intégrant les objectifs éducatifs dont sont porteuses les associations.
Nous leur demandons également de revenir sur les décisions de réduction des moyens pour 2005 et de suppression de la mise à disposition d’enseignants en septembre 2006.

Ces demandes sont essentielles, car elles engagent la qualité des actions menées au quotidien par les associations éducatives complémentaires, dans et hors l’École, au service d’une Éducation démocratique, laïque et responsable.

Nous appelons dans le même temps à la mobilisation de tous les acteurs de l’éducation pour combattre ces décisions qui, si elles ne sont pas remises en cause, affaibliront durablement la capacité d’intervention des mouvements laïques.

Les signataires :

ADOSEN : Action et documentation santé pour l’éducation
nationale


AFL : Association française pour la lecture


ALEFPA : Association Laïque pour l’Education, la Formation,
la Prévention et l’Autonomie


ANATEEP : Association nationale pour les transports éducatifs de
l’enseignement public


APAJH : Association pour adulte et jeunes handicapés


CEMEA : Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation
active


CRAP : Cercle de recherche et d’action pédagogiques


EEDF : Eclaireuses et éclaireurs de France


E&D : Education et devenir


ENTRAIDE UNIVERSITAIRE


FFCU : Fédération française des clubs Unesco


FGPEP : Fédération générale des pupilles de
l’enseignement public


FNCMR : Fédération nationale des centres musicaux ruraux
de France


FOEVEN : Fédération des oeuvres éducatives et de
vacances de l’éducation nationale


FRANCAS : Fédération nationale laïque de structures
et d’activités éducatives, sociales et culturelles


GFEN : Groupe français d’éducation nouvelle


GREF : Groupement des retraités éducateurs sans frontières


ICEM pédagogie Freinet : Institut coopératif de l’école
moderne


JPA : Jeunesse au plein air


LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT


OCCE : Office central de la coopération à l’école


PEUPLE ET CULTURE


SOLIDARITE LAIQUE


FSU : Fédération syndicale unitaire


SNEP FSU : Syndicat national de l’éducation physique et du
sport/FSU


SNES FSU : Syndicat national des enseignements de second degré
/FSU


SNUIPP FSU : Syndicat national unitaire des instituteurs professeurs des
écoles et Pegc/FSU


SGEN CFDT : Syndicat général de l’éducation
nationale/CFDT


UNSA EDUCATION : Union nationale des syndicats autonomes de l’éducation


SE UNSA : Syndicat des enseignants/UNSA


SNPDEN UNSA : Syndicat national des personnels de direction de l’éducation
nationale/UNSA


SI.EN UNSA : Syndicat de l’inspection de l’Education nationale/UNSA


FCPE : Fédération des conseils de parents d’élèves
des écoles publiques

 

Pas de compétition

2003

pas de compétition entre les régions
pas de compétition entre les établissements
pas de compétition entre les professeurs
pas de compétition entre les élèves

L’Ecole risque aujourd’hui une régression historique

Les principes d’égalité en matière de santé, d’accès au savoir, et de protection sociale sont les fondements historiques de notre démocratie. Ils sont remis en cause par les mesures et les projets gouvernementaux.
Face à cela, les forces actives de l’école et de la société se mobilisent :

L’école n’est pas une entreprise , sa mission est de créer des citoyens capables de raisonner, de
s’impliquer dans des décisions concernant l’avenir, la vie commune.

Le savoir n’est pas une marchandise.

Les élèves et les familles ne sont pas des clients.

Les fonctions premières de l’école – transmission des savoirs et formation à la citoyenneté – ont besoin aujourd’hui de transformation :

Pour cela, une tâche éthique et politique, décisive aujourd’hui,
est de redonner confiance au potentiel considérable qui existe dans notre pays,
pour peu que soit avancé ce pari à la fois philosophique et réaliste :

 » tous les jeunes, tous les adultes portent en eux des potentialités immenses,
souvent inemployées, pour penser, inventer, apprendre et agir ensemble « .

L’école a besoin de se transformer pour plus d’égalité mais pas d’être dénationalisée !
L’école a besoin de former et de se former à plus de démocratie mais pas d’être démantelée !
La jeunesse a besoin de perspectives d’avenir de mobiliser ses potentialités mais pas d’être triée ni mise en concurrence !

Les valeurs ne peuvent exister
que dans les pratiques qui les construisent.

Des transformations sont possibles
à tous les niveaux de l’Ecole pour développer :

–> Une conception forte des savoirs et de l’acte d’apprendre
– redonner sens aux savoirs : revenir aux interrogations vivantes qui les traversent, aux obstacles qu’ils ont dû franchir pour surmonter opinions et certitudes du moment. Retrouver le goût de l’aventure humaine et la portée émancipatrice dont ils sont porteurs. Quand les connaissances, segmentées et cloisonnées, sont exposées et imposées comme évidences à retenir et reproduire, elles ne peuvent engendrer qu’ennui, exclusion, docilité.
Les savoirs doivent former à une pensée complexe, créatrice, agissante sur le monde.
– quand les élèves peuvent SE questionner, aborder différences et contradictions pour construire, au cœur même de l’acte d’apprendre, la capacité à argumenter, écouter, prendre en compte, concevoir ensemble, cela constitue réellement

une formation à la démocratie DANS le savoir

–> Une conception forte de la vie dans l’établissement
L’Ecole est un lieu privilégié pour permettre l’exercice de pratiques solidaires qui établissent des relations citoyennes à tous niveaux. Personnels de l’éducation et élèves ne sont pas de simples usagers ou consommateurs d’un établissement mais ils doivent être pleinement acteurs de

la démocratie DANS la vie de l’établissement

–> L’ouverture vers le monde social, professionnel, culturel…
Les projets quand ils sont élaborés et réalisésnon pas seulement pour les élèves, mais AVEC et PAR les
élèves sont de puissants leviers pour

une formation à la démocratie DANS les projets

Aucune transformation ne se ferasans les acteurs principaux de l’acte éducatif, ni contre eux.
A nous de faire exister concrètement, dans les pratiques, l’idéal d’une société où prennent sens
l’égalité et la solidarité.

Comprendre les parcours de ruptures scolaires

Comprendre les parcours
de « ruptures scolaires » et de
« déscolarisation » des collégiens de milieux populaires

Daniel THIN
Maître de conférences en sociologie, groupe de recherche sur la Socialisation,
université Lumière Lyon 2

Intervention de Daniel THIN sur la compréhension des parcours de « ruptures scolaires » et de « déscolarisation  » des collégiens de milieux populaires à partir de ses recherches, sur les relations entre les familles populaires et l’école.

Actes des séminaires interacadémiques 2001-2002  – Regroupement des acteurs des classes relais à site EDUSCOL.

Mon intervention sera centrée sur la compréhension des parcours de « ruptures scolaires » et de « déscolarisation  » des collégiens de milieux populaires, parcours qui sont ceux des collégiens passant par les classes relais. Elle se fonde sur mes recherches, sur les relations entre les familles populaires et l’école (1 d’une part, et sur le « désordre scolaire » dans les collèges (2) d’autre part, sur ma connaissance des classes relais, enfin sur une recherche qui débute et porte sur la reconstruction de parcours de « déscolarisation » et de « ruptures scolaires ». Mon propos se trouve donc à mi-chemin entre des analyses fondées sur des travaux achevés et des hypothèses ancrées dans ces analyses, mais qu’il reste à confirmer et à préciser par un travail d’étude de parcours de collégiens en voie ou en situation de « ruptures scolaires ».

Les collégiens de milieux populaires sont les plus touchés par les  » scolarités avortées » qui sont « dix fois plus fréquentes pour les enfants d’ouvriers que pour les enfants de cadres » (3) et qui surviennent plus tôt, avec des conséquences sociales plus importantes que pour des enfants d’autres catégories sociales. Pour l’essentiel, ce sont les collégiens qui fréquentent les classes relais et les autres dispositifs de prise en charge des élèves les plus réfractaires à l’ordre et aux logiques scolaires. Ces « scolarités avortées » et tumultueuses s’ancrent dans le rapport global des enfants des milieux populaires à la scolarisation et sont une variante, toujours possible, de la scolarisation des enfants des milieux populaires les plus démunis. On ne peut pas isoler les parcours des collégiens en « ruptures scolaires » de la question de la scolarisation des enfants des milieux populaires. On peut même soutenir que nombre d’élèves issus des mêmes milieux sociaux qui connaissant un cursus scolaire plus favorable restent dans un rapport difficile à leur scolarité et sont encore tentés ou menacés par les « ruptures scolaires » ou « la déscolarisation », même si celles-ci n’ont pas les mêmes conséquences que pour les collégiens.

Je pense ici à des lycéens bien sûr mais aussi à des étudiants qui, bien que parvenus dans un cycle d’études supérieures, restent en difficultés au plan cognitif, ne parviennent pas toujours à se soumettre aux règles et exigences pédagogiques, restent  » tiraillés  » entre deux mondes et sont souvent proches du renoncement et parfois de la production de désordre. C’est d’ailleurs parmi eux que le taux d’abandon des études supérieures est le plus important.

J’aurais ainsi tendance à relativiser la spécificité des collégiens de milieux populaires qui passent dans les classes-relais parce que, finalement, on s’aperçoit que des problèmes qui se ressemblent mais avec une acuité différente et un aboutissement différent se retrouvent pour nombre d’enfants des familles populaires les plus démunis à différents niveaux de la scolarité.

D’ailleurs, les comportements des collégiens pris en charge dans les classes relais ne se démarquent pas d’une manière radicale des autres collégiens des quartiers populaires.

De quelques comportements communs aux collégiens des quartiers populaires

Les comportements que j’ai observés sont assez généralisés dans les établissements concernés mais avec des degrés d’intensité variables selon les élèves, selon les classes, selon les moments, selon les enseignants. Evoquons rapidement quelques caractéristiques de ces comportements.

Les pratiques des élèves sont marquées par une absence de césure ou par une coupure peu marquée, en tout cas difficile à réaliser, entre le temps de la classe et le temps hors-classe. Cela se manifeste par un temps long pour se mettre au travail et pour adopter l’attitude attendue, par la poursuite de l’effervescence juvénile propre à la cour de récréation, par la conservation des tenues portées hors de la classe, etc. Cette conservation est très symbolique et constitue sans doute une manière de signifier qu’ils ne jouent pas vraiment le jeu, qu’ils sont dans la classe sans y être, pas vraiment entrés, encore ou déjà dehors, toujours prêts à sortir, à partir, qu’ils ne s’installent pas vraiment dans l’espace des apprentissages, qu’ils n’entrent pas dans leur rôle d’élève.

Les attitudes des collégiens révèlent des corps insoumis aux contraintes scolaires, insoumission qui se dévoile à travers les mouvements incessants dans la classe, les prises de parole non réglées mais aussi les corps avachis voire inertes qui signalent que l’élève n’est pas dans le jeu scolaire, en tout cas qu’il ne participe pas scolairement aux activités pédagogiques de la classe.

Les comportements sont faits également de contestations de l’autorité pédagogique : fréquentes provocations pour tenter de perturber le cours, « tactiques de réciprocité » (4), c’est-à-dire pratiques qui consistent à faire payer à l’enseignant la manifestation de son autorité ou les sanctions négatives, dénégation de l’autorité enseignante pouvant aller jusqu’à l’affirmation d’une autre légitimité ou d’une autre autorité dans la classe.

La distance au jeu scolaire prend des formes qui perturbent moins directement l’ordre de la classe et qui consistent à éviter les contraintes scolaires sans nécessairement perturber le déroulement des cours. Ces tactiques d’évitement peuvent profiter des modes d’organisation des activités pédagogiques qui permettent de donner l’illusion à l’enseignant que les élèves participent, alors qu’ils n’effectuent pas les tâches demandées. Elles consistent à effectuer le moins de travail possible en essayant de ne pas s’attirer d’ennui, elles utilisent les nombreuses ressources de l’organisation du collège (infirmerie, bureau des surveillants…). Finalement, avec ces tactiques pour se frayer une voie hétérodoxe à travers la temporalité scolaire, c’est une sorte de chemin buissonnier que les élèves tentent et parviennent à dessiner au sein même de l’espace et du temps scolaire.

Ces comportements ne sont pas le fait de quelques individualités dans les collèges de quartiers populaires. De très nombreux élèves les mettent en œuvre avec plus ou moins d’intensité et la plupart des élèves sont le plus souvent des spectateurs actifs, complaisants voire encourageants, des frasques, des bagarres simulées ou réelles, etc. Contrairement à la croyance de nombre d’agents de l’institution scolaire qui pensent que l’on pourrait réduire le « désordre » scolaire en isolant les élèves les plus perturbateurs, il n’y a pas de véritable solution de continuité entre les élèves les plus perturbateurs ou les plus en « ruptures scolaires » et les autres.

Ambivalence des collégiens des milieux populaires

Pour en terminer avec les caractéristiques des collégiens des milieux populaires les plus réfractaires aux logiques scolaires, je soulignerai leur forte ambivalence à l’égard de l’école et de la scolarisation. L’ambivalence est déjà présente dans la revendication de leurs compétences ou de leurs possibilités scolaires, au moins potentielles, en même temps qu’ils affirment leur rôle de perturbateurs, de « oufs », etc. Elle est également visible dans leurs rapports aux enseignants : on observe une sorte de jubilation quand ils savent qu’ils peuvent désorganiser un cours avec tel enseignant et la manifestation de leur intérêt ou de leur attachement pour les enseignants avec lesquels l’ordre est plus clairement établi. L’ambivalence se voit encore si on observe qu’il existe de fortes attentes à l’égard de l’école qui peuvent se combiner avec un rejet de celle-ci. Et l’on voit des collégiens continuer à vouloir obtenir une reconnaissance scolaire (« Je ne suis pas nul ! ») tout en contestant l’école et l’intérêt qu’elle représente ou rêver de réussite tout en se montrant incapables de se soumettre aux exigences scolaires…

L’ambivalence peut être rattachée aux contraintes ou aux injonctions contradictoires, paradoxales dans lesquelles les élèves sont souvent pris : exigences scolaires versus contraintes familiales, attentes scolaires à l’égard de l’élève versus système d’obligations propre au groupe de pairs, respect de l’autorité professorale versus loyauté à l’égard des pairs. Ces contraintes peuvent passer par des demandes et des discours incompatibles qui placent l’élève dans une situation intenable.

Sans doute, pour les collégiens les plus en rupture avec la scolarisation, l’ambivalence tend à se résoudre en refus de la scolarisation, mais je crois que chez nombre d’entre eux l’ambivalence persiste longtemps.

L’articulation de différentes dimensions qui font processus

Le fondement des difficultés de scolarisation d’une partie des élèves des milieux populaires réside dans la rencontre, la confrontation entre ce que vivent les élèves hors du collège et ce qu’ils vivent dans le collège, entre le monde dans lequel vivent les élèves et le monde du collège, entre les logiques familiales, les logiques des quartiers populaires et les logiques scolaires. Les collégiens des quartiers populaires les plus socialement désavantagés partagent une même expérience de la tension entre les exigences scolaires et leurs autres expériences. Ces tensions peuvent être la source d’un refus de l’école et de la scolarisation, même si tous ne sont pas conduits à une rupture scolaire tels que ceux qui sont envoyés dans les classes relais. On peut penser que les élèves les plus en rupture cumulent les tensions et que, dans le cadre de cette tension, des processus entrecroisant les histoires scolaire, familiale, liées au quartier, peuvent conduire aux ruptures scolaires les plus marquées.

Si l’on veut comprendre les parcours de « déscolarisation », il faut les comprendre dans le cadre de cette « problématique » de la scolarisation des enfants des milieux populaires. Il faut s’efforcer de saisir les connexions entre les différents événements biographiques des jeunes comme de comprendre l’enchevêtrement des processus et des événements. Par exemple, essayer de saisir le type de réaction familiale aux événements scolaires marquants ou les effets des péripéties de la vie familiale sur la scolarité, ou encore comment la tension entre sociabilité juvénile des groupes de pairs et « jeu scolaire » peut se résoudre au « profit » du pôle des groupes de pairs si les résultats scolaires ne sont pas à la hauteur des espérances et comment l’attraction des pratiques juvéniles les moins scolaires peut renforcer les difficultés scolaires. Ainsi, « ruptures scolaires » et « déscolarisation » ne peuvent être réduites à des dysfonctionnements familiaux ou scolaires, à des situations d’anomie mais doivent être envisagées comme l’aboutissement de processus se déroulant dans une configuration de relations et de contraintes d’interdépendance contradictoires, concurrentielles, divergentes.

Les éléments d’analyse présentés ci-dessous ne sont donc séparés que pour l’exposé. Ils ne le sont pas en pratique dans les parcours de ces collégiens : c’est dans l’enchaînement ou dans l’articulation de différentes dimensions que l’on peut ou doit trouver les fondements des parcours de « ruptures scolaires » et de « déscolarisation ».

L’expérience scolaire et le rapport au savoir…

Essayons d’imaginer ce que peut être l’expérience des apprentissages scolaires d’un enfant issu d’une famille que tout éloigne de la culture scolaire. Il n’y a aucune raison de penser un rapport négatif, totalement négatif d’emblée. Certes, l’enfant a pu entendre ses parents relater ou évoquer des souvenirs scolaires négatifs tout en affirmant d’ailleurs l’importance de l’école. Certes, il ne fait guère de doute qu’un des premiers sentiments est un sentiment d’étrangeté du monde de l’école et des savoirs scolaires. Ceci ne suffit pourtant pas à construire un rapport négatif a priori à l’école et aux apprentissages scolaires.

On connaît d’ailleurs des élèves en nombre non négligeable qui dépassent ce sentiment d’étrangeté pour s’identifier positivement au mode de l’école et de ses savoirs.

C’est dans l’expérience scolaire, articulée avec l’histoire et la socialisation familiales, que se construit le rapport aux apprentissages scolaires. Cette dimension est importante car si les « ruptures scolaires » ne peuvent s’expliquer uniquement par des difficultés cognitives, tous les élèves en « ruptures scolaires » construisent un rapport négatif aux apprentissages scolaires et au travail scolaire. Concernant cette question des savoirs et des apprentissages scolaires, on peut formuler plusieurs remarques.

Les difficultés cognitives commencent avec le langage de l’école dans lequel nombre d’élèves ont du mal à entrer. Pour parler comme Bernard Lahire (5), passer d’un langage oral-pratique, fortement implicite, enraciné dans le contexte d’énonciation, à un langage scriptural-théorique, plus explicite et à prétention plus universelle est une difficulté à laquelle les enfants des milieux populaires sont confrontés. Du même coup, ils sont confrontés à une tension entre la socialisation familiale et la socialisation scolaire tant la socialisation passe par le langage.

Il existe souvent un malentendu sur ce que doit être un bon élève. Nombre d’élèves des milieux populaires semblent penser qu’être un bon élève, c’est d’abord bien remplir ses devoirs d’élèves, travailler, répondre aux enseignants, etc., idée renforcée sans doute par le discours des parents qui valorisent avant tout cette dimension, notamment parce qu’ils maîtrisent peu la dimension cognitive. Lorsque cette application à être un bon élève ne suffit pas, il en résulte une incompréhension des sanctions négatives du travail effectué (c’est le : « mais j’ai pourtant beaucoup travaillé » que l’on entend jusqu’à l’université).

Autre malentendu : faute de comprendre les intentions pédagogiques des enseignants, les élèves tentent de répondre à leurs demandes à partir de ce qu’ils savent faire comme cette élève en classe de primaire qui essayait de repérer les mots qu’elle connaissait dans les listes proposées par l’enseignant pour répondre « juste » quand celui-ci demandait de lire ce mot. Elle générait l’illusion pour l’enseignant comme pour elle qu’elle savait lire ce qui n’était pas le cas. On pourrait dire qu’il s’agit d’une sorte d’adaptation désespérée qui désespère davantage lorsqu’il apparaît qu’elle ne produit pas des résultats scolaires à la hauteur des attentes.

Evoquons encore les évaluations du type « passable », « insuffisant » ou « nul » qui fonctionnent comme autant de qualification négative de l’élève lui-même et qui génère le sentiment d’indignité comme celui d’injustice. A propos d’évaluation, il faut dire un mot des « erreurs évaluatives » ou des injustices évaluatives que peuvent produire les enseignants à leur corps défendant.
Exemple : en CP les enfants doivent travailler les notions « devant » et « derrière ». L’enseignant leur propose un travail qui les place devant des objets dessinés (un camion, une caravane…) orientés vers la droite et on leur demande si le camion est devant le cheval ou derrière. Premier problème : on dit devant alors que l’on présente les choses de droite à gauche.
Peut-être qu’un enfant sait ce qu’est devant et derrière en pratique mais on est en train de lui demander ce qu’est devant et derrière vu de droite à gauche. Poursuivons l’exemple : une enfant dit : « j’ai eu A partout à mes évaluations sauf à devant et derrière mais c’est parce que je ne savais pas ce qu’était un mobil home ». Or, l’enseignante qui ne sait peut-être pas que l’enfant ne connaît pas ce qu’est un mobil home… conclut à une difficulté avec les notions de devant et derrière. On se trouve confronté à un malentendu sur ce que l’on évalue et quand on entend des collégiens dire « c’est injuste, il m’a mal évalué… », ils peuvent renvoyer à ce genre de malentendu.

Compte tenu des écarts entre la socialisation primaire (dans la famille) et la socialisation scolaire, il est probable que cette situation se renouvelle plus souvent pour les enfants des milieux populaires les plus démunis au plan scolaire. En outre, l’enfant qui ne peut dire cela à personne parce que chez lui on ne peut donner du sens à ce genre de question, qui vit un grand nombre de fois ces malentendus, des injustices interprétatives de la part de l’enseignant peut se construire très jeune et progressivement le sens de l’injustice de la situation scolaire sans que jamais il y ait des injustices manifestes et « voulues ».

On pourrait ajouter que, si la difficulté à conférer un sens aux savoirs scolaires (6 est grande pour beaucoup d’élèves, elle l’est d’autant plus pour les élèves de milieux populaires qui n’ont pas de référence familiale leur permettant de répondre à la question « à quoi ça sert ? ». Les savoirs construits ou transmis à l’école ont de plus en plus de sens par rapport à une finalité lointaine et ce dès l’école élémentaire. Or, dans les familles populaires aux parents peu ou pas scolarisés, il y a peu d’outils pour raccrocher les apprentissages à ces finalités lointaines (on tente plutôt de les raccrocher à une opérationnalité immédiate et pratique). Accepter d’apprendre à l’école, c’est accepter de différer le temps où cela va être utile ou rentable, c’est en quelque sorte être dans une logique d’épargne cognitive. C’est d’autant plus difficile que l’on n’a pas les outils évoqués à l’instant et que l’on est dans un rapport au temps qui ne permet pas de se projeter facilement vers l’avenir.

Sans doute aurions-nous beaucoup à gagner à saisir comment les collégiens les plus réfractaires à l’ordre scolaire ont vécu plus que d’autres ces malentendus et ces « injustices » ou ce qu’ils ont ressenti comme tel. Lorsque, confrontés à l’évaluation négative de leur travail, ils disent « ce n’est pas juste », ils renvoient peut-être bien à ces dimensions de leur expérience scolaire. Il y a là un facteur de « ruptures scolaires » à considérer avec attention car l’hostilité ambiguë à l’école est aussi le produit d’une déception et d’un sentiment d’injustice qui se combine avec la tension entre la socialisation primaire et la socialisation scolaire. En outre, cette expérience scolaire est aussi productrice d’un sentiment de disqualification de soi, d’un sentiment d’indignité de soi (« On est nuls ! », « on est la classe des nuls
! »). Ces sentiments ne sont sans doute pas étrangers à l’agressivité témoignée à l’égard des agents de l’institution scolaire ou aux différentes formes de retrait du jeu scolaire.

La tension entre la socialisation primaire (familiale) et la socialisation secondaire (ici scolaire)

Les difficultés d’apprentissage s’articulent à la tension entre la socialisation scolaire et la socialisation familiale. Cette tension est au cœur de la confrontation entre les logiques scolaires et les logiques familiales.

La confrontation avec la socialisation familiale

Elle se manifeste dans l’écart entre le mode d’autorité familial et le mode d’autorité à l’école, dans l’écart entre l’approche familiale des apprentissages scolaires et celle des enseignants, dans la différence entre le rapport instrumental à l’école, présent dans nombre de familles populaires et le rapport pédagogique au savoir, ou encore dans la fréquente discordance entre les contraintes domestiques des familles et les exigences scolaires, etc.

Mode d’autorité

Prenons l’exemple du mode d’autorité. Dans les familles populaires, l’autorité des parents et le mode d’action sur les enfants reposent surtout sur le principe d’une contrainte extérieure qui suppose une surveillance directe (« Il faut être derrière »). L’autorité se manifeste sous forme de sanctions contextualisées, c’est-à-dire appliquées directement à l’acte répréhensible ou réprouvé et ayant pour intention d’abord d’interrompre celui-ci. Du coup, ce mode d’autorité implique que l’autorité, inséparable du contexte dans lequel il s’applique, ne peut s’exercer que par la présence physique des parents. Du coup, encore, la sanction tend à primer la justification de la sanction en même temps que l’acte réprouvé est davantage visé que l’intention de son auteur. On est ici à l’opposé de pratiques qui viseraient de manière privilégiée à transmettre et à faire intérioriser une morale par un discours éducatif, à produire des dispositions, par explicitation de principes moraux, qui permettent aux enfants de faire eux-mêmes la part des choses, de discerner les « bonnes » influences des « mauvaises ».

Il s’agit davantage de surveiller, d’interdire ou de limiter les actions des enfants, particulièrement à l’extérieur du domicile familial, que d’inculquer des règles de sécurité, de moralité… auxquelles les enfants soumettraient leurs comportements. En d’autres termes, les pratiques des parents des familles populaires agissent davantage par contrainte extérieure qu’elles ne visent à générer une auto-contrainte chez leurs enfants.

Or, à l’inverse, l’École aujourd’hui valorise l’autonomie entendue comme capacité des enfants à se conduire d’eux-mêmes conformément aux règles de la vie scolaire et plus largement sociale (c’est un des principes de l’autonomie scolaire dont on parle tant aujourd’hui).

Cette différence a pour conséquence (entre autres) que les parents sont souvent perçus par les enseignants comme défaillants du point de vue de l’autorité qu’ils exercent sur leurs enfants (à la fois « trop rigides » et « trop laxistes »), « défaillance » qui serait à la source des comportements non conformes aux règles scolaires de certains enfants des milieux populaires. A l’inverse, cette confrontation des modes d’autorité est porteuse d’une disqualification potentielle des parents.
En tout cas, ceux-ci peuvent se sentir deux fois disqualifiés : une fois parce qu’ils maîtriseraient insuffisamment les comportements de leurs enfants ; une fois parce que les modalités de leur action sur ces comportements seraient trop brutales ou attentatoires à l' »autonomie » des enfants. Ce sentiment de disqualification peut contribuer à désarmer l’autorité des parents là où on voudrait la renforcer, surtout si on considère que les enfants eux-mêmes, découvrant à l’École un autre mode d’autorité, d’autres principes de légitimité des adultes, peuvent mettre en cause l’autorité parentale « traditionnelle ».

Le rapport à la scolarité

Poursuivons avec le rapport à la scolarité des familles populaires. On doit affirmer d’abord qu’il n’existe pas de désintérêt des familles populaires à l’égard de la scolarité des enfants, même si cet intérêt ne se manifeste pas conformément aux souhaits des enseignants. L’École est incontournable pour les parents qui attendent de celle-ci des effets concrets sur la vie sociale de leurs enfants. Le sens de la scolarisation pour les familles populaires réside dans les possibilités sociales qu’elle génère et dont elle porte la promesse, que ce soit en termes de débouchés professionnels ou en termes de savoirs permettant de « se débrouiller » dans la vie quotidienne.

Pour ces parents, chaque instant de la vie scolaire, comme chaque activité pédagogique, est appréhendé et doit s’inscrire directement dans la perspective de l’efficacité sociale. Autrement dit, les activités scolaires ne prennent sens que s’ils peuvent les relier aux objectifs sociaux qu’ils assignent à la scolarisation de leurs enfants. Par conséquent, toutes les activités qui semblent détourner les enfants des apprentissages dits fondamentaux et ne semblent pas participer à l’amélioration des résultats scolaires sont plus ou moins suspectes à leurs yeux et ne prennent pas sens dans la logique de scolarisation des familles populaires. Dès lors que le savoir ne peut venir que de l’École et que les enjeux sociaux sont primordiaux, les parents ne comprennent pas que le temps de l’École soit détourné des acquisitions qu’ils jugent fondamentales. Cette logique conduit les parents à focaliser leur attention sur l’apprentissage des savoirs qu’ils estiment centraux et à séparer nettement ce qui leur semble utile pour la scolarité de ce qui leur paraît très secondaire.

En outre, on observe une opposition entre des parents qui attendent de l’École des savoirs appréhendables dans leur opérationnalité immédiate et pratique et la logique pédagogique qui s’inscrit dans la durée, qui fonde le sens des apprentissages dans des objectifs plus lointains et plus généraux ou plus universels, dont les finalités ne se dévoilent qu’à long terme dans la maîtrise de procédures intellectuelles abstraites. Cette tension est également au principe des réticences de nombreux parents face aux activités pédagogiques qui apparaissent ludiques, face aux sorties, classes transplantées, etc. D’une part, elles ne semblent pas rentables immédiatement et leur finalité en termes d’apprentissages n’apparaît pas d’emblée alors que les activités plus sérieuses et plus laborieuses permettent, pour les parents, l’apprentissage d’un contenu et surtout l’amélioration sensible des résultats scolaires. D’autre part, elles s’opposent à la logique du sérieux et du travail qui, au regard des familles populaires, préside à la scolarité et elles rencontrent la forte coupure entre jeu et travail caractéristique des classes populaires. Cette opposition rejoint les questions des élèves qui se demandent à quoi ça sert ce qu’on leur enseigne et qui ne peuvent rattacher une large partie des savoirs transmis à un objectif ou à une pratique facilement identifiable dans leur « milieu » d’origine.

Il faut prendre en compte ce rapport à la scolarité, associé au fort sentiment d’incompétence et d’illégitimité en matière scolaire pour comprendre par exemple la manière dont les parents agissent à l’égard du travail scolaire de leurs enfants. En gros, ils oscillent entre une attitude de « retrait » considérant qu’ils ne peuvent aider leurs enfants voire qu’ils peuvent leur nuire en intervenant dans le travail scolaire et une attitude de « surinvestissement » consistant à en rajouter par rapport à la demande des enseignants.

Les pratiques familiales vis-à-vis de la scolarité sont toujours des manières de s’approprier la situation scolaire que les parents ne peuvent contourner. Les modalités de cette appropriation entrent en contradiction avec les attentes et les souhaits des enseignants. Le « suivi distant » d’une partie des parents est jugée insuffisant, mais lorsqu’ils s’impliquent davantage dans la scolarité de leurs enfants, ils le font selon des modalités non conformes aux méthodes et aux principes pédagogiques. Ainsi, les pratiques de « sur-scolarisation » sont contraires à la logique pédagogique d’aujourd’hui qui suppose l’apprentissage de l’autonomie dans le travail scolaire et par là plus largement dans la vie sociale. Pour les enseignants, les parents, qui méconnaissent l’autonomie encadrée qu’ils préconisent, oscillent entre le laxisme et l’excès de contrainte en matière de scolarité, tombant ainsi de Charybde en Scylla. Dès lors, le malentendu est souvent grand entre les parents et les enseignants.

De nombreux parents ne peuvent comprendre les remarques et les critiques des enseignants qui leur reprochent les trop grandes contraintes qu’ils font peser sur le travail scolaire de leurs enfants, car ils sont convaincus de faire tout leur possible pour la scolarité de leurs enfants. De la même manière, ils ne comprennent pas que les résultats scolaires ne s’améliorent pas malgré l’accumulation des exercices « scolaires » à la maison et quelques-uns s’interrogent alors sur la qualité pédagogique des enseignants.

Des familles fragilisées

Cette tension entre les logiques familiales et les logiques scolaires semble exacerbée dans nombre de familles dont les enfants sont en « ruptures scolaires » ou en cours de « déscolarisation » comme nous le montre l’analyse des dossiers de collégiens prise en charge dans des dispositifs relais. Elle est d’autant plus exacerbée que les familles sont fragilisées par les conditions sociales d’existence qui ne sont pas sans effet sur leur rapport au monde et aux autres.

Temporalité

On peut ainsi parler de la temporalité produite par la précarité et qui éloigne des temporalités scolaires et, plus largement, institutionnelles. L’école, c’est le mode de la régularité temporelle, du découpage réglé du temps, du temps scandé par les horaires des cours, les récréations, les vacances, les devoirs à effectuer… C’est aussi le monde où l’on attend des élèves qu’ils sachent organiser leur temps pour remplir leurs devoirs d’élèves à temps, dans les temps, qu’ils sachent anticiper sur les différentes tâches à remplir, sur les échéances et même qu’ils sachent travailler pour le long terme, en dehors de toute échéance précise et à court terme…

Lorsque l’on regarde du côté des familles les plus précarisées, c’est une tout autre forme de temporalité qui se dégage, une temporalité que l’on pourrait qualifier de temporalité de l’urgence et de l’instable ou de l’imprévu comme le montre une recherche (7) auprès de familles vivant des situations de précarité économiques souvent associées à d’autres difficultés (dissociation familiale, problèmes de santé, etc.). Dans ces familles, on peut voir une dimension d’urgence récurrente. On se retrouve face à des personnes pour qui la vie est vécue comme une suite de coups plutôt mauvais que bons. La précarité, associée à un rapport négatif aux institutions, ainsi qu’aux fréquents accidents biographiques, produit l’impression que le temps n’est plus maîtrisable : la vie apparaît comme une suite d’événements qui surviennent malgré soi, malgré tout. Cette dimension n’est sans doute pas sans lien avec les formes d’instabilité observables chez de nombreux collégiens en  » ruptures scolaires « .

Dégradation des conditions d’existence et dévalorisation familiale

On peut ajouter pour nombre de familles des parcours de dévalorisation et de disqualification familiales. Ce parcours passe par la question du travail : la perte de l’emploi ou la précarité de l’emploi bien sûr, mais aussi le sentiment d’une dégradation matérielle et symbolique de l’emploi occupé que ce soit par des emplois jugés dégradants ou par la dévalorisation relative d’un emploi antérieurement mieux perçu.

Les travaux de S. Beaud (8) ont montré comment l’évolution du rapport des pères ouvriers au travail (le sentiment de disqualification, de dévalorisation) ainsi que celle du rapport des parents au lieu d’habitation (9) participent à la production d’un certain type de rapport à l’école et à la production de formes d’incompréhension entre générations d’une même famille. Le sentiment de dévalorisation des parents, perçu par leurs enfants, peut conduire à une sorte de disqualification des parents aux yeux de ces derniers, surtout lorsque sont valorisés dans l’ensemble de notre société et jusque dans l’école des emplois du tertiaire ou de haute technicité.

Dans ces conditions, l’altération des liens familiaux (ruptures conjugales, fragilisation des liens entre un des parents et les enfants), qu’elle soit la cause ou la conséquence des processus précédents, est un élément qui s’ajoute pour fragiliser tout à la fois le contrôle que les parents peuvent exercer sur leurs enfants et la reconnaissance de leur autorité par ces derniers.

Ajoutons que ces processus peuvent s’accompagner d’un affaiblissement des réseaux de sociabilité et de solidarité de la famille, affaiblissement qui rend plus improbable encore non seulement la « remontée sociale » mais aussi le maintien d’un encadrement éducatif stable des enfants. On peut penser que certains élèves en « ruptures scolaires » sont des enfants de milieux populaires issus de familles qui, pour différentes raisons, se trouvent en dehors du réseau de sociabilité populaire « ordinaire ». J.-C. Chamboredon montrait déjà dans les années 70 que les familles de « délinquants » étaient souvent des familles relativement disqualifiées à l’intérieur de leur propre groupe social (10).

Le risque de disqualification de la famille par la scolarisation

Concernant la disqualification des parents aux yeux de leurs enfants, il faut insister sur la contribution de l’école ou de la scolarisation à cette disqualification symbolique et du coup à l’altération des liens familiaux.

On peut lister les effets potentiels de la scolarisation de ce point de vue : la production d’un sentiment d’incompétence des parents à leurs yeux comme à ceux de leurs enfants ; le sentiment de honte des enfants quand ils s’aperçoivent que leurs parents, le père ou la mère, ne comprennent pas ce que disent les enseignants ou ce que l’école demande, etc., ne maîtrisent pas les compétences scolaires, les processus institutionnels, ne maîtrisent pas le Français standard, c’est-à-dire scolaire, institutionnalisé, etc. Tout se passe comme si l’école, à défaut de réussir à transmettre les savoirs scolaires à ces enfants, parvenaient à leur transmettre l’illégitimité de leurs origines.

D’une certaine manière, l’école risque souvent d’être la négation de la famille ou de la socialisation primaire pour les enfants des familles les plus éloignées de l’univers scolaire et les moins conformes au modèle familial dominant. Lorsqu’un collégien d’Amiens déclare : « les profs, ils insultent nos parents », il n’a peut-être jamais entendu qui que ce soit au collège insulter explicitement ses parents. En revanche, il exprime le sentiment que l’école, par ce qu’elle véhicule, disqualifie son milieu d’origine. A chaque fois que l’on présente certaines pratiques comme impératives et à prétention universelle (et à connotations morales) ou que l’on stigmatise certaines pratiques (« il faut lire », « on ne parle pas comme cela », « ce n’est pas une tenue ! », etc.) et que ces pratiques valorisées sont très éloignées des pratiques familiales ou que les pratiques stigmatisées renvoient à des pratiques familiales, les enfants voient certaines de leurs manières de faire, héritées de leurs propres parents, disqualifiées, rabaissées… Autrement dit, les enfants, à travers la sanction de leur comportement, peuvent voir sanctionner des savoirs et manières de faire familiaux qui les renvoient à l’indignité culturelle de leurs origines.

On est là sur un problème particulièrement difficile car l’école peut ainsi contribuer à disqualifier les familles au moment où elle déplore leur « perte d’autorité » et, plus les familles sont en situation difficile au plan social comme au plan de l’éducation de leurs enfants, plus le risque de disqualification par l’école grandit car l’écart entre ce que l’école attend des parents et ce qu’ils peuvent faire grandit.

De ce point de vue, le phénomène est sans doute à son paroxysme lorsque s’accumulent sur l’élève les sanctions pour son indiscipline, sanction qui apparaissent plus ou moins comme des sanctions de la famille incapable de remédier au comportement de leur progéniture.

Le groupe de pairs

Troisième dimension à prendre en compte dans les parcours des collégiens : les relations des collégiens avec leurs pairs. On sait l’importance de la sociabilité juvénile dans les quartiers populaires. On sait également que les formes de cette sociabilité peuvent être contradictoires ou en tension avec les règles et exigences scolaires, que ce soit dans le domaine langagier, dans celui des comportements, des codes vestimentaires, etc. (11)

On peut dire, que dans de nombreux cas, les collégiens de milieux populaires sont en quelque sorte sommés de choisir entre leurs sociabilités juvéniles, les pairs, les amis qui participent de leurs liens affectifs, de leur existence ordinaire et l’école. Les logiques de la sociabilité juvénile d’un côté, les logiques scolaires de l’autre peuvent ainsi fonctionner comme des injonctions contradictoires, au point que réussir à l’école peut constituer une stratégie trop coûteuse. Les élèves peuvent ainsi être pris dans un conflit de loyauté et, à la limite, et d’une certaine manière, les provocations, incartades, refus de travailler et autres pratiques perturbatrices de l’ordre scolaire peuvent être des manifestations de loyauté au groupe de pairs et à la culture de rue à laquelle ils participent.

Pour nombre de collégiens que nous avons observés, tout se passe comme s’il s’agissait de montrer qu’ils jouent le jeu scolaire sans vraiment le jouer ou qu’ils sont capables de jouer le jeu sans s’y soumettre entièrement. Tout se passe également comme si un certain nombre d’élèves tentaient de donner à la fois des signes d’allégeance aux règles scolaires et des signes de fidélité aux manières d’être et de faire des collégiens issus des mêmes groupes sociaux et habitant les mêmes quartiers populaires. (Exemple d’ambivalence dans le cas d’une collégienne réussissant son exercice mais refusant de le montrer à l’enseignant).

On peut dire encore que l’école peut apparaître comme le lieu de l’insécurité, non pas au sens des trop fameuses « violences scolaires », mais au sens où les enfants de milieux populaires y sont dans cet écart entre ce qu’ils vivent et ce qu’ils sont en dehors de l’école et ce que propose ou impose l’école. Insécurité encore au sens où, dans l’univers scolaire, ils ne sont jamais sûrs de jouer le rôle attendu et de jouer le jeu scolaire gagnant. Par contraste, le groupe de pairs peut apparaître comme la sécurité dans l’école et en-dehors, car il renvoie à un univers connu, maîtrisé et éventuellement protecteur contre les stigmates des difficultés scolaires. C’est également l’univers que l’on retrouve dans le quartier où l’on vit, que l’on retrouve à la sortie de l’école alors que l’univers de l’enseignant reste confiné dans l’espace scolaire.

Ainsi, rompre avec le groupe de pairs (comme autrui significatif ou autrui significatif collectif) revient à s’éloigner d’une configuration où l’on est reconnu, où les dépendances sont fortes mais déterminées par des codes, des rites que l’on connaît. Cela revient à entrer dans l’insécurité de l’aventure scolaire. Cela revient à abandonner un univers symboliquement sûr pour l’univers scolaire dans lequel il y a plus d’incertitude, moins de reconnaissance de soi, où la reconnaissance est à conquérir et toujours à reconquérir. Réussir à l’école peut être extrêmement coûteux si cela implique une rupture avec les pairs, les liens immédiats, de même qu’avec les valeurs de son système culturel et symbolique…

On pourrait reprendre le principe wébérien qui dit : j’obéis à une règle tant que l’intérêt à lui obéir est plus fort que l’intérêt à lui désobéir. Pour un certain nombre de collégiens de milieux populaires, ce qui précède revient à dire : l’intérêt à ne pas obéir à la règle scolaire ou du moins à ne pas jouer le jeu scolaire est plus fort que l’intérêt à lui obéir. Il y a un fort enjeu éducatif à convaincre les collégiens que leur « intérêt » est du côté de l’école.

Ajoutons que le groupe de pairs risque de jouer d’autant plus un rôle de sécurité ou de refuge lorsque la configuration familiale ne semble pas permettre au jeune de trouver une place qui le satisfait, lorsque les parents sont disqualifiés à ses yeux… et lorsque l’école, loin d’apporter les satisfactions attendues, apporte au contraire sentiment d’injustice et de honte de soi.

On voit que la production des « ruptures scolaires » se comprend d’autant mieux que l’on articule les trois dimensions principales de la vie des collégiens. C’est dans la combinaison de ces trois dimensions, combinaison qui prend en compte la scolarisation elle-même, et non pas dans des facteurs strictement extérieurs à celle-ci (les familles « déstructurées » par exemple), combinaison prenant des formes singulières dans chaque parcours mais reproduisant les tensions entre les « mondes » habités par les collégiens, que se construisent les processus de « ruptures scolaires » et de « déscolarisation ».

L’institution scolaire et la relation pédagogique

Associé à ces processus, il semble bien qu’il existe des facteurs ou des éléments liés à l’institution scolaire, à son organisation, à sa manière de faire face aux « ruptures scolaires » et au « désordre scolaire » qui concourent à précipiter (au double sens de hâter et au sens de produire par séparation et par solidification) les « ruptures scolaires » et la « déscolarisation ».

Le passage de l’école élémentaire au collège

Ce qui frappe dans un collège, c’est un encadrement que l’on pourrait qualifier de fragmenté par opposition à la continuité de l’encadrement dans les écoles élémentaires et par opposition à la recherche de cohérence et à l’encadrement éducatif qui laisse peu ou moins de place aux interstices, au jeu avec les contradictions entre « éducateurs » dans les classes relais.

Dans les écoles élémentaires, les enseignants sont bien identifiés, ils sont au contact avec les élèves 6 heures par jour et parfois davantage, le « hors-classe » est pris en charge par les enseignants, etc. L’introduction de nouveaux intervenants comme les aides éducateurs ne semble pas avoir, pour l’instant, fragmenté la prise en charge éducative des écoliers. Au collège, on connaît la forte rotation des enseignants devant les élèves, la multiplicité des adultes aux fonctions différentes et pas toujours bien identifiées. Il existe une division des espaces articulée à une division du travail éducatif et de maintien de l’ordre scolaire. Tout cela concourt à créer les conditions d’une accélération ou d’une production des « ruptures scolaires », davantage sans doute que l’âge des collégiens.

D’une certaine manière, les dispositifs relais renouent avec l’encadrement étroit avec des adultes plus facilement identifiés… La division du travail, moins forte que dans les collèges mais pourtant bien réelle, ne conduit pas à un morcellement des différentes dimensions du comportement de l’élève. L’ensemble de son comportement est connu par tous les « éducateurs » (éducateurs spécialisés comme enseignants).
Il est discuté, apprécié, analysé collectivement et les sanctions positives ou négatives de ce comportement se veulent des décisions de l’ensemble du dispositif engageant l’ensemble de ses protagonistes. Cela induit un encadrement « serré » des jeunes avec une prise en charge incessante quand ils sont dans le dispositif.

Les formes de prise en charge des comportements perturbateurs

Le désarroi des enseignants face à des collégiens non conformes au modèle d’élève attendu

Nombre d’enseignants souhaiteraient des collégiens déjà constitués comme élèves, pour lesquels les règles de l’école iraient de soi et qui manifesteraient une appétence spontanée pour les apprentissages scolaires.

Or, le travail d’institution des collégiens comme élèves demande ici non seulement à être accompli dans le cours même de l’action pédagogique mais ne porte que difficilement ses fruits et paraît sans cesse à recommencer, ses résultats étant toujours fragiles. On note une forte tendance à séparer ce qu’on appelle socialisation, c’est-à-dire travail pour rendre le jeune scolarisable, pour qu’il ait un comportement d’élève et apprentissages scolaires. Tout se passe comme s’il fallait effectuer cette socialisation préalable avant d’enseigner et la question de la « socialisation » dans le cours même des apprentissages et à travers eux est rarement posée. Du même coup, la question de la « socialisation » risque d’être renvoyée à d’autres, par exemple aux classes relais.

L’observation des classes et le discours des enseignants conduisent à parler d’un sentiment d’insécurité pédagogique au sens où tout est toujours à refaire, où la classe est toujours menacée d’un dérapage… où plane la possibilité d’un enfermement dans une hostilité réciproque, dans une situation de conflit d’où l’on ne peut sortir que par un « vainqueur » et un « vaincu », avec le risque de perdre la face pour l’un des protagonistes. Parfois le souci d’éviter ces situations, de prévenir un conflit frontal avec les collégiens les plus en rupture avec le jeu scolaire amène les enseignants à tolérer à leur endroit des pratiques qu’ils n’acceptent pas pour d’autres, rompant ainsi le principe d’un traitement égal de tous les collégiens. L’évitement des affrontements directs devient ici « stratégies de survie » (12 ou de protection qui peut aller pour quelques jeunes enseignants observés jusqu’à poursuivre leur cours dans un fort brouhaha alors que les collégiens ne s’occupent quasiment pas de ce qu’ils font ou de ce qu’ils disent.

Lorsqu’un enseignant « craque » ou se laisse déborder par son exaspération, il sort du registre de rôle attendu et institué par sa fonction d’enseignant qui suppose une action selon des règles impersonnelles et non pas selon les humeurs du pédagogue. Du même coup, il se rapproche du registre des relations personnelles qu’entretiennent les adolescents entre eux. Dans ce genre de situation, les collégiens répliquent fréquemment dans le registre qui est celui qu’ils connaissent dans leur quartier ou dans la cour du collège, notamment le registre de l’honneur qui suppose que l’on réplique à l’offense ou à l’agression subie. Tout se passe comme si l’enseignant qui déroge aux règles scolaires associées à sa fonction « autorise » ou « provoque » une transgression en retour de la part du collégien et un déplacement de l’affrontement sur un terrain non scolaire et selon des modalités elles aussi non scolaires, plus proches des logiques d’affrontement des jeunes des quartiers populaires. En outre, quand un élève déclare « Vous n’avez pas le droit ! », il effectue peut-être vraiment un rappel aux règles de la fonction pédagogique et montre par là qu’à défaut de maîtriser et de respecter les règles scolaires, il en connaît bien quelques-uns des principes au point de trouver insupportable que l’enseignant lui-même les enfreigne. En sortant du rôle attendu, l’enseignant risque alors de conforter une opposition qui fait de lui non pas le détenteur de l’autorité pédagogique mais un adversaire auquel on peut appliquer les principes de l’affrontement entre groupes rivaux (13).

Une relation qui prend parfois la forme d’un clivage entre eux et nous

La mise en cause de soi au plan professionnel et parfois au plan personnel, vécue par les enseignants ainsi que la question de l’acceptabilité morale des collégiens contribuent à construire une séparation ou une opposition de type « eux »/ »nous » entre enseignants et collégiens. On a beaucoup écrit que les jeunes de milieux populaires sont pris dans des processus identificatoires qui les conduisent à une vision du monde dans laquelle s’oppose leur propre groupe, « nous », aux « autres », en particulier les agents des institutions mais également les jeunes d’autres groupes de même catégorie sociale ou les jeunes d’autres catégories sociales (14).
On peut avancer que la question du « eux » et du « nous » se pose aussi pour les enseignants et les personnels des établissements scolaires (15). Ce rapport entre deux mondes qui sépare les agents de l’institution scolaire et les élèves doit peut-être se retrouver dans tout établissement scolaire. Dans le cas des collèges des quartiers populaires, il prend une connotation particulière car la césure entre élèves ou « jeunes » et « adultes » se double ici d’une opposition entre deux mondes, deux ensembles de « manières d’être » socialement construits.

La question de l’élimination des plus réfractaires

Les difficultés qu’induisent les comportements perturbateurs de l’ordre scolaire conduit à tenter de neutraliser ou d’éliminer les collégiens les plus réfractaires à l’ordre scolaire, les plus en « ruptures scolaires » quand la rupture prend des formes dérangeantes pour l’activité pédagogique. On l’observe par les conseils de discipline, les exclusions périodiques, les échanges d’élèves d’un collège à l’autre. On peut se demander si ces décisions, plus ou moins officielles, plus ou moins officieuses, ne contribuent pas, à leur manière, à construire des parcours de « déscolarisation » et à précipiter les « ruptures scolaires ». On doit vérifier cela dans les parcours des collégiens passant par les classes relais (l’étude de leur dossier est à cet égard révélatrice).

En guise de conclusion

On a vu que le parcours de « déscolarisation » ou de « ruptures scolaires » devait se construire au carrefour de plusieurs espaces mis en tension (famille, école, groupe de pairs…). Ces parcours sont aussi le produit de décisions institutionnelles tentant de faire face aux comportements qui perturbent l’ordre scolaire (et il existe des collégiens relativement « déscolarisés » tout en étant toujours présents dans les collèges, mais dont la « déscolarisation » ou les « ruptures scolaires » s’effectuent à  » bas bruit  » pour l’institution scolaire). Les classes relais peuvent être un élément de « rescolarisation » (au sens de retour dans un cursus scolaire et au sens de production de comportements scolaires) ; elles peuvent être en même temps un lieu de tri vers différentes formes de sortie de la scolarisation, un maillon dans un parcours de « déscolarisation », une « déscolarisation » encadrée, éventuellement pacifiée mais une déscolarisation quand même. Etre l’un ou l’autre est sans doute un enjeu important pour les classes relais.

Notes

(1). Daniel Thin, Quartiers populaires. L’école et les familles, Presses Universitaires de Lyon, 1998.

(2). Daniel Thin, Désordre scolaire dans les collèges de quartiers populaires, ronéoté, GRS-Université Lumière Lyon 2, septembre 1999.

(3). Sylvain Broccolichi « Les interrruptions précoces d’études », X.Y.ZEP, Bulletin du centre Alain Savary, décembre 1998, page 3.

(4). Comme les nomme jean-Paul Payet à la suite de Peter Woods, Jean-Paul Payet, Collèges de banlieue. Ethnographie d’un monde scolaire, Méridiens Klincksieck, 1995 ; Peter Woods, L’ethnographie de l’école, Armand Colin, 1990.

(5). Bernard Lahire, culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de « l’échec scolaire » à l’école primaire, Lyon, P.U.L., 1993.

(6). Ces questions du sens et du rapport aux savoirs scolaires ont été particulièrement étudiées par les chercheurs de l’équipe ESCOL. On peut citer : Elisabeth Bautier, Bernard Charlot, Jean-Yves Rochex, École et savoir dans les banlieues et ailleurs, Paris, Armand Colin, 1992 ou Bernard Charlot, Le rapport au Savoir en milieu populaire. Une recherche dans les lycées professionnels de banlieue, Anthropos, 1999.

(7). Thin Daniel, « Tant qu’on a la santé… ». Des familles populaires et de la santé de leurs enfants, rapport de recherche, GRS-Université Lyon2 ronéoté, octobre 1997.

(8). Stéphane Beaud, L’usine, l’école et le quartier. Itinéraires scolaires et avenir professionel des enfants d’ouvriers de Sochaux-Montbéliard, thèse de doctorat de sociologie, EHESS, 1995.

(9). La dévalorisation familiale est aussi à l’oeuvre dans le parcours résidentiel de la famille : les changements fréquents de logements, le passage à des logements dans des quartiers stigmatisés..concourent à cette dévalorisation.

(10). Jean-Claude Chamboredon, La délinquance juvénile, essais de construction d’objet,
Revue française de sociologie, XII-3, 1971.

(11). On pense ici notamment aux travaux de David Lepoutre, Coeur de banlieue.
Codes, rites et langages, Editions Odile Jacob, 1997.

(12). Peter Woods « Teaching for Survival », in P. Woods et Hammersley (eds.), School Expérience – Explorations in the Sociology of Éducation, Croom Helm, 1977, traduit sous le titre « Les stratégies de « survie » des enseignants », Jean-Claude Forquin (textes rassemblés par), Les sociologues de l’éducation américains et britanniques, de Boeck Université, 1997.

(13). Sur le modèle de ce qu’évoque Gérard Mauger à propos des relations des jeunes de quartiers populaires avec la police perçue comme une bande rivale. Gérard Mauger, Disqualification social, chômage, précarité et montée des illégalismes, Regards sociologiques, 2001, n°21, pages 78-86.

(14). L’opposition au monde des autres, celui des dominants, se trouve fréquemment dans les groupes sociaux les plus dominés. Cf. par exemple Richard Hoggart, La culture du pauvre, Minuit, 1970.

(15). Elle se pose parfois de façon explicite quand des enseignants interpellent leur hiérarchie pour obtenir des sanctions contre des collégiens perturbateurs, interpellation qui prend alors la forme « c’est eux ou nous ».

La question de l éducation nouvelle


La question de l’éducation nouvelle,
une urgence de civilisation

1er Forum Mondial de l’Éducation, Porto Alegre, Octobre 2001


Texte collectif du GFEN lu par Odette Bassis à l’ouverture du Forum pour représenter l’Europe


Dans un monde où sévissent inégalités et injustices, la question de l’éducation n’est pas seconde, face à des préalables économiques et à des impératifs politiques mais elle se pose comme urgence de civilisation. Une urgence de civilisation que concerne toute responsabilité immédiate et locale. Parce que l’homme ne naît ni soumis ni émancipé, il le devient. Parce qu’il ne naît ni fanatique ni citoyen, il le devient. Et c’est dans ce devenir que s’inscrivent les situations vécues, éducatrices ou aliénantes, fondant pour chacun son rapport au monde et aux autres.

L’accès pour tous à l’instruction est primordial. Mais que serait l’accès au droit d’apprendre sans le pouvoir de comprendre ? Face à une conception marchande des savoirs, à leur instrumentalisation et leur accumulation, il s’agit de développer une intelligence capable de penser autrement le monde. Face à la reproduction de savoirs-transmis comme produits-finis, comme vérités indiscutables, il s’agit de faire émerger une pensée créative et audacieuse. Mais comment éduquer à l’esprit critique en exigeant une soumission appliquée à des règlements, dès l’école, quand ils sont seulement élaborés par d’autres ? Comment éduquer à la solidarité face à l’exclusion et à la compétition individuelle dans les apprentissages ?

Toute pratique, qu’elle soit d’enseignement ou de formation, n’est ni neutre ni innocente. Dans les faits, elle transmet, dans le cours même de l’acte qu’elle pose, des valeurs, des comportements mentaux et des modes de penser qui s’ajoutent aux contenus prescrits des savoirs et les traversent.

Or, c’est par rapport à la pratique de transmission des savoirs, fonction première de l’école, que l’éducation nouvelle pose un renversement décisif, et cela dès les premiers apprentissages du lire-écrire-compter et tout au long du cursus scolaire et de formation.

C’est dans la notion et la pratique de démarche d’auto-socio-construction du savoir que, prenant appui sur des situations incitatrices de départ, sont impulsés des processus constructifs qui sollicitent les forces inventives, créatrices de chacun pour que, dans une interaction entre soi et les autres, se travaillent questionnements, contradictions et conflits. Là, dans un va et vient entre l’acte et la pensée, entre hypothèses et conscientisation, entre schèmes balbutiants et formulations, se construit une pensée opératoire, une pensée réinvestissable ailleurs. Là s’exerce la prise en compte créatrice des divergences, dans la pluralité et la diversité, et se développe l’exercice du débat constructif, démocratique, condition pour des apprentissages solidaires en même temps que conceptualisés.

L’enjeu est de devenir citoyen DANS le savoir et dans les apprentissages.

C’est dans de tels processus que ne doivent pas être évacués les questions, contre-évidences et débats dont les savoirs sont issus, alors qu’ils sont nés d’audaces et qu’ils furent, dans leur genèse, combats contre l’ignorance, les interdits et les fatalités. C’est dans de tels processus que chaque enfant, chaque apprenant, peut mobiliser ses propres capacités à penser, à créer, à agir et les mettre en synergie avec celles de ceux qui, bien avant lui et autour de lui, les ont déjà exercées. Il découvre ainsi dans l’acte de savoir la force d’une fraternité humaine.

Dans une telle approche de la connaissance, comme dans la vie coopérative, dans la conception et la réalisation de projets, dans les situations multiples d’écriture où se construisent des pouvoirs de penser et de créer, la mise en pratique de tels principes ne peut se faire sans le pari philosophique exprimé dans le  » Tous capables « . Il s’agit de mobiliser et développer les potentialités immenses de chaque enfant, chaque adulte, chaque peuple, potentialités trop souvent insoupçonnées ou massacrées, niées ou écartées.

Apprendre à penser dans la complexité, apprendre à affronter l’imprévu, à se nourrir de l’altérité et de la diversité des cultures, à sortir des cadres établis, apprendre à faire avec les contradictions, c’est apprendre à refuser l’esprit de fatalité et à surmonter les conflits, entre hommes libres et responsables.

Ateliers d’écriture en milieu scolaire

Travailler l’étonnement
dans les ateliers d’écriture en milieu scolaire

Michel Ducom

C’est toujours un grand plaisir pour l’enseignant dans un atelier d’écriture de voir des enfants construire ou restaurer leur pouvoir d’écrire.
L’ étonnement, la fierté ou les inquiétudes des jeunes participants devant les textes affichés ou lus sont exactement les mêmes que ceux de bien des écrivains débutants…

Tout se passe comme si celui qui a écrit entrait dans un nouveau monde, un monde qui lui aurait été mystérieusement interdit ou confisqué. Il y a sans doute beaucoup d’illusions dans cette émotion, et le travail de l’adulte dans les ateliers suivants sera sans cesse de ramener à la réalité ceux qui écrivent, pour les prévenir contre de multiples désagréments et pour qu’ils comprennent qu’est-ce qu’écrire, afin d’en faire le meilleur usage dans leur vie. Mais cette émotion est commune aux adultes et aux enfants. Elle signale bien l’importance de l’acte. Dans un monde envahi par l’écriture – de la librairie à la publicité sur les écrans, de la bibliothèque aux notes professionnelles – tout se passe comme si certains avaient
droit à écrire et d’autres pas. Et certains qui écrivent dans un domaine, professionnel par exemple, n’auraient jamais envisagé pouvoir le faire dans une fiction, un poème ou un scénario…
Les représentations que les enfants ont de l’écriture sont souvent plus contradictoires que celles des adultes. Comme eux ils savent par l’expérience qu’ils ont de la société que les écritures sont diverses. Ils voient d’ailleurs bien mieux que les adultes que les romans ne sont pas la seule forme d’écrit validée par la société : leur planète écriture est peuplée de publicités, de panneaux, d’écrits scolaires, d’étiquettes
de marques et d’enseignes… La légitimation hiérarchisée de certains écrits ne les empêche pas de voir la variété des écrits. Mais contradictoirement ils savent qu’ils vont apprendre à écrire, et là ils ont souvent l’illusion qu’ils vont apprendre un secret valable pour toutes les formes d’écriture, celles qu’ils connaissent et quelques unes mal connues qu’ils soupçonnent être celles d’un monde qui leur échappe, le monde adulte.
De la même façon que certains adultes, ceux qui par exemple ont des carnets secrets poétiques, découvrent parfois avec un grand plaisir leur pouvoir insoupçonné de produire un texte scientifique, les enfants vont de découvertes en découvertes lorsque grandissent les champs d’application de leur pouvoir d’écrire..
Le pouvoir est une réalité, mais avant de devenir une réalité sociale, il s’éprouve d’abord comme une
réalité individuelle. Le sujet est confronté à deux étonnements majeurs qui touchent sa sphère « proximale ».

L’étonnement devant la trace produite :

Que ce soit un plaisir régressif ou une jubilation de pouvoir
– au sens de « pouvoir faire », et dans tous les sens imaginables
– le rapport à la trace est une forte expérience personnelle.
Les arts plastiques ou la musique enregistrée en sont aussi comptables, comme la fabrication d’un meuble ou la production d’un théorème.
Ce n’est pas « propre » à l’écriture, mais la situation est à prendre en compte, parce que parfois redoutable, ou narcissiquement dangereuse, ou facteur d’un plaisir intense, ou à l’origine d’un dégoût de soi incontrôlable…
Nous sommes dans l’imaginaire de la trace. Le langage et l’ordre symbolique que nous manions si bien, ou si peu, nous échappe et prend les figures de l’autonomie. C’est moi, mais cela m’est extérieur.
Je croyais « faire » peu et j’ai « fait » beaucoup. L’adulte enseignant – comme l’animateur d’atelier d’adolescents ou d’adultes – devra veiller à ce que le sujet puisse « en dire quelque chose », qu’il puisse aussi en entendre quelque chose de différent proposé par les autres participants, sous peine de rester prisonnier de sa découverte.
Il faut que chacun à chaque enfant – puisse accepter cette nouvelle situation qui est d’ordre imaginaire où de l’inattendu est survenu dans ses propres codes si sûrs et si bien protégés.
C’est pourquoi il est indispensable que les ateliers d’écriture à l’école comportent une phase de discussion sur les conditions de la production des textes, discussion menée par les enfants participants, et dans un premier temps discrètement soutenue par l’adulte.
Les enfants parlent alors de ce qu’ils ont aimé, de ce qui a été difficile, ils mettent en relation cette activité d’écriture avec d’autres activités de classe.
Bien entendu, le maître peut participer à la discussion avec des phrases courtes qui portent sur le vécu des enfants. Il veille alors à faire apparaître au groupe la diversité des points de vue des enfants.
Ces derniers seront alors vraiment en recherche sur ce qui s’est passé, la posture de l’adulte n’étant ni celle d’un psychologue, psychanalyste ou thérapeute , mais celle d’un pédagogue, créateur d’atelier chargé d’actualiser les potentiels de création des jeunes participants et de soutenir un débat d’enfants
qui construit de la distanciation sur une activité d’écriture impliquée et récente.

L’étonnement devant ses propres capacités :

Il n’est pas rare dans un atelier d’enfants d’entendre des critiques assez virulentes sur d’autres activités scolaires ou familiales où les élèves témoignent de s’être ennuyés, d’avoir été négligés…
Ces critiques ne font pas avancer grand chose. Elles sont la plupart du temps un excellent moyen pour échapper à l’analyse de ce qui s’est réellement passé dans l’atelier. Mais elles mettent en valeur la nouvelle façon qu’a le sujet d’apprécier ses propres capacités. Il se sent investi de nouveaux attributs,
il manifeste souvent qu’il mue, il vit un changement fort de représentation sur lui-même. C’est que la révolution est copernicienne : à l’endroit où il se sentait incapable, le voici devant une évidence, d’autant plus forte qu’il s’infériorisait plus. Il a réussi à l’endroit exact de ses fatalités. Ce n’est pas toujours facile à supporter. On voit parfois des enfants nier la qualité de leur texte même s’il est très riche. On en voit d’autre essayer de ne plus parler de cette réussite et se lancer dans mille autre sujets de discussion pour échapper à cette nouvelle réalité : ils peuvent écrire.
Certains ne peuvent décidément pas démentir leurs parents qu’ils aiment et qui ne croyaient pas qu’ils y arriveraient, ni les valeurs de leur milieu d’origine où on ne trahit pas, quand on est Gitan et de culture orale, ou imprimeur et donc pas du tout écrivain…
Là encore, le moment bref de la discussion en fin d’atelier, ou au milieu, va être décisif : il va permettre la relativisation des positions de chacun, des discours sur les « prétendues incapacités ». Si la qualité des textes est interpellée par les enfants, un travail ultérieur doit être leur être proposé dans une nouvelle séquence pour qu’ils examinent en présence du jeune auteur les qualités et les fonctionnements du texte qui prétendument ne serait pas de qualité. On peut faire confiance aux enfants en groupe si on leur demande : « qu’est-ce qui est bien pour vous dans le texte de Pierre ? ».
Ils trouvent de nombreux éléments, y compris au CP. Et le collectif des « pairs » -les participants – a presque autant de force que la parole de l’adulte, et surtout il n’est pas une parole de « maître ».

Mais l’étonnement devant les nouvelles capacités peut provoquer une attitude totalement opposée et tout à fait ennuyeuse : le nouvel écrivant – bien que tout jeune – se sent soudain écrivain jusqu’au bout des ongles et à deux doigts d’obtenir le Goncourt. La divine surprise devient magie divine et l’imaginaire
délirant. Dans ce cas l’adulte, pour éviter tout danger, se doit aussi d’organiser le débat sur ce qui, dans l’atelier a facilité, ou au contraire rendu difficile, la production des textes. Peu à peu, d’une séquence d’atelier d’écriture à l’autre, le naïf ne manquera pas de découvrir tout le travail cristallisé par le meneur
d’atelier dans les consignes orales ou écrites, en relief ou « en creux » la place des textes des autres enfants dans sa propre production, la force de l’imprégnation des textes d’écrivains lus en classe, le modèle et la façon de s’en écarter…
L’impatience de l’enfant se heurte alors à une réalité, et il est nécessaire de proposer des projets de socialisation : affichage des textes, lectures de l’adulte ou mise en place d’un mini récital pour une autre classe, affichage des textes dans la cour… Les obstacles de la réalité « je ne suis pas un véritable écrivain » reculent . Les projets sont réalisés en petits groupes ou en groupe
classe et ils sont valorisant pour chacun. L’illusion peut alors laisser place à la détermination à fortifier longuement cette nouvelle capacité.

L’étonnement des enfants dans un atelier est une grande satisfaction pour celui qui conduit l’affaire. Mais sans la mise en place d’un travail réfléchi accompli en grande partie par les jeunes eux-mêmes, sans des débats courts mais sérieux sur ce qui est dit et fait dans l’atelier, le risque est grand de laisser les promesses d’émancipation et d’apprentissage de l’écriture dans leur état de promesses, et franchement, avec un aussi joli outil pédagogique, qui marche si bien avec un investissement en formation relativement léger, quel grand dommage ce serait !

Pour la réussite de tous les élèves

Pour la réussite de tous
les élèves, faisons avancer l’école

 
1- Avant de modifier ou de remplacer la loi d’orientation de 1989, il faudrait en faire le bilan, et proclamer que l’éducation doit rester la première priorité du pays, y compris en termes budgétaires. Dans une approche globale de l’éducation, on ne peut dissocier la politique scolaire d’une politique éducative
incluant les activités périscolaires ni d’une politique culturelle. Son amélioration, nécessaire, doit viser à
mettre les institutions de la République, dont l’école, mieux à même d’atteindre les objectifs que la nation leur assigne. Parmi ces objectifs, il y a à définir, en liaison étroite avec le monde enseignant et avec les autres corps intéressés à la formation, ce que l’on attend des élèves en termes de connaissances et de compétences fondamentales.
2 – Il ne suffit pas d’énoncer des orientations. En tout état de cause , il est nécessaire de programmer à
moyen terme, avec donc les anticipations indispensables et l’engagement de l’Etat, la répartition des différentes formations, l’implantation des établissements, le volume des recrutements et la formation des personnels.
3- Le collège doit être un collège pour tous. Il n’est pas une fin en soi et, au lieu d’être organisé comme
un petit lycée d’enseignement général, il doit, dans sa structure, sa pédagogie, les contenus enseignés,
ses modalités de fonctionnement, ouvrir sur plusieurs voies d’égale dignité. et permettre la découverte des métiers pour tous les élèves.
4 – La continuité éducative et pédagogique induite par la notion de scolarité obligatoire, doit assurer à tous les élèves la maîtrise d’un socle commun à la fois de connaissances et de compétences. Les options qui s’y ajoutent et qui doivent résulter d’une éducation des choix ne doivent pas se traduire par l’organisation, de droit ou de fait, de filières. La répartition des disciplines et leurs programmes peuvent être différenciés de façon à mieux correspondre à la diversité des goûts et des attentes des élèves, mais en aucun cas cette différenciation ne doit entraîner une orientation précoce et définitive avant la fin de la scolarité obligatoire.
5 – L’évaluation est indispensable ; elle doit être au service des apprentissages, comme évaluation formative. Elle doit porter aussi bien sur les connaissances que sur les compétences, y compris les compétences transversales aux disciplines. Elle ne doit pas être un moyen de sélectionner trop tôt. L’objectif de donner à tous les élèves une qualification professionnelle et d’amener le plus grand nombre d’entre eux au baccalauréat doit être réaffirmé et atteint. Mais il faut aussi repenser le rôle et la place des examens terminaux de manière à alléger leur influence sur l’ensemble de la scolarité, sans remettre pour autant en cause leur caractère national. On doit faire preuve d’imagination dans les évolutions nécessaires des modalités d’évaluation de certification : amélioration des épreuves terminales, recours dans certains cas aux unités capitalisables ou au contrôle en cours de formation.
6- L’une des missions premières de l’école est l’appropriation des connaissances, articulée avec l’acquisition des compétences. La transmission des connaissances n’a de
sens que si les élèves les acquièrent vraiment, c’est-à-dire de façon durable et transférable. Cela suppose des pratiques pédagogiques qui rendent l’élève acteur de sa propre formation, dans le cadre d’un projet personnel.
7 – Mais l’accès à la culture, la socialisation des jeunes, la formation du citoyen, et, à partir d’un certain
âge, leur préparation à l’entrée dans la vie professionnelle sont également les missions majeures du
système éducatif. Cela est favorisé par la complémentarité entre le temps scolaire et non scolaire. Toutes ces missions sont indissociables. Ainsi, la manière de transmettre ou de faire acquérir les connaissances et les compétences est aussi une forme de socialisation en rapport avec les valeurs de la démocratie.
8 – Tous les personnels sont en charge de ces différentes fonctions de l’école et sont garants de l’atteinte des objectifs poursuivis. Cela doit commander la définition des fonctions et l’organisation du service de chaque catégorie de personnel, dans le cadre de l’équipe éducative pluriprofessionnelle et de l’autonomie de l’établissement prenant la forme de son projet. Il convient ainsi de prendre en compte, pour les enseignants, un temps pour la concertation, l’aide et l’accompagnement des élèves et les contacts avec les familles.
9 – En particulier, et à partir des besoins des élèves, l’établissement, avec l’aide des autres institutions
publiques et des associations complémentaires de l’enseignement public ou en interaction avec elles, doit organiser les moyens des apprentissages scolaires au profit de tous les élèves.
10 – L’implication des élèves et des parents d’élèves est importante pour la réussite du projet de formation. Pour que l’expression de communauté éducative soit une réalité, les instances de délibération et les instances de décision des établissements et des écoles doivent faire une place réelle aux parents d’élèves (en tant que membres permanents de cette communauté) et, selon leur âge, aux élèves eux-mêmes, selon des procédures démocratiques adaptées à la spécificité du système éducatif.

11 – Il ne doit plus être possible de lancer quelqu’un dans le métier de professeur sans lui avoir donné au préalable une formation, étant entendu que le recrutement doit prendre en compte l’aptitude à l’enseignement. Cette formation comprend, évidemment, la maîtrise des disciplines qu’il aura à enseigner. Mais elle porte aussi, et inséparablement, sur tout ce qui touche à l’enseignement : la pédagogie, l’épistémologie et la didactique des disciplines, les méthodes et les pratiques, la connaissance du système éducatif et de son évolution, la connaissance des publics, le rôle de l’enseignement dans une politique éducative globale, les compétences relationnelles. Les modalités de la formation doivent préparer aux modalités de l’exercice du métier, en particulier par le travail de groupe. La formation doit être en partie commune pour ceux qui se préparent aux différents niveaux et aux différents métiers du système éducatif
12 – La formation initiale ne doit être considérée que comme une étape : tous les personnels ont droit à une formation continue substantielle, que l’Etat a l’obligation d’organiser. Pour cette formation, il peut faire appel aux actions organisées par les mouvements pédagogiques et d’éducation. Cette formation doit conjuguer l’actualisation des connaissances scientifiques et la réflexion sur les pratiques.
13 – Pour créer un climat propice aux apprentissages, et pour instaurer une autorité légitime, il faut développer des moyens qui ont fait leurs preuves : travail en équipe, structures de médiation, instances de concertation. L’ordre nécessaire dans l’établissement et dans la classe ne se confond pas avec l’autoritarisme. La prévention de la violence passe d’abord par la responsabilisation de tous les
acteurs, y compris les élèves. Cela n’exclut pas, si besoin, les sanctions, mais « le rétablissement de l’autorité » ne peut qu’échouer s’il est conçu isolément et sans s’appuyer sur une réflexion éducative.
14 – Une des missions essentielles de l’école est de contribuer à la lutte contre les inégalités et les discriminations de toute nature. Pour cela, elle doit prendre en compte tous les élèves dans leur diversité et, le cas échéant, avec leurs difficultés spécifiques. Dans cette tâche aussi, l’école doit viser l’efficacité, c’est-à-dire réaliser le mieux possible ses objectifs avec les moyens qui lui sont alloués. Ces moyens doivent être suffisants pour lui permettre de mener à bien cette mission, et ils doivent être utilisés prioritairement dans les territoires et les secteurs où ils sont les plus nécessaires, ces territoires et secteurs étant définis selon des processus démocratiques. L’efficacité dans l’utilisation des moyens alloués au service public d’éducation doit légitimement faire l’objet d’une évaluation.
15 – La formation tout au long de la vie est une perspective nécessaire. Mais la formation continue ne doit pas être considérée seulement sous l’angle de la seconde chance ou du rattrapage après une formation initiale insuffisante. Celle-ci ne peut être efficace que si elle prend appui sur un socle solide. Cette perspective ne peut donc pas justifier l’immobilisme en matière de formation initiale. Inversement, la formation initiale doit prendre en compte la perspective de la formation tout au long de la vie.

Texte signé par les organisations suivantes :
CEMÉA , CRAP-Cahiers Pédagogiques , ÉDUCATION & DEVENIR , FEP-CFDT , FOEVEN , Francas , GFEN , ICEM , La Ligue de l’Enseignement , OCCE , SE-UNSA , SGEN-CFDT ,SNUIPP-FSU

Projet de programmes école primaire

Projet de programmes de l’école primaire : 

Copie à revoir !

Monsieur le Ministre,

Nous voulons une école plus juste, dont les finalités et les contenus soient compris et partagés par tous. Nous sommes persuadés que l’école peut et doit faire réussir tous les élèves, et que pour cela, elle doit se transformer. Votre projet de programmes est marqué par l’inadaptation des contenus, par un affaiblissement de leur dimension culturelle et par une conception mécaniste des apprentissages.
Loin d’être « plus ambitieux », comme vous l’annonciez, il marque un appauvrissement sans précédent des apprentissages et des objectifs, à commencer par la lecture et l’écriture. Face à un tel renoncement sur l’essentiel, l’introduction de nouveaux contenus dans d’autres matières apparaît comme un affichage qui accroît l’incohérence de l’ensemble.
Loin de contribuer à la réussite de tous les élèves, il pénalisera de fait ceux qui ont le plus besoin d’école. Il ne favorisera pas la maîtrise de l’ensemble des connaissances et des compétences que l’école se doit de faire acquérir à tous les élèves. Il tourne le dos à l’ambition des programmes de 2002 qui était de doter tous les élèvesdes outils nécessaires pour réussir au collège.
Nous réaffirmons avec force que les apprentissages fondamentaux que vise l’école primaire s’appuient sur un travail de l’élève dans lequel la recherche, la découverte et l’expérimentation s’allient nécessairement à la rigueur, à la structuration des connaissances et à la mémorisation.

Nous vous demandons, Monsieur le ministre, de suspendre votre projet et de tenir compte de l’avis des personnels et des partenaires de l’Education afin d’en revoir profondément la conception et la rédaction.

Liste des premiers signataires
Lucile Barberis, présidente de l’AGEEM (Association générale des enseignants des écoles maternelles publiques); Nicole Belloubet, présidente de la FOEVEN (Fédération des oeuvres éducatives et de vacances de l’éducation nationale) ; Luc Bérille, secrétaire général du SE-UNSA (Syndicat des enseignants); Jacques Bernardin, professeur à l’IUFM d’Orléans-Tours, président du GFEN (Groupe français d’éducation nouvelle) ; Serge Boimare, directeur CMPP Claude Bernard, Paris ; Mireille Brigaudiot, maître de conférence – IUFM de Versailles ; Rémy Brissiaud, maître de conférence de psychologie – IUFM de Versailles ; Thierry Cadart, secrétaire général du SGEN-CFDT (Syndicat
général de l’éducation nationale); Sylvie Cebe, professeur en sciences de l’éducation à l’université
de Genève; Roland Charnay, ancien professeur d’IUFM, responsable de la commission mathématiques pour les programmes 2002 ; Anne-Marie Chartier, maître de conférence à l’INRP ; Gérard Chauveau, chercheur en éducation ; Philippe Deplanque, secrétaire général des FRANCAS (Francs et franches camarades) ; Bernard Devanne, professeur à l’ IUFM de Basse- Normandie ; François Dubet, professeur des universités en sociologie, Bordeaux ; Agnès Florin, professeur en psychologie du développement
et de l’éducation, université de Nantes ; Jean-Emile Gombert, professeur des universités en psychologie cognitive, Rennes ; Faride Hamana, président de la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves) ;
Patrick Joole, maître de conférence à l’IUFM de Versailles ; Philippe Joutard, ancien recteur des académies de Besançonet Toulouse ; Claude Lelièvre, professeur des universités ; Pierre Maraine, président de l’ANCP (Association nationale des
conseillers pédagogiques) ; Philippe Meirieu, professeur des universités, Lyon ; Gilles Moindrot, secrétaire général du SNUipp-FSU (syndicat national unitaire des instituteurs et professeurs des écoles) ; Andre Ouzoulias, professeur à l’ IUFM de Versailles, université de Cergy Pontoise ;
Pierre Parlebas, président des CEMEA (centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active); Sylvie Plane, présidente de l’AIRDF (Association internationale pour la recherche en didactique du français) et professeur des universités en sciences du langage, IUFM de Paris; Eric Pontais, secrétaire général du SNPI-FSU (Syndicat des personnels d’inspection de l’éducation nationale) ; Eirick Prairat, maître de conférence à l’IUFM de Lorraine ; Muriel Quoniam, présidente de l’ ICEM (Institut coopératif
de l’école moderne) ; Jean-Marc Roirant, secrétaire général de la Ligue de l’enseignement ; Patrick Roumagnac, secrétaire général du SI.EN-UNSA éducation (Syndicat des inspecteurs de l’éducation
nationale) ; Frédéric Saujat, maître de conférence à l’IUFM d’Aix-en-Provence ; Jean-Michel Sautreau, président de l’ USEP (Union sportive de l’enseignement du premier degré); Bruno Suchaut, directeur IREDU-CNRS, université de Bourgogne ; François Testu, président de la JPA (Jeunesse au plein air);
Gérard Toupiol, président de la FNAME (Fédération Nationale des Associations de Maîtres E) Jean-François Vincent, président de l’OCCE (Office central de la coopération à l’école); Philippe Watrelot, président des CRAP (Cahiers pédagogiques) ; Viviane Youx, présidente de l’ AFEF (association française
des enseignants de français).